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Abstraction et pensée linéaire

1.1 Appréhension de la réalité et langage

1.2.2 Abstraction et pensée linéaire

41 The physical world, by contrast, is at any moment a

manifestation of innumerable and simultaneous energy patterns which, when we try to translate them into our clumsy linear symbols, seem impossibly complex. Actually, the world is not complex. It is the task of trying to figure it out with words or numbers which is complex; it is like trying to keep count of all the leaves in a constantly changing forest, or measuring the Atlantic with a hypodermic needle67.

42 reason are linear systems expressed in verbal, mathematical, or other forms of notation, of symbols strung out in a line to represent "bits" of information selected by the narrow problem spotlight of conscious attention70. »

Watts se sert des exemples tels que celui de la photographie et de la télévision afin d’illustrer ses propos à cet effet. Il explique que dans le premier exemple, nous obtenons une scène naturelle qui est reproduite en termes de points, disposés en un écran ou en un motif en grille de manière à donner l'impression générale d'une photographie lorsqu'elle est vue sans loupe71. De sorte que malgré le fait que la ressemblance avec à la scène originale soit considérable, il s’agit en fait d’une simple reconstruction de la scène en termes de points, de manière similaire au fait que nos mots conventionnels et nos pensées constituent des reconstructions de l'expérience en termes de signes abstraits72.

Abstraction is thus almost a necessity for communication, since it enables us to represent our experiences with simple and rapidly made "grasps" of the mind. When we say that we can think only of one thing at a time, this is like saying that the Pacific Ocean cannot be swallowed at a gulp. It has to be taken in a cup, and downed bit by bit. Abstractions and conventional signs are like the cup; they reduce experience to units simple enough to be comprehended one at a time73.

Watts compare également le processus de l’abstraction et de la pensée linéaire à celui de la caméra de télévision qui transmet une scène naturelle en termes de série d'impulsions linéaires et qui à cet effet, ne peut jamais reproduire de

70 Alan Watts, « Does it matter?, Essays on Man’s Relation to Materiality », New World Library, Novato, California, p.72.

71 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.7.

72 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.7.

73 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.7.

43 manière authentique la scène originale. La communication par des signes conventionnels fournie donc toujours une traduction abstraite d'un univers dont la réalité nous échappe nécessairement74.

But the dawning of this realization becomes still more remote when we proceed from the primary act of abstraction, selective attention, to the secondary, the signifying of thoughts with words. Because words other than proper names are classifiers, they will aggravate the impression that the world is a disjointed multiplicity. For when we say what anything is we identify it with a class. There is no other way of saying what this or that is than to classify it. But that is simply to divide it from everything else, to stress its differentiating characteristics as the most important75.

Or, pour Watts, la vie elle-même ne procède pas de cette façon encombrante et linéaire, et nos propres organismes pourraient difficilement vivre s'il fallait qu’ils doivent se contrôler en prenant en considération chaque respiration, chaque battement du cœur et chaque impulsion neuronale76. La poésie constitue néanmoins un exemple de forme littéraire qui permet de se sortir du mode de pensée linéaire en évoquant des images, des analogies et des métaphores. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle c’est une forme privilégiée par le Zen.

Watts fait remarquer qu’à cet égard, la langue écrite chinoise a un léger avantage sur la nôtre, ce qui constitue probablement la conséquence d'une manière de penser différente77. Cette dernière est également linéaire, et il s’agit de même d’une série d'abstractions prises une à une, mais les idéogrammes sont selon lui

74 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.7.

75 Alan Watts, « Nature, Man and Woman », New York, Vintage Books Edition, 1991, p.57.

76 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.8.

77 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.9.

44 davantage représentatifs de la vie qu’il en est le cas en ce qui concerne l’alphabet puisqu’ils constituent essentiellement des images78, même s’il ne s’agit pas de pictogrammes.

In this respect, the Chinese written language has a slight advantage over our own, and is perhaps symptomatic of a different way of thinking. It is still linear, still a series of abstractions taken in one at a time. But its written signs are a little closer to life than spelled words because they are essentially pictures, and as a Chinese proverb puts it, «One showing is worth a hundred sayings. It is thus that an ideographic language is a little closer to nature than one which is strictly linear and alphabetic. At any moment, nature is simultaneity of patterns. An ideographic language is a series of patterns and, to that extent, still linear–but not so laboriously linear as an alphabetic language79.

Néanmoins, Watts considère que la tendance générale de l'esprit occidental est de sentir que nous ne comprenons pas vraiment ce que nous ne pouvons pas nous représenter ou ce que nous ne pouvons pas communiquer par des signes linéaires, c’est-à-dire par le biais de la pensée80. Nous n'avons selon lui pas confiance et n'utilisons pas pleinement la « vision périphérique » de notre esprit81.

There must also be taken into consideration a mode of thought apart from which such an analogy would hardly suggest itself.

So far as one can see, this mode of thought arises from an accidental confusion which could easily occur in the development of language in particular and of abstract thought in general. It is commonly felt that the mind can think only of

78 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.9.

79 Alan Watts, « Tao: The Watercourse Way », New York, Pantheon Books, 1975, p.7.

80 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.9.

81 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.9.

45 one thing at a time, and language, in so far as it is the main

instrument of thought, confirms this impression by being a linear series of signs read or sounded one at a time82.

Or, de la même manière qu’il nous est donné de porter notre attention sur un mot puis ensuite, sur le second et ainsi de suite, afin de finalement pouvoir rendre compte du sens d’une phrase, le fait de porter notre attention sur un mot en particulier ne fait pas en sorte que les autres mots constituant la phrase soient moins existants, et donc que le sens abstrait que recèle la phrase soit moins réel, même s’il ne nous apparaît pas à première instance lorsque nous portons une attention particulière sur les mots individuellement.

Néanmoins, nous devons admettre que si nous tentions de comprendre le sens d’une phrase en isolant un mot sur lequel nous nous attarderions par lui-même, cela constituerait une quête vaine. Il en va de même pour tout ce qui peut faire objet d’analyse sur lequel il nous est donné de porter notre attention particulière afin de tenter d’en faire un objet de connaissance. Nous pouvons certes en déduire un sens, relatif à celui que nous voulons bien lui accorder, mais il ne nous renseignera en rien sur la réalité des choses.

Thus, communication by conventional signs of this type gives us an abstract, one-at-a-time translation of a universe in which things are happening altogether–at–once–a universe whose concrete reality always escapes perfect description in these abstract terms. The perfect description of a small particle of dust by these means would take everlasting time, since one would have to account for every point in its volume83.

82 Alan Watts, « Nature, Man and Woman », New York, Vintage Books Edition, 1991, p.53.

83 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.7.

46 Pour Watts donc, lorsque nous tentons de saisir le réel par l’abstraction, nous ne pouvons être en mesure de n’avoir accès qu’aux apparences. Sans hâte, la philosophie « non intentionnelle » a la possibilité d’accéder à l’essence des choses puisqu’elle ne voile pas la réalité par un acte d’analyse, par l’attention consciente.

Un autre mode de connaissance ne se rapportant ni au rationnel, ni aux sens usuels est alors possible et permet l’accès à un savoir auquel l’entendement ne saurait accéder. L'absence d’intention implique également une absence d'interférence avec le cours naturel des événements. Car la philosophie orientale ne fait que « laisser germer » tout.

Watts considère que lorsque nous avons ouvert nos yeux sur le monde pour la toute première fois, nous étions encore capable d’émerveillement. Nous nous devons selon lui d’être en mesure de reproduire dans notre expérience quotidienne cet état et d’ancrer cette disposition d’émerveillement en nous, tout comme les Grecs la considéraient comme condition de départ de toute philosophie. Lorsque nous analysons l’étymologie du mot grec aletheia qui signifie vérité, l’alpha primitif a sert de négation et letheia se réfère à « roche » ou

« pierre ». Si nous traduisons donc, il s’agirait de concevoir la vérité en tant que quelque chose qui n’a pas de pierre.

Autrement dit, si nous traduisons cela dans la pensée de Watts, nous pouvons le comprendre à l’effet que la vérité se cache derrière les apparences, c’est-à-dire derrière la pierre qui représente l’amas de théories, de concepts et d’idées que nous nous faisons à propos du monde. La vérité chez Watts est donc conçue comme étant quelque chose qui se dévoile et qui nous apparaît lorsque nous

47 expérimentons le monde à travers un mode de conscience qui s’élève au-dessus de celui de l’attention consciente.

Such insight as not the slightest connection with "shallow optimism" nor with grasping the meaning of the universe in terms of some neat philosophical simplification. Beside it, all philosophical opinions and disputations sound like somewhat sophisticated versions of children yelling back and forth – « » Tis! » « » Tisn’t! » « » Tis! » « » Tisn’t! » – until (if only the philosophers would do likewise) They catch the nonsense of it and roll over backwards with hoots of laughter84.

84 Alan Watts, « This is it », New York, Vintage Books Edition, 1973, p.28.

48

CHAPITRE II

LES FONDEMENTS MÉTAPHYSIQUES

The myths underlying our culture and underlying our common sense have not taught us to feel identical with the universe, but only parts of it, only in it, only confronting it.

-Alan Watts