Embryon de souris
III.5. a) Les gènes Hox des groupes paralogues 1 et 2
III.5 Gènes de segmentation et autres acteurs majeurs participant à la mise en place des rhombomères
La morphogénèse du rhombencéphale est amorcée par l’établissement des gradients de facteurs décrits précédemment. Ces voies de signalisation contrôlent un ensemble de FTs dont l’action concertée avec les molécules diffusibles aboutit au final à la mise en place des deux systèmes moléculaires que sont le code Hox, spécifiant l’identité AP des segments, et les Eph‐ephrines, responsables de la ségrégation cellulaire.
Ces FTs organisent la segmentation du rhombencéphale en affinant l’information contenue dans les gradients et sont le plus souvent nécessaires à la formation d’un ou plusieurs rhombomères. Ils sont définis pour cette raison comme des gènes de segmentation, bien que cela ne leur exclue pas un rôle dans la spécification de l’identité AP des segments. D’autres facteurs n’étant pas formellement des gènes de segmentation mais participant de façon centrale au processus de segmentation sont également décrits dans ce chapitre. III.5.a) Les gènes Hox des groupes paralogues 1 et 2
Nous avons déjà détaillé le rôle des gènes Hox dans la spécification AP des rhombomères. Les Hox des groupes 1 et 2 sont également impliqués précocement dans la mise en place des segments du rhombencéphale comme en témoignent les double mutants Hoxa1‐Hoxb1 et Hoxa2‐Hoxb2 chez la souris ou le triple mutant Hoxa1‐hoxb1‐ Hoxd1 chez le xénope, chez lesquels plusieurs segments sont perdus ou réduits. Les gènes Hox PG1 sont les premiers à être exprimés dans le rhombencéphale et leurs domaines d’expression s’établissent autour de 7,5‐8 jpc chez la souris, soit un jour avant la formation morphologique des rhombomères, et s’étendent jusqu’à une frontière antérieure située entre les futurs r3 et r4. L’expression de Hoxb1 est ensuite maintenue
dans r4 par une boucle d’autorégulation (Pöpperl et al., 1995) tandis que celle de Hoxa1 s’éteint (Murphy and Hill, 1991). Hoxd1 n’a pas été détecté dans le rhombencéphale des mammifères jusqu’à ce jour. En revanche, chez le xénope, Hoxd1 est exprimé de façon très transitoire dans des territoires chevauchant les domaines Hoxb1 et Hoxa1 (Kolm & Sive, 1995; McNulty & al., 2005). Chez le poisson‐zèbre, il n’y a pas de gène Hoxd1 et les profils d’expression et différents travaux de gains et de pertes de fonction suggèrent que les gènes ichthyens hoxb1b et hoxb1a sont les équivalents fonctionnels respectifs de
Hoxa1 et Hoxb1 murins (Jozefowicz et al., 2003).
Les phénotypes associés aux pertes de fonction des gènes Hox PG1 démontrent un rôle excédant la seule spécification d’identité AP (figure 30), en particulier pour
Hoxa1. En effet, les mutants murins Hoxa1 possèdent un rhombomère 4 réduit et un
rhombomère 5 absent ou sévèrement diminué suivant les études (Chisaka et al., 1992; Carpenter et al., 1993; Mark et al., 1993). Dans ces mutants, la frontière antérieure d’expression de Hoxb1 est également plus caudale et le territoire d’expression de Krox20 dans r3 est plus grand (Rossel and Capecchi, 1999). Les gains ou pertes de fonction pour Hoxb1 sont associés à des transformations homéotiques plus classiques pour des gènes Hox : dans le mutant Hoxb1 les marqueurs spécifiques de r4 sont perdus au profit de l’expression de marqueurs de r2 (Goddard et al., 1996; Studer et al., 1996); tandis que le phénotype inverse est observé dans le cas d’une expression ectopique de Hoxb1 ciblée à r2 (Bell et al., 1999). De façon cohérente avec le rôle régulateur de Hoxa1 sur Hoxb1, la surexpression de Hoxa1 chez la souris induit l’expression ectopique de Hoxb1 dans r2 et l’acquisition d’une identité de type r4 par les populations neuronales de ce rhombomère (Zhang et al., 1994).
Hoxb1 est probablement aussi impliqué dans le processus de mise en place des
territoires car la double mutation Hoxa1‐Hoxb1 produit un phénotype de défaut de segmentation plus important que le simple mutant Hoxa1 : les rhombomères 4 et 5 disparaissent complètement, l’expression de MafB dans r6 est diminuée tandis que celle de Krox20 dans r3 est à la fois plus faible et plus étendue, occupant un territoire grand comme deux rhombomères avant qu’un important processus d’apoptose ne réduise celui‐ci à la taille d’un seul rhombomère et ne produise un rhombencéphale globalement plus petit (Studer et al., 1998; Rossel and Capecchi, 1999). Les mutants Hoxa1 possédant un seul allèle Hoxb1 fonctionnel montrent un phénotype intermédiaire.
Figure 30. Conséquences de la perte de fonction des gènes Hox PG1 sur la segmentation du
rhombencéphale
a: Représentation schématique de l’expression génétique et de l’organisation du rhombencéphale (r2 à r6)
dans des embryons murins à 8-8,5 jpc sauvage ou mutants. L’ellipse au niveau de r5 symbolise la vésicule otique.
fol: follistatine; a2: Hoxa2; b2: Hoxb2; K-20: Krox20; kr: MafB. D’après Rossel and Capecchi, 1999.
b: Représentation schématique de la segmentation du rhombencéphale chez différents modèles de
vertébrés au sein desquels la fonction des gènes Hox PG1 est altérée. Le triple knock-down chez le xénope de Hoxa1/Hoxb1/Hoxd1 et l’inactivation de tous les cofacteurs Pbx des protéines Hox conduisent à une perte complète des gènes à expression segmentée dans les rhombomères 2 à 6.
MO : morpholinos; r : rhombomères. D’après McNulty et al., 2005.
sauvage sauvage Souris Hoxa1‐/‐ Souris Hoxa1‐/‐;Hoxb1‐/‐ Poisson‐zèbre MO Hoxb1a/hoxb1b Souris Hoxa1‐/‐; Hoxb1‐/‐ Xénope MO Hoxa1/Hoxb1;Hoxd1 Poisson‐zèbre Pbx4‐/‐ + MO Pbx2
a
b
Chez le poisson‐zèbre, les expérience de gains de fonction de hoxb1b (équivalent
Hoxa1) et hoxb1a (équivalent Hoxb1) provoquent la transformation caudalisante de r2
en r4, similairement à ce qui est observé chez la souris (McClintock et al., 2001). De même, l’organisation neuronale du rhombomère 4 mime celle de r2 chez des poissons injectés avec un morpholino contre hoxb1a (McClintock et al., 2002). La perte de fonction hoxb1b produit un phénotype semblable au mutant murin Hoxb1a mais moins dramatique : r5 n’est pas perdu, en revanche les territoires r4‐r6 sont réduits et r3 est étendu caudalement (McClintock et al., 2002). Le double K.O. hoxb1b‐hoxb1a par injection de morpholinos accentue ce phénotype mais est également moins prononcé que le double mutant murin Hoxa1‐Hoxb1 (figure 30, McClintock et al., 2002). De façon intéressante, les gènes Hox PG1 pourraient être à l’origine du signal FGF dans r4 (Waskiewicz et al., 2002b). En effet, la surexpression ectopique de hoxb1a par injection d’ARN sur des embryons à 1 cellule entraine l’expansion rostrale et caudale de l’expression de fgf3, normalement restreint à r4. Cette expression est au contraire réduite dans les embryons injectés avec des morpholino dirigés contre hoxb1a et
hoxb1b.
Enfin, chez le xénope, l’inactivation, par injection de morpholinos, de chacun des trois gènes du groupe PG1 exprimés dans le rhombencéphale n’aboutit qu’à de faibles perturbations de la segmentation, touchant essentiellement r4 (McNulty et al., 2005). La combinaison de deux pertes de fonction accentue le phénotype mais l’expression de
Krox20 dans r3 et r5 est maintenue. En revanche, l’inactivation des trois gènes Hoxa1 Hoxb1‐Hoxd1 entraine une absence complète de segmentation et une perte des
marqueurs propres aux régions r2‐r7, incluant les gènes Hox PG2 à 4 et Krox20, ainsi qu’une extension postérieure du domaine d’expression de Gbx2, indiquant que le rhombencéphale acquiert une seule identité de type r1 (McNulty et al., 2005). Le phénotype plus grave du triple mutant chez le xénope, en regard du double mutant chez la souris ou le poisson, n’est pas expliqué à ce jour et suggère que Hoxd1 s’exprime peut‐ être dans le rhombencéphale murin et ichthyen de façon faible et transitoire, comme chez le xénope, et que cette expression n’a pas été détectée. Il est également possible qu’un autre Hox chez la souris et le poisson joue le rôle de Hoxd1 chez le xénope.
L’AR est le principal régulateur précoce caractérisé des gènes Hox PG1 et agit par l’intermédiaire de deux sites RAREs situés en aval des gènes Hoxa1 et Hoxb1 (Marshall et al., 1994; Frasch et al., 1995; Langston and Gudas, 1992). Leur mutation conduit à des
phénotypes assez similaires aux mutants simples Hoxa1 et Hoxb1 (Dupé et al., 1997; Gavalas et al., 1998; Studer et al., 1998). En plus de la boucle d’autorégulation, l’expression de Hoxb1 est également contrôlée par Hoxa1 en synergie avec des facteurs Oct et Sox (Di Rocco et al., 2001), les régulations croisées ou autologues étant fréquemment rencontrées chez les gènes Hox.
Les gènes Hox PG2 sont exprimés après ceux du groupe 1, à partir de 8‐8,5 jpc.
Hoxa2 est le gène Hox dont le profil d’expression est le plus antérieur puisqu’il s’étend
jusqu’à la frontière r1/r2 et est le seul gène Hox exprimé dans le rhombomère 2 (Krumlauf, 1993; Prince and Lumsden, 1994). Hoxb2 est exprimé postérieurement à la limite r3/r4 et de façon plus intense dans r3‐r5 (Krumlauf, 1993). Ces expressions sont conservées chez la souris, le poulet, le xénope et le poisson de r2 à r5 (Pasqualetti et al., 2000; Hunter and Prince, 2002). Postérieurement, Hoxa2 et Hoxb2 sont exprimés faiblement chez la souris, le poulet et le xénope mais pas chez le poisson.
Le phénotype du mutant murin Hoxa2 suggère une implication de ce dernier dans le processus de mise en place des territoires. La frontière r1/r2 est absente et les territoires r2 et r3 sont réduits au profit de r1, ce qui entraine un élargissement du cervelet et un rétrécissement du pons (Gavalas et al., 1997; Davenne et al., 1999; Barrow et al., 2000). Des défauts de spécification AP sont également observés avec le remplacement des structures du second arc branchial (colonisé par les cellules de la CN issues de r4) par la duplication en miroir des structures du premier arc (normalement colonisé par les cellules de la CN de r2), ce qui suggère une altération de l’identité de r4 (Gendron‐Maguire et al., 1993; Rijli et al., 1993). L’expression ectopique antérieure de Hoxa2 chez le poulet ou le xénope conduit à l’inverse au remplacement du premier arc branchial par des structures du second arc (Grammatopoulos et al., 2000; Pasqualetti et al., 2000). Le mutant murin Hoxb2 ne montre pas de défaut de segmentation (Barrow and Capecchi, 1996; Davenne et al., 1999). Toutefois, l’expression de Hoxb1 dans r4 y est abolie (observé seulement dans l’étude de Barrow et Capecchi) et les neurones somatiques du nerf facial VII (en regard de r4) ne se forment pas, ce qui est associé à une paralysie faciale observée également chez le mutant Hoxb1. Dans le double mutant
Hoxa2‐Hoxb2, les frontières inter‐rhombomériques entre r1 et r4 sont absentes, ce qui
réduction du territoire r2/r3 au profit de r1 est accentuée. L’expression des gènes
Krox20 ou Epha4 dans r3 est cependant toujours segmentée (Davenne et al., 1999). Malgré la conservation d’expression, les pertes de fonction de Hoxa2a et Hoxb2a chez le poisson‐zèbre ne sont pas associées à des défauts de segmentation. La perte de fonction d’un seul gène ne produit aucun phénotype (Hunter and Prince, 2002) tandis que la combinaison du K.O. des deux gènes est associée à des phénotypes seulement liés à la spécification AP.
L’expression de Hoxa2 et Hoxb2 est contrôlée directement par Hoxb1 dans r4 (Maconochie et al., 1997; Jacobs et al., 1999; Ferretti et al., 2000b; Tümpel et al., 2007)
et par Krox20 dans r3 et r5 (Sham et al., 1993; Nonchev et al., 1996; Vesque et al., 1996; Maconochie et al., 2001) ainsi que par des boucles d’auto‐ et d’inter‐régulation. L’expression de Hoxa2 dans r2 est contrôlée par un enhancer spécifique localisé dans le second exon du gène (Frasch et al., 1995; Tümpel et al., 2008) dont l’activité requiert la présence de deux sites de fixation aux protéines Sox.