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Acteurs de la sauvegarde

Méthodes et stratégies de la mise en valeur du patrimoine architectural dans le monde

B. Acteurs de la sauvegarde

L’expérience de la Médina de Tunis s’est développée avec l’ASM (un noyau technique pluridisciplinaire) qui a pu établir un diagnostic de la situation urbaine de la Médina de Tunis. L’ASM a pris son essor lorsque le Maire de Tunis, M. Hassib Ben Ammar, a décidé de contourner la puissance de l’État-Parti en donnant à l’Association totale liberté d’intervention. La mission était donc de lancer le plaidoyer de la sauvegarde de la Médina et d’ouvrir les débats en y associant des partenaires internationaux (l’ICOMOS et l’UNESCO) comme garantie intellectuelle et morale.

Ainsi, l’ASM a pu devenir un acteur autonome reconnu comme partenaire municipal et étatique en raison de sa connaissance du milieu historique et de ses capacités professionnelles. C’est dans cette position (à la fois autonome et obligée) que l’ASM a pu conduire à terme les projets de restauration et de réhabilitation.

L’un des projets de la réhabilitation phare de l’ASM est celui de la restauration du quartier Hafsia. Primé à deux reprises par le Prix Aga Khan d'Architecture, ce projet a attiré notre attention par rapport à la stratégie financière qui a été utilisée pour le financement des opérations de réhabilitation.

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76 [Ill. 23]31

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République Tunisiénne. Ministaire de la culture et de la sauvegarde du patrimoine. UNESCO 2010.

77 C. Le projet du quartier Hafsia

Le quartier Hafsia est l’ancien quartier juif de Tunis. Selon de critères strictement historiques, ce quartier ne fait pas partie de la Médina Tunis étant donné que son édification ne remonte qu’au début du XXe siècle ; cependant, la morphologie et la typologie architecturale du quartier est très proche de celles de la Médina. Ainsi l’ASM étant dégagée de la lourde charge de l’histoire, elle a pu avoir une large manœuvre sur le terrain qui lui a permis de développer un ambitieux programme de réhabilitation et de reconstruction neuf.

Dès 1968 le projet municipal de la rénovation du quartier Hafsia est confié à l’ASM. L’ASM propose la construction de logements locatifs selon des normes adaptées aux moyens des catégories sociales à solvabilité réduite pouvant pratiquer l’auto- construction ; elle préconise également une politique d’assistance technique et financière d’amélioration des oukala-s32.33

Ce projet est rejeté par la municipalité en 1972 estimant que ce type d’intervention risquerait de reproduire les taudis dans la Médina ; ainsi, en 1973, le Ministère des Travaux Publics et de l’Habitat a donné des instructions pour la réalisation « d’un complexe immobilier et commercial » dans le quartier Hafsia [Ill. 21].

[Ill. 24]34

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Maisons où Fondouks loués à la pièce à plusieurs familles.

: Projet quartier Hafsia 1973

33

Jellal, Abdelkafi. LA MEDINA DE TUNIS Espace historique. Paris: Presses du CNRS, 1989, P 187.

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78 Le projet est relancé en 1981par la municipalité et il est repris par L’ASM (une nouvelle équipe technique qui reprend immédiatement le projet de 1973). « La rénovation consistera à construire des logements de standing moyen destinés à des acquéreurs ayant des revenus suffisants pour supporter en partie les coups de réhabilitation »35

Pour y parvenir l’ASM a imaginé un ambitieux projet financier qui reposait sur le principe de non financement de l’État et de la répartition des charges à l’intérieur du périmètre d’intervention et ceci comme suit :

[Ill. 22]

Les surcharges foncières ont été supportées exclusivement par les constructions neuves. Par ailleurs, la plus-value réalisée sur la vente des terrains nus a contribué à l’alimentation d’un fonds spécial mis à la disposition de la réhabilitation des bâtiments existants (250 bâtiments ont bénéficié de crédits de réhabilitation bonifiés avec un taux d’intérêt de 5% remboursable sur 15 ans)36

Ainsi, ont été construits environ 400 logements et une centaine de commerces grâce aux revenus financièrs de cette opération.

.

On peut parler de réussite du projet par rapport au montage financier de l’opération : ceci reflète bien l’expression « le Patrimoine créateur de richesse » dont elle est souvent interprétée dans le sens où la richesse financière vient après la mise en valeur du patrimoine.

[Ill. 25]37

35

Ibid, P 196.

: Exemples de logements construits dans le quartier Hafsia

36

Yaiche, Sémia Akrout. «UNE STRATEGIE DE SAUVEGARDE DURABLE POUR LA MEDINA.»

Patrimoine et Développement Durable dans les Villes Historiques du Maghreb Contemporain. Fès: UNESCO ,

2003. 105-114, P 107.

37

79 [Ill. 26]38

38

Jellal, Abdelkafi. LA MEDINA DE TUNIS Espace historique. Paris: Presses du CNRS, 1989, P 198.

80 Malgré le succès relatif de ce projet, il a tout de même enregistré des lacunes dans la prise en charge sociale. Avant même le début des opérations du projet quartier Hafsia, la situation foncière et immobilière était déjà compliquée. « Certains biens expropriés n’ont pas été indemnisés ; pour d’autres, les ayants droit n’ont pas touché l’indemnité, soit par absentéisme, soit par contestation du montant ».39

« le propriétaire incité ou contraint à réhabiliter son immeuble recouvrerait son investissement sur les loyers corrigés après travaux ; le logement réhabilité étant considéré comme un logement neuf, le loyer redeviendrait libre mais le montant en serait négocié sous l’égide de l’État. »

En plus de cela, contraindre les propriétaires à réhabiliter sous peine de vendre leur bien n’était pas chose facile à mettre en application, ni les pouvoirs publics ni l’ASM n’avait les moyens légaux de le faire. Pour y parvenir, l’ASM a imaginé une complexe procédure qui consistait à :

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Ce système n’a fait profiter que les propriétaires ; les locataires, quant à eux, n’ont pas pu être suivis pour des raisons d’ordre juridique et financière. Le revenu des ménages locataires étant faible, ces derniers ne peuvent plus payer le loyer qui est devenu libre et cher à la suite de la réhabilitation.

D. Conclusion

L’expérience du quartier Hafsia a montré qu’avec un bon montage financier et avec une certaine liberté dans le choix d’intervention on peut sauver une grande partie du patrimoine, cependant sur le plan social, plus value du site et populations pauvres ne font pas toujours bon ménage.

Le projet a fait la lumière sur les effets négatifs de la législation Tunisienne envers les bailleurs-locataires. La réhabilitation, sensée améliorer les conditions de vie des habitants, a été opérée au détriment des plus vulnérables. Le choix de la mise en valeur du quartier à été mis sur le renouvèlement de la population par une plus aisée. L’extrême pauvreté qui règne dans la Médina laisse peu de manœuvre aux projets d’aide à la réhabilitation.

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Jellal, Abdelkafi. LA MEDINA DE TUNIS Espace historique. Paris: Presses du CNRS, 1989, P 196.

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81 1.2.2.2 La Médina de Fès