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C'est mon ami mais ou la place de la mutualité dans la relation

CHAPITRE 6 LA DISCUSSION

6.2 Les résultats innovants

6.2.3 C'est mon ami mais ou la place de la mutualité dans la relation

En raison de la nature qualitative de l'étude et d'un manque de données concernant les membres du réseau social des participants, il a été impossible de faire des analyses démontrant clairement la place de la RT dans le réseau des personnes. Par contre, grâce à la carte du réseau social personnel (présentée à la section 5.4.6.1 de ce mémoire), nous disposons d'un portrait global du système de soutien social des participants. Il nous indique que les membres de la famille et les amis considérés comme des confidents sont plus intimes que les intervenants significatifs, mais que ces derniers sont tout de même vus comme intimes ou proches. Ce qui coïncide avec les résultats de Bengtsson-Tops et Hansson (2001) qui affirment que, chez les personnes atteintes de schizophrénie, la famille et les amis sont la principale source de soutien social. Selon les participants de cette étude, les intervenants apportent du soutien au niveau émotionnel et pour accéder à des informations et recevoir des conseils. L'intervenant est aussi souvent la personne que le participant a consultée la dernière fois qu'il a eu besoin d'aide.

Selon Topor et al. (2006), les intervenants apportent du soutien dans le processus de rétablissement de trois façons : a) part leur rôle de professionnel en communiquant de l'information à la personne et en servant d'intermédiaire pour des interventions variées, b) en allant au-delà de leur rôle de professionnel par l'attention et le temps donnés à la personne et c) en faisant les choses différemment de ce que l'on attend traditionnellement d'un professionnel. Ces résultats rejoignent les éléments de notre étude correspondant à la présence et aux conduites humaines. Effectivement, les personnes de notre échantillon

accordent beaucoup de valeur à ces conduites qui sont vues comme étant à la limite de ce qui est traditionnellement éthiquement acceptable. Ce type de comportement de la part de l'intervenant fait en sorte que la relation sort du cadre thérapeutique et devient plus naturelle, se rapprochant d'une relation d'amitié.

Le thème de l'amitié ressort chez plusieurs des participants de l'étude; certaines personnes n'anticipent pas la fin de la relation car l'intervenant est vu comme un ami, d'autres - comme nous venons de l'indiquer - apprécient les conduites humaines car elles s'approchent des comportements amicaux, et pour d'autres, l'intervenant peut venir en renfort lorsque la famille et les amis sont dépassés par la situation ou encore pallier à un réseau social peu étendu. D'ailleurs, ce dernier point se retrouve aussi dans les études de Bergeron-Leclerc (2010) et de Cormier (2009) qui décrivent l'expérience de participants ayant peu de contacts sociaux (que ce soit avec leurs familles ou avec des amis) et qui perçoivent les intervenants comme des amis. Du reste, dans cette étude, le nombre moyen d'intervenants dans le réseau social des participants est presque aussi élevé que le nombre moyen d'amis.

Essentiellement, les participants de cette étude perçoivent les intervenants comme des professionnels œuvrant dans un organisme, mais aussi en grande partie comme des amis, ou du moins, comme des personnes ayant des comportements et des attitudes faisant penser à des amis. Cet aspect fait référence à la mutualité qui se dégage de la relation et à laquelle les personnes accordent une grande valeur. Peu d'étude ont été faites au sujet de la relation d'amitié ou de la mutualité dans les relations entre les intervenants et les personnes utilisant les services. Cela peut possiblement être expliqué par le tabou entourant ce phénomène qui est alimenté par la nature subversive de telle relation. Effectivement, développer une relation s'approchant de l'amitié avec les personnes peut être interprété comme un manque d'éthique et les intervenants peuvent hésiter à en parler (Alexander & Charles, 2009). Pourtant, le travail social prend racine dans des pratiques où agir en ami envers les personnes jouait un rôle proéminent (Dybicz, 2012). De notre temps, l'expertise

et la standardisation des pratiques sont valorisées et agir en ami est plutôt vu comme étant contraire à l'éthique professionnelle. Néanmoins, certains auteurs considèrent qu'il peut y avoir de nombreux bénéfices à la mutualité dans la relation. Même que selon Alexander et Charles (2009), il ne saurait y avoir de relation sans cet aspect. Ils affirment que toutes les relations sont à double sens (birectionnelles) et que dans les interactions, chaque individu répond aux actions de l'autre. De cette façon, une compréhension conjointe des événements est créée. La réciprocité et la mutualité sont donc au cœur des interactions et les relations entre les intervenants et les personnes utilisatrices ne font pas exception à la règle.

La mutualité est une composante importante de la RT et elle peut avoir des conséquences positives telles qu’augmenter le sentiment de connexion, favoriser la confiance de la personne et normaliser la relation (Reamer, 2003). Dans notre étude, nous avons constaté que ce type de relation peut favoriser une relation égalitaire, rendre la relation naturelle et confortable, faciliter la communication et permettre à la personne d'avoir l'occasion de partager ses forces avec l'intervenant. Effectivement, un participant se rappelle d'une situation où il a eu l'occasion d'apprendre quelque chose à un intervenant Selon ce participant, cette expérience a été positive pour lui-même, mais aussi pour l'intervenant en question. À ce sujet, on peut citer l'étude d'Alexander et Charles (2009) qui visait à documenter l'expérience des travailleurs sociaux face à la réception de soins et d'attention de la part de leurs clients. Les participants de cette étude qualitative étaient invités à parler de situations dans lesquelles ils ont eu conscience qu'un de leur client se préoccupait d'eux. Ces situations ont une grande importance aux yeux des intervenants interviewés, et la mutualité et la réciprocité prend une place proéminente dans leur pratique. Par contre, ils sont aussi préoccupés par le fait que ces comportements vont quelque peu à l'encontre de ce qu'ils ont appris lors de leur formation et des normes du cadre professionnel.

Ainsi, il existe une dualité entre les normes professionnelles, et ce qui est perçu comme aidant par les utilisateurs de services et les pratiques des intervenants. Alexander et

Charles (2009) recommandent donc que les standards professionnels soient révisés afin d'y inclure la reconnaissance de la mutualité qui existe dans toutes les relations.