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Approche historique et ethnographique de D’Iribarne

CHAPITRE 1. ÉLEMENTS D’ANALYSE DU CONCEPT DE CULTURE

2. PRINCIPALES ÉTUDES TRAITANT DE LA GESTION CULTURELLE

2.2. Approche historique et ethnographique de D’Iribarne

Philippe d’Iribarne (1997), auteur critique de la méthode comparative utilisée par Hofstede (2002), a développé une approche totalement différente (puisqu’analysant in situ les attitudes

et comportements au travail). L’auteur tente d’explorer, dans différents travaux (1989, 1991), la relation existant entre les modes de management des entreprises et la « culture nationale »

du pays où elles sont installées. L’objectif principal de ces travaux est de s’inscrire en faux

contre un universalisme managérial entraînant notamment la tentation d’insérer dans un pays,

souvent sans succès, des pratiques qui ont réussi ailleurs. Il essaie de montrer le caractère inéluctable pour toute entreprise implantée hors de son aire culturelle d’origine, de prendre en considération des traditions nationales du pays d’accueil (Cadin et al, 2012).

Dans l’introduction du numéro de la revue française de gestion (septembre-octobre 1987)

consacré aux méthodes de gestion en milieu interculturel, d’Iribarne nous offre lui-même (1987, P.7) un panorama assez réaliste des différents types de recherches, sur les phénomènes culturels et les aspects géo-sociétaux. Selon l’auteur, auteurs et praticiens peuvent être rattachés individuellement à l’une des quatre catégories suivantes (Löning, 1994, P.225):

· La première approche consiste à considérer les meilleures méthodes de gestion

peuvent-et doivent- être utilisées universellement, partout sur la planète. L’auteur

souligne donc qu’il n’existe pas de différences culturelles significatives.

· Un deuxième paradigme consiste à considérer certains pays économiquement ou

industriellement « inaptes » et à penser que ceux-ci ne pourront jamais avoir des entreprises performantes, ni moderne. En revanche, il existe deux attitudes possibles

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du caractère inadapté des méthodes de gestion occidentales, américaines le plus souvent, localement dans les entreprises :

Ø La première attitude consiste à acculturer les locaux. En effet, il s’agit de faire

évoluer leur culture jugée a priori moins adaptée aux méthodes de gestion occidentales. Ils peuvent suivre, par exemple, des formations, envoyer des cadres locaux pour quelques moins ou quelques années en Europe ou aux Etats-Unis, recruter des cadres ayant fait leurs études dans des pays

industrialisés, ou dont le profil psychologique est susceptible d’intégrer

rapidement les valeurs de l’entreprise occidentale. Toutefois, il faut rendre

compte que effectuer une modification, même partielle, des cultures géo-sociétales était lente et extrêmement couteuse en efforts déployés. Cela est

d’autant plus le cas que l’entreprise est un système ouvert, se trouvent dans un

environnement qui n’est pas celui des pays occidentaux.

Ø La dernière attitude possible est de penser que toute méthode de gestion a

besoin d’être acclimatée au jeu social d’un pays donné. Certaines méthodes

occidentales, même adaptées, resteront hermétiques à un environnement et une culture géo-sociétale différente, d’autres, au contraire, pourront être importées,

par certains pays, sans trop de difficultés ; en fin, des méthodes proprement nationales, des modes de fonctionnement spécifiques et des systèmes locaux de

motivation et d’incitation à la convergence des buts pourront et devront se

développer conjointement.

D’iribarne s’est efforcé de mieux préciser en quoi se manifestent ces « particularismes » nationaux, et sur quoi ils se fondent. Tel était l’objet d’une recherche menée ces dernières

années au CNRS, et dont il rend compte dans son livre « la logiques de l’honneur »

(d’Iribarne, 1989). Cet ouvrage a connu un écho certain dans la communauté des « chercheurs en contrôle » français (Löning, 2000). En particulier, le livre éclaire les trames des rapports sociaux dans trois pays : la France, les États-Unis et les Pays-bas. Pour chacun des pays, l’auteur analyse d’abord le fonctionnement effectif d’une usine, puis les

caractéristiques du modèle de régulations sociales à l’œuvre et en sortant des méthodes de management adaptées. Les trois usines concordent à trois filiales d’un seul et même groupe

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d’un mode de gestion à l’américaine par toutes ces filiales, il existe des différences

significatives dans leurs façons de gérer.

À la lumière de l’histoire des pays et en se basant sur des données de terrain et sur leur

interprétation, D’Iribarne extrait des logiques culturelles qui s’appuient sur des oppositions fondamentales existantes dans chacune des sociétés étudiées. La description du déroulement des trois usines, un essai d’explication culturelle des différences en faisant appel à l’histoire

comme base de ses interprétations (Pesqueux, 2000). Pour l’auteur, c’est bien sur le plan du lieu de travail que se réalise l’association entre le niveau organisationnel de l’entreprise et

celui culturel de la société. Et tels sont bien les résultats de cette étude qui mettent en évidence dans ces comportements différents, des traits proprement français, américains et

néerlandais, traits singuliers qu’on retrouvera aisément dans la représentation historique que

chacun d’eux se fait de son histoire et de son génie propre.

Ainsi la France apparait-elle « Profondément marquée par une logique de l’honneur léguée par l’histoire, aussi exigeante dans les devoirs qu’elle prescrit que dans les privilèges qu’elle

permet de défendre ». Ainsi les Etats-Unis ressemblent-ils à leur histoire :

« Hantés par l’image idéale du contrat qui, passé entre les hommes libres, reste juste parce

que la loi s’est unie à la morale pour limiter le pouvoir du plus fort, les américains déploient

des efforts immenses pour tenter d’y plier une réalité souvent rebelle ».

Ainsi les Pays-Bas offrent-ils l’exemple d’une société consensuelle, où l’on observera « Le

rôle qu’y jouent une grande objectivité dans l’examen des faits et vif désir de conciliation,

allant de pair avec une forte allergie à toute forme de pression exercée par une quelconque

autorité » (Hoestlandt, 1992).

Chaque pays est donc « singulier et les modes de gouvernement des entreprises sont invités à

s’y adapter. La démarche est de type ethnographique et débouche sur le singulier :

singularité de l’observation et singularité de ce qui est observé et l’on reste donc en attente du modèle général sauf à recourir à l’intermédiation du concept d’idéal type, concept lui

-meme bâti par référence à ses caractères compréhensives » (Pesqueux, 2000, p.10).

Sur une base beaucoup plus vaste que dans « la logique de l’honneur», d’Iribarne a mené des

études de cas visées à valider son approche ethnographique (1998). Ces cas ont été divisés en trois ensembles : la modernisation de la gestion (avec l’exemple d’une entreprise québécoise, d’une entreprise belge et d’une entreprise française) les cultures face à face (France-Suède,

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France-Slovénie, France-Suisse), une gestion innovante pour le tiers-monde (Mauritanie, Cameroun, Maroc) (Pesqueux, 2004). Le livre est écrit comme un témoignage volontariste mais sobre de la pertinence de l'approche culturelle. Les neuf premiers chapitres montrent principalement des reconstructions brutes et très précises d'expériences de «gestion multiculturelle», en dégageant l'excessive complexité des arrangements inévitables permettant à des organisations et à des personnes différentes non seulement de cohabiter, mais de collaborer. L’ouvrage continue le projet de justifier empiriquement la valeur des dimensions

culturelles de l'action managériale, et de présenter comment non seulement la culture ne peut être réduite à une anthropologie simpliste du conditionnement comportemental, mais qu'elle a au contraire tout à voir avec la question de l’action (Courpasson, 2000).

Dans le livre « Le Tiers-Monde qui réussit », paru en septembre 2003, D’Iribarne a mené

quatre études de cas, au Mexique, au Maroc, au Cameroun, en Argentine. Tous ces études prouvent la même problématique : « la rencontre de l’universel et du local ». La question

principale que se pose D’Iribarne est de savoir si « l’adaptation des institutions au sein s

duquel les cultures prennent sens serait moins nécessaire dans les pays en voie de

développement, avec comme préalable l’opposition nécessaire et autoritaire entre la culture

économique occidentale, la seule à même de faire de façon efficiente et efficace du « business

» et les « cultures traditionnelles » qui seraient autant de difficultés, d’obstacles au bon

fonctionnement, au développement des cultures d’entreprises désireuses de s’implanter sur

des marchés « émergents » » (Delange et Pierre, 2004).