• Aucun résultat trouvé

L’analyse médiatique, tant les images en couvertures que les textes, s’inscrit dans une démarche intersectionnelle et critique. Conformément aux a priori théoriques, notamment le rôle prépondérant des discours – et de leur contenu intersectionnel – dans la limitation des frontières de ce qui est intelligible et dicible et dans la légitimation des rapports sociaux inégalitaires, la démarche vise à montrer quels types de subjectivités gaies sont mises de l’avant et valorisées par les médias gais québécois, quels corps sont désirés et quels parcours sont intelligibles.

L’analyse des images n’a pas été limitée à l’axe de différenciation ethnique/raciale : l’analyse a plutôt été ouverte à tout axe qui émergerait comme étant pertinent. Chaque couverture a été analysée à l’aide des questions suivantes :

• Qui est représenté : genre (homme/femme/drag), âge28 (apparence jeune ou âgée), ethnicité/race29 (Blanc, Noir, Latino, Asiatique, Sud-Asiatique, Autochtone, Moyen- oriental et Nord-africain).

• Comment ces personnes sont-elles représentées : nombre (personne seule ou en groupe), habillement (vêtu ou nudité partielle), pilosité, musculature, etc.

28 Il faut noter que le codage de l’âge est relativement arbitraire. À l’exception de certains cas où l’âge est

visible ou qu’il est connu lorsqu’il s’agit de personnalités publiques, c’est davantage l’« apparence », jeune ou âgée qui pouvait être codée. Toute personne qui semblait avoir moins de 40 ans a été codée comme « jeune ». Bien que certains cas puissent avoir été classés dans le mauvais code, la majorité des représentations pouvaient aisément être codées comme « jeune » ou « âgé ».

29 Comme pour l’âge, le code de l’ethnicité était relativement arbitraire. Sauf lorsque les modèles étaient

connus ou nommés, c’est leur « apparence » ethnique qui a guidé le codage, ce qui a nécessité le recours à des catégories plus ou moins fiables, telles que la couleur et les caractéristiques phénotypiques. Bien que cela permette de différencier assez facilement un Blanc d’un homme marqué Noir, tel n’est pas toujours le cas : d’autres représentations sont plus ambiguës en termes de différenciation ethnique et il est donc possible que certaines représentations codées « blanc » soient en réalité, par exemple, « latino », ou inversement une représentation codée « latino » soit un « blanc » bronzé. Il s’agit là de cas exceptionnels n’affectant pas la validité des données.

• Où ces personnes sont-elles représentées : l’espace de la représentation met-il de l’avant une signification ethnique/raciale (exemple d’un homme latino qui serait représenté sur une plage l’associant à l’exotisme)?

• Quel est l’arrangement entre les différentes parties de chaque représentation : y a-t- il une hiérarchisation? Qu’est-ce qui est mis à l’avant-plan ou l’arrière-plan?

L’analyse des images identifie les caractéristiques intersectionnelles de la corporalité gaie désirable dans le contexte québécois. Ces mêmes interrogations ont par ailleurs été utilisées pour analyser les quelques images qui illustrent les textes inclus dans le corpus.

Pour analyser les textes, l’approche d’analyse critique du discours développée par Norman Fairclough (1995 et 2003) a été appliquée. Prenant ses distances d’une analyse de discours limitée à la dimension linguistique, Fairclough a développé une méthodologie dans laquelle les textes constituent des événements sociaux dont la production et la réception sont influencées par des structures sociales (le langage qui impose des limites linguistiques au dicible et à l’intelligible) et des pratiques sociales (dont la dimension linguistique constitue des ordres du discours). Ce sont les ordres du discours qui exercent une limitation sur le potentiel de variation du langage : il s’agit donc d’une organisation

sociale du langage, ce qui met l’accent sur la nécessité d’appréhender les discours aussi

bien dans leur dimension non discursive que dans leur dimension discursive, afin de comprendre l’action des pratiques sociales sur les discours.

Selon Fairclough, l’analyse discursive des textes est un élément crucial de la recherche en sciences sociales, puisque les textes ont un effet causal sur les personnes, leurs croyances, actions et relations. Notons toutefois que cette notion de causalité n’est en aucun cas de type mécanique ni régulier : la relation entre la production du texte et sa réception est une relation médiatisée par un ensemble de facteurs, y compris l’agentivité du récepteur, c’est-à-dire sa capacité d’interprétation des significations possibles du texte. Cette notion d’agentivité insère le texte, et les discours, dans des relations de pouvoir. En effet, selon Fairclough, l’interprétation des discours doit tenir compte des rapports de pouvoir qui sont sous-jacents et dont la (re)production et la naturalisation sont aidées par le contenu des

textes : c’est la dimension potentiellement idéologique des textes, dont les représentations servent au maintien des rapports de pouvoir inégaux (Fairclough, 1995 et 2003).

Le texte ayant une influence sur les croyances, actions et relations des personnes, il importe de se pencher sur sa signification. Or Fairclough distingue trois types, interdépendants, de signification dans les textes : l’action, la représentation et l’identification. L’action correspond à la mise en actes par le texte d’une relation sociale, relation très différente, par exemple, entre l’auteur d’un texte informatif ou polémique et le lecteur. Par la représentation de certains aspects du monde (et la non-représentation d’autres aspects), le texte construit une signification variable et sélective. Finalement, l’identification de l’auteur au contenu du texte, par son engagement et son jugement, informe elle aussi la signification construite dans le texte. Dans leur rapport d’interdépendance, ces trois types de signification affectent à la fois la construction du texte, sa réception et son interprétation, d’autant plus que le texte est inscrit dans des rapports sociaux de pouvoir : l’action est donc aussi une action sur les autres, la représentation est aussi un contrôle sur ce qui est dit, et l’identification est aussi un engagement moral, éthique. Action, représentation et identification se reflètent par ailleurs dans les genres (un éditorial est une action différente d’une nouvelle brève et d’une entrevue), discours (par lesquels les représentations sont exprimées) et styles (adoptés par l’auteur via son identification plus ou moins forte à l’égard du contenu du texte).

La conception du texte offerte par Fairclough situe le texte dans des relations externes et internes. Les relations externes du texte en constituent la dimension sociale : le texte en relation avec les structures, pratiques et événements sociaux, ainsi qu’avec d’autres textes. La dimension linguistique du texte est comprise par Fairclough comme des relations internes : sémantiques (relations entre mots, clauses et paragraphes), grammaticales (relations entre morphèmes, entre les mots d’une même phrase) et lexicales (relations de cooccurrence dans le vocabulaire). Les rapports entre les différentes parties des textes et discours, et leur imbrication dans le social, accentuent l’importance d’appréhender leur complexité :

I see discourse as ways of representing aspects of the world – the processes, relations and structures of the material world, the ‘mental world’ of thoughts, feelings, beliefs and so forth, and the social world. Particular aspects of the world may be represented differently, so we are generally in the position of having to consider the relationship between discourses. Different discourses are different perspectives on the world, and they are associated with the different relations peoples have to the world, which in turn depends on their positions in the world, their social and personal identities, and the social relationships in which they stand to other people. […] Discourses constitute part of the resources which people deploy in relating to one another – keeping separate from one another, cooperating, competing, dominating – and in seeking to change the ways in which they related to one another. (Fairclough, 2003 : 124)

L’annexe 4 présente les questions types avec lesquelles les textes ont été abordés. L’attention a plus particulièrement été portée sur les patrons d’inclusion/exclusion d’événements et d’acteurs sociaux, sur leur représentation (actif ou passif, en tant que sujet/objet/abject, à l’avant-plan ou à l’arrière-plan, stéréotypés, etc.) et sur leur contextualisation, c’est-à-dire leur cadrage dans le contexte social plus large qui implique de mettre de l’avant certains aspects et d’en occulter d’autres. La présence de présupposés qui informeraient le cadrage ainsi que les patrons d’inclusion/exclusion a elle aussi été prise en considération.

L’analyse montre ainsi comment les médias gais québécois participent à la construction et à la valorisation d’une certaine subjectivité gaie et d’un certain parcours migratoire, mis de l’avant au détriment d’autres formes d’être. Ces textes faisant partie d’un contexte social plus large, qu’ils influencent, tout en étant eux-mêmes influencés par ce contexte, leur analyse permettra de faire ressortir de possibles pratiques discursives par lesquelles sont (re)produites et légitimées les inégalités sociales parmi les minorités sexuelles, mais aussi entre les minorités sexuelles et d’autres minorités, en particulier les minorités ethniques et religieuses.

Documents relatifs