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Application thérapeutique de la phagothérapie

PRESENTATION DE LA PHAGOTHERAPIE

IV. Application thérapeutique de la phagothérapie

De nombreuses études sont actuellement menées sur les possibilités thérapeutiques qu’offre la phagothérapie. Elles s’intéressent pour la plupart à l’efficacité de un ou plusieurs phages (ou cocktail de phages) contre une souche bactérienne donnée. Ces études sont indispensables pour acquérir les connaissances suffisantes et nécessaires à l’établissement éventuel de protocoles thérapeutiques. Cependant, elles ne permettent pas d’avoir une vue d’ensemble des possibilités de la phagothérapie, ni de répondre à certaines questions essentielles : la phagothérapie peut-elle être utilisée efficacement contre tous types d’infection ? Les phages peuvent-ils être administrés par différentes voies Le cas échéant, quelles voies semblent être les plus efficaces ? La phagothérapie est-elle une approche thérapeutique dénuée de risques ? Quelle est l’influence des bactériophages sur différents marqueurs biologiques ? Une étude très complète menée par l’Institut de Thérapie Expérimentale

Immunologique (IIET : Institute of Immunology and

ExperimentalTherapy)LudwickHirszfeld, au laboratoirebactériophage, à Wroclaw (Pologne)[5, 38], entre 2008 et 2012, permet d’obtenir des réponses à laplupart des questions posées (« Clinical aspect of phage therapy ».

Cette étude regroupe 157 participants (ce qui correspond à une population de phase II d’essaiclinique) qui sont, pour la plupart, dans une situation d’impasse thérapeutique. Elle évalue surcette même population l’efficacité de la phagothérapie sur différentes infections bactériennes(notamment les infections à Staphylococcusaureus, Escherichia coli et

Pseudomonas aeruginosa), la durée moyenne du traitementphagique, les différentes voies

d’administration utilisées et leur efficacité respective, latolérance clinique et l’impact des phages sur certains marqueurs biologiques. Enfin, ellepermet d’envisager la phagothérapie comme un recours possible aux infections bactériennesrésistantes aux antibiotiques.

Une analyse plus précise de cette étude est présentée ci-dessous, sont issues dans (« Clinical aspect of phage therapy »[38].

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1. Protocole thérapeutique et patients

Cent cinquante-sept patients, dont 68 femmes et 89 hommes, ont été admis à l’unité dethérapiephagique (PTU : Phage Therapy Unit) entre janvier 2008 et décembre 2010 pourdiverses infections résistantes aux traitements antibiotiques. Plusieurs cas de figure étaientpossibles :

• Une infection causée par une bactérie multirésistante.

• Une infection persistante malgré un traitement par des antibiotiques adaptés, lorsquede l’avis de spécialiste, l’antibiothérapie était inefficace ou ne permettait l’évolution escomptée.

• L’impossibilité d’utiliser l’antibiotique de choix, de par une contre-indication absolue. Seuls les patients âgés de plus de 18 ans qui ont signé un consentement écrit pouvaientrecevoir le traitement phagique. Un prérequis indispensable au traitement était la sensibilité dela bactérie, isolée depuis le site de l’infection, à au moins un phage de la collection de l’Institut de Thérapie Immunologique et Expérimental. Les patients inclus dans l’étude souffraient de diverses infections : infections génitales eturinaires, infections des tissus mous, infections orthopédiques et infections de l’arbrerespiratoire. Les agents en cause de l’infection étaient là encore différents. En majorité, il yavait une monoinfection à

Staphylococcus aureus (76 patients, dont 7 infections par SARM),puis des infections à Enterococcusfaecalis(17 patients) et Escherichia coli (15 patients) etenfin des infections à Pseudomonas aeruginosa(13 patients).

Des polyinfections, définies parla présence d’au moins deux bactéries pathogènes avant le début de la thérapie phagique oupar l’apparition de nouveaux pathogènes entre les cycles d’administration de phages, étaientégalement traitées. Parmi ces polyinfections, on retrouvait notamment une co-infection parEnterococcusfaecalis et Escherichia coli (9 patients).

Les préparations phagiques dirigés contre Staphylococcus, Enterococcus, Escherichia

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etStenotrophomonasont été administrées par voie topique, orale, intrarectale, intravaginale ou par inhalation d’aérosols. Chez certains patients, des combinaisons associant voie orale et topique ou voie intrarectale et topique ont été utilisées.

La voie topique inclut des préparations phagiques, administrées deux fois par jour en gargarisme, en gouttes auriculaires, en gouttes ophtalmiques, en bain de siège, en irrigation (vaginale, d’un abcès, d’une fistule) ou par des compresses humidifiées de préparations phagiques.

Par voie orale, l’administration de 10 à 20 ml de préparations phagiques trois fois par jour sefait au moins 30 minutes avant les repas. Dix millilitres d’une suspension orale de carbonate sodique de dihydroxyaluminium, titrée à 68 mg/ml, sont administrés environ 20 minutes avant la préparation phagique, en vue de protéger les virions de l’inactivation par les sucs gastriques.

Par voir rectale, les préparations phagiques sont administrées à une posologie de 10 à 20 mldeux fois par jour.

La durée maximale cumulée du traitement phagique est de 12 semaines. Cependant, le traitement peut être prolongé de 12 semaines supplémentaires en cas d’infection persistante malgré une bonne réponse au traitement. L’interruption du traitement par phages est possibleen cas de raisons le justifiant (par exemple, si une nouvelle préparation phagique, plus adaptée et efficace, est nécessaire). Si ces interruptions durent plus de 4 semaines, le traitement phagique est alors divisé en cycles. Dans le cas d’une infection récidivante, une nouvelle thérapie phagique peut être menée, à condition de respecter un arrêt de minimum 4 mois.

Pour chaque patient, seules des préparations contenant des phages lytiques dirigés contre la souche bactérienne isolée sont utilisées. Cette propriété des phages est préalablement vérifiée par l’observation de plages claires (plages de lyse) lorsqu’ils sont ensemencés sur les colonies bactériennes en question. Parmi les phages actifs de la collection, celui présentant la meilleure activité est sélectionné pour le traitement. Les préparations phagiques administrées contiennent seulement une lignée virale.

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Dans le cas d’une co-infection à deux souches bactériennes, il est alors possible de préparerdes phages dirigés contre chacune des deux souches isolées. Le patient prend alors alternativement les préparations monophagiques. Enfin, l’administration concomitante d’antibiotiques dirigés contre la bactérie pathogène, ainsi que d’autres traitements liés aux pathologies du patient, est autorisée[38].

2. Méthode d’évaluation de l’efficacité de la thérapie phagique

L’efficacité de la thérapie phagique est évaluée par le praticien en s’appuyant sur les résultats des tests de contrôle microbiologique, notamment les cultures bactériennes, sur des dosages de contrôle, sur l’estimation de l’intensité des symptômes infectieux et d’après les avis des spécialistes médicaux. Les résultats de la thérapie phagique sont classés selon sept principales catégories :

• A : L’éradication du pathogène (confirmée par les résultats des cultures bactériennes) et/ou le rétablissement du patient (confirmé par la guérison de la plaie ou la disparition totale des symptômes infectieux).

• B : De bons résultats cliniques : une disparition presque totale des symptômes infectieux confirmée par les résultats des tests laboratoires et associée à une amélioration de la condition générale du patient à la fin de la thérapie phagique.

• C : L’amélioration clinique : une réduction de l’intensité d’une partie des symptômes de l’infection, à un niveau jamais atteint avant le traitement, à la fin de la thérapie phagique ou à la fin d’un cycle de traitement.

• D : L’amélioration cliniquement discutable : une réduction de l’intensité d’une partie des symptômes de l’infection est observée mais est très modérée (une intensité similaire pouvait être atteinte avant la thérapie phagique ou entre les cycles de thérapie phagique), si bien que l’impact de la phagothérapie ne peut être clairement établi.

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• E : L’amélioration clinique transitoire : une réduction de l’intensité de certains symptômes de l’infection observée seulement durant l’administration des préparations phagiques mais qui ne dure pas à la fin du traitement.

• F : L’absence de réponse au traitement phagique.

• G : La détérioration clinique : une exacerbation des symptômes de l’infection à la fin de la thérapie phagique.

En résumé, les catégories A à C peuvent être considérées comme une réponse satisfaisante à la thérapie phagique et les catégories D à G comme une réponse insuffisante à la thérapie phagique. Dans les cas où la thérapie est menée par cycles, l’évaluation des effets cliniques du traitement est faite à l’issue de chaque cycle thérapeutique. Des échantillons sont prélevés au moins une fois avant chaque cycle, chez tous les patients, pour effectuer des tests bactériologiques. Des échantillons contrôles de culture bactérienne et de lysotypie sont systématiquement réalisés lorsque des signes de surinfection sont observés ou que les résultats de la thérapie ne sont pas satisfaisants du point de vue du praticien. Là encore ces échantillons sont prélevés entre les cycles dethérapie phagique ou à la fin du traitement. La durée cumulée du traitement est calculée en additionnant le nombre de jours durant lesquels les phages sont administrés au patient, indépendamment de la dose du traitementainsi que de la voie d’administration. Pour évaluer l’influence de la voie d’administration surl’efficacité de la thérapie phagique, les traitements par application vaginale et par inhalationsont analysés séparément des autres administrations par voie topique.Les changements de concentration sérique de protéine C-réactive, de la vitesse desédimentation érythrocytaire et du nombre de globules blancs sont évalués à deux périodes dela thérapie phagique : tôt après le début du traitement (entre les jours 5 à 8) et plus tard (entreles jours 9 à 32 du traitement). Les paramètres hématologiques et biochimiques sont étudiés àquatre périodes de la thérapie : entre 3 et 6 jours, puis entre 7 et 20 jours, entre 21 et 48 jourset enfin entre 49 et 84 jours de thérapie cumulée. La moyenne des résultats obtenus durant cespériodes d’analyse est ensuite calculée. Les résultats des tests réalisés juste avant la thérapiephagique servent de valeurs témoins[38].

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3. Evaluation générale des résultats de la thérapie phagique

L’analyse de l’efficacité du traitement phagique se base sur 153 patients. L’observation clinique n’a pas été possible chez 4 patients (sur les 157 patients de départ) puisque le protocole de thérapie phagique a dû être interrompu. Les caractéristiques détaillées de l’efficacité de la thérapie phagique sont données par le tableau suivant (tableau III).

L’analyse de cette figure montre qu’une bonne réponse au traitement phagique est observée chez 61 patients, soit 39,9%. En particulier, l’éradication du germe pathogène ou le rétablissement du patient est obtenu chez 28 patients, soit 18,3%. Cependant, une réponse insuffisante au traitement est rapportée chez 98 patients, soit 60,1%. Il n’y a pas de différence significative en ce qui concerne l’efficacité de la thérapie phagique entre les femmes et les hommes (données non rapportées dans le tableau). De plus, la comparaison des résultats obtenus entre les patients ayant une monoinfection (123 patients) et ceux ayant une polyinfection (30 patients), ne révèle pas de différence significative d’efficacité de la thérapie phagique, que ce soit en termes de pourcentage de bonnes réponses au traitement, ou de taux d’éradication du germe pathogène ou encore de rétablissement du patient.

Les préparations phagiques qui ont été les plus administrées sont celles ayant des phages dirigés sélectivement contre Staphylococcus (51,6%), Enterococcus(11,1%),

Escherichia coli (11,1%) et Pseudomonas (9,8%). L’efficacité de la thérapie phagique varie

considérablement selon le type de préparation (figure 28). Le plus important pourcentage de bonnes réponses au traitement (64,7%), ainsi que le plus haut taux d’éradication du germe pathogène et/ou rétablissement du patient (47,1%) sont obtenus avec les phages dirigés contre

Enterococcus. Leur efficacité thérapeutique est significativement plus élevée que celle des

phages dirigés contre Staphylococcus (36,7% de bonnes réponses à la thérapie phagique, р = 0,035) et que celle des phages dirigés contre Pseudomonas (20% de bonnes réponses, р = 0,029)[38].

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Tableau III : Evaluation générale des résultats de la thérapie phagique[38]

Type d'infection usage d'antibiotiques

évaluation générale (n=153) Mono-infection (n=123) Poly-infections (n=30) Sans ATB (n=109) ATB