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2.4 Un modèle numérique d’interaction fluide-structure

2.4.1 Algorithme de couplage

Le couplage fluide-structure est ici basé sur une approche partitionnée. Les modèles structure et fluide sont résolus chacun leur tour en utilisant les résultats issus de l’autre modèle. L’approche partitionnée est modulable, ce qui facilite la mise en œuvre des différents codes et permet des calculs parallèles. Néanmoins, les codes ne fonctionnent pas simultanément mais successivement, ce qui peut introduire une erreur numérique supplémentaire. Plusieurs stratégies sont donc mises en place pour limiter cette erreur.

Un schéma de couplage partitionné qui n’effectue qu’une seule résolution par solveur à chaque pas de temps est dit « faible » (méthode explicite). Ce type de couplage est efficace pour les petits rapports de masse, c’est-à-dire pour les fluides légers dont la densité est largement inférieure à celle de la structure. On les retrouve donc dans des applications aéroélastiques. En re-vanche, pour les cas impliquant des fluides lourds (liquides), une divergence est observée quel que soit le choix du pas de temps [Causin et al., 2015]. Il faut alors mettre en place un processus itératif à chaque pas de temps, avec le respect d’un critère de convergence (méthode implicite, voir figure 2.38). Ce processus, appelé couplage « fort », améliore la qualité du couplage et per-met alors de converger vers la même solution qu’une approche monolithique [Song, 2013]. Il est utilisé pour des applications comme la biomécanique ou l’ingénierie offshore.

Plusieurs autres méthodes permettent de faciliter la convergence. Parmi elles, la sous-relaxation adaptative avec la méthode d’Aitken [Küttler, 2008], la prise en compte de la masse ajoutée dans le code structure [Brennen, 1982] et le schéma numérique de Hilber-Hughes-Taylor [Hilber et al., 1977] sont utilisées dans cette thèse et sont présentées dans cette section. Une compa-raison des résultats du modèle avec certains résultats de la littérature est présentée dans la section suivante, puis le modèle est utilisé pour simuler le prototype expérimental de membrane ondulante à l’échelle 1/20eme.

Figure 2.38 – Schéma de l’algorithme pour le couplage des modèles fluide et structure avec une approche partitionnée [Longatte et al., 2009].

Un exemple de résultat de simulation de cet algorithme est présenté fi-gure 2.39. Il s’agit d’un drapeau qui flotte au vent et dont les principales caractéristiques sont : L = 1 m, b = 1 m, h = 0.0045 m, E = 3.2 107 N/m2,

ρs = 1100 kg/m3. Le fluide modélisé à une densité de ρf = 1 kg/m3 et une vitesse de U = 2.2 m/s. Pour cette simulation, le modèle réaliste de sillage a été utilisé avec Nω = 3000 tourbillons émis. Les autres paramètres numé-riques sont : N =30 et ∆t=0.001 s. La longueur du sillage modélisé est donc

lω = U∞.∆t.Nω = 6.6 m.

Les déformées successives du drapeau au cours d’un cycle sont présentés à gauche de la figure 2.39. L’amplitude de ses ondulations vaut 0.26 m et sa fréquence est de 1.94 Hz. On voit que le modèle permet de calculer de grands déplacements et est adapté à des vitesses de déplacement proches de celles de l’hydrolienne à membrane ondulante échelle 1/20eme. L’évolution dans le temps de la position verticale du bord de suite est tracée à droite de la figure 2.39. Le régime périodique est ici obtenu à partir de t=20.

Figure 2.39 – Gauche : Déformées d’un drapeau ondulant sous l’effet du vent. Droite : Évolution temporelle de la position verticale du bord de fuite. (L = 1 m, b = 1 m, h = 0.0045 m, E = 3.2 107 N/m2, ρs = 1100 kg/m3, ρf = 1 kg/m3 et U = 2.2 m/s).

La méthode de Newton ne permet pas toujours de converger correctement, notamment lorsque l’estimation de départ est trop éloignée de la solution ou lorsque le système est fortement non-linéaire. Dans notre cas, les grandes déformations de la structure ont un fort impact sur l’écoulement et donc sur le champs de force hydrodynamique. Il est alors possible que l’algorithme oscille autour de la solution, sans jamais converger vers celle-ci (voir un exemple figure 2.40).

Figure 2.40 – Exemple de fonction avec un point d’inflection (f”(x)=0) à proximité de la racine. Une itération commençant en x0 diverge progessive-ment de la racine xr.

On utilise alors un facteur de relaxation, c’est-à-dire que l’on « ralentit » l’algorithme en multipliant chaque itération par un facteur hi compris entre 0 et 1. La technique de la relaxation assure une meilleure convergence mais augmente le nombre d’itérations, ce qui accroit le temps de calcul.

dp = hi[K]−1[R]i (2.88) La méthode d’Aitken [Küttler, 2008], aussi appelée méthode du delta-2, propose une manière simple et robuste qui permet de converger rapidement en faisant évoluer le facteur de relaxation à chaque itération selon l’équation 2.89. Un exemple d’application de cette méthode sur la vitesse de convergence de l’algorithme de Newton est présenté figures 2.41 et 2.42 pour le cas d’un drapeau dans l’air. On y voit que la relaxation dynamique divise par deux le nombre d’itérations nécessaires, et donc le temps de calcul.

hi+1 = −hi[R]Ti−1 [R]i− [R]i−1

Figure 2.41 – Exemple de courbe de convergence de l’algorithme de Newton-Raphson avec et sans la méthode d’Aitken pour le cas d’un drapeau dans l’air (L = 1 m, b = 1 m, h = 0.0045 m, E = 3.2 107 N/m2, ρs = 1100 kg/m3, ρf = 1 kg/m3 et U = 2.45 m/s).

Figure 2.42 – Nombre d’itérations par pas de temps de l’algorithme de Newton-Raphson avec et sans la méthode d’Aitken pour le cas d’un drapeau dans l’air (L = 1 m, b = 1 m, h = 0.0045 m, E = 3.2 107 N/m2, ρs = 1100 kg/m3, ρf = 1 kg/m3 et U = 2.45 m/s).

La méthode précédente fonctionne très bien sur les cas d’interaction dont le rapport de masse est faible (fluides légers). Cependant, pour les fluides plus lourd, comme l’eau, la convergence ne peut être assurée que si le phénomène de masse ajoutée est pris en compte.

La masse ajoutée correspond à l’effort du fluide qui peut être assimilé comme étant de nature inertielle, c’est-à-dire, la partie de l’effort en phase avec l’accélération [Korotkin, 2009]. Cette notion a été introduite en premier par Dubua en 1776, qui a étudié expérimentalement les oscillations d’un pen-dule sphérique. Son effet a aussi été mis en évidence par F. Bessel en 1828. Il montra que la période d’oscillation d’un pendule dans de l’air est supérieure à celle mesurée dans le vide. Les deux essais ayant été réalisés à rigidité constante. Il en a déduit qu’il faut prendre en compte une masse supplémen-taire dans le système. La masse ajoutée est ainsi proportionnelle à la masse du fluide environnant déplacée lors du mouvement de la structure et s’y op-posant de façon analogue à une structure qui serait alourdie [Durand, 2012]. Une expression mathématique exacte a été obtenue par Green en 1833 et par Stokes en 1851, qui a calculé le terme de masse ajoutée sur un cylindre dans un fluide parfait [Lamb, 1932].

Dans le système étudié ici, la densité du fluide est du même ordre que celle de la structure. La masse ajoutée est donc importante et affecte significative-ment la résolution du comportesignificative-ment de la structure. Sur le plan numérique et dans le cadre d’une approche partitionnée, cela conduit à une divergence des solutions itératives pour le code structure. En effet, [Causin et al., 2015] ont démontré mathématiquement que dans le cas de couplage explicite, la stabilité est dictée par l’importance de la masse ajoutée dans le système. Ce n’est donc pas un problème de stabilité en temps mais bien de convergence. Une méthode rapide d’estimation de la masse ajoutée d’un corps à faible épaisseur est utilisée dans cette thèse (équation 2.90). Le terme de masse ajoutée est proportionnel à la masse volumique du fluide ρf et à la surface

S élevée à la puissance 3/2, le tout multiplié par un coefficient kma, compris entre 0 et 1. Si l’on suppose que la masse ajoutée en fluide visqueux est la même qu’en fluide parfait, ce chiffre adimensionnel n’est dépendant que de la géométrie [Brennen, 1982]. Par exemple, pour un profil mince de forme carré se déplaçant perpendiculairement à l’écoulement, il vaut kma= 0.38.

L’estimation du coefficient de masse ajoutée pour un plaque de longueur infinie en mouvement transverse vaut : Ma= πL/4 [Lemaitre et al., 2005]. Il existe aussi une approximation pour des drapeaux larges. [Eloy et al., 2007] propose une méthode pour les cas avec un rapport d’aspect intermédiaire.

La détermination expérimentale de ce coefficient est également possible. Plusieurs sont données par [Brennen, 1982] mais uniquement pour des géomé-tries qui ne se déforment pas. Des mesures ont été effectuées par [Haddara, 1996] pour les différents modes de déformation d’une poutre en porte-à-faux et par [Li et al., 2011] pour une membrane pivot-pivot.

Enfin, il existe des méthodes pour calculer la matrice complète de masse ajoutée, dont les termes qui ne sont pas sur la diagonale. Une méthode gé-nérale est donnée par [Brennen, 1982], une autre utilisant la méthode des panneaux est décrite dans [Vernon et al., 1988]. Elles n’ont pas été testées ici mais devraient l’être dans le cadre de développements futurs du modèle numérique.

La table 2.1 présente des résultats de simulation pour ρf = 1000 avec plu-sieurs coefficients de masse ajoutée. Plus ce coefficient est faible, plus il tend à diminuer la fréquence d’ondulation et augmenter l’amplitude, mais on peut noter qu’une grande variation de la masse ajoutée change relativement peu le résultat. Cependant, la masse ajoutée facilite grandement la convergence. Ainsi un coefficient de ma = 0.19 nécessite environ 25 itérations par pas de temps, tandis qu’il en faut environ 15 pour ma = 0.76. Sans masse ajoutée (ma = 0), l’algorithme ne parvient plus du tout à converger après seulement quelques pas de temps.

kma A f

0.19 0.37 0.48 0.38 0.34 0.55 0.76 0.32 0.56

Table 2.1 – Résultats d’amplitude et de fréquence d’ondulation d’une mem-brane pré-contrainte pour différents coefficients de masse ajoutée.

Devant la difficulté pour de tels algorithmes de résolution à converger vers la solution, il est aussi possible d’utiliser la méthode Hilbert-Hughes-Taylor (HHT, aussi appelée méthode α), qui a pour but d’augmenter l’amortisse-ment numérique sans dégrader la précision des résultats [Hilber et al., 1977]. Elle sert à introduire un retard des forces d’inertie par rapport aux autres forces. Pour cela, on utilise la méthode de Newmark en modifiant l’équation de la quantité de mouvement :

[R]t+αHHT∆t= [F]extt+∆t− [M][ ¨X]t+∆t− [C][ ˙X]t+αHHT∆t− [F]int([X]t+αHHT∆t) (2.91)

Le déplacement et la vitesse au pas de temps intermédiaire (t + αHHT∆t) sont donnés par les équation suivantes :

[X]t+αHHT∆t = (1 − αHHT)[X]t+ αHHT[X]t+∆t (2.92) [ ˙X]t+αHHT∆t = (1 − αHHT)[ ˙X]t+ αHHT[ ˙X]t+∆t (2.93) La matrice d’état et le résidu sont alors calculés par les équations :

[K]t+∆t= αHHT[K]t+ γ.αHHT

β∆t [C]t+

1

β∆t2[M]t (2.94) [R]it+∆t = [F]extt+∆t− [F]int[X]i−1t+α

HHT∆t− [C][ ˙X]i−1t+α

HHT∆t− [M][ ¨X]i−1t+∆t (2.95) Une fois que la convergence est obtenue pour [X]t+αHHT∆t, [ ˙X]t+αHHT∆t, [ ¨X]t+∆t, les déplacements et vitesses sont calculés au temps t + ∆t et une nouvelle itération temporelle est réalisée.

Le résultat d’une simulation avec et sans la méthode HHT est présenté figure 2.43. On y voit le déplacement du bord de fuite d’un drapeau simple dans un écoulement d’eau. La simulation applique les méthodes précédem-ment citées, dont la prise en compte de la masse ajoutée, mais considère un matériau purement élastique (sans amortissement physique). Lorsque la simulation est lancée sans amortissement numérique, de petites instabilités sont visibles. Elles s’amplifient jusqu’à ce que l’algorithme ne puisse plus converger et que la simulation échoue. L’amortissement numérique permet d’éviter ce genre de phénomène, sans dégrader les résultats et pour un faible coût en temps de calcul. Il sera donc utilisé par la suite.

Figure 2.43 – Déplacement du bord de fuite d’un drapeau dans un écoule-ment, avec et sans schéma HHT. (L = 1 m, b = 1 m, h=0.0045 m, E = 3.2 108 N/m2, ρs = 1100 kg/m3, ρf=1000 kg/m3, U= 1 m/s)

On a pu voir dans cette section que la stabilité numérique d’un algorithme de couplage fluide-structure n’est pas un problème trivial, surtout dans le cas de forts rapports de masse et de grands déplacements. Cependant, il existe plusieurs méthodes qui permettent d’assurer un calcul de bonne qualité. Cer-taines ont été décrit dans cette section. Leur simplicité et les grands bénéfices qu’elles apportent ont été montrés, c’est pourquoi elles sont utilisées par la suite. Il est important de souligner qu’il existe de nombreuses autres mé-thodes et que le choix de celles-ci doit être effectué en fonction du type de problème que l’on cherche à résoudre.