II. Développement du système nerveux central des vertébrés
II.2. a) L’organisateur de Spemann
antérieurement en télencéphale qui donnera naissance aux hémisphères cérébraux, à l’hippocampe, aux bulbes olfactifs, et aux ganglions de la base, et postérieurement en diencéphale caractérisé par la présence des vésicules optiques et qui forme les diverses structures thalamiques recevant l’information de la rétine. Le cerveau moyen ne se subdivise pas et est à l’origine du tectum et du tegmentum ainsi qu’une partie du cervelet. Enfin, le rhombencéphale se sépare antérieurement en métencéphale et postérieurement en myélencéphale. Le métencéphale participera à la formation du cervelet et du pons tandis que le myélencéphale donnera naissance au bulbe rachidien. Postérieurement, le tube neural deviendra la moelle épinière. La taille relative des différentes vésicules et des structures qui en dérivent varie énormément au sein des différents groupes de vertébrés. Le diencéphale est par exemple très développé chez les amphibiens tandis que les mammifères présentent un télencéphale plus imposant. II.2. L’induction neurale II.2.a) L’organisateur de Spemann L’induction neurale désigne le processus qui commande à une partie des cellules de l’épiderme dorsal de se différencier en cellules neurales et de former la plaque neurale. Cette induction résulte de l’effet de signaux émis par les tissus adjacents, notamment par un groupe de cellules du mésoderme dorsal collectivement appelées « organisateur de Spemann ». La démonstration dans les années 1920 du rôle inducteur des cellules de l’organisateur de Spemann constitue l’une des expériences les plus spectaculaires de la biologie du développement (Spemann and Mangold, 2001). Elle repose sur le prélèvement de cellules mésodermiques au niveau de la lèvre dorsale du blastopore de triton et à leur transplantation dans l’ectoderme ventral d’embryons au même stade (figure 12). Cette greffe conduit à l’induction d’un second axe embryonnaire complet. Des expériences de traçages ont montré que la majorité du système nerveux de l’embryon surnuméraire provenait du recrutement de cellules de l’ectoderme ventral de l’embryon hôte, le tissu transplanté ne contribuant qu’à la notochorde, aux somites et à la partie la plus axiale du neuroectoderme, le plancher du tube neural (Gimlich & Cooke, 1983). Ainsi, l’organisateur de Spemann est capable d’induire les régions auprès desquelles il est transplanté à devenir du tissu neural et de générer une organisation
Figure 12. Expérience de Spemann et Mangold: découverte de l’organisateur de Spemann
a: la lèvre dorsale du blastopore d’une jeune gastrula de triton est transplantée dans l’épiderme ventral
d’un second embryon du même âge.
b: le tissu greffé s’invagine et induit la formation d’un second axe complet constitué de tissus de l’hôte et
du greffon (en rouge).
c: la transplantation a provoqué l’induction d’un second axe embryonnaire complet et le développement
Lèvre dorsale du blastopore
a
c
b
Notocorde pr2sump4ve Somites pr2somp47s Endoderme pr2somp47 Endoderme pr2somp47 :nva;ina4on primaire blastocyste !n#a%ina'on secondaire Somites Tube neural Notocorde Lumière de l9intes'n Lumière de l=intes4n Notocorde Somites Tube neural :nva;ina4on primaire
cohérente de ce tissu. Strictement, l’organisateur de Spemann désigne la région organisatrice du blastopore amphibien, puisque c’est chez le triton qu’il a été caractérisé pour la première fois. Des équivalent fonctionnels ont été identifiés chez les autres groupes de vertébrés : il s’agit du bouclier chez les téléostéens et du nœud de Hansen chez les amniotes (Beddington, 1994; Shih & Fraser, 1996; waddington, 1950).
II.2.b) Les voies de signalisation instruisant l’induction
La capacité de l’organisateur à modifier le destin de cellules voisines suggère l’existence de molécules diffusibles produites par l’organisateur et relayant ses instructions. L’identification des facteurs chordin, noggin et follistatin exprimés dans l’organisateur de Spemann et antagonistes des BMPs (Bone Morphogenetic Proteins) a permis l’établissement d’un premier modèle d’identité neurale « par défaut ».
En effet, si des cellules de l’ectoderme dorsal de xénope prélevées au stade blastula sont cultivées in vitro, elles se différencieront en épiderme. Mais si ces cellules sont préalablement dissociées, elles acquerront une identité neurale. Cela suggère que les cellules de l’ectoderme ont une tendance autonome à développer une identité neuronale par défaut et que cette tendance est inhibée par des signaux diffusibles qui dirigent les cellules vers un destin épidermique. Ce sont les BMPs, exprimés dans tout l’ectoderme précoce, qui jouent ce rôle d’inhibiteur de différenciation neurale. Ainsi, l’incubation de cellules ectodermales dissociées avec le facteur BMP4 réprime la différenciation neuronale et induit la transformation en épiderme (Wilson and Hemmati‐Brivanlou, 1995).
Dans la gastrula, l’organisateur promeut la différenciation en tissu neural en secrétant les facteurs chordin, noggin et follistatin qui antagonisent les BMPs et inactivent leurs fonctions inhibitrices (Hemmati‐Brivanlou and Melton, 1994). Les facteurs noggin et chordin se lient avec une forte affinité aux BMPs ou à leur récepteurs (Hansen et al., 1997; Piccolo et al., 1996) tandis que la follistatin peut lier les deux molécules simultanément et former des complexes trimériques inactifs (Iemura et al., 1998).
Bien que l’importance du modèle par défaut soit largement reconnue, il ne suffit pas à expliquer seul le processus d’induction neurale. En particulier, l’ablation génétique ou chirurgicale de l’organisateur chez la souris ou le poisson‐zèbre n’empêche pas la plaque neurale de se former (Klingensmith et al., 1999; Shih & Fraser, 1996). Cela
Figure 13. Modèle d’activation-transformation de Nieuwkoop complété par Stern
Le modèle propose que l’induction neurale et la régionalisation AP se produisent en deux étapes requérant trois types de signaux. L’induction neurale a lieu au cours d’une première étape d’« activation », peu avant la gastrulation, pendant laquelle l’hypoblaste chez le poulet ou l’AVE chez la souris, peut-être en combinaison avec les précurseurs de l’organisateur (nœud de Hansen chez les mammifères), promeuvent un état pré-neural et une identité antérieure. Pour conserver un destin pré-neural, les cellules doivent également recevoir des signaux stabilisateurs en provenance de l’organisateur et/ou de ses descendants (mésendoderme précordal). Ensuite, les régions situées à proximité de l’organisateur vont être progressivement « transformées » en structures postérieures à mesure qu’elles sont soumises à des intensités croissantes de facteurs caudalisants, quantitativement ou temporellement.
AVE : Anterior Visceral Endoderm Modifié de Stern, 2001.
suggère que l’induction neurale précède la formation de l’organisateur et que des signaux autres que les inhibiteurs aux BMPs sont également impliqués. Un ensemble d’études (revu ici : Stern, 2005; Leclerc et al., 2011) montre que les FGFs (Fibroblast Growth Factors) sont aussi nécessaires à l’induction neurale. Par exemple, l’inactivation de la signalisation FGF par l’injection d’une version dominante négative d’un récepteur dans un embryon amphibien bloque l’induction neurale (Launay et al., 1996; Sasai et al. , 1996). À l’inverse, la co‐injection dans des blastomères d’inhibiteurs des BMPs et d’ARNm FGF4 induit les cellules de la partie ventrale à adopter une identité neurale, ce qui n’est pas observé lorsque seuls les inhibiteurs des BMPs sont injectés (Linker and Stern, 2004; Delaune et al., 2005). La concentration locale en ion calcium semble également jouer un rôle important pour l’induction neurale (Moreau et al., 2008).
Ces différentes voies de signalisation présentent des régulations croisées (figure 14a) et l’information qu’elles portent est intégrée au niveau de la régulation des FTs Zic1 et Zic3, qui semblent être les principaux effecteurs de la différenciation neurale en activant l’expression du marqueur neural terminal Sox2 (Marchal et al., 2009).
II.3. Régionalisation du tube neural
La mise en place des différentes structures nerveuses au niveau du neuroectoderme nouvellement induit implique l’acquisition d’une identité positionnelle AP et dorso‐ventrale. Nous ne nous intéresserons ici qu’aux mécanismes impliqués dans l’identité AP. II.3.a) Le modèle « activation‐transformation » de Nieuwkoop Le principal modèle considéré pour rendre compte de la régionalisation AP de la plaque neurale est celui de Nieuwkoop, revisité en 2001 par Stern (figure 13, Nieuwkoop, 1952; Stern, 2001). Selon ce modèle, l’induction neurale décrite précédemment permet l’acquisition d’une identité neurale antérieure au cours d’une première étape dite d’ « activation ». Le maintien de cette identité va nécessiter l’action d’un signal stabilisateur en provenance de l’organisateur et de ses dérivés mésodermaux. Puis, au cours d’une seconde étape dite de « transformation », la plaque