II. Développement du système nerveux central des vertébrés
II.3. Régionalisation du tube neural
suggère que l’induction neurale précède la formation de l’organisateur et que des signaux autres que les inhibiteurs aux BMPs sont également impliqués. Un ensemble d’études (revu ici : Stern, 2005; Leclerc et al., 2011) montre que les FGFs (Fibroblast Growth Factors) sont aussi nécessaires à l’induction neurale. Par exemple, l’inactivation de la signalisation FGF par l’injection d’une version dominante négative d’un récepteur dans un embryon amphibien bloque l’induction neurale (Launay et al., 1996; Sasai et al. , 1996). À l’inverse, la co‐injection dans des blastomères d’inhibiteurs des BMPs et d’ARNm FGF4 induit les cellules de la partie ventrale à adopter une identité neurale, ce qui n’est pas observé lorsque seuls les inhibiteurs des BMPs sont injectés (Linker and Stern, 2004; Delaune et al., 2005). La concentration locale en ion calcium semble également jouer un rôle important pour l’induction neurale (Moreau et al., 2008).
Ces différentes voies de signalisation présentent des régulations croisées (figure 14a) et l’information qu’elles portent est intégrée au niveau de la régulation des FTs Zic1 et Zic3, qui semblent être les principaux effecteurs de la différenciation neurale en activant l’expression du marqueur neural terminal Sox2 (Marchal et al., 2009).
II.3. Régionalisation du tube neural
La mise en place des différentes structures nerveuses au niveau du neuroectoderme nouvellement induit implique l’acquisition d’une identité positionnelle AP et dorso‐ventrale. Nous ne nous intéresserons ici qu’aux mécanismes impliqués dans l’identité AP. II.3.a) Le modèle « activation‐transformation » de Nieuwkoop Le principal modèle considéré pour rendre compte de la régionalisation AP de la plaque neurale est celui de Nieuwkoop, revisité en 2001 par Stern (figure 13, Nieuwkoop, 1952; Stern, 2001). Selon ce modèle, l’induction neurale décrite précédemment permet l’acquisition d’une identité neurale antérieure au cours d’une première étape dite d’ « activation ». Le maintien de cette identité va nécessiter l’action d’un signal stabilisateur en provenance de l’organisateur et de ses dérivés mésodermaux. Puis, au cours d’une seconde étape dite de « transformation », la plaque
neurale stabilisée est soumise à l’action de facteurs caudalisants produits par l’organisateur et qui promeuvent l’acquisition d’une identité postérieure. La partie la plus antérieure de la plaque neurale est protégée de l’activité transformante de ces signaux par l’endoderme viscéral antérieur (AVE), un groupe de cellules situées antérieurement à l’organisateur qui va sécréter des antagonistes aux facteurs caudalisants et promouvoir des mouvements morphogénétiques déplaçant la partie antérieure de la plaque neurale loin de l’organisateur.
II.3.b) Les acteurs moléculaires de la transformation: Wnt, AR et FGF (figure 14b)
Les acteurs de la voie de signalisation Wnt, exprimés précocement dans les régions postérieures de l’embryon, jouent un rôle majeur dans la spécification des identités caudales (diencéphale, mésencéphale, rhombencéphale et moelle épinière). Par exemple, la surexpression de Wnt3a chez le xénope réprime l’expression de marqueurs antérieurs et active celle des marqueurs postérieurs (McGrew et al., 1995). À l’inverse, en présence d’inhibiteurs de cette voie seuls des marqueurs du télencéphale sont induits (Nordström et al., 2002, 2006). Les protéines Wnt constituent vraisemblablement le signal effecteur responsable de l’activité caudalisante du mésoderme paraxial qui est capable de conférer une identité postérieure à la plaque neurale sus‐jacente (Muhr et al., 1997, 1999). En effet, les protéines Wnt issues du mésoderme paraxial induisent l’expression d’autres gènes Wnt dans la plaque neurale. La spécification caudale par les Wnt est instructive : sur des cultures d’embryons in
vitro, des quantités croissantes de Wnt confèrent aux cellules neurales une identité de
plus en plus postérieure. L’AVE protège la partie antérieure du tube neural de cette activité caudalisante en sécrétant des facteurs antagonistes impliquant le gène Otx2 (Perea‐Gomez et al., 2001). La transformation par les Wnt nécessite la présence des FGF. L’acide rétinoique (AR) est également très largement impliqué dans la caudalisation de la plaque neurale. C’est une petite molécule diffusible synthétisée au niveau du mésoderme paraxial par l’enzyme RALDH2 et dont la présence est finement régulée par les enzymes de dégradation CYP26 exprimées dans la plaque neurale (Reijntjes et al., 2005). La répartition et l’activité de ces deux enzymes établiraient un gradient AP de distribution de l’AR dans la plaque neurale permettant une postériorisation progressive du tissu neural (Glover et al., 2006). L’augmentation ou la diminution exogène du niveau d’AR dans l’embryon corrèle respectivement avec une
Figure 14. Principaux acteurs de l’induction neurale et de la régionalisation AP précoce du système
nerveux
a: L’inhibition de la voie BMP, la signalisation FGF et la modulation de la concentration locale en calcium
vont induire la formation de la plaque neurale en activant l’expression des facteurs Zic1 et Zic3 et du marqueur neural final Sox2.
Modifié de Aruga et Mikoshiba, 2011.
b: les Wnt transforment ensuite le territoire neural en induisant des destins de plus en plus postérieurs. La
définition et le maintien du rhombencéphale requièrent de plus l’action concertée des FGF et l’AR. Extrait du manuscrit de thèse de Y. Bouchoucha, 2012.
Zic1 Sox2 Plaque neurale AR Wnt Gbx2 Otx2 Meis3 Zic1 pre-télencéphale pre-diencéphale pre-mésencéphale pre-rhombencéphale pre-moelle épinière Fgf 8 FGF4 inhibition du signal BMP Zic3 Ca2+ BMP2/4 Chordin Noggin signal FGF
a b
Figure 15. Centres organisateurs secondaires dans le tube neural
Représentation schématique dans un embryon de souris à 9,5 jpc des différents centres organisateurs secondaires intervenant dans la régionalisation AP du tube neural: l’ANR (Anterior Neural Ridge), la ZLI (Zona Limitans Intrathalamica), la MHB (Midbrain Hindbrain Boundary également appelée organisateur isthmique) et le rhombomère 4.
postériorisation des structures antérieures ou la perturbation de la formation du rhombencéphale (Durston et al., 1989; White et al., 2000). Comme nous le verrons plus loin, l’AR, en combinaison avec les FGFs et postérieurement avec les FTs Cdx, induit l’expression de gènes Hox spécifiques du rhombencéphale et de la moelle épinière (Bel‐ Vialar et al., 2002).
Les FGFs, dont nous avons déjà décrit un premier rôle bimodal dans l’induction neurale, interviennent également dans le processus de transformation caudalisante (Dorey and Amaya, 2010). Le plus souvent, les FGFs n’agissent pas seuls mais en coordination avec les autres voies de signalisation. Ils exercent par exemple une activité permissive à la transformation caudale par les Wnts ou modulatrice vis‐à‐vis de noggin qui promeut l’expression de marqueurs neuraux antérieurs lorsqu’elle est utilisée seule ou postérieurs lorsqu’elle est combinée avec les FGFs (Cox and Hemmati‐Brivanlou, 1995).
Plus tardivement, des organisateurs locaux secondaires se mettent en place et affinent le patron AP. Trois régions organisatrices sont communément décrites (figure 15, Echevarría et al., 2003). À l’extrême limite antérieure du tube neural, l’ANR (Anterior Neural Ridge) promeut le développement télencéphalique. Plus postérieurement, la ZLI (Zona Limitans Intrathalamica) sépare les deux sous‐compartiments les plus postérieurs du prosencéphale et spécifie leurs propriétés et leur organisation spatiale. Enfin, à la frontière entre le mésencéphale et le rhombencéphale, l’organisateur isthmique (également appelé MHB pour ‘Midbrain‐Hindbrain Boundary’)) agit comme une source locale de molécules FGF8 qui permet la régionalisation du mésencéphale d’une part et la spécification du rhombencéphale antérieur d’autre part en y empêchant l’expression des gènes Hox (Irving and Mason, 2000). Le sous‐compartiment le plus central du rhombencéphale, le rhombomère 4, peut également être considéré comme un organisateur secondaire local (Mason, 2007). En effet, il est le siège de la production de signaux FGF (Maves et al., 2002; Walshe et al., 2002) qui vont être requis pour la formation et la spécification des rhombomères adjacents (Marín and Charnay, 2000; Hernandez et al., 2004a).