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Faculté des Lettres et des Sciences Humaines. Université de Sherbrooke

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Academic year: 2022

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i

DÉPARTEMENT de PHILOSOPHIE et D’ÉTHIQUE APPLIQUÉE Faculté des Lettres et des Sciences Humaines

Université de Sherbrooke

Du tout autre à « l’autre » La non-dualité chez Alan Watts

Analyse de ses fondements épistémologiques, métaphysiques et éthiques

Mémoire

Paméla Giguère-Roy

Sous la direction de :

Andrius Valevicius, directeur de recherche

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ii

RÉSUMÉ

 

Ce mémoire traite de la pensée du philosophe Alan Watts, et plus particulièrement de son principe de non-dualité et de notre relation à « l’autre ».

Ce mémoire cherche donc à cerner et analyser ces dernières et à retracer les fondements épistémologiques, métaphysiques, ainsi qu’éthiques qui les sous- tendent, tout en portant attention aux influences du bouddhisme, du taoïsme et de l’hindouisme sur celle-ci. « L’autre » comprend ici à la fois l’environnement naturel et l’environnement social, lesquels ne sont, dans la perspective de Watts, que les extensions de nous-mêmes et auquel nous sommes fondamentalement liés par une relation d’interdépendance et d’interconnexion présupposant une unité fondamentale sous-jacente. En cela, Watts propose une alternative à la vision occidentale dichotomique qui tend à distancer, voire même à séparer l’individu des composantes de son milieu, en s’inspirant des cultures orientales qui ne catégorise pas selon lui l’esprit et la matière ou encore l’âme et le corps de la même manière qu’en Occident, empruntant ainsi une « manière de penser » de même qu’une vision de la vie n’appartenant à aucune des catégories formelles de la pensée occidentale moderne.

MOTS-CLÉS : Alan Watts, non-dualité, interconnexion, unité fondamentale, philosophies orientales, bouddhisme, taoïsme et hindouisme.

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iii

ABSTRACT

This thesis is concerned with the philosopher Alan Watts, and more particularly with his principle of non-duality and the relation of oneself to "other". This thesis seeks to identify and analyze the latter and to trace the epistemological, metaphysical and ethical premises that underlie it while according a particular interest in the influences of Taoism, Buddhism, and Hinduism’s teachings in Alan Watts' philosophical thought. The term "other", includes both the natural environment and the social environment, which are, in Watts' perspective, extensions of ourselves and to which we are fundamentally linked by a relationship of interdependence and interconnection that presupposes a fundamental unity. Watts offers an alternative to the dichotomous Western vision which tends to distance, and even separate the individual from the components of his environment, by drawing inspiration from Eastern cultures which, according to him, does not categorize spirit and matter or even soul and body in the same way as in the West, thus proposing a "way of thinking" as well as a view of life that does not belong to any of the formal categories of modern Western thought.

KEY-WORDS: Alan Watts, non-duality, interconnection, fundamental unity, oriental philosophies, Buddhism, Taoism, Hinduism.

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iv

TABLE DES MATIÈRES  

 

INTRODUCTION ... 1

ALAN WATTS : « BÂTISSEUR DE PONT » ... 1

Cadre méthodologique et problématique ... 6

L’accès à la pensée orientale ... 7

Méthodologie ... 12

Structure ... 14

LES FONDEMENTS ÉPISTÉMOLOGIQUES ... 15

1.1L’expérience directe comme mode de connaissance ... 15

1.1.1 Distinction entre savoir conventionnel et non conventionnel ... 15

1.1.2 Dichotomie entre sujet connaissant et objet de connaissance ... 24

1.1Appréhension de la réalité et langage ... 32

1.2.1 Attention consciente et aspect périphérique de l’esprit ... 32

1.2.2 Abstraction et pensée linéaire ... 41

LES FONDEMENTS MÉTAPHYSIQUES ... 48

2.1 Le monde comme processus unifié ... 48

2.1.1 La démarche essentialiste chez Watts ... 48

2.1.2 Polarité, temps et espace ... 57

2.2 Conception de l’identité chez Watts ... 64

2.2.1 Appréhension de soi ... 66

2.2.2 Le rôle de la mémoire chez Watts ... 69

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v

LES FONDEMENTS ÉTHIQUES ... 74

3.1 L’organisme-environnement chez Watts ... 74

3.1.1 Le rapport à « l’autre » ... 74

3.1.2 La compréhension juste de l’interconnexion de toute chose ... 77

3.1.3 Le lien qui unie soi à « l’autre » ... 80

3.2 L’apport des philosophies orientales ... 88

3.2.1 S’accoutumer aux modes de pensée orientaux ... 89

CONCLUSION ... 94

BIBLIOGRAPHIE ... 98

Littérature primaire ... 98

Littérature secondaire ... 100

LISTE DES FIGURES Figure 1: Projection d’un hypercube dans une image bidimensionnelle ... 39

Figure 2 : Ondulation fragmentée ... 58

Figure 3 : Exemplification du concept de polarité ... 60

Figure 4 : Exemplification du concept de polarité ... 62

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vi

REMERCIEMENTS

Je tiens tout d’abord à remercier grandement mon directeur M. Andrius Valevicius. Je le remercie notamment pour son soutien précieux, mais également de m’avoir donné l’opportunité de présenter mes recherches ainsi que de m’avoir référé à des sources externes et complémentaires, me donnant ainsi l’occasion de raffiner et de mieux circonscrire ces dernières. Je tiens également à le remercier d’être l’initiateur de plusieurs questionnements et pistes de réflexions me permettant encore aujourd’hui d’approfondir ma pensée ainsi que ma curiosité philosophique. Je lui suis éternellement reconnaissante à cet effet.

Je tiens d’autre part à remercier M. Benoît Côté, qui a su m’apporter son support dans mes moments de doute et qui a su être un enseignant que je souhaiterais un jour pouvoir imiter, c’est-à-dire un enseignant sachant apporter un soutien exemplaire à ses étudiants en faisant référence à ses autres connaissances philosophiques et intellectuelles élargies ainsi qu’un enseignant de qui nous ne pouvons douter de sa passion pour l'enseignement et la philosophie.

Ensuite je souhaiterais remercier M. François Claveau dont les conseils méthodologiques sont toujours appréciés et qui a su initier des pistes de réflexion m’ayant permis de préciser mes questions de recherches. Je tiens finalement à remercier M. Claude Gélinas pour ses recommandations et conseils qui m’ont été précieux qui m’ont permis de bonifier cette présente recherche.

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vii

“Problems that remain persistently insoluble should always be suspected as questions asked in the wrong way.”

Alan Watts

(The Book: On the Taboo Against Knowing Who You Are) 

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1

Du tout autre à « l’autre » La non-dualité chez Alan Watts

Analyse de des fondements épistémologiques, métaphysiques et éthiques

The point is that cultural renewal comes about when highly differentiated cultures mix. It is as when, by triangulation, a distant position is ascertained by sighting it from two different points. Our grasp on reality is better when we look at it from the standpoint of different cultures, and the comparison brings to light aspects of one’s own point of view so basic as to have been ignored1.

-Alan Watts

INTRODUCTION

ALAN WATTS : « BÂTISSEUR DE PONT »

Ce mémoire porte sur la pensée du philosophe britannique Alan Watts, né le 6 janvier 1915 à Chislehurst dans le Kent en Angleterre et mort le 16 novembre 1973 à Mont Tamalpais en Californie. Alan Watts est particulièrement reconnu à titre de vulgarisateur du bouddhisme zen, mais également du taoïsme et de l’hindouisme. Il est l’auteur de près de vingt-cinq livres ayant été publiés de son vivant ainsi que plusieurs autres qui continuent d’être publiés à titre posthume.

Il a donné multiples conférences et séminaires ainsi qu’animé deux saisons d’une série-télévisée intitulée Eastern Wisdom and Modern Life dans laquelle il expose l'influence croissante des moyens de libération de l'Orient dans la culture

1 Alan Watts, « In my Own Way, An autobiography », California, New World Library, 2007, p.247.

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2 occidentale contemporaine. « Alan Watts’ resume is impressive. It reflects the depth, breadth, and variety of accomplishment afforded by his fifty-eight years of living2. »

Il a joué un rôle majeur dans le cadre du mouvement de la contreculture aux États-Unis. Il a notamment écrit sur l'appréciation d'un paysage social culturellement diversifié et a mentionné à plusieurs reprises qu'il voulait agir à titre de pont entre l'ancien et le moderne, entre la culture et la nature ainsi qu’entre l'Orient et l'Occident. Il a également étudié certains mouvements de l'art martial chinois traditionnel T'ai chi ch'uan, avec un collègue asiatique, Al Chung- Liang Huang avec qui il a collaboré dans le cadre de l’élaboration de son ouvrage Tao The Watercourse Way qui a été publié à titre posthume.

En 1936, à l'âge de 21 ans, Alan Watts assista au Congrès mondial des religions à l'Université de Londres, où il participa à une conférence donnée par D. T. Suzuki et eut l’occasion de rencontrer ce dernier à différentes reprises par la suite. À l’issue des entretiens et discussions qu’il eût avec lui ainsi qu’à la lecture de différents ouvrages portant sur le taoïsme, le bouddhisme et l’hindouisme, Watts s’est initié aux concepts fondamentaux et à la terminologie de ces philosophies de l'Inde et de l'Asie de l'Est.

Par la suite, alors qu’il était âgé de vingt-trois ans, Watts quitta l’Angleterre afin de s’installer aux États-Unis en 1938. Il entama alors son entraînement Zen à New York auprès de Sokei-an Sasaki, maître de Zen-Rinzai. Durant les années 1938 à 1945, il fréquenta le « Seabury-Western Theological Seminary » situé en

2 Peter J. Colombus et L. Rice Donadrian, «Alan Watts–Here and Now: Contributions to Psychology, Philosophy, and Religion», SUNY Press, 2012, p. 2.

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3 Illinois où il obtînt une maîtrise en théologie. Watts est par la suite devenu prêtre épiscopal à l’âge de trente ans, c’est-à-dire de 1945 jusqu’en 1950.

En 1951, alors âgé de trente-six ans, Watts s’installa en Californie après avoir accepté un poste sous l’invitation de Frederic Spiegelberg à l’American Academy of Asian Studies nouvellement fondée à San Francisco. Il y fut par ailleurs membre du conseil d'administration pendant plusieurs années. Lors de son séjour à l'Académie, il a été initié aux langues chinoises ainsi qu’à la calligraphie chinoise.

Dans son autobiographie In my Own Way, Watts décrit son entrée à l’Académie de la manière suivante :

Before Spiegelberg came to England he studied with Jung, Zimmer, and Hauer, had acquired a considerable knowledge of Sanskrit, and knew much of Tibetan iconography. I published his first essay on « The Religion of Non-Religion » in the journal of the Buddhist Lodge, and we later issued an expanded version as a pamphlet. He left for America in 1937, and I followed him a year later. He taught at Columbia and Union Theological Seminary until about 1945, and then went to Stanford. I followed him again when, in 1951, he designed the American Academy of Asian Studies in San Francisco and invited me to join the faculty3.

Watts fût un des précurseurs de la transmission et de la vulgarisation des philosophies orientales tel que le taoïsme, le bouddhisme zen, et l'hindouisme. Il contribua ainsi à attiser l’intérêt occidental à leur effet, non seulement à travers les nombreux ouvrages qu’il a écrits, mais également dans le cadre de différentes implications au sein de journaux, de stations de radio, de même qu’à la télévision. En 1953, il a notamment présidé à l’animation d’une série de

3Alan Watts, « In my Own Way, An autobiography », California, New World Library, 2007, p.110.

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4 discussions concernant les philosophies orientales pour la station de radio Pacifica KPFA à Berkeley. C’est au cours de ces années que Watts a pu acquérir une certaine renommée à titre de vulgarisateur de ces dernières et les années qui suivirent lui permirent de consolider ce statut ainsi que sa renommée à cet effet encore davantage.

Even since I had dropped out of the formal teaching profession in 1957, invitations came out of the blue to talk about Zen in particular and Oriental philosophy in general at such places as Columbia, Harvard, Yale Medical School, Cornell, Chicago, and Rochester as well as Cambridge and the Jung institute in Zürich. In the United States I found these lectures attended by unexpectedly large student audiences, and the whole thing snowballed to the point where I began to fear I might be accused of corrupting the youth of Athens. For in this period I was also making a series of programs for National Educational Television, entitled « Eastern Wisdom and Modern Life » 4

En 1958, Watts effectue un voyage en Europe et fait la rencontre de Carl Jung ainsi que Karlfried Graf Dürckheim, psychothérapeute, philosophe allemand et zeniste initié à l’école du Zen-Rinzai. À son retour aux États-Unis, de 1958 à 1960, Watts a écrit et animé deux saisons de la série télévisée intitulée Eastern Wisdom and Modern Life à San Francisco dans laquelle il explorait l'influence croissante des modes de libération de l'Orient dans la culture occidentale contemporaine et dans laquelle il exposait ses compréhensions des concepts clés issus de ces philosophies.

4 Alan Watts, « In my Own Way, An Autobiography », California, New World Library, 2007, p.294.

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5 Vers la fin de sa vie, Alan Watts vivait en partie à Sausalito, près de San Francisco, sur un voilier sur lequel il y donnait également des séminaires et des conférences. L’autre partie de son temps, il le passait sur le Mont Tamalpais en Californie, à Druid Heights au sein d’une communauté grandissante du mouvement de la contreculture. Son parcours l’a mené à faire la rencontre de plusieurs intellectuels et artistes reconnus s’insérant dans le cadre du « human potentiel mouvement (HPM) » qui a vu le jour dans la contre-culture des années soixante et dans le cadre de la « San Francisco Renaissance ». Parmi ces personnes se trouvèrent notamment Kenneth Rexroth, poète américain qui fut par la suite reconnu comme étant le père de la « San Francisco Renaissance » et qui s’intéressait également à la littérature chinoise. De même, le poète engagé Gary Snyder ainsi qu’Elsa Gildow, philosophe et poète engagée avec qui Alan Watts a co-fondé la

« Society for Comparative Philosophy » en 1962. Cette société a permis de financer l’amélioration des propriétés de Druid Heights et a contribué à sa renommée, alors qu’il fût le berceau d’une communauté de rencontre à l’époque pour le mouvement de la contreculture.

Watts a inspiré le chanteur Van Morrison dans le cadre de son album Poetic Champions Compose parût en 1987 à l’intérieur duquel il a composé la chanson Alan Watts’ Blues. Enfin, l’écrivain Jack Kerouac s’est lui aussi inspiré d’Alan Watts pour développer son personnage Arthur Whane dans le cadre de son livre The Dharma Bums ainsi que pour son personnage Alex Aums de son livre Desolation Angels.

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6 Cadre méthodologique et problématique

Tel que nous venons de l’exposer, Alan Watts est un philosophe qui a rédigé un nombre considérable d'ouvrages, dispensé plusieurs conférences ainsi que séminaires et qui a été une figure influente de son époque. Pourtant, il s'agit d'un philosophe qui est encore très peu connu du milieu académique et dont la pensée philosophique n'est pas, sinon très peu étudiée. Son apport considérable dans l’accroissement de l'intérêt pour la philosophie orientale ainsi que sa compréhension, de même que sa contribution dans le soulèvement de discussions et de questionnements philosophiques dont les enjeux sont plus que pertinents de nos jours, contribuent à faire d'Alan Watts un philosophe incontournable dont nous nous devons d'explorer davantage la pensée philosophique.

Watts was reflecting on modern-day obsessions with abstract monetary riches acquired at the expense of personal, social, and environmental well-being. He wrote also of waning natural resources, nuclear arms proliferation, biological and chemical warfare, and ''maniacal misapplications of technology5.''

L'engouement croissant pour les sagesses orientales dont nous sommes actuellement témoins, de même que le nombre croissant de gens portant intérêt à son enseignement et visionnant ses conférences confirment également selon nous cette dernière affirmation. His popularity as a best-selling author and public speaker (e.g., Watts, 2006) inspired a generation of young people toward new ways of experiencing themselves and the world (Lawson, 1988).

5 Peter J. Colombus et Donadrian L. Rice, «Alan Watts–Here and Now: Contributions to Psychology, Philosophy, and Religion», SUNY Press, 2012, p. 6.

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7 L’accès à la pensée orientale

Parmi les difficultés qui s’imposent à la compréhension et à l’accès aux sagesses orientales, Watts considère que notre obstacle principal lorsqu’il s’agit appréhender adéquatement ces dernières résulte de la combinaison du fait que nous les abordons de notre point de vue culturel occidental et du fait que nous leur attribuons un certain caractère mystérieux. Une grande partie de la difficulté que la philosophie orientale et le Zen présentent constitue selon lui le résultat du manque de familiarité avec les manières de penser orientales6.

Much of the difficulty and mystification which Zen presents to the Western student is the result of his unfamiliarity with Chinese ways of thinking–ways which differ startlingly from our own and which are, for that very reason, of special value to us in attaining a critical perspective upon our own ideas7.

Le problème ici n'est pas selon lui simplement de maîtriser des idées différentes des nôtres comme il en est le cas lorsque nous considérons que la pensée philosophique de Kant diffère de celles de Descartes, ou tel que la pensée des calvinistes diffère de celles des catholiques8. La difficulté réside plutôt dans le fait d’être en mesure d'apprécier les différences dans les prémisses fondamentales et les méthodes mêmes de la pensée orientale. Or, selon Watts, cette étape essentielle à la compréhension des philosophies orientales est trop souvent négligée, et cela a pour effet de rendre nos interprétations susceptibles aux projections d'idées typiquement occidentales9. Selon Watts, cela constitue

6 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.3.

7 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.3.

8 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.3.

9 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.3.

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8 l'inconvénient inévitable de l'étude de la philosophie orientale par les méthodes purement littéraires.

La difficulté est donc d’une part, dans la barrière du langage à deux niveaux ; c’est-à-dire au niveau de la compréhension d’une langue qui n’utilise pas le même alphabet et qui demande une adaptation à un autre type de représentation symbolique. Ensuite, la barrière du langage se complexifie au niveau d’une représentation conceptuel à l’aide d’une méthode linéaire alors qu’il s’agit d’être en mesure de rendre compte d’une philosophie qui ne peut être exposée par cette méthode tel que nous le verrons dans le cadre du chapitre traitant de l’aspect épistémologique.

D’autre part, il existe une autre difficulté selon Watts, celle-ci étant liée à la compréhension et à l’adaptation aux schémas de pensée orientaux dont nous pouvons constater la manifestation à travers l'idée (d’autant plus répandue à l’époque de Watts) que « l'esprit oriental » est mystérieux, irrationnel et impénétrable10. Watts souligne ainsi que si nous analysons en profondeur les philosophies découlant du bouddhisme, du taoïsme, du vedanta, nous n’y trouverons ni la philosophie, ni la religion tels qu’ils sont comprises dans le cadre de notre perspective occidentale, mais que nous pourrions davantage effectuer un rapprochement entre ces dernières et la psychothérapie11, bien que cela soit encore loin d’être en mesure de les représenter adéquatement.

10 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.4.

11 Alan Watts, « Psychotherapy East and West », California, New World Library, 1961, p.1.

(16)

9 Ce que Watts tente de relever par cette affirmation concerne la ressemblance principale entre les philosophies orientales et la psychothérapie occidentale dans leur commune volonté d’entraîner des changements de conscience, des changements dans notre appréhension de la réalité, dans l’expérience de notre propre existence ainsi que dans notre relation avec la société et notre environnement naturel12. En parlant du bouddhisme mahayana qui représente une forme de bouddhisme axé sur la retransmission de la sagesse acquise pour le bien de tous les êtres et non seulement dans une perspective personnelle d’acquisition de la sagesse; Watts dit :

For Mahayana is not so much an ideology as a complex of methods for correcting our perception and conception of life.

Its essence is not a theory but a realization–almost a sensation–

of relativity, that is, of the mutual interdependence of all things and events13.

C’est pourquoi le parallèle entre la psychothérapie occidentale ou les « moyens de libération » orientaux, tel que Watts les qualifie, n’est pas tout-à-fait exacte, et l’une des plus importantes distinctions et différence concerne selon lui précisément le préfixe « psycho »14. Watts considère que dans une perspective historique, la psychologie occidentale orientait ses études sur la psyché, l’esprit, en tant qu’entité clinique, alors que les cultures orientales n’ont pas catégorisé l’esprit et la matière, ainsi que l’âme et le corps de la même manière qu’en Occident15. Ainsi, les philosophies orientales empruntent une manière de penser

12Alan Watts, « Psychotherapy East and West », California, New World Library, 1961, p.2.

13 Alan Watts, « Does it matter? Essays on Man’s Relation to Materiality », New World Library, Novato, California, p.122.

14 Alan Watts, « Psychotherapy East and West », California, New World Library, 1961, p.2.

15 Alan Watts, « Psychotherapy East and West », California, New World Library, 1961, p.2.

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10 de même qu’une vision de la vie qui n'appartiennent à aucune des catégories formelles de la pensée occidentale moderne selon Watts.

En effet, tel que nous l’avons explicité précédemment, les philosophies orientales constituent selon Watts ce qui est connu en Inde et en Chine comme une « voie de libération »16. Or, tel que nous le démontrerons, toute stipulation sur la réalité ultime plutôt être suggérée par le mythe, la poésie ou autrement, par la définition négative ; c’est-à-dire par l’exposition de ce qu'il n'est pas, à la manière du sculpteur qui révèle une image, une œuvre d’art, par l'acte d'enlever progressivement et méticuleusement des morceaux d'un bloc de matière17.

Every positive statement about ultimate things must be made in the suggestive form of myth, of poetry. For in this realm the direct and indicative form of speech can say only “Neti, neti”

(“No, no”), since what can be described and categorized must always belong to the conventional realm18.

D’autre part, selon Watts, les philosophies orientales constituent un défi de compréhension dans le cadre de notre culture en raison du fait que nous avons adopté une conception qu’il considère être restrictive de la connaissance humaine19. Il s’agit donc d’induire une expérience et de contourner les modes habituels d’appréhension de la connaissance afin de permettre la transmission de ces dernières. Nous développerons davantage à cet effet dans le cadre du chapitre consacré à l’analyse des fondements épistémologique de la pensée de Watts. Cela nous permettra par la suite de mieux cerner les prémisses

16 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.3.

17 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.3.

18 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.34.

19 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.4.

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11 métaphysiques qui la sous-tendent. Car la question qu’il incombe d’éclaircir est celle de savoir comment est-ce alors possible de transmettre par le langage une philosophie qui cherche à dépasser la problématique engendrée par la méthode même de transmission de cette dernière? Cela semble d’emblée une entreprise voué à l’échec. Or, Alan Watts a néanmoins dédié le plus clair de son temps à cette dernière afin de rendre accessible ces sagesses orientales en rendant intelligibles des manières de penser avec lesquelles nous ne sommes pas familiers, bien que ces sagesses soient essentiellement universelles et accessibles à tous.

 

Furthermore, it need not be supposed that these matters are so peculiarly Chinese or Japanese that they have no point of contact with anything in our own culture. While it is true that none of the formal divisions of Western science and thought corresponds to a way of liberation, R. H. Blyth’s marvelous study of Zen in English Literature has shown most clearly that the essential insights of Zen are universal20.

20 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.4.

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12 Méthodologie

Ce mémoire cherche conséquemment à retracer les fondements épistémologiques, métaphysiques, ainsi qu’éthiques de la conception du rapport à « l’autre » et du principe de non-dualité chez Alan Watts tout en portant une attention particulière aux influences provenant des philosophies orientales telles que le bouddhisme, le taoïsme et l’hindouisme.

Dans ce présent mémoire, nous avons choisi d’utiliser le terme « l’autre » afin de conceptualiser autant notre relation avec l’environnement que la relation à autrui. Ainsi, nous croyons que cela permet de rendre davantage justice à la conception de Watts à cet effet, c’est-à-dire en ne qualifiant pas « l’autre » comme un tout autre étranger à soi-même, mais bien comme une extension de nous- même, fondamentalement liée par le principe de non-dualité.

Dans le cadre de cette recherche, nous avons lu et pris en considération vingt-six livres rédigés par Alan Watts de son vivant ou publiés à titre posthume cités en tant que littérature primaire en bibliographie ainsi que son autobiographie In my Own Way (1973). Les autres ouvrages de Watts tels que The Legacy of Asia and Western Man (1937), The Theologica Mystica of St-Dionysius (1944), Easter : Its Story and Meaning (1950), Myth and Ritual in Christianity (1953), bien que forts intéressants, n'ont pas été pris en considération puisque nous avons jugé qu'ils ne concernaient pas directement sa pensée philosophique. Nous avons également écouté et pris en considération toutes les conférences et séminaires disponibles à ce jour.

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13 Afin d'être en mesure de cerner les prémisses épistémologiques qui sous-tendent le concept d'unité fondamentale chez Watts, les ouvrages suivant ont été particulièrement étudiés et utiles : Psychotherapy East and West (1954), The Way of Zen (1957), Nature, Man and Woman (1958), This is it (1960), The Book : on the taboo Against knowing Who you Are (1966), Does it matter?, Essays on Man's Relation to Materiality (1971), Tao : The Watercourse Way (1975), Out of your Mind (1998).

En ce qui concerne les prémisses métaphysiques, certains ouvrages ont été étudiés plus en profondeur tel que Behold The Spirit (1947), The Supreme Identity (1950), The Wisdom of insecurity (1951), Psychotherapy East and West (1953), Become what you are (1955), The Way of Zen (1957), Nature, Man and Woman (1958), This is it (1960), The Two Hands of God (1963), Beyond Theology: The Art of Godmanship (1964), The Book: on the taboo Against knowing Who you Are (1966), Does it matter?

Essays on Man's Relation to Materiality (1971), Cloud-Hidden, Whereabouts Unknown (1973), Tao: The Watercourse Way (1975), Buddhism, The religion of no-religion (1996).

Enfin, pour ce qui est des prémisses éthiques, les ouvrages qui ont davantage été étudiés dans le cadre de cette présente recherche constituent: The Wisdom of insecurity (1951), Psychotherapy East and West (1954), Become what you are (1955), The Way of Zen (1957), Nature, Man and Woman (1958), This is it (1960), The Book: on the taboo Against knowing Who you Are (1966), Does it matter? Essays on Man's Relation to Materiality (1971), Cloud-Hidden, Whereabouts Unknown (1973), Tao: The Watercourse Way (1975), Out of your Mind (1998).

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14 Structure

Ce présent mémoire se répartira sur trois chapitres. Dans un premier temps, afin d’être en mesure de comprendre le principe de non-dualité chez Alan Watts, il incombe de bien comprendre les fondements épistémologiques qui sont naturellement implicites à sa conception du monde. Dans le cadre du premier chapitre de ce mémoire, nous exposons donc ces fondements que nous avons répartis en deux sections: soit une première section concernant les prémisses soutenant sa conception de l’expérience directe comme mode de connaissance (1.1), et une deuxième section traitant des différentes prémisses sur lesquelles il appuie sa conception de l’attention consciente et du rôle du langage quant à notre appréhension du monde (1.2).

Dans le cadre du deuxième chapitre, nous exposons les fondements métaphysiques de la pensée philosophique de Watts. Nous avons donc de même réparti en deux sections ce chapitre : soit une première section traitant des différentes prémisses sur lesquelles il appuie sa vision du monde en tant que processus unifié (2.1), et une deuxième section concernant les prémisses soutenant sa conception de l’individualité (2.2).

Enfin, le troisième chapitre se consacre aux fondements éthiques dans sa pensée, notamment à son concept d'organisme-environnement. Dans une première section, il sera question d’analyser la conception de Watts de ce rapport à

« l’autre » (3.1). Dans une deuxième section, nous exposons l’apport des philosophies orientales concernant les questions et problèmes d’étiques et nous démontrons de quelle manière Watts conçoit qu’il nous est possible de nous accoutumer aux modes de pensée orientaux (3.2).

(22)

15

CHAPITRE I

LES FONDEMENTS ÉPISTÉMOLOGIQUES

At the same time that human consciousness is a form of awareness and sensitivity and understanding, it’s also a form of ignorance. Our ordinary, everyday consciousness leaves out more than it takes in-things that are terribly important. For example, it leaves out things that would-if we did know them- allay our anxieties and fears and horrors21.

-Alan Watts

1.1   L’expérience directe comme mode de connaissance

1.1.1 Distinction entre savoir conventionnel et non conventionnel

Une des distinctions importantes22 qu’effectue Alan Watts constitue celle qu’il pose entre savoirs conventionnels et non-conventionnels. Il effectue une critique de la conception ordinaire de la connaissance humaine, c’est-à-dire la connaissance qui relève de l’ordre du jugement conceptuel, et qui est structurée par les règles de la logique. Alors que le savoir conventionnel, se rapporte à ce

21 Alan Watts, « Out of your Mind », Boulder, Colorado, Sounds True, 2017, p.39

22 Dans son ouvrage « The Mystical Philosophy of Alan Watts », Herman F. Suligoj réduit la philosophie d’Alan Watts qu’il qualifie de mystique à trois prémisses: (1) all experience is immediate; (2) all immediate experience is mystical experience; (3) therefore all experience is mystical.

(p.440) Son ouvrage se consacre conséquemment à analyser ces trois propositions et à en relever les influences; d’une part occidentales et d’autre part orientales. Nous sommes partiellement en accord avec l’interprétation de Suligoj. Sur plusieurs points, notre position diverge et nous considérons que différents aspects de la philosophie d’Alan Watts demeurent inexpliqués et demandent à être analysés afin d’en avoir une appréciation plus juste et complète.

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16 que nous pouvons nous représenter par le langage ou par un autre système de signes conventionnels tels que les mathématiques ou la musique23, le savoir non- conventionnel, se rapporte selon lui à un savoir qui ne peut être représenté par le langage propositionnel ni aucun autre système de symboles conventionnels24.

Watts considère que les sagesses issues des philosophies orientales sont plutôt issues de ce dernier savoir, contrairement à la philosophie occidentale qui se rapporte au langage propositionnel et donc au savoir que Watts nomme

« conventionnel ». En établissant cette distinction, Watts n’entend pas prétendre qu’un type de savoir est plus important ou valide que l’autre. Or, en établissant cette distinction et en cernant les enjeux épistémologiques propres à ces deux types de savoirs, cela lui permet de poser les prémisses épistémologiques de base à son concept de relation d’interdépendance et d’unité fondamentale sous- tendant toute chose.

Suligoj effectue un rapprochement de la pensée de Watts quant à l’expérience directe avec un empirisme radical incluant toute sensation, toute perception, imagination, mémoire, intellect, volition, disposition ou sentiment :

Watts did not develop any kind of comprehensive theory of experience; nevertheless his notion of experience coincides with that of radical empiricism. Radical empiricism, in its theory of experience, embraces all sensation, all perception, imagination, memory, intellect, volition, affect, feeling, and all the rest. Without being an idealist of the esse est percipi type,

23 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.4.

24 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.4.

(24)

17 the first data upon which all philosophizing must built is

always experience, and that in the above all-embracing way25.

Or, nous considérons qu’il est inexact d’effectuer un rapprochement entre les deux catégories de savoirs que Watts propose et les deux catégories de positions épistémologiques que sont le rationalisme et l’empirisme puisque même l’empirisme se trouve inclut dans la catégorie du « savoir conventionnel » chez Watts. L’angle de la phénoménologie permet à cet effet de dépasser les canons de la logique, bien que nous ne puissions pas clairement qualifier Alan Watts de phénoménologue. Peut-être serait-il plus approprié de le qualifier de

« substantialise », alors qu’il dit lui-même :

This is, surely, a true materialism, or perhaps it would be better to say a true substantialism, since matter is really cognate to 'metre' and properly designates not the reality of nature but nature in terms of measures. And 'substance' in this sense would not be the gross notion of 'stuff', but what is conveyed by the Chinese t'i-the wholeness, the Gestalt, the complete field of relations, which escapes every linear description26.

Selon Watts, afin d’être en mesure d’appréhender la réalité, il semble qu’il ne nous est pas possible de le faire dans une perspective relative au savoir conventionnel sans postuler un rien avec lequel l’opposer. Or, les manières de rendre compte du rien d’un point de vue du savoir conventionnel doivent toujours nécessairement passer par l’artifice de la négation. Bergson l’explique par son concept de suppression : « L'idée d'absence, ou de néant, ou de rien, est

25 Herman F. Suligoj, « The Mystical Philosophy of Alan Watts », International Philosophical Quarterly 15 (décembre) 1975, p.443.

26 Alan Watts, « Nature, Man and Woman », New York, Vintage Books Edition, 1991, p.83.

(25)

18 donc inséparablement liée à celle de suppression, réelle ou éventuelle, et celle de suppression n'est elle-même qu'un aspect de l'idée de substitution27. »

The naive idea that there is first of all empty space and then things filling it underlies the classical problem of how the world came out of nothing. Now the problem has to be rephrased: ''How did something-and-nothing come out of… what28?''

Pour Watts, si nous admettons en effet qu’il nous est uniquement possible de concevoir le blanc par contraste au noir et qu’en l’occurrence cette apparente dualité se révèle à contenir le substrat de leur inévitable interdépendance et donc de leur unité fondamentale, alors lorsqu’il s’agit de la même manière d’admettre qu’il existe dans la suppression le germe de la substitution, postuler le néant, consistant en une suppression de tout afin de pouvoir rendre compte de l’être en tant que substitution à ce dernier, constitue un paradoxe.

Le problème relève de l’attitude propositionnelle. De sorte que si nous pensons le néant comme une négation, nous supposons inévitablement un contenu nié. Or, ce concept ou ce mot n’est que postulation relevant du domaine de l’artificiel et de la réalité « fabriquée » qui lui est relative. Ainsi, il semble que lorsque nous pensons le néant tel une négation, nous nous trouvons à toujours rendre compte de la réalité à l’aide d’une proposition assertorique tel que ( E=M ), additionnées d’un pur jugement ( ≥ M (E) ).

27 Henri Bergson, « La pensée et le mouvant, Essais et conférences », Édition électronique des Classiques des Sciences Sociales de l’UQAC, 2003, p.70.

28 Alan Watts, « Nature, Man and Woman », New York, Vintage Books Edition, 1991, p.56.

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19 Nous pouvons donc conclure que le néant ne peut en aucun cas être égal au non- être. Le néant serait donc toujours plus originel que la négation et nous parvenons à une impasse lorsqu’il s’agit d’en rendre compte en adoptant la posture du savoir conventionnel tel que le conçoit Alan Watts.

Henri Bergson posait quant-à-lui le problème ainsi :

Mais analysez cette phrase : « il pourrait ne rien y avoir ».

Vous verrez que vous avez affaire à des mots, nullement à des idées, et que « rien » n'a ici aucune signification. « Rien » est un terme du langage usuel qui ne peut avoir de sens que si l'on reste sur le terrain, propre à l'homme, de l'action et de la fabrication29.

Néanmoins, Watts considère que cette démarche est malgré tout absolument nécessaire puisqu’elle permet de revenir à l’essence des choses par le constat même de l’impasse de cette quête. Il emploie à cet effet l’expression de R.H Blyth lorsqu’il dit : « A fool who persists in is folly will become wise ».

We find ourselves in these circles because of ignorance, because of unconsciousness of the nature of our minds, of our thought-processes, of ourselves. And the antidote to ignorance is not action but knowledge-not what to do, but what we know. Yet here again, the necessary knowledge does not seem, on the surface, to be anything very promising or hopeful. For the only knowledge in this field which can be talked about is negative knowledge-knowledge of the trap, of our helpless imprisonment in useless seeking30.

29 Henri Bergson, « La pensée et le mouvant, Essais et conférences », Édition électronique des Classiques des Sciences Sociales de l’UQAC, 2003, p.60.

30 Alan Watts, « Become What You Are », Colorado, Shamballa Publications, Inc., 2003, p.26.

(27)

20 L’entreprise de Watts est donc de démontrer de quelle manière ces questionnements constituent en réalité des pseudo-problèmes, c’est-à-dire

« fabriqués » de toute pièce par l’acte d’analyse et d’ainsi devoir produire une distanciation ou division artificielle afin de pouvoir saisir l’objet de notre analyse.

Selon lui, c’est précisément le fait d’engendrer cette division artificielle qui pose fondamentalement problème, puisqu’elle ne permet jamais qu’une analyse superficielle d’une réalité artificielle ou fabriquée, ne donnant ainsi en aucun cas accès à la réalité. C’est donc par cet acte même que nous engendrons une problématique selon Watts. « The problem would never have arisen if we would had been aware that it was just our way of looking at the world which had chopped it into separate bits, things, events, causes, and effects. We do not see that the world is all of a piece like the head-tailed cat31. »

Watts considère conséquemment qu’il est erroné de faire la conclusion hâtive que lorsque nous opposons deux contraires, nous sommes en mesure d’affirmer qu’ils possèdent une identité propre et distincte indépendante l’une de l’autre. Pour Watts, cela nous conduit dans un questionnement qui ne présente que des portes de sortie ne menant qu’à leurs propres portes d’entrées.

You cannot point to an idea. You cannot point your finger on it. This is what Buddhists mean when they say the world is basically sunya, empty, a void. Everything is sunya. You cannot catch the world in a conceptual net any more than you can catch water in a net. Sunya does not mean that the world itself and the energy of the world are nothing, however. It

31 Alan Watts, « The Book: On the Taboo Against Knowing Who You Are », New York, Vintage Books Edition, 1989, p.32.

(28)

21 means that no concept of the world is valid. No ideas or beliefs

or doctrines or systems or theories can contain the universe32.

Il nous est donc selon lui impossible de rendre compte de la réalité autant d’un point de vue expérientiel que rationnel autrement que par la juxtaposition de pseudo-parties, découvrant de ce fait une version fragmentée d’une réalité qui n’est pas divisible en soi. Son appréhension n’est donc pas possible pour Watts par l’acte de la pensée ni par l’entremise des sens, puisque cela se réduira toujours à la division artificielle. Cela ne pourra ainsi rendre compte que d’une réalité « fabriquée » et donc « faussée » ou, pour utiliser le terme exact employé par Watts : « illusoire ». « For as Whitehead said: When you understand all about the sun and all about the atmosphere and all about the rotation of the earth, you may still miss the radiance of the sunset. There is no substitute for the direct perception [kuan] of the concrete achievement of a thing in its actuality33. »

Afin d’être en mesure de nous sortir du « common sense realm » il nous apparaît qu’il y ait nécessité d’une grundlegende Prüfung, c’est-à-dire d’un examen approfondi et fondamental qui ne soit pas issu d’une analyse logique, mais bien d’un retour à l’essence des choses s’opérant par une sorte de dévoilement et par lequel nous basculons dans l’ineffable. Kierkegaard considérait d’ailleurs que la base de la philosophie constituait un saut de la foi par lequel l’homme s’abandonne à l’abîme et à l’inconnu dans sa quête de vérité que seul les expériences subjectives existentielles et fondamentales sont en mesure de permettre.

32 Alan Watts, « Buddhism, The Religion of No-Religion », United States of America, Tuttle, 1999, p.31.

33 Alan Watts, « Nature, Man and Woman », New York, Vintage Books Edition, 1991, p.83.

(29)

22 Or, si l’on voulait résumer en quelques mots la pensée

essentielle de Kierkegaard, il faudrait dire : le plus grand malheur qui puisse arriver à l’homme, c’est d’accorder son entière confiance à la raison, à la pensée rationnelle, quant à la philosophie, elle commence non pas par l’étonnement, comme le prétendaient les anciens, mais par le désespoir. Dans tous ses écrits, Kierkegaard répète de mille façons que la tâche de la philosophie consiste à échapper au pouvoir de la raison et à trouver en soi l’audace (seul le désespoir est capable de donner cette audace à l’homme) de chercher la vérité dans ce que tout le monde considère comme absurde et paradoxal34.

Chez Watts, il n’est pas nécessaire que cette expérience profonde et fondamentale soit initiée par l’angoisse existentielle ni par le désespoir. Elle peut être initiée par un intérêt aux sagesses enseignées par le taoïsme, le bouddhisme et l’hindouisme notamment. Ce qui importe, c’est que la barque ayant servie afin de se rendre de l’autre côté du rivage soit laissée sur ce dernier et non qu’elle continue d’être transportée par la suite ; c’est-à-dire que les concepts servent de guides permettant d’initier l’accès à l’expérience directe. Il faut par la suite que ces concepts ne constituent pas un poids, un fardeau à porter. Ils se doivent de ne servir qu’à titre de « stepping stone ».

Ainsi, l’enseignement philosophique ou les sagesses qui en sont issues ne doivent pas devenir l’obstacle en étant doctement prises au pied de la lettre et en constituant le principal obstacle. Car, tel que nous l’avons exposé précédemment, c’est la quête de connaissance ou de vérité qui empêche d’accéder à la véritable connaissance ou compréhension juste des choses pour que cela engendre nécessairement une fausse dichotomie sujet et objet. Or, selon Watts, c’est la

34 Léon Chestov, « Kierkegaard, philosophe religieux », texte publié dans les Cahiers de Radio- Paris, n° 12, 15 décembre 1937, p.13.

(30)

23 constatation même de l’impasse de la résolution du problème épistémologique et métaphysique qui permet d’initier la possibilité d’un retour à l’essence des choses, bien qu’un éloignement de l’essence n’ait jamais réellement été effectué autrement qu’illusoirement.

There comes a moment when this consciousness of the inescapable trap in which we are at once the trapper and the trapped reaches a breaking point. One might almost say that it

« matures» or « ripens » and suddenly there is what the Lankavatara Sutra calls «turning about in the deepest seat of consciousness». In this moment all sense of constraint drops away, and the cocoon which the silkworm spun around himself open to let him go forth winged as a moth. The peculiar anxiety which Kierkegaard has rightly seen to lie at the very roots of the ordinary man’s soul is no longer there35.

« Savoir » ou « connaître » selon Watts, c’est donc se ressouvenir, et il réfère ainsi au concept de kuan afin de décrire la disposition d’esprit permettant ce qu’il conçoit plutôt comme un retour à la spontanéité originelle et au savoir originel par opposition à une acquisition de connaissance. C’est pourquoi Watts considère que les philosophies orientales se préoccupent de savoirs non conventionnels, avec la compréhension de la vie directement36, contrairement au fait de les concevoir en termes dualistiques comme le fait inévitablement la pensée linéaire et représentationnelle.

35 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.66.

36 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.10.

(31)

24 1.1.2 Dichotomie entre sujet connaissant et objet de connaissance

Selon Watts, lorsque nous adoptons une posture conventionnelle du savoir, nous nous voyons immédiatement contraints d’opérer malgré nous une distanciation de l’objet quand nous tentons de le saisir et de l’analyser comme s’il possédait une existence extérieure et indépendante. Cela nécessite d’entrer dans la relation de penser qui sépare l’objet pensé du sujet pensant. Inévitablement, nous retombons selon lui dans le piège puisqu’il faut pour cela, recréer l’opération qui nous fait défaut, c’est-à-dire celle de postuler une dichotomie entre sujet et objet.

When we are no longer identified with the idea of ourselves, the entire relationship between subject and object, knower and known, undergoes a sudden and revolutionary change. It becomes a real relationship, a mutuality in which the subject creates the object just as much as the object creates the subject.

The knower no longer feels himself to be independent of the known; the experiencer no longer feels himself to stand apart from the experience37.

Ainsi, chez Watts, la dichotomie du sujet connaissant et de l’objet de connaissance devient artificielle alors qu’ils sont plutôt considérés comme étant aussi inséparables que toute autre dualité38. Autrement dit, l'expérience humaine est déterminée autant par la nature de la conscience et la structure de sens que par les objets extérieurs dont la conscience révèle la présence39.

37 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.120.

38 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.118.

39 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.119.

(32)

25 This shocking and seemingly illogical reversal of common

sense may perhaps be clarified by the favorite Zen image of

« the moon in the water. » The phenomenon moon-in-the- water is likened to human experience. The water is the subject, and the moon the object. When there is no water, there is no moon-in-the-water, and likewise when there is no moon. But when the moon rises the water does not wait to receive its image, and when even the tiniest drop of water is poured out the moon does not wait to cast its reflection. For the moon does not intend to cast its reflection, and the water does not receive its image on purpose. The event is caused as much by the water as by the moon, the moon manifests the clarity of the water40.

Watts considère donc que tout le sens de l'isolement subjectif, celui d'être

« donné » à un esprit et à qui l'expérience arrive, est une illusion de mauvaise sémantique41. Car il n'y a pour Alan Watts, pas de « moi » en dehors du « mind- body » qui structure notre expérience42. Il est également ridicule de parler de ce

« mind-body » comme d'une « structure » donnée passivement et involontairement43.

To put it less poetically - human experience is determined as much by the nature of the mind and the structure of its senses as by the external objects whose presence the mind reveals.

Men feel themselves to be victims or puppets of their experience because they separate « themselves » from their minds, thinking that the nature of the mind-body is something involuntarily thrust upon « them ». […] Thence it appears that the entire sense of subjective isolation, of being the one who was « given » a mind and to whom experience happens, is an illusion of bad semantics-the hypnotic suggestion of repeated wrong thinking. For there is no « myself » apart from the mind-body which gives structure to my experience. It is likewise ridiculous to talk of this mind-body as something

40 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.118.

41 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.119.

42 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.119.

43 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.119.

(33)

26 which was passively and involuntarily « given » a certain

structure. It is that structure, and before the structure arose there was no mind-body44.

Nous pouvons en ce sens comparer la démarche d’Alan Watts à celle d’Husserl.

Dans le cadre de sa démarche phénoménologique, Husserl n’est pas simplement à la recherche d’un fondement universel, c’est-à-dire quelque chose qui ne rendrait pas simplement compte de la réalité en termes de différences relatives aux différents types psychologiques et par lequel nous serions emprunts au relativisme, mais il est plutôt concerné par la recherche d’une structure universelle de la conscience. Ce sur quoi il s’attarda fût donc la dichotomie entre sujet et objet qui a dominé la pensée occidentale depuis Descartes et qui a cherché à isoler l’objet de toute influence subjective dans le processus de la pensée.

Or, cette dichotomie du sujet et de l’objet n’est véritablement que superficielle pour Watts comme pour Husserl. Si nous analysons par exemple la phrase « Je connais quelque chose », nous ne pouvons que superficiellement concevoir ce que le fait de connaître représente si nous ne faisons que considérer l’objet. La raison en est que le je connais constitue un acte du sujet et qu’il ne peut conséquemment être séparé de l’objet.

Similarly, you feel that you are something being done by the universe, yet that the universe is equally something being done by you-which is true, at least in the neurological sense

44 Alan Watts, « The Way of Zen », New York, Vintage Books Edition, 1999, p.119.

(34)

27 that the peculiar structure of our brains translates the sun into

light and air vibrations into sound45?

C’est donc la mise à l’écart de cette condition subjective et une compréhension inadéquate de la conscience qui porte préjudice à la philosophie naturaliste. Ce que Husserl souhaitait donc était d’établir une science de la conscience humaine, une science du sujet, ou du je. Ce qui est similaire à la démarche initiale entamée par Descartes, et qui constitue ce que Watts souhaitait dépasser. Alors qu’Husserl effectue un retour à Descartes et le rejoint dans sa démarche du doute hyperbolique, il se distancie néanmoins de ce dernier concernant sa démarche de suspension du jugement qu’il croit ne pas être assez approfondi, rejoignant de ce fait la position de Watts.

Les conclusions de Descartes sont pour ces derniers trop hâtives alors qu’il déduit que le je est une chose pensante lorsqu’il affirme d’emblée « cogito ergo sum »46, faisant ainsi l’erreur d’isoler le sujet de l’objet et faisant conséquemment du sujet un objet. Selon Watts, Descartes n’a pas su examiner ce qui est universel à propos de la conscience humaine. Or, Kant cependant, en questionnant ce qui ordonne et unifie notre connaissance et notre expérience, pallie ce qui faisait défaut grâce à son concept d’ego transcendantal et conçoit une unité synthétique d’aperception47.

45 Alan Watts, « Does it matter?, Essays on Man’s Relation to Materiality », New World Library, Novato, California, p.84.

46 René Descartes, « Discours de la méthode » Édition électronique (ePub) v.: 1,0 : Les Échos du Maquis, 2011.

47 Emmanuel Kant, « Prolégomènes à toute métaphysique future », Paris, J.Vrin, 2012.

(35)

28 Husserl adoptera ainsi une direction similaire, mais en retournant néanmoins à la source de la démarche cartésienne afin d’y rechercher un fondement universel.

Ce qui caractérise sa méthode phénoménologique constitue la suspension du jugement (bracketing ou Einklammerung) de tout objet de pensée ou de perception48. Il emploie également à cet effet le terme épochè (ἐποχή) qui constitue le terme étant employé par les sceptiques pour la suspension du jugement. En effectuant cette réduction phénoménologique, Husserl cherche à mettre entre parenthèses tous les objets de la connaissance ou plutôt de la conscience, c’est-à-dire toutes théories et toutes interprétations.

Alors que Husserl considérait que la démarche de Descartes n’était pas assez radicale, Watts pousse la démarche de Husserl encore plus loin en mettant entre parenthèse cette attitude théorique également, ce qui rend notamment l’accès à la pensée philosophique de Watts ardue, bien que ses œuvres soient écrites dans un style tout-à-fait digeste et compréhensible. Nous pouvons retrouver dans le passage qui suit un exemple de cela :

The attitude is marvellously described by Lin Ching-hsi in his Poetical Remains of the Old Gentleman of Chi Mountain as follows : Scholars of old time said that the mind is originally empty, and only because of this can it respond [ resonate ] to natural things without prejudices (lit. traces, chi,° left behind to influence later vision). Only the empty mind can respond to the things of Nature. Though everything resonates with the mind, the mind should be as if it had never resonated, and things should not remain in it. But once the mind has received (impressions of) natural things, they tend to remain and not to disappear, thus leaving traces in the mind. It should be like a river gorge with swans flying overhead; the river has no desire

48 Edmond Husserl, « Idées directrices pour une phénoménologie », Troisième section, Chapitre II,

§ 80, trad. Paul Ricoeur, Gallimard, 1913,

(36)

29 to retain the swan, yet the swan's passage is traced out by its

shadow without any omission. Take another example. All things, whether beautiful or ugly, are reflected perfectly in a mirror; it never refuses to show anything, nor retains anything afterwards49.

Nous pouvons à cet effet relever ici l’influence de la philosophie orientale et nous développerons davantage sur les raisons de cette démarche chez Watts lorsque nous aborderons ses conceptions de la pensée linéaire et de l’abstraction par lesquelles l’acte théorique se doit nécessairement de passer. Or, chez Husserl comme chez Watts, ce que nous connaissons prend nécessairement part à notre conception élargie du monde vécu, c’est-à-dire un ingrédient de notre Lebenswelt, de sorte que la démarche de ce dernier, plutôt que d’être concernée par le je de théories abstruses, est concernée par le je de ce Lebenswelt et donc par le je connais relatif à la conscience préscientifique ou préthéorique.

Dans le cadre de cette dichotomie sujet et objet, la philosophie naturaliste ignore la subjectivité au sens Husserlien et se concentre principalement sur l’objet, afin de rendre scientifiquement et objectivement compte des conditions de possibilité de la connaissance. Pour Husserl tout comme pour Watts, il s’agit d’une erreur fondamentale, mais il serait également erroné a contrario d’isoler le sujet pour ne se concentrer que sur lui, puisqu’il n’existe pas dans le Lebenswelt une telle chose qu’un sujet sans un objet, pas plus qu’il n’existe d’objet sans un sujet.

However, the point might be expressed more exactly by saying that the subject is treated not as an object but as the inseparable pole or term of a subject-object identity. The dividedness of the knower and the known becomes, without

49 Alan Watts, « Nature, Man and Woman », New York, Vintage Books Edition, 1991, p.73.

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