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L'algèbre linéaire « irrigue » presque toutes les disciplines des mathématiques, de l'algèbre (théorie des corps par exemple) à l'analyse (calcul différentiel notamment) en passant par la géométrie (géométrie affine et géométrie projective). On ne peut guère y échapper !

CE CHAPITRE

Ce chapitre est structuré en cinq sections. Le thème central est la réduction des endomorphismes : les outils sont étudiés dans la section 4.2, et les endomorphismes remarquables associés dans la section 4.3. La section 4.1 insiste au préalable sur les points clés de la construction de la théorie de la dimension. Enfin, après la sec­ tion 4.4 consacrée à quelques éléments de calcul matriciel, la section 4.5 sur les codes correcteurs est une mise en situation concrète de l'algèbre linéaire.

Nous proposons tout au long de ce chapitre des exemples d'origines diverses.

Pour enrichir votre réservoir d'illustrations, consultez les nombreux livres d'exercices d'algèbre linéaire. Évoquons par exemple le livre de Xavier Gourdon [cou1) et ce­ lui de Serge Francinou, Hervé Gianella et Serge Nicolas [FRA) . Le livre de Rached Mneimné [MNÉ) est particulièrement riche mais plus difficile.

À L'AGRÉGATION

Les leçons d'algèbre linéaire sont fréquentes à l'oral de l'agrégation, et plus diffi­ ciles qu'il n'y paraît. En effet, la plupart des manuels de référence sur le sujet sont d'un niveau de premier cycle, alors qu'il faut justement montrer au jury une certaine maturité face à ces notions. Ceci signifie peut-être travailler sur un corps quelconque, utiliser des espaces vectoriels quotients, etc. Le rapport du jury de 1988 regrette que « les connaissances en algèbre linéaire sont dans l'ensemble trop superficielles, et un effort sérieux est à faire dans ce domaine au cours de la préparation » .

Ainsi n'hésitez pas à vous replonger dans ces notions de premier cycle pour les éclairer d'un jour nouveau. La synthèse de cours et les exercices de ce chapitre sont rédigés pour vous aider dans ce travail. Pour aller un peu plus loin, le chapitre 6 présente la réduction des endomorphismes d'un point de vue différent.

NOTATIONS

On considère un corps k dont on note car(k) la caractéristique. Sauf mention explicite du contraire, les espaces vectoriels sont pris sur k. En particulier, E et F désignent dans tout ce chapitre des k-espaces vectoriels.

148 CHAPITRE 4 - ALGÈBRE LINÉAIRE

4.1 THÉORIE DE LA DIMENSION

4. 1 . 1

Les notions de dimension et de rang sont des outils fondamentaux pour l'étude des espaces vectoriels. Des idées claires sur les définitions et l'enchaînement des ré­ sultats sont exigées à l'agrégation. C'est ce que souligne le rapport du jury de 1998 : « La leçon traitant de la dimension d'un espace vectoriel est rarement bien traitée. On observe un manque de logique dans l'ordre des notions introduites » . Un piège classique, par exemple, est la définition d'espace de dimension finie : E est dit « de dimension finie » s'il admet une partie génératrice finie. Cette définition est donnée avant celle de « dimension » (voir ci-dessous).

Cette section insiste sur les points clés de la construction en suivant le chemine­ ment du livre de Ramis, Deschamps et Odoux IRDOI) pour éviter les problèmes de présentation. Avant tout, commençons pour nous motiver par une petite liste (pas du tout exhaustive) de théories et de méthodes qui utilisent la notion de dimension :

(i) Théorie des corps. La dimension est un outil utile pour l'étude des extensions de corps (voir IPER, Ch.3) et !Goz)) .

(ii) Théorie des modules. Plusieurs résultats du chapitre 6 se démontrent en se ramenant à un espace vectoriel pour pouvoir utiliser la notion de dimension (propositions 6.55 et 6.74 notamment).

(iii) Démonstration par récurrence sur la dimension de l 'espace. Cette méthode apparaît souvent, en particulier lors de la réduction des endomorphismes. Évo­ quons par exemple la caractérisation de la trigonalisabilité [RDOI , 12.2.3.l 0),

la réduction des endomorphismes normaux IRD02, 2.3.7.2°) ou des endomor­ phismes symétriques IRD02, 2.2. 1) .

4.1.1 BASES ET DIMENSION

La notion de base d'un espace vectoriel est centrale en algèbre linéaire. Elle enri­ chit en effet la notion classique de famille génératrice utilisée en algèbre. Un principe général en algèbre est d'obtenir une propriété sur une structure algébrique en la vé­ rifiant sur des générateurs de cette structure. En algèbre linéaire, on dispose en plus de la notion de famille libre. La combinaison « génératrice + libre » est alors parti­ culièrement fertile. Ainsi une base permet de « bien réduire un problème linéaire » . Par exemple, pour définir une application linéaire sur tout un espace vectoriel, il suf­ fit de donner l'image des vecteurs d'une base (voir [RDOI , 9.1.2.7°) - cette propriété est utilisée dans l'application 4.5 et dans l'exercice !FRA, 1 .7)).

ESPACES VECTORIELS ET BASES

Soit E un k-espace vectoriel ; les deux résultats fondamentaux sont les suivants : ( i) E admet une base.

( ii) Toutes les bases de E ont le même cardinal.

A la suite du résultat (ii), on définit la dimension de E comme le cardinal commun de toutes les bases de cet espace.

Ces deux résultats sont vrais en « dimension finie » comme en « dimension infi­ nie » . Cependant les démonstrations ne sont pas les mêmes pour les deux cas. Elles reposent sur une idée commune : montrer l'existence d'une famille libre maximale. En dimension finie, cette existence (ainsi que le point (ii)) se démontre à l'aide du lemme 4. 1 . En dimension infinie, on fait appel au lemme. de Zorn (voir l'exercice 4.22).

4.1.1 THÉORIE D E L A DIMENSION 149

Plaçons-nous pour la suite dans un espace vectoriel E qui admet une famille génératrice finie (avec le vocabulaire de la théorie des modules du chapitre 6, E est un k-module de type fini, voir la définition 6.45). Le lemme clé de la dimension finie est le suivant [RDO l, 9.2. i.3°] .

Lemme 4.1 Si un espace vectoriel E admet une famille génératrice finie de cardinal n, alors toute famille de cardinal n + 1 est liée.

La première conséquence de ce lemme est la suivante : un sous-espace vectoriel d'un espace vectoriel de dimension finie est lui-même de dimension finie. Attention, croire que ceci est évident d'après les définitions est un piège classique. Le rapport du jury de 1990 met en garde : « [Pour] un espace vectoriel de dimension finie, on doit être en mesure de savoir démontrer qu'un sous-espace vectoriel d'un tel espace est de dimension finie. » Remarquez que ceci est faux si k est seulement un anneau (on ne dispose pas du lemme 4. 1, voir la sous-section 6.3.2).

Application* 4.2 - Polynômes annulateurs, polynôme minimal. Soient A une k-algèbre de dimension finie n et a E A. Montrons qu'il existe un polynôme annulateur (non nul) de a. La famille (1, a, . . . , an) est de cardinal n+ 1 (strictement supérieur à la dimension de A) : elle est donc liée d'après le lemme 4.1. Une relation de dépendance linéaire (non triviale) entre ces éléments fournit un polynôme non nul P E k[X] tel que P(a) = 0 de degré au plus n = dim A.

L'ensemble des polynômes annulateurs I = {P E k[X] , P(a) = O} est un idéal de k[X] (qui n'est pas réduit à O). Comme k[X] est principal, il existe un polynôme non nul (unique si choisi unitaire) qui engendre I. On appelle ce polynôme le polynôme minimal de a (on le note ?ra)· Remarquez que

deg(7ra) = min {d E N, (l, a, . . . ,ad) est liée}

En effet, { d E N, (1, a, . . . , ad) est liée} est non vide puisqu'il contient n. Il admet donc un plus petit élément. De plus, le fait que la famille (1, a, . . . , ad) soit liée est équivalent à l'existence d'un polynôme non nul de degré � d. On obtient ainsi l'égalité souhaitée. Par suite, le degré de ?ra peut aussi s'exprimer comme le rang de la famille (1, a, . . . , ae-1) pour i � deg(7ra), ou celui de la famille (1, a, . . . , ad, . . . ).

Par exemple, si A = .Z(E) (où E est un espace vectoriel de dimension p) , le poly­ nôme minimal d'un endomorphisme u est de degré inférieur ou égal à p2 = dim .Z(E). En fait, le théorème de Cayley-Hamilton assure que son degré est inférieur ou égal à

p = dim E (voir la sous-section 4.2.2). Le degré de ?ru est égal au rang de la famille (1, U, . . . , Up-l ).

Application* 4.3 - Éléments algébriques. Soit j : k --+ K un morphisme de corps (on dit que K est une extension de corps de k). On note A l'ensemble des éléments de K algébriques sur k (voir [GOZ, III.17] pour les caractérisations des éléments de A).

Montrons que A est un anneau (il s'avère que c'est un corps, mais pour démontrer l'inversibilité des éléments, la dimension finie n'intervient pas, voir [Goz, III.36]).

Soient a, b E A. D'après [Goz, III.17] , k[a] est un corps et un k-espace vectoriel de dimension finie. Or, b est aussi algébrique sur k[a] donc k[a, b] = k[a] [b] est un k[a]-espace vectoriel de dimension finie. On en déduit que k[a, b] est un k-espace vectoriel de dimension finie. Comme k[a + b] C k[a, b] et k[ab] C k[a, b] , on a

dimk(k[a + b]) < +oo et dimk (k[ab]) < +oo .

150 CHAPITRE 4

-

ALGÈBRE LINÉAIRE 4. 1 . 1

COMPLÉTER ET EXTRAIRE

Le deuxième corollaire du lemme 4.1 est le théorème de la base incomplète pour la dimension finie (voir [RDOl , 9.2.2.2°1 et comparer avec la démonstration en dimension infinie de l'exercice 4.22) .

Théorème 4.4 - Base incomplète. Soit E un k-espace vectoriel. Si C est une partie libre de E et Ç une partie génératrice de E contentant C, alors il existe une base B de E telle que C C B C Ç. En particulier, l'espace vectoriel E admet une base. Ce théorème établit donc que tout espace vectoriel admet une base (cf. le point ( i))

et, plus précisément, il autorise à :

- compléter une famille libre en une base ;

- extraire une base d'une famille génératrice.

A ce titre, il pourrait aussi s'appeler le « théorème de la base trop complète » .

Application 4.5

-

Orbite de E

{

GL(E) sous GL(E). x E - E Le groupe GL(E) agit sur E via

(f, v)

f(v).

Signalons que cette action a deux orbites : {O} et E " {O}. Montrons que, si x E E est non nul, son orbite est E " {O}. En effet, soit y E E " {O} ; on complète la famille libre x (respectivement y) en une base (x1 = x, x2 , . . . , Xn) (respectivement

(Y1 = y, y2, . . . , Yn)). Définissons f E GL(E) en posant f(xi) = Yi pour i E [ 1 , n ] . Ainsi définie, f envoie x sur y et appartient à GL(E) (puisque f envoie une base sur une autre).

Application 4.6 - Base de matrices inversibles. Montrons qu'on peut extraire une base de toute famille F dense dans Mn(C). Par exemple, il existe une base de Mn(C) formée de matrices inversibles ou de matrices diagonalisables (exercice [aou1 , p.1841). D'après le théorème de la base incomplète, il suffit de montrer que F est généra­ trice, c'est-à-dire que vect F = Mn(C). Pour montrer ceci, on commence par observer :

vect F = vect F.

En effet, vect F étant un sous-espace vectoriel de Mn (q, il est lui aussi de dimension finie (donc fermé). Or F C vect F ; on peut ainsi écrire

Mn (C) = F C vect F = vect F C Mn(C). On a donc l'égalité partout et ainsi F est génératrice.

Application 4. 7 - Surjectivité de la restriction. Soient E et G deux espaces

vectoriels et F un sous-espace de E. Montrons que

est surjective.

cp :

{

�(E, G) - �(F, G) f

JI F

Soit g E �(F, G) ; construisons f E �(E, G) telle que cp(f) = g . On considère F une base de F. C'est une famille libre de E que l'on complète en une base E de E. On définit alors f sur E par

f(e) =

{

g(e) s

'.

e E F,

0 smon.

Le théorème [RDOl , 9.1.2.7°1 nous assure que f est bien définie et, en plus, que

4.1.2 THÉORIE DE LA DIMENSION 151

Application 4.8 - Supplémentaires. Soient E un espace vectoriel et F un sous­ espace de E ; il existe un supplémentaire de F dans E c'est-à-dire qu'il existe un sous-espace vectoriel G tel que E = F œ G.

En effet, soit :F une base de F ; on la complète en une base t: de E. On considère g

le complémentaire de :F dans &. Le sous-espace G = vect Ç est alors un supplémen­ taire de F dans E.

Sous-ESPACES VECTORIELS

Avec simplement la définition d'« espace de dimension finie » et le lemme 4.1, on peut montrer qu'un sous-espace d'un espace vectoriel de dimension finie est lui­ aussi de dimension finie. Avec la théorie de la dimension on peut préciser ce résultat [RDOl , 9.2.3.1°J .

Proposition 4.9 - Dimension et sous-espaces. Soient E un espace vectoriel de dimension finie et F un sous-espace de E. Alors dim F � dim E. De plus, si dim F = dim E, alors F = E.

Ce théorème fournit un moyen très utile pour montrer l'égalité entre deux espaces vectoriels E et F de dimension finie. Plutôt que de montrer les deux inclusions E c F et F C E, on n'en établit qu'une seule (souvent une des deux est justement facile !) et on vérifie que E et F ont même dimension. On se ramène ainsi à un problème de calcul de dimension.

Applications 4.10

- Une forme linéaire f E 2(E, k) est soit nulle, soit surjective. En effet, son image est un sous-espace vectoriel de k, donc dim lm f � l . Or

dim lm f = 0 {:::::} f = 0,

et dim lm f = 1 {:::::} lm f = k {:::::} f est surjective.

- La proposition 4.9 est un outil bien utile en dualité : par exemple pour montrer que (F.l )0 = F en dimension finie [RDOl , 9.3.6.3°J.

- La proposition 4.9 est aussi utilisée dans la preuve de la proposition 4.55 et dans l'exercice 4.9, par exemple.

4.1.2 DIMENSION ET AP P LICATIONS LINÉAIRES

Interprétons et illustrons à présent les deux théorèmes de [RDOl , 9.2.2.6°] .

DIMENSION ET SURJECTIVITÉ

Le premier établit qu'une application linéaire surjective arrive nécessairement dans un espace de dimension plus petite : la surjectivité fait « diminuer la dimension » . Ajoutons qu'à l'opposé, une application linéaire injective ne peut arriver que dans un espace de dimension plus grande que l'espace de départ. Le théorème du rang 4.13 quantifie précisément ceci.

Application 4.11 - Une « formule » du rang. Soient E, F, G et H quatre espaces vectoriels de dimension finie. Considérons des applications linéaires w E 2(E, F),

v E Z(F, G) et u E 2(G, H). Montrons que

152 CHAPITRE 4 - ALGÈBRE LINÉAIRE Il suffit de justifier le « diagramme commutatif » suivant :

U1 lm(v o w)----+lm(u o v o w)

f

it U2

f

i2 lm(v) lm(u o v)

!

n1 u

!

n2 lm(v)/lm(v o w) ···- Im(u o v)/lm(u o v o w) En effet, l'existence de l'application surjective u montre que

dim(lm (v)/lm (v o w)) � dim(lm (u o v)/lm (u o v o w)), ce qui démontre le résultat.

4.1.2

Commençons la justification du diagramme par les deux colonnes. lm ( v o w) et lm ( u o v o w) sont des sous-espaces de, respectivement, lm ( v) et lm ( u o v). Les in­ clusions naturelles i1 et i2 sont injectives. Les morphismes de passage au quotient n1 et n2 sont surjectifs. Considérons à présent les lignes : u1 (resp. u2) est la restriction de u à lm (v o w) (resp. lm (v)) ; elle envoie surjectivement lm (v o w) sur lm (u o v o w) (resp. lm (v) sur lm (uov)). Sur le diagramme, seule figure la surjectivité de u2 qui est utile pour la suite. Le premier carré ainsi construit est commutatif ( i2o u1 = u2o i1 ). Justifions enfin la troisième fi.èche horizontale. On veut faire passer n2 ou2 au quotient par lm (v ow) pour obtenir u. Il s'agit de vérifier que n2 ou2(lm (vow)) =O. On lit sur le diagramme que u2(lm (vow)) C lm (uovow) , ce qui implique n2 ou2(lm (vow)) =O.

On peut donc passer au quotient : on obtient u tel que n2 o u2 = u o n1 . Enfin u est surjective puisque n2 o u2 est surjective (voir le théorème 6.17).

DIMENSION ET BIJECTIVITÉ

L'autre résultat de [RDOl, 9.2.2.6°] établit que deux espaces vectoriels sont iso­ morphes si, et seulement si, ils ont même dimension. On dispose maintenant de deux méthodes pour trouver la dimension d'un espace :

( i) exhiber une base puis la dénombrer ;

(ii) établir un isomorphisme avec un autre espace dont on connaît la dimension. Rassemblons quelques illustrations de ces méthodes (voir aussi l'exercice 4.1).

Applications 4 . 1 2 - Calculs d e dimension.

- Soient E et F deux espaces vectoriels de dimension finie. Les méthodes précédentes sont utilisées pour le calcul des dimensions de E x F, .Z(E, F) et (si F c E) de E/F, [RDOl, 9.2.2.7° et 9.2.3.3°).

- Soient E et F deux espaces vectoriels de dimension finie. L'exercice 5.2 propose le calcul de la dimension d'un sous-espace vectoriel de .Z(E, F).

- Considérons un système différentiel linéaire Y'(t) = A(t) Y(t) pour t E R (où

t E R i--+ A(t) E Mn(C) est continue). L'ensemble des solutions S de ce système forme un espace vectoriel de dimension n. En effet, le théorème de Cauchy linéaire signifie exactement que

{s--+

en

'Pto : Y 1--+ Y(to)

est un isomorphisme : la surjectivité provient de l'existence, et l'injectivité de l'uni­ cité de la solution du problème de Cauchy pour les conditions initiales (t0, Y0) .

4.1.3 THÉORIE DE LA DIMENSION 153

4.1. 3 THÉORÈME DU RANG

Le rang est une notion importante et propre à la dimension finie. On définit le rang (d'une famille de vecteurs, d'une application linéaire, d'une matrice) comme la dimen­ sion d'un certain espace vectoriel (l'espace engendré par la famille, l'image de l'ap­ plication, l'espace engendré par la famille des vecteurs-colonnes, voir [RDO I , 9.2.41). Le résultat initial est le théorème du rang qui repose simplement sur l'isomorphisme

E/Ker (u) Im (u).

Théorème 4.13 - Théorème du rang. Soient E un espace vectoriel de dimension finie, F un espace vectoriel et u E 2'(E, F) ; on a

dim Ker u + rg (u) = dim E.

Attention à ne pas oublier « dim » et à ne pas écrire E = Ker u EEl Im u. Cette égalité est fausse en général et même absurde si u n'est pas à valeur dans E (voir une caractérisation des endomorphismes pour lesquels cette décomposition est vraie dans les exercices [FRA, 6.13, 6.151).

Application 4.14 - Formule de Grassmann. Rappelons un résultat de Grassmann : si E' et E" sont deux sous-espaces de E, alors

dim(E' n E") + dim(E' + E") = dim E' + dim E".

Cette égalité s'obtient immédiatement en utilisant le théorème du rang sur la bonne application [RDOl , 9.2.4.4°] . En voici quelques conséquences.

- L'égalité ( *) fournit une caractérisation de la somme directe à l'aide de la dimension [GOUl, p.110].

- La borne de singleton pour les codes correcteurs (proposition 4.99) est une simple application de ( *).

- Finissons par une conséquence géométrique de ( *) : deux droites projectives d'un plan projectif se coupent (la proposition [AUD, V.2.1] généralise ce résultat).

Application 4.15 - Caractérisation des isomorphismes. Allez consulter le théorème de [RDO l , 9.2.4.3°] : il résume les différentes caractérisations des isomorphismes, ob­ tenues grâce au théorème du rang. Ces caractérisations ne sont valables qu'en dimen­ sion finie, comme le soulignent les contre-exemples qui les accompagnent. Insistons sur le fait que, dans l'anneau .Z"(E), il suffit d'être inversible à droite (ou à gauche) pour être inversible. Ceci n'est pas vrai dans tous les anneaux non commutatifs : en général, il faut vérifier l'inversibilité à gauche et à droite ! C'est vraiment la notion de rang qui confère cette propriété à .Z"(E).

En pratique, on commence par vérifier que les espaces de départ et d'arrivée sont de même dimension (finie), ensuite on utilise l'équivalence entre injectivité, surjec­ tivité et bijectivité (voir par exemple la démonstration du lemme 6.105). Pensez à formuler les problèmes via une application linéaire pour utiliser cette démarche. Les applications importantes qui suivent reposent sur cette idée.

Application 4.16 - Algèbre de dimension finie. Soit A une k-algèbre commutative de dimension finie ; montrons que A est intègre si, et seulement si, A est un corps.

154 CHAPITRE 4 - ALGÈBRE LINÉAIRE 4. 1 .4

Il est clair que si A est un corps, alors A est intègre. Démontrons la réciproque. Supposons que A est intègre. Pour x =f. 0 dans A, l'application linéaire

est alors injective. Comme A est de dimension finie, µx est surjective. Ainsi, 1 ap­ partient à l'image de µx, c'est-à-dire qu'il existe y E A, tel que xy = 1 . Finalement,

x est inversible et A est un corps.

Application 4.17 - Polynôme interpolateur de Lagrange. Soit p E N* . Considérons a1 , . . . , ap E k deux à deux distincts et b1 , . . . , bp E k. Montrons qu'il existe un unique polynôme P E kp-l [X] qui interpole les bi aux ai, c'est-à-dire tel que

V i E [ l , p J ,

Pour le prouver, introduisons l'application linéaire suivante

{

kp-1 [X] --+ kP

t.p .

P 1----+ (P(a1 ), . . . , P(ap)).

Montrons que <p est un isomorphisme. Puisque les deux espaces vectoriels sont de même dimension p, il suffit de montrer que <p est injective. Soit P E Ker ( <p) ; les ai sont ainsi p racines distinctes de P qui est de degré strictement inférieur à p. On en déduit que P = 0, et donc que <p est injective. En conclusion, il existe un unique polynôme de

kp-i [X] vérifiant l'interpolation : c'est P = ip-1 (bi . . . . , bp) (voir [RDOl , 6.4.4.4°] pour une formule explicite des polynômes d'interpolateurs) . La figure 4.1 montre l'inter­ polation de Lagrange de points sur le graphe de la fonction x f-+ 1/(1 + 9(x - 1/2)2) .

.. .. \ \\· ... .

deg P = 2

Fig. 4.1 Interpolation de Lagrange

deg P = 6

Application 4.18 - Dual et bidual. Le dual (algébrique) d'un espace vectoriel E est E* = 2'(E, k) . Si E est de dimension finie, alors dim E* = dim E x 1 = dim E. Ainsi E et E* sont isomorphes. Attention, il n'y a pas d'isomorphisme canonique.

A propos du bidual E** = (E*)* de E, on peut dire que dim E = dim E* = dim E** et donc que E et E** sont isomorphes. Contrairement au dual, il existe pour le bidual un isomorphisme canonique. En effet, le théorème de la base incomplète implique que

{

E --+ E**

t.p . •

X 1----+ (f f-+j(x))

4.1.4 THÉORIE DE LA DIMENSION

4.1.4 RANG ET MATRICES É QUIVALENTES

155

Remarquons pour commencer que les différentes notions de rang sont cohérentes.

Le rang d'une application linéaire, notamment, est égal au rang de n'importe quelle matrice la représentant [RDOl , 9.4.6.1°). Le théorème 4.19 exprime que, parmi toutes ces matrices, une est particulièrement simple.

Soit u une application linéaire entre deux espaces vectoriels E et F de dimensions finies. Chaque choix d'une base dans E et dans F permet d'exprimer u sous forme d'une matrice. La notion de matrices équivalentes traduit la liberté de ce choix.

Soient A, B E Mnxp(k). On dit que A et B sont équivalentes si elles vérifient l'une des trois propriétés équivalentes suivantes :

( i) elles représentent la même application linéaire de E dans F ;

{ii) il existe P E GLn{k) et Q E GLp(k) telles que A = PBQ-1 ;

{iii) elles sont dans la même orbite sous l'action de Steinitz, qui est l'action du groupe GLn{k) X GLp{k) sur Mnxp(k) définie par {P, Q) 1-+ (M 1-+ PMQ-1). Les matrices P et Q des points (ii) et (iii) correspondent à des matrices de change­ ment de bases dans E et F dans le point (i) , [RDOl , 9.4.7.5°) .

Théorème 4.19

-

Équivalence à une matrice Jr. Soit A E Mnxp(k) une matrice de rang r ; A est équivalente à la matrice

Jr =

[

I

r

� ]