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Analyse critique de l’applicabilité des approches culturelles dans d’autres contextes

CHAPITRE 1. ÉLEMENTS D’ANALYSE DU CONCEPT DE CULTURE

2. PRINCIPALES ÉTUDES TRAITANT DE LA GESTION CULTURELLE

2.5. Analyse critique de l’applicabilité des approches culturelles dans d’autres contextes

d’autres contextes

Comme nous l’avons vu auparavant, la plupart des études comparatives des cultures cherchent à les caractériser en fonction de leurs scores obtenus sur quelques dimensions. Les recherches de Hofstede (1980) restent la référence majeure dans ce domaine et sa méthode de

conceptualisation des cultures continue d’être adoptée dans de multiples travaux. En raison de la popularité, de la robustesse et de la simplicité de son application dans le domaine de l'entreprise, le modèle de Hofstede permet aux universitaires et aux praticiens d’avoir une

meilleure compréhension de ce phénomène (Yates et Cutler, 1996). À son tour, Trompenaars (1993) va dans le même sens que Hofstede (1991), en rationalisant les construits sociétaux et en inspirant différents niveaux de faisabilité des types culturels. D’Iribarne (1997) développe

de son côté une approche d’ethnographe afin de bien comprendre le fonctionnement des

entreprises multiculturelles étudiées en s’appuyant sur l’histoire des cultures politiques et des

systèmes d'organisation sociale. Quant à Hall (1984), il élabore sa définition de la culture par l'étude de la communication, c'est-à-dire du «système de création, d'émission, de rétention et

de traitement de l'information» (Chevrier 2003, p.42).

D’ailleurs, il convient de noter que la plupart de ces approches ont été ont développées par des chercheurs originaires de l’Amérique du nord ou de l’Europe occidentale. Ainsi, il est

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contextes autres que ceux dans lesquels elles ont été conceptualisées. En d’autres termes, plusieurs recherches ayant adopté le modèle de Hofstede pour analyser la culture, trouvent que ses dimensions culturelles peuvent être utilisées d’une manière universelle. D’autres

voient, par contre, que ces approches ont été développées avec des méthodologies et des biais

occidentaux et donc, qu’elles ne sont pas adaptées pour être appliquées en dehors de leur contexte d’origine. Les généralisations que ces modèles imposent sont graves, car elles ne prennent pas en considération des idiosyncrasies individuelles des membres de la même culture. Plus encore, les défenseurs de cette opinion suggèrent que ces approches posent problème même quand elles sont appliquées dans le contexte dans lequel elles ont été développées (Bodolica et Spraggon, 2007).

En revanche, toutes les approches présentées précédemment ont été critiquées pour leurs faiblesses méthodologiques ou théoriques et leur applicabilité dans d’autres contextes

différents est mise en question.

D’abord, ces travaux ont été réalisés à un moment donné: ceux d’Edward Hall dans les années 1950, ceux de Geert Hofstede dans les années 1970, ceux de Philippe D’Irbarne à la

fin des années 1980 et ceux de Fons Trompenaars au début des années 1990. Les cultures étant dynamiques, certains aspects peuvent changer, évoluer et ne plus correspondre à certains des résultats (Drummond, 2014).

En effet, commençons avec le modèle multidimensionnel de Hofstede (1980). Étant donné que les scores culturels de Hofstede ont été obtenus dans les années 1970, leur applicabilité au Japon et aux Etats-Unis dans les années 1990 peut être remise en question. En effet, comme Hofstede a recueilli ses résultats entre 1968 et 1973. Il convient donc de s’interroger si ces

résultats ne sont valides que pour la période observée. La réponse de Hofstede (1994) concerne la stabilité de la culture dans le temps. Il considère la culture nationale comme la

valeur d’une société et que cette valeur met beaucoup de temps à se modifier. L’auteur estime

que le changement réel est seulement susceptible de se produire dans une période excédant un siècle. Hofstede affirme que les mêmes résultats ont été obtenus des deux enquêtes et sont stables. Pourtant, cette stabilité de temps a été critiquée et peut être considérée comme une limite théorique. En effet, une société est instable et appelle à être considérée comme un

ensemble de stratégies d’adaptation à l’environnement (Joannides, 2011). De la même manière, les cultures ne sont ni innées ni acquises immédiatement mais enseignées comme bases par les membres d’une communauté aux nouveaux entrants (Joannides, 2011). D’Iribarne critique aussi cette stabilité de temps. Selon lui la culture nationale ne peut pas être

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réduite à une collection de dimensions indépendantes, mais elle correspond plutôt à un ensemble de traits révélant une certaine cohérence. Certains sont, plus fondamentaux et stables et les autres plus sensibles au changement (Bhimani, 1999).

Par ailleurs, les valeurs utilisées dans le questionnaire de Hofstede ont été développées à partir de sources occidentales. Par conséquent, ces valeurs peuvent être considérées comme non pertinentes dans d'autres contextes (Kanan, 2010). Toutefois, Hofstede a répondu aussi à cette critique (2002, 2003). En termes de l'unité d'analyse, l’auteur souligne que le meilleurniveau d'analyse est au niveau individuel. Cependant, d'un point de vue pragmatique, l'évaluation de la culture au niveau national est la seule technique qui existe actuellement. Il est difficile de différencier les associations / descriptions culturelles au niveau de l'individu au sein des pays. Cependant, en raison à la culture étant considérée comme partagée, la description descultures partagées au niveau national peut fonctionner comme une solution pragmatique à surmonter cette critique (Dahl 2004, p. 7).

En outre, la plupart des travaux de Hofstede étaient appliqués dans la même entreprise (la multinationale IBM), et sa notion de culture peut avoir été confondue avec des facteurs propres de l'entreprise, tels que l'industrie, la taille et la culture organisationnelle (Chow et al, 1994). À ce stade, plusieurs interrogations peuvent se poser « Cela a-t-il une incidence sur la

portée des résultats? Ces derniers peuvent-ils être répliqués sur d'autres milieux? » La

question demeure entière. Toutefois, Hofstede répond également à cette critique de la façon suivante (1994, 321) : «C’est vrai, le personnel de IBM ne forme pas un échantillon représentatif de la population nationale. Mais, pour ce type d’étude, les échantillons n’ont

pas besoin d’être représentatifs, du moment qu’ils ont une équivalence fonctionnelle. Les

salariés d’IBM représentent des échantillons étroits mais parfaitement assortis. Le personnel des multinationales (et d’IBM en particulier) est une source d’information intéressante pour

une comparaison des caractères nationaux, parce qu’il a énormément de points communs, mise à part la nationalité : le même employeur et donc la même culture d’entreprise, le même

type de travail et, à emploi comparable, le même niveau de formation. Le seul élément qui permet de rendre compte des différences de façon constante et systématique entre des groupes

nationaux à l’intérieur d’une population aussi homogène est la nationalité, c’est-à-dire plus

précisément l’environnement national dans lequel ces personnes ont grandi avant de travailler chez cet employeur. Une comparaison des filiales IBM fait donc apparaître les

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De même, en ce qui concerne les recherches exposées dans La logique de l’honneur, d’une part, les entreprises qu’ d’Iribarne (1989)étudie sont toutes plus ou moins françaises, et en tant

que telles, elles ne peuvent pas refléter sincèrement la culture du pays d’accueil, même si

elles évoluent dans des contextes culturels différents. D’autre part, on ne peut pas non plus utiliser les enseignements tirés à partir de cas isolés d’entreprises à la totalité de la culture nationale(Bodolica et Spraggon, 2007) .

Les théoriciens du domaine de la gestion interculturelle se sont souvent questionnés sur la

pertinence d’utilisation des méthodes quantitatives pour délimiter des cultures et sur leur

capacité de s’apercevoir des spécificités d’un concept essentiellement subjectif et probablement multidimensionnel comme la culture dans un contexte de comparaisons internationales (Bodolica, Spraggon, 2007). Les travaux d’approche anglo-saxonne (Hofstede, Trompenaars) ont été réalisés en suivant une méthode quantitative : leurs ouvrages proposent de nombreux graphiques, des tableaux présentant des corrélations d’index mathématiques. Il est intéressant de lire et d’analyser ces chiffres, mais il faut toujours être prudent. Les chiffres sont rassurants et comblent le besoin de rationalisation des managers, mais il s’agit là d’un

piège, il ne faut pas les prendre comme des résultats scientifiques absolus qui justifieraient une stigmatisation des cultures, il s’agit là juste de photos » de ces cultures (Drummond, 2014).pas deux fois le même mot dans la même phrase ou deux phrases qui se suivent

Baskerville (2003), par exemple, met en question la construction opaque de modèles quantitatifs de Hofstede utilisant la culture comme variable explicatrice contenant les cinq dimensions résumées sous le vocable de nationalité (Joannides, 2011). De même, selon

D’Iribarne « De grandes enquêtes comparatives ont conduit à caractériser chaque culture

par quelques chiffres, mais les portraits obtenus restent bien schématiques » (1998, P.7).

Mais Bollinger et Hofstede (1987) ont montré qu’il aurait été difficile d’appliquer d’autres

approches méthodologiques et que le questionnaire ait paru la solution la plus pertinente pour une telle étude. Pour écarter toute explication due au hasard, Hofstede dans son livre «

Culture’s Consequences » (1980) affirme qu’il a comparé les résultats de son étude avec ceux d’autres études traitant de la culture et que la corrélation remarquée entre les dimensions de

l’enquête de IBM et celles d’autres analyses étaient suffisamment forte (Arcand, 2006). En outre, les critiques méthodologiques qui sont le plus souvent évoquées se rapportent à la

difficulté de définir, d’opérationnaliser et de mesurer ces dimensions culturelles. Le danger

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considéré comme étant culturel avec, comme résultat, la pertinence des explications culturelles difficile à tester (Bodolica et Spraggon, 2007).

La critique non dissimulée des quatre dimensions porte sur leur caractère abstrait et leur signification différente dans des contextes culturels nationaux différents. « Pour être totalement satisfaisante une telle vision du travail supposerait que les classements obtenus en

utilisant des échelles d’attitudes ne soient pas trop biaisés par des artefacts statistiques et que

les mots abstraits (tels qu’individualisme ou hiérarchie) auxquels ils ont recours n’aient pas

des sens trop différents suivant les contextes culturels. En réalité, ces conditions ne sont pas

remplies »… « ainsi, on oppose essentiellement les sociétés hiérarchiques aux sociétés

démocratiques, les sociétés individualistes aux sociétés communautaires, ou encore les

sociétés à forte ou faible confiance.(…) mais de fait la clarté de ces notions se trouble dès que l’on sort de leur terroir d’origine »( Iribarne, 1998, P.279).

Les travaux d’Iribarne et de ses collaborateurs, à l’opposé, suivent une méthode dite

«ethnographique », issu du champ de la sociologie (voire de l’anthropologie), qui était

corroborée certes par des études sur le terrain, mais où l’on procédait en partie par

questionnaire, en partie par entretiens. Une telle méthode semble riche en perspectives, par rapport à des approches plus fermées ou à des expérimentations « in vitro » (Löning, 1994). Cependant, l’approche d’Iribarne présente l’inconvénient de ne pas faire apparaître

immédiatement des comparaisons internationales, notamment par absence de critères communs de différenciation.

Pour Löning (1994), la limite la plus importante des travaux de d’Iribarne est l’absence d’un modèle théorique de l’interaction entre culture géo-sociétale et gestion, qui est pourtant au

cœur de ses travaux. Cette auteur souligne que «Contrairement à ce que l’on trouvent chez

Hofstede, aucune dimension générale, déterminante du lien entre la culture nationale et les

formes d’organisation, n’est proposée. Ces travaux restent entièrement empiriques sans etre assortis d’un support ou d’une construction théorique.Ce défaut provient sans doute d’un

manque de reflexion théorique initial sur la notion meme de culture et sur la nature de

celle-ci, qui interdit ensuite aux chercheurs de conceptualiser leur démarche répétée ». Dans les

mêemes lignées, au niveau de sa définition de la culture, Dupuis (2004) critique la définition de la culture présentée par Hall (1990). Quant à lui, son définition manque de cohérence et les contradictions qui ne permettraient pas la construction d'un modèle empirique à portée explicative générale (Soussi et Côté, 2006) .

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De plus, l'approche de d'Iribarne soulève pour les chercheurs des problèmes d'opérationna-lisation. En effet, connaître les conceptions sociopolitiques des cultures éxige une recherche approfondie du contexte historique, une longue fréquentation des terrains, un très grand nombre d'observations et d'entretiens, et donc des accès très ouverts aux individus et aux organisations (Livian, 2011). Ces travaux sont donc très spécifiquement liés à leur contexte, pas très facile à lire par des professionnels de terrain ou par des personnes qui ne sont pas familiarisées avec la recherche, peu opérationnel, très diachronique (Drummond, 2014). Ainsi, la méthode d'analyse mobilisée est plus fine et plus complexe que les concepts utilisés dans la recherche hypothético-déductive et beaucoup moins facile à utiliser pour des recherches de courte ou moyenne portée (Liviian, 2011).

De plus, les études de cas approfondies, les travaux de terrains logitudinaux, les monographies perdent en validité interne, du fait de la difficulté à généraliser ou même à répliquer de telles expériences (Löning, 1994).

Hall, quant à lui, compte tenu du contexte des États-Unis des années 1960 jusqu'aux années 1980, s'est opposé à l'idée dominante de l'universalité des façons de communiquer, en

particulier lors de négociations d’affaires. Il démontre l'importance de la culture dans les conduites individuelles. Néanmoins, son cadre théorique autorise des propositions contradi- ctoires surtout au niveau de sa définition déterministe de la culture (Soussi et Côté, 2007, p.135). Plus précisément, Chevrier (2013) souligne que les travaux de Hall réside des limites théorique et suscite plusieures interrogations. Chevrier (2003) conteste aussi l’hypothèse de

Hall qui postule que l'individu est si fermé dans sa propre culture qu'il ne peut être contrôlé de

l'extérieur. L’auteur indique que le problème se pose quand Hall a identifié les Japonais

comme polychrones lorsqu'ils travaillent entre eux mais aussi monochrones dans leur interaction avec les occidentaux. Chevrier se pose donc plusieurs interogations : Comment pouvons-nous être emballés par notre culture, qui constitue l'essence de ce que nous sommes, et en même temps favoriser facilement un autre système temporel opposé dans certaines

situations ?. Le même problème se pose lorsque Hall (1984) souligne qu’« à une étape

préconscient, la monochronie est masculine, et la polychronie, féminine» (Hall, 1984: 66). A

ce stade, Chevrier (2003) se suppose une autre question : y a-t-il une culture différente pour

les hommes et les femmes d'une même nation?

L'idée d'une unité culturelle pour exprimer le caractère commun paraît avoir été évitée dans les travaux de Hall. Cette lacune fait rappel à des interrogations, entre autres, lorsqu'il

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souligne qu'« à un stade préconscient, la monochronie est masculine, et la polychronie,

féminine» (Hall, 1984: 66). Devons-nous supposer qu'il y a une culture différente pour les

hommes et les femmes d'une même nation? (Chevrier, 2003).

Les travaux de Trompenaars sollicitent l'existence de six dimensions duelles universelles. C'est leur dualité qui porte des réponses traitant les problèmes de communication interculturelle et c'est dans ces réponses que se concrétise les caractéristiques spéciales d’une

culture. Cette vision universelle de la culture semble peu nuancée et cache substantiellement l'aspect anthropologique de la diversité culturelle, nonobstant le fait que ce modèle d'analyse est certes facile à opérationnaliser pour les entreprises. Il est également culturellement marqué en fonction de son choix de « one best way » à travers des formules destinées directement aux managers (Soussi et Côté, 2006). De plus, quant aux limites de ce modèle, il réside notamment dans sa méthodologie où une sous-représentation de petites entreprises et ne prennent pas en considération des différences régionales, qui pourraient apporter de nouvelles

donnes aux résultats. D’ailleurs, les dimensions de Trompenaars n'ont été que partiellement validées (Hooghiemstra, 2003, P.61). Ainsi, peu d’études empiriques ont adopté son modèle

pour cautionner les différences culturelles (Bernard, 2009).