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TROISIÈME CHAPITRE MÉTHODOLOGIE

2. LES MÉTHODES D’ANALYSE DES RÉSULTATS

2.3. Analyse à l’aide de catégories conceptualisantes

Le but de l’analyse à l’aide de catégories conceptualisantes est d’arriver progressivement à une conceptualisation de la problématique des sujets, dans la comparaison progressive entre les analyses d’entretiens subséquemment menés (Paillé et Mucchielli, 2012). Le principe général de cette méthode est présenté dans un premier temps, puis les outils d’analyse en lien avec cette méthode spécifiquement créés pour cette recherche sont exposés dans un second temps.

2.3.1. Présentation de la méthode

L’analyse à l’aide de catégories conceptualisantes a été retenue comme méthode d’analyse de données dans la présente recherche car elle s’adapte parfaitement aux spécificités des récits de vie dont le contenu peut être analysé en fonction des associations ou des liens que les personnes répondantes font elles-mêmes entre certains aspects de leur histoire. En effet, cette méthode s’avère pertinente pour

décrire un phénomène dynamique, prenant des formes différentes selon les individus concernés et étant en ce sens assez difficile à circonscrire. Elle permet également de prévoir les évolutions du phénomène dans la mesure où elle le relie à des concepts théoriques.

La notion de catégories conceptualisantes va plus loin que la simple analyse thématique qui se révèle être davantage un outil d’identification ou que l’analyse par catégorie qui est un outil de classement ou de rubricage (Paillé et Mucchielli, 2012).

L’analyse par catégorisation est plutôt un outil de conceptualisation (c’est pourquoi nous parlons de catégories conceptualisantes), réunissant l’ensemble des opérations de classement, de rubricage et d’interprétation/théorisation en une seule. Et la logique itérative n’est pas celle d’un aller-retour entre le classement et l’interprétation, mais entre l’interprétation/théorisation et la réinterprétation/théorisation, en lien avec les données empiriques ainsi qu’en prise directe avec la recherche en cours. Et surtout, le travail analytique est un travail d’induction, progressif, ne faisant que très peu appel à des concepts ou catégories déjà nettement formulés. (p. 327)

De même, il semble important de s’interroger sur ce qu’est une catégorie. Paillé et Mucchielli (2012) distinguent la catégorie d’une thématique ou d’une rubrique (qui n’ont de but que de classer) ou encore d’un concept (qui serait plus rigide). Pour ces auteurs, la catégorie désigne un phénomène, en perpétuelle évolution car pour exister la catégorie doit être comparée par rapport à d’autres, parce que les concepts théoriques s’affinent. Ainsi, sa formulation doit refléter le phénomène dynamique qu’elle caractérise, comme par exemple un vécu, un état, un processus et mettre en évidence une portion de la complexité de la vie psychologique, sociale et culturelle à travers des formules qui sont relativement évocatrices tout en étant

précises et empiriquement fondées (Ibid.). Les catégories conceptuelles font l’objet d’un travail réflexif, progressif et récursif de construction.

Ainsi, la conceptualisation des données d’enquête, dans cette optique et sous la forme des catégories conceptuelles, est le prolongement naturel des observations et descriptions que l’on souhaite élever à un niveau donné d’interprétation. (Ibid., p. 324)

À l’intérieur de cette recherche, l’analyse à l’aide de catégories conceptualisantes a été réalisée en plusieurs étapes. Elle a tout d’abord débuté au moment du recueil des propos des personnes participantes par la prise de notes par la chercheure. Ces notes portaient à la fois sur la chronologie des événements mais également sur des mots clés et des thématiques à explorer durant la phase d’analyse des données dans l’optique d’utiliser ultérieurement ces informations comme éléments explicatifs. Au moment où la chercheure a noté ces mots et thématiques, ni leur formulation ni leur finalité n’ont été définies. L’idée était de voir, au fil des entretiens si ces marqueurs apparaissaient de manière récurrente et dans quel contexte. À partir de l’ensemble des marqueurs identifiés, le travail a ensuite consisté à regrouper ceux décrivant un même phénomène ou un phénomène de même catégorie et à en identifier la récurrence. Puis, une seconde lecture plus conceptuelle et théorisante a été effectuée avec comme toile de fond, les éléments mis en évidence dans les premiers chapitres de cette thèse, particulièrement ceux en lien avec le cadre de référence. Ainsi, cette analyse ne porte pas sur le contenu strict en tant que tel des discours, elle ne vise pas non plus à cerner les détails des témoignages, mais elle cherche plutôt à nommer la logique sous-jacente, le phénomène traversant l’expérience ou le comportement des personnes répondantes. Selon Paillé et Mucchielli (2012), face au matériau empirique, il faut donc chercher à dépasser la linéarité du discours en posant les questions analytiques appropriées, que l’on peut ramener à des interrogations génériques du genre : « Qu’est-ce qui se passe ici ? De

quoi s’agit-il ? Je suis en face de quel phénomène ? » (p. 344). À cet effet, les catégories identifiées ont été nommées de manière temporaire afin de décrire dans un premier temps le phénomène auquel elles correspondaient. Il s’agissait alors des catégories suivantes :

A. L’intervention d’une tierce personne comme élément déclencheur ;

B. Le bon moment financièrement et du point de vue familial pour effectuer une rupture ;

C. L’âge ;

D. Le stress généré par le travail ; E. Le désintérêt pour le travail ; F. Le rejet de l’entreprise; G. Le mode de fin de contrat ; H. La création d’entreprise ;

I. La préparation du changement professionnel ;

J. Le temps de latence entre la rupture et le nouveau poste ; K. La baisse de salaire ;

L. Le déclassement social ;

M. Le manque de compétences dans le nouveau métier ; N. Le statut de cadres ;

O. La posture du cadre ;

P. La remobilisation des compétences acquises lors des expériences précédentes ; Q. L’intérêt pour le travail précédent ;

R. La création de son propre métier.

Ces catégories ont été répertoriées dans le logiciel SONAL, puis chaque entretien a de nouveau été relu et les passages décrivant des phénomènes en lien avec les catégories préalablement mentionnées ont été notifiés. Comme le logiciel

SONAL donne la possibilité d’extraire les passages ciblés par catégories, un fichier reprenant uniquement l’ensemble des passages décrivant la catégorie en question a été constitué. Au regard des éléments présents dans le fichier et suite à leur confrontation respective, ces catégories ont été regroupées et affinées et ont ainsi muté vers des catégories conceptualisantes.

D’après Paillé et Mucchielli (2012), la catégorie conceptualisante doit être plus qu’un simple titre qui, seul, ne pourrait être représentatif des concepts représentés. Il s’agit en fait d’y donner également une définition (une description de la nature essentielle du phénomène, de manière à en dégager une vue d’ensemble et à en relever les singularités), de mettre en évidence ses propriétés caractérisant le phénomène en question ainsi que ses conditions d’existence (situations, événements ou expériences en l’absence desquelles le phénomène ne se matérialiserait tout simplement pas dans le contexte qui est le sien).

2.3.2. Présentation de l’outil d’analyse

Par conséquent, huit catégories conceptualisantes ont été retenues et sont présentées ci-dessous. Comme le recommandent Paillé et Mucchielli (2012), ces catégories sont caractérisées par une définition, des propriétés et des conditions d’existence. Certaines répondent directement aux objectifs spécifiques de cette recherche tandis que d’autres y répondent de manière indirecte, cet aspect est systématiquement précisé ci-après.

2.3.2.1. La préparation de la reconversion

Définition : les actions et réflexions liées à l’anticipation de la rupture intentionnelle de carrière

Propriétés :

A. Les démarches visant à se renseigner soit pour mettre fin à son activité professionnelle actuelle, soit pour préparer le nouveau projet professionnel ; B. Les réflexions concrètes sur la mise en place du nouveau projet professionnel et

ses conséquences sur la sphère personnelle ;

C. Les négociations familiales en vue de mettre en place le nouveau projet professionnel (identification de compromis dans l’organisation familiale et l’organisation financière du foyer).

Conditions d’existence : sentiment que la situation professionnelle actuelle n’est plus satisfaisante. L’adulte projette d’effectuer une rupture de carrière et a identifié un nouveau projet comportant un déclassement financier important.

Cette catégorie conceptualisante apporte des éléments de réponse principalement aux objectifs spécifiques 1 (identifier les grandes étapes du processus de rupture intentionnelle de carrière et ses variantes éventuelles) et 2 (événements déclencheurs des ruptures intentionnelles de carrière et leurs variantes éventuelles)

2.3.2.2. L’arrivée au mitan de la vie

Définition : les impacts exprimés par l’adulte liés à son arrivée au mitan de sa vie Propriétés :

A. L’arrivée au mitan de la vie place l’adulte entre 40 et 50 ans au moment des faits ;

B. Le mitan de la vie correspond à une période particulière faite de remises en questions, de crises et de transitions.

Conditions d’existence :

A. L’adulte est dans la période du mitan de la vie ou s’en approche. L’adulte évolue dans une société hypermoderne ;

B. L’adulte connait une période de profonde remise en cause professionnelle.

Cette catégorie conceptualisante apporte des éléments de réponse principalement à l’objectif spécifique 3 (relever les motifs individuels porteurs de sens évoqués sur lesquels s’appuie la rupture intentionnelle de carrière).

2.3.2.3. L’influence d’une tierce personne

Définition : dans son récit, l’adulte mentionne une personne en particulier qui a eu une influence sur sa vie professionnelle. Il s’agit soit d’une personne qui a contribué à un mauvais vécu d’une situation de travail et qui constitue alors un des motifs de la rupture professionnelle, soit au contraire il peut s’agir d’une personne qui a aidé l’adulte dans sa réflexion quant à sa rupture de carrière et dans ce cas, elle est plutôt considérée comme un exemple à suivre.

Propriétés :

A. La personne influente fait partie d’un entourage professionnel et non personnel (il ne s’agit en aucun cas d’un parent ou d’un conjoint) ;

B. La personne influente provoque un impact sur la manière dont l’adulte vit sa situation professionnelle ;

C. La personne influente peut être vue de manière positive (comme modèle à suivre) ou négative (comme personne responsable d’un mal-être professionnel).

Conditions d’existence : L’adulte est sensible à son environnement extérieur et vit une situation professionnelle qui lui pose question.

Cette catégorie conceptualisante apporte des éléments de réponse principalement à l’objectif spécifique 2 (mettre en évidence les événements déclencheurs des ruptures intentionnelles de carrière et leurs variantes éventuelle.).

2.3.2.4. Le rejet du travail précédent

Définition : le ressenti négatif, à savoir le sentiment de rejet ressenti par rapport à l’activité professionnelle exercée avant la rupture intentionnelle de carrière.

Propriétés :

A. Le stress procuré par la situation professionnelle ; B. L’absence de sens de la situation professionnelle ; C. Le désintérêt vis-à-vis de la situation professionnelle.

Conditions d’existence : L’adulte est dans une situation où il a pris conscience que sa situation de travail devenait nocive pour lui.

Cette catégorie conceptualisante apporte des éléments de réponse principalement à l’objectif spécifique 3 (relever les motifs individuels porteurs de sens évoqués sur lesquels s’appuie la rupture intentionnelle de carrière).

2.3.2.5. Le rejet de l’entreprise

Définition : le ressenti négatif par rapport au fonctionnement et à la finalité des entreprises de manière générale.

Propriétés :

A. L’adulte est persuadé que le fonctionnement de l’entreprise est contre-productif. Les finalités économiques de l’entreprise ne sont pas compatibles avec les finalités individuelles ;

B. L’entreprise ne peut pas être un lieu d’épanouissement.

Conditions d’existence : L’activité professionnelle de l’adulte avant la rupture est exercée dans une entreprise.

Cette catégorie conceptualisante apporte des éléments de réponse principalement à l’objectif spécifique 4 (identifier les éléments porteurs de sens évoqués par le sujet pour décrire sa nouvelle situation professionnelle).

2.3.2.6. Le déclassement

Définition : les actions et réflexions liées à l’anticipation de la rupture intentionnelle de carrière, notamment celles associées à la baisse de rémunération et au changement de statut social

Propriétés : Déclassement objectivé par une forte baisse de salaire ou une précarité de l’emploi. Sentiment subjectif de connaître une forme de déclassement social.

A. L’existence d’un statut spécifique de cadres ;

B. Au préalable, un sentiment d’appartenance au statut de cadres.

Cette catégorie conceptualisante n’a pas de lien direct avec les objectifs de recherche a priori, mais elle apporte des éléments explicatifs quant à l’objectif spécifique 3 (relever les motifs individuels porteurs de sens évoqués sur lesquels s’appuie la rupture intentionnelle de carrière) dans la mesure où les cadres interrogés n’accordent plus la même importance aux signes externes de réussite sociale (CSP et salaires notamment).

2.3.2.7. La personnalisation de la nouvelle activité professionnelle

Définition : la nouvelle activité professionnelle exercée est appréhendée en fonction des compétences précédemment développées et des finalités de l’adulte.

Propriétés :

A. Une remobilisation des compétences précédemment acquises dans la nouvelle activité professionnelle ;

B. L’adulte modifie la nature première de son activité professionnelle en fonction de ses finalités personnelles.

Conditions d’existence : L’adulte a de la latitude dans l’exercice et le développement de sa nouvelle activité professionnelle.

Cette catégorie conceptualisante n’a pas de lien direct avec les objectifs de recherche mais elle peut néanmoins apporter des éléments explicatifs quant à l’objectif spécifique 3 (relever les motifs individuels porteurs de sens évoqués sur lesquels s’appuie la rupture intentionnelle de carrière) et à l’objectif spécifique 4

(identifier les éléments porteurs de sens évoqués par le sujet pour décrire sa nouvelle situation professionnelle) car il s’agit d’occasions de s’actualiser, de relever de nouveaux défis.

2.3.2.8. L’intérêt pour le travail précédent

Définition : les manières dont les adultes qualifient les situations professionnelles qu’ils ont exercées durant leur première partie de leur carrière.

Propriétés : Ressentis et impressions sur les situations professionnelles exercées. Intérêt/désintérêt pour les situations professionnelles exercées.

Conditions d’existence : L’adulte est dans une logique d’évolution de carrière

Cette catégorie conceptualisante n’a pas de lien direct avec les objectifs de recherche mais peut néanmoins apporter des éléments explicatifs à l’objectif spécifique 2 (mettre en évidence les événements déclencheurs des ruptures intentionnelles de carrière et leurs variantes éventuelles), Elle permet de souligner la baisse d’intérêt pour leur travail de cadres que ces adultes ont connu à un moment précis de leur carrière.

Les trois méthodes d’analyse des données qui viennent d’être présentées sont complémentaires les unes des autres, à la fois dans les éléments qu’elles apportent pour répondre aux différents objectifs spécifiques de la recherche mais également dans leur approche et leur niveau de précision. La combinaison de ces trois méthodes permet alors un balayage efficient du phénomène étudié. Cependant, ces méthodes d’analyse des données, tout comme les méthodes de recueil des données utilisées doivent répondre à des considérations éthiques préalablement définies.