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Procédés d’analyse

2. A propos de la description

Dans cette quête d’un procédé d’analyse qui ne soit ni trop illustratif ni trop restitutif, la question de la description me paraît incontournable. N’y a–t–il pas, dans la volonté de présenter de manière étendue le matériel empirique avant de remonter vers la théorie, la distinction entre une étape qui serait davantage descriptive et une autre qui serait davantage interprétative ? Mais qu’est–ce décrire, et est–il possible de distinguer la description de l’interprétation ? Le point de vue de Taylor développé au chapitre trois laisse déjà entrevoir l’impossibilité d’une telle distinction, mais il vaut probablement la peine d’examiner la question de plus près.

C’est sans aucun doute au sein de la discipline ethnographique -par définition, l’étude descriptive des groupes humains (Petit Robert)-, que le problème du statut de la description se pose avec le plus d’acuité. Ce statut se trouve néanmoins également discuté dans d’autres disciplines des sciences sociales, depuis le milieu des années septante notamment avec la montée du paradigme centré sur l’action. En sociologie par exemple, le projet ethnométhodologique peut être défini à partir d’un impératif de retour à la description, caractérisé par la mise en doute de toute tentative d’assigner à l’action une structure signifiante (voir également Quéré, 1994). Exemple également en anthropologie où l’on parle, à la suite des travaux de Geertz, d’interprétations descriptives.

Pour faire le point, autrement dit pour savoir de quoi l’on parle lorsqu’on parle de description et pour savoir quel statut donner à l’organisation des discours envisagée dans le prochain chapitre, je me baserai dans un premier temps sur l’analyse de Laplantine (1996) qui situe la description dans le paysage épistémologique des sciences sociales et propose, comme alternative à la relation description–explication, la narration. Je présenterai ensuite l’anthropologie interprétative développée par Geertz dont les écrits sont traversés de manière

constante par la question de la nature de la description ethnographique. Le choix de ces disciplines (ethnographie, anthropologie) est en relation avec le travail de terrain effectué2.

Pour Laplantine, il n’y a pas de savoir anthropologique sans ethnographie, autrement dit sans écriture des cultures. Le processus d’écriture de ce qui est vu (la description ethnographique) est néanmoins rarement explicité tant il semble aller de soi. Or « transformer le regard en langage » relève d’une grande complexité et s’avère problématique, notamment parce que ce procédé « suppose que nous soyons capables d’établir des relations entre ce qui est généralement tenu pour séparé : la vision, le regard, la mémoire, l’image et l’imaginaire, le sens, la forme, le langage » (p. 9). Que faisons-nous lorsque, dans le champ des sciences sociales, nous utilisons le terme de description, que nous exerçons cette activité, ou que nous nous y préparons ? Telles sont les questions soumises par Laplantine au démarrage de sa réflexion. Pour y répondre, il analyse le statut de la description dans les différents courants de pensée traversant les sciences sociales.

Il considère tout d’abord les paradigmes de l’explication et de la compréhension.

Concernant le premier, il reprend la distinction de Wittgenstein entre « explication par les causes » et « explication par les raisons ». Malgré les traits distinctifs de ces deux formes d’explication (le déterminisme causal cherche à reconstituer une genèse, le déterminisme structural à élaborer un système), la conception de la description y est identique. Elle constitue une étape obligée mais non suffisante dans laquelle le chercheur recueille des faits avant de les soumettre à l’expérimentation. Autrement dit, elle constitue un préalable à l’analyse. Laplantine écrit : « La description ethnographique et, avec elle, l’univers du sensible et du visible, serait seulement une étape permettant de nous acheminer vers un métalangage : celui du concept, qui, lui, ne se voit pas, de la structure, de l’essence, bref de formes qui n’existent pas dans la réalité empirique » (op. cit., p. 96). Cette perception hiérarchisante pose la question du statut scientifique du texte ethnographique. Celui-ci serait subordonné au texte ethnologique, de même que la sensibilité, la sensualité, le corps et les images auraient une valeur moindre par rapport à la saisie conceptuelle ou que le singulier, le local par rapport au général.

Du côté du paradigme compréhensif, Laplantine examine la description au sein de l’anthropologie culturelle, la description phénoménologique et la description dans le courant

2 Si l’anthropologie et l’ethnographie ne se pratiquent plus aujourd’hui exclusivement dans d’autres cultures, elles restent néanmoins les disciplines de référence pour les travaux dans ces contextes.

herméneutique. L’anthropologie culturelle relève, à ses yeux, d’une théorie de la connaissance proche de la théorie de la forme, autrement dit élaborée à partir du regard. Le chercheur

« regarde » les conduites individuelles en tant qu’elles sont révélatrices de la spécificité d’une culture donnée. La description ne constitue pas dans ce cadre une étape préalable mais l’étape essentielle de la démarche. Elle est exhaustive car le détail, la partie ou l’élément permettent de saisir l’organisation dans sa totalité. La monographie constitue l’exemple le plus illustratif de cette approche.

La description phénoménologique est examinée à partir des travaux de Husserl. La toute première tâche que ce dernier assigne à la phénoménologie est la suivante : « Il s’agit de décrire, et non d’expliquer ni d’analyser » (cité par Laplantine, p. 98). Plutôt que de démontrer, le chercheur va donc montrer. Comme l’anthropologie culturelle, la phénoménologie met en évidence la compréhension de la totalité, mais elle va plus loin en affirmant que ce que nous observons n’est pas uniquement une forme mais d’abord du sens.

La description, dans ce cadre est donc liée à une réflexion sur les significations. Laplantine note : « La description est un acte qui n’est pas de l’ordre de la reprographie mais du sens, chaque fois nouveau, que nous élaborons en présence de ce que nous percevons. Autrement dit, s’il existe une rationalité descriptive, et non plus renvoyée à l’analyse qui seule lui conférerait sa légitimité scientifique, elle n’est pas davantage du ‘côté’ du sujet ou de l’objet, mais dans la relation qui les unit » (op. cit., p. 100). Pour Husserl en effet, « la conscience ne fait qu’un avec le monde » et séparer le sujet et l’objet, l’âme et le corps, le moi et tout ce qui l’entoure devient inutile. Décrire signifie ainsi, dans la perspective phénoménologique,

« comprendre une totalité signifiante » (Laplantine, op. cit., p. 98).

L’approche herméneutique, dont j’ai exposé une des variantes, celle de Taylor, approfondit la réflexion sur le sens en prenant en compte le langage. S’il y a du sens, il n’est néanmoins ni stable ni univoque, ni extérieur. Il n’y a pas de sens déjà là. La description d’un objet est toujours potentiellement plurielle. Un phénomène social peut être décrit de plusieurs façons, et les descriptions elles-mêmes peuvent faire l’objet d’une pluralité de lectures. Les objets n’ont pas de signification en soi, mais des significations dépendant du locuteur, de l’observateur ou du chercheur. Autrement dit, décrire, dans une perspective herméneutique, c’est interpréter. Et la signification du décrit réside dans l’écriture, une écriture « différée » (Laplantine, op. cit., p. 104) puisque la description ethnographique n’est jamais directe, elle est toujours recomposée dans sa mise en texte. « La description est une activité d’interprétation (ou si l’on préfère de traduction) de significations médiatisées par un

chercheur (qu’il convient d’appeler un auteur) et destinées à un lecteur (qui n’est pas moins acteur ou agent que ceux dont cherche à rendre compte le texte ethnographique). Elle est description menée d’un certain point de vue et adressée à un destinataire (le lecteur qui devient à son tour interprète du texte qu’il tient entre les mains) » (op. cit., p. 106).

Le courant herméneutique a inspiré de nombreux chercheurs en sciences sociales et généré, en anthropologie, l’anthropologie interprétative représentée notamment par Geertz dont j’analyserai plus loin les propositions. Pour Laplantine, le statut de la démarche et de l’écriture descriptives dans le champ anthropologique reste, malgré les propositions herméneutiques, problématique : « La description est indifférente aux idées générales » écrit-il (op. cit., p. 110). Il plaide pour un discours descriptif considéré pour lui-même, « dans son autonomie », un discours qui ne cherche pas à dissoudre les détails dans des catégories. Se rappelant l’attitude radicalement antithéorique de Boas et l’impasse dans laquelle il a mené la discipline, il se demande toutefois si une ethnologie exclusivement descriptive est envisageable. Lecteur attentif de Wittgenstein, c’est avec ses textes qu’il analyse la question.

Pour le philosophe, le problème central des sciences sociales, et en particulier de l'anthropologie, se situe dans la non compréhension de la « logique de notre langage ».

L’incompréhension des faits ne doit pas être « clarifiée » par des explications, mais au travers de descriptions précises de la logique langagière. « Nous attendons –à tort– une explication », écrit ainsi Wittgenstein, « alors que c’est une description qui est la solution de la difficulté, pour peu que nous lui donnions le rang qui convient dans la hiérarchie de nos considérations.

Pour peu que nous nous attardions en elle, et que nous n’essayions pas d’aller au-delà » (cité par Laplantine, op. cit., p.112). La description, c’est d’abord la description du langage. A partir des réflexions de Wittgestein, Laplantine définit la description comme une « activité de transformation du visible » et propose, comme alternative à la relation entre description et explication, la narration. Se référant à Favret-Saada, il fait l’hypothèse que le récit lui-même puisse être au fondement de la description, et non l’inverse, c’est-à-dire la description au fondement du récit. Favret-Saada s’exprime en ces termes : « Relisant mes notes de terrain, j’y trouve que rien de ce qui concerne directement la sorcellerie ne se prête à la description ethnographique […]. Le fait empirique n’est pas autre chose qu’un procès de parole et mes notes prennent la forme d’un récit. Décrire la sorcellerie dans le Bocage, ce ne peut donc se faire qu’en revenant sur ces situations où l’on me désignait une place. Les seules preuves empiriques que je puisse fournir de l’existence de ces positions et des relations qu’elles

entretiennent, ce sont des fragments de récit » (citée par Laplantine, op. cit., p. 115).3 Ce procédé narratif, qui doit mettre en évidence le va-et-vient entre le regard et le discours, n’est pas compatible avec l’énoncé référentiel prôné dans les manuels. En effet, le sujet de l’énonciation ne peut être occulté. Citant toujours Favret-Saada, Laplantine écrit : « On ne voit pas comment l’ethnographe pourrait s’abstraire lui-même du récit qui fonde sa description de la sorcellerie » (op. cit., p. 116). Autrement dit, l’« ethnographie concerne tout autant ce qui est regardé et questionné que celui qui regarde et questionne » (ibid.).

En règle générale, la description et la narration se présentent comme deux modes de discours fort différents. La première serait plutôt de l’ordre de la contemplation, procédant à des arrêts sur image, concentrant son attention sur un moment donné, un lieu précis, arrêtant le temps dans un présent définitif, autrement dit « défiant le flux de la temporalité » (op. cit., p. 32). La narration, elle, consiste à développer des intrigues dans lesquelles évoluent des personnages et qui sont articulées dans une temporalité. En proposant le mode de la narration, Laplantine fait voir la description comme quelque chose d’utopique. « Peut-on décrire sans raconter ? Dans la mesure où l’ordre des faits énoncés n’est pas arbitraire –comme c’est plus particulièrement le cas dans la description ethnographique–, ne se trouve-t-on pas déjà engagé dans la dynamique d’un récit ? » (ibid.).

Comment Geertz conçoit–il la description ? Il convient de préciser d’emblée que pour cet auteur, l’anthropologie est synonyme d’enquête ethnographique. Il écrit : « En anthropologie, du moins en anthropologie sociale, ce que font les praticiens c’est de l’ethnographie. C’est dans la compréhension de ce qu’est l’ethnographie, ou plus exactement de ce en quoi consiste la pratique ethnographique, que l’on peut commencer à saisir ce qu’est l’analyse anthropologique en tant que forme de connaissance. (…) Ce qui la définit [l’ethnographie], c’est le genre d’effort intellectuel qu’elle incarne : une incursion élaborée, pour emprunter une notion de Gilbert Ryle, dans la ‘description dense’ » (1998, p. 76).4

Cette notion de « description dense » que Geertz emploie pour qualifier l’ethnographie, Ryle l’utilise en philosophie analytique pour caractériser l’activité de penser. Il distingue la description mince de la description dense pour marquer le contraste entre un « sujet dont la pensée qualifie l’activité (le joueur de tennis) et un sujet dont la pensée est l’activité

3 Les considérations à propos de la sorcellerie développées par Favret-Saada concernent le contexte vendéen.

L’étude de la sorcellerie comme processus discursif uniquement n’est pas approprié en ce qui concerne l’Afrique.

principale (le Penseur) » (Descombes, 1998, p. 39). Il prend comme point de départ de son analyse l’exemple de la différence entre la contraction de la paupière comme tic facial (description mince) et comme clin d’œil (description épaisse). Geertz saisit l’analyse proposée par Ryle pour situer l’objet de l’ethnographie : l’ethnographe a toujours affaire à des descriptions épaisses, autrement dit à des « structures signifiantes ». « Entre la réalité physique de la paupière qui se contracte et ce que l’ethnographe va noter dans son carnet de terrain, il y a toute l’épaisseur des significations permettant de faire entrer cet événement physique dans une catégorie culturelle » (Descombes, op. cit., p. 42). Autrement dit, l’ethnographe a toujours affaire à du signifiant, et même à une « hiérarchie stratifiée de structures signifiantes ». Ce qu’on appelle communément nos données sont en fait, dans les recherches anthropologiques « nos constructions des constructions des autres quant à ce qu’ils font, eux et leurs compatriotes » (Geertz, op. cit., p. 79). Davantage qu’observer, l’ethnographe ou l’anthropologue interprète. « En réalité, au niveau des faits de base, du noyau dur de l’entreprise –si tant est qu’il y en ait un–, nous expliquons déjà ; pire, nous expliquons des explications » (p. 80).

Ainsi, le point de vue selon lequel la description et l’interprétation sont indissociables exprimé par Laplantine est au centre de la théorie de Geertz qui parle, pour exprimer son refus de s’enfermer dans l’alternative description ou interprétation, de description interprétative ou d’«interprétations descriptives » (op. cit., p. 104) . Cette contraction s’accomplit dans la production des textes : prendre note d’une observation, transcrire le récit d’un événement, rédiger son journal … Décrire, c’est écrire, les écrits anthropologiques des interprétations, et des interprétations « de deuxième ou troisième ordre » (op. cit., p. 87). Ce sont donc des

« fictions, des fictions au sens ou ils sont façonnés » (ibid.). Geertz insiste sur l’activité d’écriture de l’ethnographe car selon lui, la réponse commune à la question « que fait l’ethnographe » est rarement de cet ordre. La réponse communément admise est que l’ethnographe « observe, enregistre, analyse » (op. cit., p. 92). Pour Geertz, l’ethnographe fait davantage : il décrit, donc écrit, et par ce fait même interprète. En résumé, « l’ethnographe fait de la description épaisse, l’ethnographe ne quitte jamais la sphère de l’interprétation car ce qu’il trouve sur son terrain est constitué par de l’interprétation, et ce qu’il apporte avec lui, ce sont des modèles ou des schémas pour l’interprétation » (Descombes, op. cit., p. 38).

4 Le premier chapitre de l’ouvrage de Geertz The Interpretation of Cultures, est traduit dans la revue Enquête N°6, de 1998 par Mary, sous le titre La description dense : vers une théorie interprétative de la culture. Les citations renvoient donc à la revue.

Autrement dit encore, les faits culturels sont des faits de signification et la description ethnographique ne peut être qu’une interprétation. Geertz développe ce statut herméneutique de l’anthropologie à partir des travaux de Gadamer et de Ricoeur. La culture consiste en un

« assemblage de textes » qu’il s’agit d’interpréter.

Laplantine, dans ses considérations sur la description, évoque à plusieurs reprises la place de la théorie dans la recherche. Est–elle en amont, en aval ? J’ai pour ma part parlé de va–et–vient constant entre la théorie et l’empirie dans le travail en compréhension. Que dit Geertz à propos de la théorie ? Quelle élaboration théorique peut–on faire d’une interprétation culturelle, autrement dit d’une description dense ? « En ethnographie », écrit–il, « le rôle de la théorie est de fournir un langage dans lequel ce que l’action symbolique dit d’elle–même –sur le rôle de la culture dans la vie humaine– puisse s’exprimer » (op. cit., p. 102). Pour jouer ce rôle, la théorie doit s’en tenir à deux conditions. La première est de rester proche du terrain. Il n’est pas possible, selon Geertz, de se livrer à de grandes abstractions. « La condition première de la théorie de la culture », écrit–il, « est qu’elle n’est pas son propre maître.

Comme elle est inséparable des réalités immédiates que présente la description dense, sa liberté à se construire elle–même dans les termes de sa logique interne est plutôt limitée » (op.

cit., p. 98). De cela découle le fait que la connaissance de la culture s’étend par « à–coups » et non par accumulations successives. « Les études se construisent à partir d’autres études, non pas au sens ou elles reprennent les choses là ou d’autres les ont laissées, mais au sens ou mieux informées et mieux conceptualisées, elles plongent plus profondément dans les mêmes choses » (op. cit., p. 99). Le genre le plus adéquat pour travailler de cette manière est l’essai.

Des formulations qui généralisent à partir des cas particuliers et non au–delà d’eux. La seconde condition de la théorie ethnographique, qui découle de cette façon inductive de produire du savoir, est qu’elle n’a pas de valeur prédictive.

Pour montrer ce que disent les descriptions denses (le sens que des actions sociales particulières revêtent pour les acteurs qui les ont entreprises) de la société étudiée en respectant les deux conditions exposées ci–dessus, Geertz adopte la forme de l’essai. C’est ce genre de texte qui permet le mieux, à ses yeux, de développer des formulations théoriques qui soient proches des descriptions denses et qui n’aient pas pour ambition de prédire des résultats (autrement dit de formuler des hypothèses a priori). Parlant des études intégrées dans son livre, il écrit : « (…) c’est ainsi que la théorie opère dans les essais suivants. Un répertoire de concepts –‘intégration’, ‘rationalisation’, ‘symbole’, ‘idéologie’, ‘ethos’, ‘révolution’,

‘identité’, ‘métaphore’, ‘structure’, ‘rituel’, ‘vision du monde’, ‘acteur’, ‘fonction’, ‘sacré’, et,

bien sûr, la ‘culture’ elle–même– est incorporé à la description dense de l’ethnographie dans l’espoir de rendre de simples événements scientifiquement éloquents. L’objectif est de tirer de larges conclusions à partir de petits faits, dont la texture est dense, de soutenir de larges affirmations sur le rôle de la culture dans la construction de la vie collective en les confrontant précisément à leur spécificité complexe » (op. cit., p. 102).5

Deux éléments retiennent particulièrement mon attention dans les propos de Geertz sur la description. Le premier est cet artifice de la distinction entre deux étapes, celle de la description des faits, bruts et non interprétés, et celle de leur interprétation ou explication. La description est toujours déjà porteuse de sens et ne peut être considérée, comme le montre Laplantine, comme une « escale vers … ». Cette impossibilité de distinguer entre description et interprétation est également mise en avant par Taylor (op. cit.) dans sa critique du paradigme empiriste de la connaissance. « Une critique de ce paradigme au nom d’une science herméneutique », écrit–il, « est également une critique de la distinction entre

‘descriptif’ et ‘évaluatif’ et de toute la conception de la Wertfreiheit (l’indépendance par rapport aux valeurs) qui l’accompagne » (p. 176).

Le second élément concerne le lien que les analyses anthropologiques doivent garder avec le terrain, autrement dit le souci de rester proche du lieu et des informateurs. Geertz écrit : « Si l’interprétation anthropologique a pour vocation de construire une lecture de ce qui se passe, alors la séparer de ce qui se passe –de ce que disent des gens particuliers, en un

Le second élément concerne le lien que les analyses anthropologiques doivent garder avec le terrain, autrement dit le souci de rester proche du lieu et des informateurs. Geertz écrit : « Si l’interprétation anthropologique a pour vocation de construire une lecture de ce qui se passe, alors la séparer de ce qui se passe –de ce que disent des gens particuliers, en un