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Un accès très rapide en France à des innovations couteuses : l’exemple des nouveaux

IV.3. De nouveaux enjeux

IV.3.1. Un accès très rapide en France à des innovations couteuses : l’exemple des nouveaux

L’hépatite C, due au virus VHC, est une infection chronique entrainant la survenue de complications hépatiques graves à long terme conduisant parfois à la nécessité d’une greffe hépatique. En l’absence de traitement curatif de l’infection virale, on estime qu’environ 20% des patients évolueront vers la cirrhose puis vers le carcinome hépatocellulaire. La maladie est longtemps silencieuse : le délai entre le diagnostic et la survenue d’une cirrhose peut s’étendre sur des dizaines d’années.

En France, d’après des données relativement anciennes et entachées d’une forte marge d’incertitude67, plus de 350 000 personnes seraient porteuses du VHC, dont plus de 230 000 patients chroniques (virémie VHC positive pendant plus de 6 mois) et 140 000 diagnostiqués.

Les traitements médicamenteux de l’hépatite chronique C ont connu une évolution considérable depuis 20 ans, passant d’une monothérapie qui guérissait 6% des patients au début des années 1990 à une trithérapie et une guérison « virologique » d’environ la moitié des patients en 2012, avec l’arrivée des deux premiers antiviraux à action directs (télaprévir et bocéprévir). Cependant, ces traitements d’une durée de traitement de 6 à 12 mois étaient souvent mal tolérés.

Une évolution thérapeutique majeure a été introduite fin 2013 avec l’arrivée du sofosbuvir (Sovaldi®) suivie en 2014 de l’arrivée de deux autres molécules (siméprévir et daclatasvir). La mise à disposition de ces nouveaux antiviraux à actions directes (NAAD) a apporté un taux de guérison de l’infection supérieur à 90% des cas selon les études cliniques, un meilleur profil de tolérance et une durée de traitement réduite par rapport aux anciens traitements. La fin de l’année 2014 et le début de 2015 ont également vu l’arrivée de trois autres médicaments de l’hépatite C, seuls ou associés, et une dizaine de nouvelles molécules sont à l’étude et attendues d’ici les trois prochaines années.

67 Source : INVS, Surveillance Nationale de l’hépatite C à partir des pôles de référence Données Epidémiologiques 2001-2007

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Les laboratoires exploitant ces nouveaux médicaments ont sollicité des prix très élevés, difficilement soutenables pour la collectivité compte tenu de la population à traiter (18 668 euros la boite de 28 comprimés de Sovaldi® en ATU68, soit 56 000 euros le traitement de 12 semaines), obligeant les autorités de santé, en France comme à l’étranger, à s’interroger sur les stratégies de diffusion et les conditions de prescription de ces nouveaux médicaments.

Un accès plus limité dans d’autres pays

L’encadrement de la prescription et de la délivrance de ces traitements vise à maximiser leur apport attendu et à assurer l’égalité de leur mise à disposition sur l’ensemble du territoire national, mais répond aussi au besoin de vigilance vis-à-vis d’une nouvelle classe de médicaments, dont les effets indésirables et les interactions médicamenteuses à moyen terme ne sont pas connus. S’appuyant sur les recommandations des agences (ANSM, HAS), l’Etat a69 :

 limité la prescription aux spécialistes en hépato-gastro-entérologie, médecine interne et infectiologie, et à leur exercice en établissement de santé,

 conditionné l’initiation d’un traitement par un NAAD à l’avis donné suite à une réunion de concertation disciplinaire réalisée dans un service expert de lutte contre les hépatites virales,

 précisé les indications thérapeutiques remboursables par l’Assurance Maladie : Sovaldi® est pris en charge pour les patients adultes atteints d’hépatite C, en association avec d’autres médicaments, ayant un stade de fibrose hépatique F2 sévère, F3 ou F4; et quel que soit le stade de fibrose hépatique pour les patients co infectés par le VIH, atteints de cryoglobulinémie mixte (II et III) systémique et symptomatique, ou de lymphome B,

 limité son inscription70 sur la liste à l’usage des collectivités et de rétrocession, et non sur la liste « ville », qui n’est donc pas disponible dans les pharmacies d’officine. La délivrance de Sovaldi®, pour les patients non hospitalisés, est limitée aux pharmacies à usage intérieur (PUI) autorisées à rétrocéder.

A l’exception de l’Allemagne (où il n’existait pas d’encadrement spécifique en mai 2015), tous les pays étudiés (Royaume-Uni, Espagne, Autriche, Pays-Bas, Belgique) ont encadré plus sévèrement ou limité plus strictement la prise en charge de ces médicaments à certains patients (Tableau 29).

68 ATU : Autorisation temporaire d’utilisation.

69 Circulaire ministérielle du 29/12/2014

70 Publication au JO des arrêtés d’inscription de Sovaldi® du 30/10/2014 sur les listes des spécialités agréées à l’usage des collectivités et de rétrocession et des conditions de prise en charge en rétrocession du 18/11/2014

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Tableau 29 - Encadrement des NAAD en France et en Europe 71 Quel encadrement ? Quels patients pris en charge ?

France - Stade de fibrose F2 sévère, F3, F4 - Co infection VHC/VIH

- VHC + cryoglobulinémie mixte (II et III) - VHC + lymphome B

Royaume-Uni - Fort risque de mortalité - Attente greffe foie Allemagne Pas d’encadrement Espagne - Stade fibrose F4

- Attente greffe foie et greffé avec récidive VHC - Co infection VHC/VIH

Autriche Seuls certains centres, parmi les 25 centres spécialisés HCC, sont éligibles à la prescription

Pays-Bas - Stade fibrose F3/F4

- En attente de greffe hépatique et greffé avec récidive VHC

Un accès précoce et une diffusion beaucoup plus rapide en France

Il faut rappeler qu’en France, l’accès précoce aux médicaments innovants est facilité par des l’inscription au remboursement, qu’après l’ATU le médicament soit accessible dans les indications de l’AMM lorsque les patients n’ont pas d’alternative (dispositif post-ATU).

Le sofosbuvir a été mis à disposition dès novembre 2012 dans le cadre d’ATU nominatives (pour des patients au cas par cas), et dès septembre 2013 dans une ATU de cohorte, dont l’indication a été élargie en décembre 2013. Lorsque l’ATU a pris fin en janvier 2014 avec l’autorisation de mise sur le marché accordée par la Commission européenne, le dispositif post-ATU a pris le relai jusqu’en novembre 2014, lorsque les négociations entre le laboratoire et le comité économique des produits de santé ont abouti à la fixation d’un prix et à l’inscription au remboursement dans les conditions normales d’utilisation.

En pratique, la conjugaison de ces dispositifs d’accès précoce et d’un encadrement moins strict s’est effectivement traduite par une diffusion beaucoup plus rapide et plus large en France que dans les pays qui nous environnent (Figure 43). En 2014, d’après les données d’IMS Health, la France arriverait largement en tête en termes de volumes avec près d’un million de comprimés vendus, soit 154 unités standards pour 10 000 habitants. En Allemagne, où le médicament est arrivé sur le marché à peu près à la même date, on compte moins de 90 comprimés pour 10 000 habitants.

71 Tableau actualisé au 15/03/2015

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Figure 43 - Évolution des volumes de Sovaldi® consommés en France et en Europe en 2014

Source : IMS-Health - * Une unité=un comprimé

** Nb d’unités par 10 000 habitants : les unités sont ramenées à la population générales des pays considérés (données OCDE 2013)

Il faudrait bien sûr mettre ces volumes de prescription en regard des taux de prévalence de l’hépatite C dans les différents pays, mais ceux-ci ne sont connus qu’avec de grandes marges d’incertitude ; on sait néanmoins que les pays du Sud (Italie et Espagne) seraient beaucoup plus touchés que les pays du Nord de l’Europe (avec un gradient de l’ordre de 0,3% à 3% de la population, la France se situant en-dessous de 1%).

La France a donc eu, par rapport à d’autres pays, une politique volontariste d’accès à ces médicaments nouveaux représentant un réel progrès pour les malades, et ce malgré le coût très élevé des traitements. Environ 11 600 patients ont été traités en 2014 par l’un des nouveaux anti-viraux à actions directes (NAAD). Au prix du traitement sur cette période (c’est-à-dire essentiellement en phase post-ATU), le surcoût des NAAD peut être estimé à 1 150 millions d’euros, tandis que le quasi abandon des anciens traitements représente 100 millions d’euros d’économies.

Ce surcoût a cependant été limité par la négociation par le CEPS d’un prix plus bas que celui de l’ATU72, et par la mise en place d’un mécanisme de régulation spécifique introduit par la LFSS 2015 et permettant de limiter le surcoût global lié à l’hépatite C73.

De son côté, l’Assurance Maladie a, dès janvier 2015, initié une campagne d’accompagnement auprès de l’ensemble des établissements rétrocédant ces médicaments, pour promouvoir leur bon usage et le respect des règles de prescription et de délivrance.

72 Le prix public du sofosbuvir (Sovaldi®), publié au journal officiel, a été réduit de plus du quart par rapport au prix réclamé en ATU, soit une diminution de plus de 5000 € par boite de 28 comprimés. De plus, conformément à l’article 48 de la LFSS pour 2014, cette baisse de prix a pour conséquence le paiement d’une remise « rétroactive » correspondant à la différence de prix sur les volumes vendus par le laboratoire durant la période d’ATU. Par ailleurs, des accords de type prix/volume ont été conclus entre le laboratoire et le CEPS afin d’ajuster le prix sur les quantités vendues.

73 Mécanisme basé sur le reversement par les laboratoires concernés par un de ces NAAD d’une contribution progressive, calculée en fonction du chiffre d’affaires (enveloppe W).

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IV.3.2. Des enjeux financiers à anticiper avec les perspectives