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4. RECENSION DES ÉCRITS

4.3. Acceptabilité de l’efficience des traitements par procréation assistée

Suite aux résultats rapportés par les deux articles issus de notre recension des écrits, avec recherche systématisée des études, spécifique à la population d’intérêt (femmes présentant une obésité et une infertilité), une deuxième recension des écrits, non systématisée, a été effectuée portant sur l’acceptabilité de l’efficience des traitements de fertilité. En effet, contrairement aux ACU où il est généralement admis qu’une efficience de 50 000 $ et moins par QALY est jugée acceptable (pouvant aller même jusqu’à 200 000 $ et moins par QALY, comme proposé par (Neumann, Cohen, & Weinstein, 2014), il n’existe pas de telle valeur seuil disponible pour les ACE, en raison de la diversité possible dans les issues d’efficacité retenues. Ainsi, cet objectif secondaire permet une recherche d’informations complémentaires pour être en mesure d’indiquer, non seulement si les résultats rapportés par les deux études retenues par notre recension des écrits indiquent une efficience acceptable, mais également sur les résultats obtenus par notre étude, au moment de la discussion.

Les traitements par procréation assistée présentent la particularité, contrairement à d’autres interventions ou traitements en santé, d’être orientés vers la création d’une nouvelle vie plutôt que de la prolongation ou de l’amélioration de la qualité d’une vie déjà existante (Chambers, Adamson, & Eijkemans, 2013). À notre connaissance, peu d’études ont évalué la valeur accordée à une naissance vivante au moyen de l’évaluation de la VAP pour celle- ci.

Une des approches utilisées dans la littérature scientifique est celle des bilans générationnels (ou comptabilité générationnelle). Ce type de modélisation, développé dans les années 1990, tient compte des retours financiers au gouvernement qu’engendre un individu au cours de sa durée de vie, ainsi que de sa consommation de ressources auprès du gouvernement (Connolly, Hoorens, Chambers, ESHRE Reproduction and Society Task Force, 2010). Une récente étude anglaise a utilisé cette approche pour estimer le retour sur investissement des traitements de fertilité par FIV pour un individu conçu au moyen de ces traitements (Connolly, Gallo, Hoorens, & Ledger, 2009). Les auteurs rapportent que la

différence entre les retours financiers que cet individu engendrerait au gouvernement et sa consommation de ressources serait d’environ 110 000 £ (livres sterling en année de 2005) (~ 189 000 $CA). Tenant compte que le coût moyen en termes de traitements en FIV nécessaires à la conception de cet individu était estimé par les auteurs à 12 931 £ (livres sterling en année de 2005, ~ 22 000 $CA), le retour sur investissement serait de 8,5 fois pour le gouvernement, si celui-ci couvrait les traitements par FIV. Malheureusement, les auteurs n’ont pas mentionné que cette prémisse justifie les coûts de la FIV pour le gouvernement seulement dans l’éventualité où cet individu ne pourrait être accueilli dans la société qu’au moyen des traitements par FIV, plutôt, par exemple, qu’au moyen de l’adoption ou l’augmentation de l’accueil de nouveaux-arrivants.

Une deuxième approche utilisée pour évaluer l’acceptabilité d’une intervention est celle de l’évaluation de la VAP pour une naissance vivante. À notre connaissance, aucune étude n’a effectué ce type d’analyse pour une naissance vivante spécifiquement. Cependant, puisque les traitements par procréation assistée ont pour objectif ultime d’obtenir une grossesse qui résultera en une naissance vivante, il est possible de considérer la VAP pour avoir recours à des traitements par procréation assistée comme étant un proxy pour la VAP d’une naissance vivante.

L’une des premières études à notre connaissance à avoir rapporté une VAP pour une naissance vivante est celle de Neumann et Johannesson. Ces derniers ont évalué la VAP d’un échantillon composé 231 personnes (77 % de femmes) âgées en moyenne de 36 ans (Neumann & Johannesson, 1994). Les auteurs ont présenté les scénarios tels que les coûts étaient exclusivement assumés par les participants dans le contexte où ils avaient un risque de 10 % d’être infertiles. Au moyen d’une évaluation contingente, les auteurs ont évalué la VAP des participants selon deux scénarios : 1) en contexte ex post, i.e. supposant que les participants connaissaient leur état de fertilité et qu’ils avaient reçu un diagnostic d’infertilité ; et 2) en contexte ex ante, i.e. que les participants ne connaissent pas leur état de fertilité. Dans le scénario ex ante, les participants étaient questionnés sur leur VAP pour obtenir une assurance couvrant les traitements par FIV dans l’éventualité où ils en auraient besoin. Les auteurs ont fait varier le taux de succès de la FIV, allant de 10 % à 100 %. Ainsi, la VAP à payer pour avoir accès aux traitements de fertilité allait de 17 730 $US pour un

taux de succès de 10 % à 63 896 $US pour un taux de succès à 100 %, dans le scénario ex post où les participants étaient informés qu’ils étaient infertiles. Dans le scénario où ils n’étaient pas au fait de l’état de leur fertilité, les participants rapportaient une VAP de 865 $US pour une assurance qui couvrirait les frais relatifs à la FIV avec un taux de succès à 10 % et de 2 066 $US ($US en année 1992) pour un taux de succès à 100 %. Enfin, les auteurs ont estimé la VAP pour un « bébé statistique » en divisant simplement la VAP par la probabilité de concevoir. Ainsi, dans leur scénario ex post, la VAP par bébé statistique serait de 177 300 $US (en année 1992) (17 730 $US / 10 % de probabilité), soit environ 236 000 $CA.

En raison des coûts élevés des traitements par FIV, quelques autres études par la suite se sont intéressées à évaluer la VAP associée à ce type de traitement. Notamment, en contraste à l’étude publiée par Neumann et Johannesson, Granberg et coll. ont rapporté un VAP bien moindre. Les auteurs ont questionné 40 couples suivis pour leur premier cycle de FIV, en clinique de fertilité en réseau public ou privé. Un peu plus de la moitié d’entre eux (55 %) ont indiqué être prêts à débourser 10 000 £ (livres sterling en année de 1994, ~ 16 800 $CA) ou plus pour obtenir un nouveau-né suite aux traitements par FIV, et seulement 2 % avaient une VAP de plus de 25 000 £ (~ 42 000 $CA) (Granberg, Wikland, Nilsson, & Hamberger, 1995).

La récente étude publiée par Settumba et coll. avait pour objectif d’évaluer la fidélité et la validité de la méthode de l’évaluation contingente pour évaluer la VAP de la population générale pour un cycle de FIV. Avec un échantillon composé de 1 870 individus, les auteurs ont procédé à estimer la VAP dans un contexte ex post, i.e. les participants assumaient être infertiles et avoir besoin des traitements par FIV dans le but de concevoir (Settumba, Shanahan, Botha, Ramli, & Chambers, 2019). Les auteurs ont utilisé deux questionnaires différents : l’un avec une offre de départ (point d’ancrage) de 4 000 $AUS/cycle de FIV et l’autre de 10 000 $AUS par cycle de FIV, avec une valeur retest. Le questionnaire débutant avec une somme de 4 000 $AUS a été choisi par les auteurs pour refléter le coût direct typique d’un cycle de FIV selon la perspective des patientes, alors que celui avec une offre de 10 000 $AUS représentait le coût direct total du cycle, incluant la couverture assumée par le gouvernement. Avec un taux de succès de 20 %, les résultats

de cette étude indiquaient une VAP allant de 6 353 $AUS à 11 750 $AUS, selon la perspective des patientes et celle conjointement des patientes et du gouvernement, respectivement. Selon leurs différentes analyses, les auteurs concluaient que leur outil d’évaluation contingente présentait une bonne rigueur scientifique et de construit, mis à part un potentiel biais relatif à la construction de leur questionnaire causé par la proposition de points d’ancrage (4 000 $AUS et 10 000 $AUS). Des résultats similaires ont été rapportés par Gonen et coll., avec une VAP de 5 573,16 $US par cycle de FIV.

D’autres études ont évalué la VAP pour des cycles de traitements par procréation assistée ou encore en termes d’autres issues que les naissances vivantes. Notamment, Poder et coll. ont évalué la VAP de femmes en âge de procréer (n=327) pour avoir accès à des traitements par médication dans le but de normaliser leurs cycles ovulatoires suite à un diagnostic d’anovulation. La probabilité d’efficacité exposée n’était pas celle de concevoir, mais bien celle de retrouver des cycles ovulatoires dans le cas d’anovulation. Dans ce contexte, les auteurs ont observé une VAP moyenne de 4 804 $CA (Poder, He, Simard, & Pasquier, 2014). Plus récemment, le même groupe de recherche a questionné 610 femmes en âge de procréer, selon trois différentes techniques d’évaluation de la VAP (le choix dichotomique, n=199 ; le choix dichotomique suivi d’une question ouverte, n=230 ; ou le choix discret simplifié à multiples limites, n=181) (Dieng, He, & Poder, 2020). La VAP rapportée par les auteurs allait de 1 630 $CA à 4 033,26 $CA pour un cycle d’induction à l’ovulation, selon la technique utilisée. Palumbo et coll. ont quant à eux évalué la VAP pour un cycle de stimulation ovarienne avec gonadotrophines auprès de 160 femmes consultant à une clinique de fertilité et recevant ce type de traitement (Palumbo et al., 2011). Les participantes étaient interviewées sur les montants qu’elles payaient actuellement pour recevoir leur traitement et étaient invitées à estimer à l’aide d’une échelle visuelle analogue la valeur relative qu’elles accordaient à leur traitement en fonction du montant qu’elles payaient. Ainsi, les femmes ont rapporté payer en moyenne 1 194,11 € par traitement, parmi lesquelles 84 % indiquaient vouloir payer environ 60 % de leur montant actuel. Ainsi, la valeur médiane de la VAP était estimée à 800 € par les auteurs, avec 76 % des femmes rapportant être prêtes à payer ce moment jusqu’à 4 fois par année.

Chambers et coll. proposent, quant à eux, de regarder les valeurs attribuées à une vie humaine en dehors du secteur médical, tel que le marché des assurances. Comme le mentionnent les auteurs, il peut être instructif de regarder la valeur d’une vie humaine vécue, bien qu’il soit fort probable que la valeur de celle-ci diffère de celle d’une vie non conçue. Sachant cela, les auteurs mentionnent qu’il est généralement admis que la valeur statistique d’une vie, c’est-à-dire le compromis accepté entre une certaine réduction du risque de mortalité et le prix que nous sommes prêts à débourser pour l’obtenir, est établie à plus d’un million de dollars (Chambers et al., 2013).

Les résultats obtenus suite à notre recension des écrits nous indiquent que l’efficience des interventions d’adoption de saines HDV pour les femmes avec obésité et infertilité est encore très peu étudiée. Les deux études retenues présentent des résultats contradictoires et des méthodologies très différentes. Notre recension complémentaire nous a permis également d’observer que l’évaluation de la VAP des individus et de la société est complexe et dépend beaucoup des prémisses exposées (probabilité de réussite, contexte ex post vs ex ante, taux de couverture par une assurance-maladie publique, etc.). Selon la littérature scientifique disponible, la valeur d’une naissance vivante va de 10 000 £ (~ 17 000 $CA) à 177 300 $US (~240 000 $CA).

L’état des connaissances actuelles offre des pistes intéressantes quant à l’efficience des interventions d’adoption de saines HDV auprès des femmes avec obésité et infertilité, ainsi que de la VAP pour une naissance vivante et des traitements de fertilité qui permettent d’en augmenter la survenue. Toutefois, tenant compte du contexte socio-politique entourant le programme de procréation assistée tel qu’adopté par le Gouvernement du Québec en 2015 et du taux important d’obésité parmi les femmes en âges de procréer au Canada, nous croyons qu’il est opportun d’effectuer une évaluation économique d’une intervention d’adoption de saines HDV pour les femmes obèses souffrant d’infertilité. Cette étude pourrait alors informer les décideurs et permettre une meilleure gestion des ressources allouées au secteur de la santé et des traitements de fertilité.

5. HYPOTHÈSE ET OBJECTIFS DE RECHERCHE