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Analyse d’entretiens : l’exemple de Claude Dubar et Didier Demazière

Procédés d’analyse

1. Analyse d’entretiens : l’exemple de Claude Dubar et Didier Demazière

Dans leur ouvrage intitulé «Analyser les entretiens biographiques: l'exemple des récits d'insertion », Dubar et Demazière cherchent à donner un fondement épistémologique à l'analyse d'entretiens sociologiques. Leur question est la suivante: « Comment les sociologues traitent-ils les entretiens de recherche, pièce maîtresse (avec l'observation) de la démarche dite qualitative en sociologie ? » (p. 16). Ils constatent un écart considérable entre les techniques exposées dans les manuels de recherche et celles qui sont mises en œuvre dans les recherches effectives. Concernant les premières, les fondements épistémologiques et les implications théoriques sont rarement approfondis. Concernant les secondes, les comptes rendus de recherche demeurent souvent elliptiques sur les modes de traitement des entretiens. Les auteurs expliquent cette dispersion par le désaccord sur la valeur et la place accordée à la

« parole des gens »1 dans l'analyse sociologique. Ils identifient trois postures de recherche

1 Les auteurs emploient à dessein cette expression pour n'avoir pas à choisir entre agents, acteurs, sujets ou individus.

face au problème central du langage dans l'analyse empirique en sociologie et exposent dans les détails leurs propres procédures à partir d’un corpus d’entretiens réalisés auprès de jeunes sans baccalauréat, huit ans après leur sortie du système scolaire.

Dans une première posture, « illustrative », la parole des gens est asservie aux besoins de démonstration du chercheur. Il s’agit de sélectionner des extraits d’entretien qui puissent alimenter le raisonnement construit a priori par le chercheur. Cette manière de traiter les entretiens s’inscrit dans la démarche la plus usuelle, « canonique » pour reprendre le terme des auteurs, de construction du savoir scientifique au sein des sciences sociales. Elle s’inspire largement de l’œuvre de Durkheim et correspond à la perspective explicative décrite dans la deuxième partie de ce travail. Le chercheur formule une ou plusieurs questions de recherche auxquelles il fait correspondre des hypothèses qu’il vérifie à l’aide d’un dispositif de recueil de données mis en place à cet effet. L’entretien semi-directif en constitue une des techniques les plus courantes. Dans ce cadre, le contenu des entretiens sert à valider les hypothèses définies par le chercheur qui procède le plus souvent par une analyse de contenu. Dubar et Demazière rappellent l’objectif initialement posé dans ce type d’analyse à la suite des travaux de Berelson (1952), à savoir « décrire de manière objective, systématique et quantitative le contenu manifeste des communications dans le but de les interpréter ». La description se fait à partir des catégories en fonction desquelles les entretiens sont découpés et les éléments de signification classés. En d’autres termes, le discours est fragmenté en thèmes issus d’une grille d’analyse construite au moment de la problématique et opératoire pour l’ensemble des entretiens. L’intérêt est une cohérence thématique inter-entretiens. La cohérence interne à chaque entretien est, aux yeux de certains, ignorée (Blanchet & Gotman, 1992, cités par Dubar et Demazière, p. 19).

La critique souvent formulée à l’encontre de l’analyse thématique est la grande latitude laissée au chercheur dans le codage des discours. Dubar et Demazière vont plus loin en affirmant que le processus de catégorisation des discours, autrement dit la manière dont la parole des interviewés est ventilée dans des items, ne reflète en aucune manière les mondes vécus des enquêtés ni les logiques argumentatives qu’ils développent dans l’entretien puisque les catégories sont définies a priori sur la base des hypothèses du chercheur et des questions d’entretien. « La parole des individus enquêtés est analysée comme un réservoir d’opinions et d’anecdotes, et non comme la trace d’une production de sens, dans l’interaction d’enquête, des expériences vécues » (op. cit., p. 19). Finalement, ce type d’analyse est porteur de la même logique que celle des questionnaires et constitue une variante de la démarche causale et

quantitative, bien qu’elle soit souvent qualifiée de qualitative – étant donné le recours aux entretiens–, voire même parfois de compréhensive – étant donné la prise en compte de la subjectivité des personnes interviewées (op. cit., p. 20). On retrouve ici la confusion régnant dans la définition des démarches de recherche et le manque d’explicitation systématique des postures épistémologiques dans les comptes rendus de recherche déplorés par les auteurs et mis en évidence dans la deuxième partie de ce travail.

Quel est le statut du langage sous-tendu par la posture illustrative ? Dubar et Demazière rappellent que le passage du langage ordinaire aux catégories conceptuelles constitue une étape incontournable du travail de recherche sociologique, et que les chercheurs se doivent d’en exposer les procédures de « traduction ». Dans les analyses thématiques décrites plus haut, les propos des enquêtés, considérés comme des données brutes, sont rangés de force dans des catégories prédéfinies et aucune consistance propre n’est accordée au langage. La parole échangée est purement informative. Cette logique introduit une hiérarchisation parmi les types de catégories distinguées par les auteurs. Les catégories théoriques sont supérieures aux catégories naturelles, autrement dit seules capables d’assurer la compréhension. Cette posture rejoint la conception des sciences de l’homme critiquée par Taylor qui tente de reconstruire la réalité en accord avec certains principes catégoriels. « Ces principes admettent », écrit–il, « une réalité sociale intersubjective faite de données brutes, d’actes et de structures identifiables, de certaines institutions, procédures et actions. Cette science admet des croyances, réactions affectives et jugements de valeurs en tant que propriétés psychologiques des individus. Et elle admet des corrélations entre ces deux ordres de réalités : par exemple, le fait que certaines croyances vont de pair avec certains actes, certaines valeurs avec certaines institutions, etc. » (op. cit., p. 158). Le langage utilisé par les chercheurs inscrits dans cette logique illustrative est considéré comme neutre.

Inversement à la logique illustrative, Dubar et Demazière désignent la posture restitutive qui ne présente ni constructions conceptuelles, ni test de validité d’hypothèses. Elle se qualifie d’hyper-empiriste car « la parole des gens est considérée comme transparente, au point que rendre compte de cette parole devient le cœur même de la recherche sociologique » (op. cit., p. 24). Le passage du langage ordinaire au langage conceptuel n’est pas nécessaire car le

« sujet individuel » est capable de livrer lui-même les raisons de ses actions, de donner un sens à ses pratiques. L’analyse consistera donc à laisser un large espace aux discours des enquêtés. Cette posture ne représente cependant pas une démarche de recherche homogène, et Dubar et Demazière en distinguent deux modalités.

La première correspond à la démarche de l’ethnométhodologie qui consiste, pour une part, à montrer de quelle manière les «paroles en acte» structurent l’interaction efficace (op.

cit., p. 25). La tâche du sociologue n’est donc pas d’interpréter ce que disent les membres de la collectivité, mais plutôt de rendre compte de l’interprétation que ces derniers font de leurs actions. Chaque membre possède des compétences linguistiques, en particulier la maîtrise du langage naturel qui permet de participer à la construction du sens du monde qui nous entoure.

Cette compétence n’est pas de nature différente de celle du sociologue qui élabore des analyses puisque, dans les deux cas, il s’agit d’interpréter des fait sociaux. Dans cette perspective, la distinction entre la signification d’un énoncé et le sens d’une énonciation est essentielle. Restituer la parole des gens ne consiste pas à révéler ou à éclairer un sens caché mais à saisir en quoi ce que disent les gens est « naturel », « possible », « adapté », dès lors qu’on connaît le contexte (op. cit., p. 28).

Dans la seconde modalité, on trouve la restitution intégrale de récits de vie, d’entretiens biographiques, que les chercheurs accompagnent de commentaires, de précisions sur le contexte d’échange et sur les règles qui ont présidé à la retranscription et à la publication. Les discours ont le statut de témoignages et le travail d’analyse est en quelque sorte laissé au lecteur. Le souci du chercheur est d’adopter une « écriture qui ne nomme pas » (Laé &

Muard, 1995, cités par Dubar et Demazière, p. 32) et de s’effacer devant la parole des gens.

Les opérations élémentaires de tout travail de recherche empirique (catégorisation, agrégation, articulation du sens commun et du langage conceptuel) dénaturent les discours des personnes enquêtées. Ce sont ici les seules catégories naturelles qui sont valorisées, ce qui implique, comme dans la logique illustrative, qu’il n’y a pas de confrontation entre plusieurs catégorisations. Pour Dubar et Demazière, une telle démarche n’est pas sans danger, notamment celui de rejoindre la littérature en s’adressant à la « sensibilité plutôt qu’à la raison » (op. cit., p. 33). Pour eux, la recherche sociologique ne peut faire l’impasse d’un travail méthodique et rationnel de production de sens. La posture restitutive peut être mise en correspondance avec la thèse de l’incorrigibilité présentée par Taylor qui consiste, comme on l’a vu, à adopter le point de vue des agents, à expliquer chaque culture dans ses propres termes sans les remettre en cause.

Entre les recherches qui se « contentent » d’illustrer des propos théoriques et celles qui laissent au lecteur le soin de l’analyse, il en existe d’autres qui tentent de « produire méthodiquement du sens » (op. cit., p. 34) mais qui éprouvent des difficultés à traduire leurs orientations théoriques en procédures méthodologiques. Ces recherches s’inscrivent dans une

démarche dont se réclament Dubar et Demazière et qu’ils qualifient d’ « analytique ».

L’élément de base de cette posture est de dire que ce que disent les individus en situation d’entretien ne se laisse jamais saisir de lui-même. Autrement dit, « la parole ne véhicule pas seulement des significations mais aussi des sens qui échappent à la seule analyse linguistique » (ibid.). Dans cette perspective, le langage n’est pas seulement un instrument qui véhicule des représentations mais un système de signes à travers lesquels le social se constitue et à travers lesquels également les sujets humains se socialisent en s’appropriant les éléments constitutifs du social. Cette vision du langage, empruntée à Cassirer, amène les auteurs à définir une démarche qui permette de mettre à jour la façon dont les sujets s’approprient les formes sociales. Au contraire de la posture illustrative où l’entretien est subordonné à des concepts préétablis et à l’inverse également de la posture restitutive qui fait appel à la compétence du lecteur pour structurer l’entretien, la posture analytique cherche à produire de la connaissance en travaillant sur et à partir des données. S’inspirant de la théorie ancrée (grounded theory) de Glaser et Strauss, ils tentent de formaliser leur démarche de recherche empirique et de rendre compte de leurs procédures de recherche en acte. Leur approche est donc inductive, autrement dit « attachée à fonder […] la validité de la démarche de découverte théorique en cours de recherche » (op. cit., p. 48). Le travail d’analyse, dont ils rendent compte de façon détaillée à partir de deux entretiens retranscrits intégralement, consiste dès lors à produire, à partir des données et par étapes successives, des catégories sociologiques, savantes, qui donnent à voir l’univers de sens et les logiques internes de constitution des discours produits. Leur illustration porte sur des entretiens de type biographique réalisés auprès de jeunes sans baccalauréat huit ans après leur sortie du système scolaire.

Si les auteurs recourent au processus développé par Glaser et Strauss, ils en invoquent toutefois également certaines insuffisances. Pour développer leur analyse des faits de langage, ils se réfèrent parallèlement à la sémantique structurale de Greimas, telle que présentée par Barthes et formalisée par Hiernaux. Par la recherche des disjonctions, oppositions, relations différentielles et contrastives à l’intérieur des discours, ils produisent pour chaque entretien un

« schème spécifique » qui représente le point de vue du locuteur sur l’expérience socioprofessionnelle. Enfin, en comparant l’ensemble des schèmes spécifiques produits, Dubar et Demazière élaborent une typologie des classes d’univers symboliques mis en évidence, qui caractérisent quatre façons pour les jeunes de vivre leur relation au travail. Ces quatre « mondes socioprofessionnels » subjectifs sont le « monde des métiers », le « monde des emplois », le « monde des fonctions » et celui de la « providence ».

Il aurait été difficile de mettre en valeur cet ouvrage et d’en discuter les propositions sans passer par ce compte rendu. Des livres nous tombent parfois sous la main de façon anodine et lorsqu’on les parcourt, on est très agréablement surpris de constater qu’ils correspondent ou répondent justement aux doutes et aux questions qui habitent à ce moment là notre esprit. C’est dans ces circonstances que j’ai pris connaissance de l’ouvrage de Dubar et Demazière. Dans le cadre de la recherche déjà citée sur les représentations sociales de la maladie en contexte africain (Charmillot, 1997), j’avais eu l’occasion de procéder à une analyse qualitative intégrant une part quantitative (analyse factorielle des correspondances) par le biais du logiciel d’analyse de données textuelles SPAD.T (voir à ce sujet Lebart &

Salem, 1994). Travaillant dans une perspective compréhensive (étude des significations données par les femmes aux maladies de leurs enfants) intégrant une part d’explication (mise en évidence d’un lien entre les facteurs langue, âge et lieu et la proximité avec les conceptions biomédicales), j’avais développé une série d’outils permettant de rester au plus près des discours des femmes interviewées, dans le souci de ne pas trahir ni de « surinterpréter » ces derniers (Olivier de Sardan, 1996). La première étape de condensation consistait en un classement des contenus des entretiens dans trois catégories sémantiques prédéterminées : la symptomatologie, l’étiologie et les moyens thérapeutiques. Ces procédures méthodologiques s’étant avérées fort satisfaisantes, l’idée première dans le cadre cette recherche-ci était de les reproduire, moyennant bien entendu quelques modifications et adaptations. Ainsi, au moment de l’enquête, une condensation thématique progressive des entretiens a été tentée. Il s’agissait de découper ces derniers en fonction des thèmes évoqués par les interlocuteurs, à savoir entre autres la famille, le travail, la maladie, le mariage, etc. Cet exercice a cependant laissé apparaître rapidement ses limites : tel extrait qui figurait dans telle classe pouvait tout aussi bien être inséré dans une autre classe. Sur quelle base pouvais-je définir les thèmes ? Des critères objectifs de classification étaient-ils à ma disposition ? Je sentais que je ne pouvais pas légitimer la procédure mise en route, mais mes questionnements étaient encore trop nouveaux pour que je puisse d’emblée changer de piste. Je ne trouvais pas non plus, parmi les nombreux ouvrages méthodologiques dont je disposais, d’exemples concrets de procédures qui puissent résoudre mon problème. Si la logique hypothético-déductive avait déjà été remise en cause par mon inscription dans une démarche compréhensive, la confrontation directe aux procédés d’analyse en a profondément accentué la portée. La découverte à ce moment là de l’ouvrage de Dubar et Demazière permit alors de structurer mon questionnement et de le situer plus clairement dans les champs épistémologique et méthodologique.

La réflexion proposée par ces auteurs a le mérite de soulever certains éléments méthodologiques qui vont probablement de soi pour de nombreux chercheurs, alors qu’ils sont porteurs de bien des confusions. La posture illustrative par exemple montre qu’il ne suffit pas de recourir à l’entretien de recherche pour « échapper » à la logique causale. L’outil de recueil ne signe pas toujours la démarche et définir sa posture face aux entretiens de recherche permet de lever le voile sur cette confusion en poussant le chercheur à expliciter sa position épistémologique. Il est d’ailleurs plus judicieux, comme l’ont montré certaines réflexions dans le chapitre trois, d’adopter un découpage en terme de démarches de recherche (explication / compréhension) plutôt qu’en termes de méthodes (quantitatives / qualitative).

Une autre richesse de l’ouvrage de Dubar et Demazière consiste à présenter un exposé détaillé des procédures méthodologiques d’analyse, cette « éternelle ‘boîte noire’ des recherches qualitatives » (Schwartz, 1999, p. 453). Avoir sous les yeux un modèle peut autoriser d’autres chercheurs à dévoiler les leurs et cette transparence progressive pourrait faire gagner en crédibilité ou en légitimité les démarches des sciences sociales/humaines qualifiées souvent à tort de floues ou de peu rigoureuses. Comment faire ? Le livre de Dubar et Demazière offre un exemple et on aurait tort de vouloir considérer celui-ci, à l’instar de Paradeise (1999), comme une « recette » pouvant être distribuée aux étudiants-chercheurs. Il ne semble pas que ce soit là le projet des auteurs. On peut s’en inspirer mais les modifications et adaptations sont inhérentes à la diversité des objets et des contextes de recherche. Exposer sa démarche et ses présupposés ainsi que le font Dubar et Demazière, c’est s’offrir à la critique, et ce « courage intellectuel » des auteurs (Schwartz, 1999, p. 456), leurs propositions tout autant que la mise en discussion de celles-ci, permet d’enrichir les connaissances et la réflexion de tout chercheur intéressé par le problème. Ainsi par exemple, si la démarche inductive prônée paraît a priori très séduisante et si le souci d’une traduction adéquate entre les propos des jeunes et le langage sociologique est constant, certains chercheurs estiment la démarche de Dubar et Demazière moins inductive qu’il n’y paraît (Rossé, 1999 ; Schwartz, op. cit. ; Paradeise, op. cit.). Cette première remarque est intéressante dans la mesure où elle rappelle que le regard du chercheur est toujours orienté, non seulement par son habitus, mais également par son inscription disciplinaire et par ses choix méthodologiques. Laplantine affirme qu’il est souvent difficile d’ « indiquer clairement si la théorie se situe plutôt en amont ou en aval de la recherche » (1996, p. 113). Pour ma part, il n’est pas pertinent –ni même possible– de vouloir déterminer la place exacte de la théorie car celle-ci traverse la recherche dans un mouvement de va–et–vient constant avec le terrain. Le chercheur peut développer certains aspects théoriques à tel ou tel endroit, le reste n’est pas pour autant dépourvu de

théorie. La seconde remarque a trait au choix de Dubar et Demazière de s’en tenir uniquement à la mise en mots des entretiens pour en rechercher le sens. Schwartz (op. cit.) considère cette façon de faire comme réductrice. Pour lui, l’interprétation de l’entretien retranscrit (l’entretien-texte) n’est pas autosuffisante. Le contexte (l’entretien-événement) offre autant d’éléments concernant les manières d’être, les attitudes, le cadre de vie des personnes interviewées, qui peuvent compléter et enrichir la compréhension. Enfin, l’entretien enregistré n’est pas à négliger non plus car l’écoute des voix est sans aucun doute également une modalité privilégiée pour accéder à l’univers de sens exprimé par l’interlocuteur. Dans cette même perspective, Schwartz se demande jusqu’à quel point la formalisation du travail interprétatif prônée par Dubar et Demazière est nécessaire. S’il est important d’accorder aux entretiens les mêmes règles de condensation et de codage pour les comparer entre eux, Schwartz pense néanmoins qu’une « lecture non formalisée n’est pas nécessairement ignorante, naïve, renvoyée à la simple intuition. Elle peut aussi s’appuyer sur les compétences à la compréhension et au déchiffrement que le ‘lecteur sociologue’ a pu acquérir au cours de la fréquentation prolongée du type de groupe social ou d’univers culturel auquel il s’intéresse […]. Certaines ressources décisives pour l’interprétation se forment ainsi à travers la familiarité gagnée avec un ‘terrain’ et l’espèce de connaissance ‘de l’intérieur’ qu’elle apporte d’un univers de vie et de pensée » (op. cit., p. 460). Toute l’attention accordée, dans le chapitre quatre, à l’organisation et au déroulement de l’enquête, à la description du lieu, aux notes de terrains, participe de cette conviction que la compréhension des entretiens n’appelle pas forcément une formalisation élevée. Et que les modalités de compréhension autres que celles attachées à l’analyse stricte des termes de l’entretien ne sont pas nécessairement moins rigoureuses.

théorie. La seconde remarque a trait au choix de Dubar et Demazière de s’en tenir uniquement à la mise en mots des entretiens pour en rechercher le sens. Schwartz (op. cit.) considère cette façon de faire comme réductrice. Pour lui, l’interprétation de l’entretien retranscrit (l’entretien-texte) n’est pas autosuffisante. Le contexte (l’entretien-événement) offre autant d’éléments concernant les manières d’être, les attitudes, le cadre de vie des personnes interviewées, qui peuvent compléter et enrichir la compréhension. Enfin, l’entretien enregistré n’est pas à négliger non plus car l’écoute des voix est sans aucun doute également une modalité privilégiée pour accéder à l’univers de sens exprimé par l’interlocuteur. Dans cette même perspective, Schwartz se demande jusqu’à quel point la formalisation du travail interprétatif prônée par Dubar et Demazière est nécessaire. S’il est important d’accorder aux entretiens les mêmes règles de condensation et de codage pour les comparer entre eux, Schwartz pense néanmoins qu’une « lecture non formalisée n’est pas nécessairement ignorante, naïve, renvoyée à la simple intuition. Elle peut aussi s’appuyer sur les compétences à la compréhension et au déchiffrement que le ‘lecteur sociologue’ a pu acquérir au cours de la fréquentation prolongée du type de groupe social ou d’univers culturel auquel il s’intéresse […]. Certaines ressources décisives pour l’interprétation se forment ainsi à travers la familiarité gagnée avec un ‘terrain’ et l’espèce de connaissance ‘de l’intérieur’ qu’elle apporte d’un univers de vie et de pensée » (op. cit., p. 460). Toute l’attention accordée, dans le chapitre quatre, à l’organisation et au déroulement de l’enquête, à la description du lieu, aux notes de terrains, participe de cette conviction que la compréhension des entretiens n’appelle pas forcément une formalisation élevée. Et que les modalités de compréhension autres que celles attachées à l’analyse stricte des termes de l’entretien ne sont pas nécessairement moins rigoureuses.