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II.1 Diversité des cellules gliales

II.2.2 Acides gras et corps cétoniques

Plusieurs études ont suggéré que les acides gras ne pouvaient pas franchir la BBB et que le cerveau était capable de synthétiser les différents lipides dont il avait besoin. D’autres suggèrent que certains acides gras essentiels, comme l’acide linoléique, peuvent traverser la BBB, tandis que les acides gras saturés et insaturés dits « non essentiels » sont exclusivement produits par la synthèse de novo et suggèrent l’existence d’un mécanisme de transport sélectif de certains acides gras (Edmond 2001). Des études de perfusion d’acides gras radio marqués ([14C] palmitate) suggèrent que les acides gras libres sont rapidement transportés dans le cerveau à travers la BBB. Ces études montrent qu’environ 40% du [14C] palmitate dans le cerveau est incorporé dans les phospholipides et les lipides neutres après environ 45 s de perfusion intra carotidienne (Smith and Nagura 2001). De façon intéressante, la capacité de transport des acides gras peut varier d’une région à l’autre du cerveau. L’indice de captation du cerveau, ou « brain uptake index », pour le [14C] palmitate est d’environ 30% dans l’hypothalamus comparé à 22% dans le reste du cerveau (Clement et al. 2002). De plus, près de 20 % des dépenses énergétiques du SCN proviennent de l’oxydation des acides gras. Une telle contribution nécessite donc un apport exogène d’acides gras vers le cerveau et ne peut être expliquée par une synthèse de novo (Ebert et al. 2003). L’abondance en polyunsaturated fatty acid (PUFA) essentiel dans le cerveau, notamment l’acide arachidonique et le « Docosahexanoic Acid » (DHA), implique l’existence d’un mécanisme de transport des acides gras à travers la BBB (Liu et al. 2015).

Bien que le transport des acides gras à travers la BBB n’est pas remis en doute, plusieurs questions restent quant à quels mécanismes de transports actifs ou passifs ces derniers emploient. Plusieurs hypothèses ont été formulées quant à la manière dont les acides gras traversent la BBB. Ces hypothèses peuvent être classifiées sous deux catégories principales, la diffusion passive par flip-flop et le transport facilité par des protéines membranaires. L’hypothèse de la diffusion passive par flip- flop implique le passage d’acides gras libres, soit des « Non-Esteriied Fatty Acid » (NEFA) qui ne seraient pas liés à des protéines. Les acides gras sont des molécules amphiphiles, ils peuvent ainsi s’adsorber et s’incorporer à la membrane luminale de l’endothélium de la BBB. Par la suite, ils se dissocient du côté intracellulaire de la membrane, où leur concentration est plus faible que dans la circulation périphérique (Hamilton and Brunaldi 2007). L’hypothèse du transport facilité suggère que la BBB est relativement imperméable aux acides gras et que ces derniers requièrent des mécanismes de transport facilités par des protéines pour traverser.

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La grande majorité des acides gras circulants sont liés à des protéines sous une forme ou un autre. Ainsi ils peuvent être liés à l’albumine en tant que NEFA, ou estérifiés en triacylglycerol (TAG) associés à des lipoprotéines. Sous ces deux formes, les acides gras ne peuvent passer la BBB, ils doivent d’abord se dissocier de l’albumine ou être hydrolysés par des protéines lipases (Smith and Nagura 2001, Spector 2001).

La lipoprotéine lipase (LPL) est une des enzymes clé dans l’hydrolyse des TAG circulants et dans le transport des acides gras dans les tissus périphériques pour leur oxydation mitochondriale ou pour être estérifiés à nouveau en TAG (Wang and Eckel 2009). Ainsi il est possible que cette lipase soit aussi impliquée dans le transport des acides gras vers le CNS. La LPL est exprimée et fonctionnelle au niveau de la BBB et est même régulée à la baisse par le jeune (Brecher and Kuan 1979, Eckel and Robbins 1984). De plus, des déficiences de la LPL neuronale diminuent le transport d’acides gras dans l’hypothalamus et contribuent au développement de l’obésité (Wang et al. 2011). Cette diminution est aussi observée dans un système de cultures neuronales hypothalamiques invalidées pour la LPL (Libby et al. 2015).

Une des faiblesses de la théorie de la diffusion passive est qu’elle ne peut, par elle-même, expliquer la sélectivité du transport de certains acides gras. En effet, un transport sélectif à travers une membrane est généralement associé à un transport par des protéines membranaires. Ce « transport sélectif » est parfaitement illustré par les différences entre les niveaux de deux acides gras essentiels dans le cerveau, soit le DHA et le « Eicosapentænoic Acid » (EPA). Les concentrations de DHA sont environ 250 à 300 fois plus élevées que pour l’EPA mais, dans le plasma ils ne sont que 4 fois plus élevés. Ceci semble suggérer que le DHA est transporté de façon préférentielle ou à un taux de transport plus élevé que l’EPA (Kitson et al. 2012). Malgré ces grandes différences dans les niveaux de ces deux PUFA dans le cerveau, leurs coefficients de transport vers le cerveau sont presque identiques. De plus, ce coefficient de transport est comparable à celui du diazépam, une molécule capable de diffuser librement vers le cerveau, suggérant que ces deux acides gras diffusent à la même vitesse que des molécules lipophiles (Ouellet et al. 2009). De plus, une autre indication que ces acides gras diffusent librement est que leur transport n’est pas saturable à des concentrations physiologiques puisque l’addition de grandes concentrations (jusqu’à 100 µM) de DHA ou EPA non radio-marqué ne diminue pas le taux de diffusion de leurs traceurs respectifs (Ouellet et al. 2009) et que seul leur complexation à l’albumine diminue cette diffusion en réduisant la proportion « libre » de ces acides

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gras. Ainsi, les différences de niveaux de DHA et D’EPA sont probablement dues à une différence dans leur utilisation une fois dans le cerveau plutôt qu’à un transport sélectif. En effet, contrairement au DHA, l’EPA est rapidement oxydé dans la mitochondrie, suite à son passage à travers la BBB (Chen et al. 2009, Chen and Bazinet 2015). Ceci est aussi le cas pour d’autres PUFA qui sont « sous- représentés » dans le cerveau, comme l’acide linoléique et α-linolénique. Ces deux acides gras à longue chaîne seraient rapidement oxydés avant de subir plusieurs étapes d’élongation et former respectivement l’acide arachidonique et le DHA (Demar et al. 2005, DeMar et al. 2006).

Un autre argument souvent avancé contre la diffusion passive est l’expression de différents transporteurs d’acides gras comme «fatty acid transport protein (FATP) » et la translocase des acides gras au niveau de la BBB. La présence de ces derniers semble indiquer qu’ils sont impliqués et importants dans ce processus (Mitchell et al. 2011). Cependant, plusieurs études incluant des études d’invalidations génétiques (Xu et al. 2013) remettent en cause l’activité translocase de ces protéines et suggèrent que ces deux « transporteurs » n’ont pas la capacité de transporter les acides gras à travers la membrane. Ces protéines ont toutefois une activité Acyl-CoA synthase qui permet de séquestrer les acides gras dans la cellule et facilitent ainsi leur métabolisme intracellulaire (Hamilton and Brunaldi 2007, Xu et al. 2013). Puisque les Acyl-CoA, contrairement aux NEFA, ne sont pas capables de diffuser par flip-flop à travers la bicouche lipidique, ces protéines de transport des acides gras faciliteraient leur transport en diminuant leurs concentrations intracellulaires et en empêchant leur sortie par diffusion passive. De plus, l’analyse de la structure de ces protéines révèle qu’ils sont presque entièrement localisés dans le cytosol, ceci rend improbable un rôle direct dans le transport des acides gras extracellulaires (Lewis et al. 2001, Hamilton and Brunaldi 2007).

La réalité du transport des acides gras à travers les différentes membranes cellulaires est probablement une combinaison de la diffusion passive et du transport facilité. Les acides gras diffusent librement à travers la membrane par flip-flop. Cette diffusion est un processus bidirectionnel et requiert donc un gradient de concentration de part et d’autre de la membrane ou une manière de séquestrer les acides gras une fois à l’intérieur de la cellule. Ce gradient en NEFA peut alors être maintenu par différentes protéines de liaison aux acides gras comme les fatty acid binding protein (FABP), ou sont convertis en Acyl-CoA par les Acetyl-CoA synthetase (ACS) ou FATP. En accord avec cette vision, le taux de transport vers le cerveau est influencé par le flux d’utilisation des acides gras, notamment entre l’estérification et l’oxydation β des acides gras (Chen et al. 2008).

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En plus des acides gras et du glucose, le cerveau peut utiliser les corps cétoniques comme substrat alternatif, ceci est particulièrement important durant le développement postnatal (Cornford and Cornford 1986, Hasselbalch et al. 1995). Ce transport de corps cétoniques peut aussi être accentué durant les périodes de jeûne (Gjedde and Crone 1975, Pan et al. 2000). Les corps cétoniques sont transportés par une catégorie de transporteurs membranaires capables de transporter le lactate, le pyruvate ainsi que les corps cétoniques. Ces « Monocarboxylate Transporters » (MCT) sont exprimés au niveau des cellules endothéliales de la BBB ainsi que sur les pieds astrocytaires. MCT1 est exprimé dans les cellules endothéliales de la BBB tandis que MCT2 est fortement exprimé dans les astrocytes, ces derniers peuvent aussi être exprimés dans les neurones (Conn et al. 1983, Nehlig 2004). Le transport des corps cétoniques est donc similaire à celui du glucose et du lactate.

Le cerveau peut ainsi compter sur un apport périphérique de divers substrats énergétiques, comme le glucose, les acides gras et les corps cétoniques, pour subvenir à ses besoins énergétiques. Par contre, ces différents substrats ne contribuent pas tous au même niveau au métabolisme énergétique. Le glucose est utilisé de manière préférentielle à l’âge adulte tandis que les corps cétoniques peuvent combler ces besoins durant des périodes de jeûne prolongé ou durant le développement postnatal.