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Les accords de Bruxelles et le règlement du contentieux

Chapitre 2 : Le cas de la dette coloniale en République Démocratique du Congo

3.2 Les accords de Bruxelles et le règlement du contentieux

Au début du mois de février 1965, Moïse Tshombe se présente à Bruxelles pour mettre un point final au contentieux belgo-congolais. Fraîchement nommé Premier Ministre du Congo après un énième retournement de la situation politique congolaise qui l’a fait passer du statut d’ex-sécessionniste exilé en Espagne à celui de chef du gouvernement, il s’apprête à ramener le portefeuille colonial à Bruxelles, près de cinq ans après le retrait officiel de la Belgique au Congo. Tant pour les Belges que pour les Congolais, le règlement du contentieux revêt une importance majeure. Du point de vue de la Belgique, il y a deux enjeux centraux à ces nouvelles négociations. D’une part, il faut que le Congo reprenne le service de la dette car « 94,95% des titres de la dette publique extérieure » du Congo sont détenus par des Belges « et [intéressent]

193’435 personnes physiques » (Lejeune, 1969, p.540). Les enjeux financiers sont donc énormes pour la Belgique qui, si elle devait être contrainte à payer pour ces titres, verrait le stock de sa dette augmenter de près de 10% (Ibid.). C’est pourquoi la Belgique lia, depuis le début de l’éclatement du contentieux, le transfert du portefeuille à la reprise du service de la dette par le Congo. D’autre part, la Belgique veut faire reconnaitre la dissolution des compagnies concessionnaire ainsi que la répartition de leurs actions telle qu’elle a été organisée à la veille de l’indépendance, afin d’assurer le contrôle des grandes entreprises coloniales aux investisseurs privés. Du point de vue congolais, récupérer le portefeuille colonial avait une double importance. C’était d’abord un enjeu financier important. Cependant, avec la crise économique que connaissait le Congo depuis 1960, ce portefeuille avait perdu une grande part de sa valeur car il était principalement constitué d’actions devisées en francs congolais, qui avait été dévalué de plus de 90% depuis l’indépendance. C’était également un enjeu psychologique et symbolique, qui avait structuré le discours politique national depuis l’indépendance. Une fois encore, la Belgique sort grande gagnante de ces négociations.

La conclusion des accords de février 1965 fut marquée par le triomphalisme affiché par le chef de la délégation congolaise Moïse Tshombe. Le Congo récupérait le portefeuille colonial et, des mots du Premier Ministre, « arrach[ait] aux belges une seconde indépendance » (Le Monde, 9 février 1965). Mais à y regarder de plus près, le succès de Tshombe apparaît plus comme une

victoire médiatique qu’économique. Car si la question du portefeuille occupe tout l’espace médiatique, la Belgique sortit grande gagnante sur la question de la dissolution des compagnies concessionnaires et de la transmission de la dette publique. Les dissolutions actées unilatéralement par la Belgique juste avant l’indépendance sont ainsi reconnues par Tshombe, qui entérine par la même la suprématie des groupes privés au sein des grandes entreprises coloniales27.

La répartition de la dette fait quant à elle l’objet d’un compromis entre Belges et Congolais. Je l’ai dit plus haut, la dette du Congo belge s’élevait le 30 juin 1960 à 46 milliards de francs congolais, répartis en trois catégories : la dette émise au Congo et donc en francs congolais (22,4 milliards de francs congolais), la dette en devises étrangères cédée ou garantie par la Belgique (12,7 milliards), et la dette en devises étrangères et non garanties par la Belgique (11 milliards).

Dans la « Convention pour le règlement des questions relatives à la dette publique et au portefeuille de la Colonie du Congo belge », la Belgique et le Congo conviennent premièrement que la Belgique assurera la charge de la totalité de la dette coloniale garantie ou cédée par la Belgique :

« Article 4 : §1. La Belgique assume, à tous égards, la responsabilité exclusive de la partie de la dette publique reprise à la liste 3 [qui recense les titres garantis ou cédés par la Belgique]. »

Deuxièmement, Belges et Congolais conviennent de la création d’un Fonds belgo-congolais d’Amortissement et de gestion, dont l’objectif sera d’amortir la dette du Congo belge contractée en devises étrangères et non-garantie par la Belgique :

« Article 5 : §1. La Belgique et le Congo créent conjointement par la présente Convention, une institution autonome de droit public international dénommée « Fonds belgo-congolais d’Amortissement et de Gestion (…).

Article 6 : Les titre de l’emprunt du Fonds seront offerts au pair de leur valeur nominale, en souscription publique libre et volontaire, aux porteurs des titres des emprunts

27 La reconnaissance de ces dissolutions fait l’objet d’un accord trouvé en marge de la conférence entre Moïse Tshombe et les principaux actionnaires de sociétés concessionnaires. A partir de février 1965, le Congo possède notamment 24,5% des voix au sein de l’Union Minière, contre 20,21% pour la Tanganyika Concession Limited, 12,72% pour la Compagnie du Katanga et 6,94% des voix pour la Société Générale. L’État est ainsi largement minoritaire face aux grands investisseurs privés qui cumulent à eux seuls près de 40% des voix du géant minier du Katanga (Kovar, 1967, p.758)

mentionnés à la liste 4 [qui recense les titres émis en devises étrangères non garantis par la Belgique] (…)

Article 11 : §1. A dater de l’entrée en vigueur de la présente Convention et pendant une période maximale de quarante ans, il est servi au Fonds jusqu’à remboursement de l’emprunt du Fonds, une dotation annuelle de cinq cent dix millions de francs belges. Cette dotation est fournie au Fonds, à concurrence de trois cents millions de francs belges par le Congo et de deux cent dix millions de francs belges par la Belgique »

Cette solution fut trouvée au refus de la Belgique et du Congo « d’accepter de [se] reconnaître directement débiteur [de cette dette] » (Lejeune, 1969, p. 547) Ce Fonds est cofinancé par les deux États, à raison d’environ trois cinquième pour le Congo et de deux cinquième pour la Belgique. Parmi les titres pris en charge par ce fonds figurent la partie des obligations émises par l’État Indépendant du Congo sur le marché international (annexe 2, liste 4, p. 256).

Enfin, le Congo s’engage à assumer la charge de la totalité de la dette intérieure du pays, émise en francs congolais :

« Article 3 : §1. Le Congo assume, à tous égards, la responsabilité exclusive de la partie de la dette publique reprise à la liste 2 [qui recense les titres émis en francs congolais et] qui est annexée à la présente Convention et qui en fait partie intégrante. »

Le §3 du même article illustre néanmoins les réticences affichées par les Congolais à assumer une partie des titres concernés par la liste 2 :

« Article 3 : §3. Les titres mentionnés sous le §2 de la liste 2 (…) seront présentés par le Congo au Fonds belgo-congolais visé à l’article 5 (…) pour leur estampillage avant l’émission de l’emprunt prévu. »

Dans cette liste figurent notamment l’intégralité des titres émis au Congo par l’EIC, ainsi qu’une part substantielle des obligations émises par la colonie durant le Plan Décennal. Les protestations congolaises n’eurent cependant qu’une conséquence très formelle, matérialisée par le §1 de l’article 5 relatif à la création du Fonds et à ses fonctions :

« Article 5 : §2. Le fonds a pour objet : 1° d’estampiller comme suit les titres qui lui seront présentés en application de l’article 3, §3, de la présente Convention : ‘Titre non admis en libération de l’emprunt trois et demi pour cent l’an émis par le Fonds belgo-congolais d’Amortissement et de Gestion’ »

La Convention reconnait ainsi la position congolaise à l’égard d’une partie de la dette intérieure du Congo belge, mais la Belgique n’entre pas en matière quant à la prise en charge de cette dette par le Fonds. Elle sera donc entièrement assumée par le Congo. Au final, ce sont donc

près des deux tiers de la dette publique du Congo belge qui seront ainsi transférés à la République du Congo.

A l’époque une grande partie de la presse analysa la résolution du contentieux belgo-congolais comme une immense victoire de Moïse Tshombe sur la Belgique, à l’instar du Monde qui y vit un miroir du jour de l’indépendance : Lumumba avait arraché l’indépendance politique avec son discours du 30 juin 1960 ; Tshombe avait arraché l’indépendance économique avec les accords du 6 février 1965 (Le Monde, 9 février 1965). Cependant, d’autres observateurs pointèrent les résultats mitigés obtenus par le Premier Ministre. Au sujet des compagnies concessionnaires, le CRISP notait ainsi que « en ce qui concerne le CSK, les concessions de M.

Tshombe ont été considérables (…). « En effet, alors que le Congo aurait pu revendiquer 315.675 parts sociales entières Union Minière, il ne retrouve plus aujourd’hui que 225.000 parts sociales, soit 17,95 % du Fonds Social, soit 24% des droits de vote » (CRISP, 1965, p.15). Les auteurs n’évoquaient rien des concessions congolaises au sujet de la répartition de la dette. On peut néanmoins avancer qu’elles ont été importantes. Elles font en tous cas écho aux résultats de la Table Ronde économique, en ce qu’elles entérinent la prise en charges de dettes odieuses par le pays.

3. Des situations individuelles au contexte idéologique et économique international : les