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Une évolution de l’image

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ses dimensions apparentes. « C’est une représentation qui met en scène

l’espace tel qu’il se parcourt. »5

Cependant, comme toute représentation, elle reste une vision restrictive de la réalité. La vision humaine est basée sur le mouvement continu de la tête et des yeux qui viennent capter une succession d’images. Par un processus quasi instantané, le cerveau est en mesure de reconstituer toutes ces images afin de donner une conscience visuelle de l’espace qui nous entoure : « l’espace perçu c’est celui qui

est devant avec la présence de celui qui est derrière. »6 De ce fait, une

représentation perspective ne constitue qu’un instant privilégié de la vision, figé dans l’espace et isolé dans le temps. Ce qui est symptomatique de la plupart de nos moyens de représentation en architecture. On opère une « réduction » en une figure plane, un objet qui réclame une expérience complète des sens. Roland Recht nous explique que cette « réduction dépouille l’objet représenté de toute une

somme d’informations pour n’en retenir que quelques-unes. »7 Selon

lui, cette réduction est nécessaire puisqu’elle réduit à la fois l’échelle, mais également les propriétés de l’objet représenté. L’observateur peut ainsi appréhender l’ensemble de l’édifice en le substituant à un grand nombre de ses composants : « le dessin rétrécit le champ optique du

spectateur et lui permet d’embrasser l’ensemble des formes d’un coup d’œil : il supprime le temps qui est un facteur fondamental dans la perception architecturale. »8 Si cette vision réductrice parait essentielle pendant la

genèse du projet pour appréhender les subtilités formelles d’un édifice, elle peut s’avérer trompeuse dans un processus de communication : elle retire à l’architecture une grande partie de ses constituants. Si la représentation perspective peut satisfaire le regard, elle laisse de côté

5 Durand, and Luigi Snozzi. La représentation du projet comme instrument de conception : Approche pratique et critique ; suivi d’un entretien avec Luigi Snozzi. Paris : Ed. de la Villette, 2003, p.55.

6 Ibid, p.56.

7 Recht, Roland. Le dessin d’architecture : origine et fonctions. Paris : À. Biro, 1995, p.133 8 Ibid, p.132.

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une part importante de l’expérience spatiale.

Dans son ouvrage L’Architecture et nos sens, Marc Crunelle nous explique que les représentations visuelles instaurent une distance avec l’objet représenté. Le spectateur ne se projette pas au sein de l’image, il se contente de se positionner face à elle. Elle représente une situation particulière qui échappe à la notion de temps. De ce fait, elle omet une grande partie de l’expérience sensorielle propre au parcours d’un espace architectural. Selon ses dires « L’expérience de l’architecture est

bien multisensorielle et le fait de réduire cette multitude d’impressions seulement à des dessins, à des photographies, l’ampute d’une grande partie de ses constituants. »1 Cette dernière remarque nous amène

à nous questionner sur l’essence même de la représentation en architecture. Comment aller au-delà du simple aspect visuel figé ? N’y aurait-il pas des insuffisances dans les modes de représentations actuels utilisés par l’architecte ?

Cette tradition selon laquelle l’architecture est perçue comme un objet statique tient de cette culture visuelle issue de la représentation perspective, de laquelle découleront toutes les représentations photoréalistes « irréelles » de la CAO. Malgré les avancées technologiques en matière d’informatique, force est de constater que les images de synthèse s’inscrivent dans le prolongement cette tradition initiée avec la représentation perspective, réutilisant les mêmes codes de compositions et de formats. Même si l’espace architectural est conçu dans un espace euclidien correspondant à une surface plane, il n’est certainement pas l’environnement dans lequel il est construit et encore moins habité2. De ce fait, pourquoi faudrait-il représenter

la finalité d’un projet dans ce même espace plat, figé dans l’espace et le temps ?

1 Crunelle, Marc. L’Architecture et nos sens. Bruxelles : Presses Universitaires de Bruxelles, 1996, p.140.

2 Latour, Bruno et Yaneva, Albena. Point de vue d’une fourmi sur l’architecture, art. cit., p.3

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Si le cinéma peut apporter une réponse satisfaisante, c’est grâce à sa faculté à réintroduire le mouvement au sein de l’image. L’espace est à nouveau parcouru, éprouvé et ne se limite plus à un simple positionnement limité dans l’espace. Cependant, le cinéma traditionnel reste limité à la notion de cadre et reste contraint par les mêmes principes de composition évoqués précédemment. Aujourd’hui, cette omniprésence du tout visuel est confortée par la démultiplication des systèmes de capture et de création d’images. Cette nécessité de capturer des images tient certainement du besoin humain constant de prendre conscience de l’endroit où il se trouve. Des dispositifs comme la vue panoramique tendent à s’émanciper de la notion de cadre, en embrassant un point de vue plus global. Comme l’explique Bruno Latour, le panorama réalise un plus grand nombre de connexions entre les différentes visions possibles, mais à un degré supérieur de synthèse. Au lieu d’obtenir une addition de différents points de vue, c’est-à-dire une couche d’information disparate, ils sont rassemblés pour n’en former plus qu’un, plus grand, qui donne à voir de façon plus synthétique l’espace qu’il représente.

Dans le prolongement de la vue panoramique, un nouveau type de représentation à fait son apparition dans le début des années 2000. Développé par la Société des arts technologiques de Montréal, le principe de la Domoscopie permet de visualiser une image à 360°. Cette image est recomposée numériquement grâce à différentes vues prises à un point donné. Ces vues sont ensuite resituées sur une sphère à l’intérieur de laquelle le spectateur pourra observer l’image. Cette technologie a notamment été utilisée par le journaliste et documentariste Tito Dupret pour le projet World Heritage Tour3.

Il s’est donné pour objectif de photographier avec ce dispositif l’ensemble des sites inscrits au Patrimoine mondial Unesco, offrant alors la possibilité aux internautes d’explorer ces clichés à 360° sur un

3 http://whc.unesco.org/

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écran plat depuis chez eux. Cette technologie apporte une nouvelle approche au traitement de l’image puisqu’elle donne la possibilité de se mouvoir virtuellement dans celle-ci 1. Aujourd’hui, cette technologie

s’est largement rependue, et des caméras sont désormais accessibles à tous pour réaliser ce type de cliché/vidéo, à condition d’y mettre le prix. Cette méthode de visualisation a également été intégrée dans des logiciels de rendu d’images de synthèse, permettant d’adapter cette technique de visualisation à des espaces virtuels. Comme avec la version 3.2 de l’application V-Ray pour 3D Studio Max qui offre la possibilité de créer ce que l’on appelle des stereo cube maps. Le principe est le même, à la différence que les vues sont restituées sur un cube et non sur une sphère.

Ces évolutions des techniques de représentation/visualisation s’inscrivent dans une volonté de favoriser l’immersion du spectateur, de le rendre toujours plus présent et actif au sein de l’image. Notre regard est limité par notre champ de vision, de ce fait nous avons traditionnellement eu tendance à imposer un cadre à nos représentations. Dans certains cas, il peut agir activement en stimulant l’imaginaire du spectateur pour le pousser à interpréter ce qu’il se passe en dehors des limites du cadre : comme avec le hors-champ au cinéma. Mais il peut également nous tenir à distance avec ce qui est représenté en nous mettant en situation de face à face avec l’image. Contrairement aux techniques de représentation traditionnelles, notre champ de vision n’est pas régi par les règles de construction et de composition imposées depuis des siècles par la perspective. Donner le choix au spectateur de favoriser un point de vue plutôt qu’un autre au sein d’une même image est une dimension relativement nouvelle. Cela permet de renforcer le sentiment d’immersion de l’observateur puisqu’il est lui-même maître de son propre cadre. Ce changement de dimension apporte de nouvelles perspectives au champ de la

1 Cormerais, Franck, and Jacques Gilbert. Poétique(s) du numérique. Lavérune : L’Entretemps éditions, 2015, p.105.

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représentation en architecture : « car il existe toujours la possibilité non

seulement d’un point de vue qui m’échappe, mais aussi un point de vue à partir duquel c’est une autre réalité qui se dessine dans mon champ de vision. »2

2 Cormerais, Franck, and Jacques Gilbert. Poétique(s) du numérique. Lavérune : L’Entretemps éditions, 2015, p.105.

Exemple de photo en Stereo cube Map. Ici la photo est dépliée pour être visualisée à plat.

Source: http://paulbourke.net/stereographics/stereopanoramic/

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Les équipements de réalité virtuelle tels que les casques permettent de visualiser un espace à 360° et retranscrivent également l’illusion des distances et de la profondeur.

Lorsque l’on regarde une image sur un support plat sans équipement stéréoscopique, cela demande un effort d’interprétation, car c’est une projection perspective d’un espace sur une surface plane. Des techniques telles que les variations de lumière et d’ombre sur une surface, ou bien les variations de lisibilité dans une scène extérieure donnent des indices à notre cerveau pour interpréter les distances entre chaque objet dans une scène : c’est ce que l’on nomme la perception visuelle de la profondeur par indices monoculaires1. Elle permet à

notre cerveau de distinguer la position des objets les uns par rapport aux autres sur une représentation plane. En revanche, une image en relief restitue la séquence des plans en fonction de leur position dans l’espace. Grâce au principe de stéréoscopie décrit en première partie, les casques VR reproduisent une sensation de relief. Il est plus aisé pour notre cerveau de se rendre compte des notions de distance et de profondeur grâce à une image en relief si le principe est correctement appliqué. Ce procédé participe au sentiment de présence que l’on ressent lors d’une expérience de réalité virtuelle.

1 Fuchs, Philippe, Guillaume Moreau, and Alain Berthoz. Le traité de la réalité virtuelle. Paris : Les Presses de l’École des Mines, 2003, p.136-137

3 RÉALITÉ VIRTUELLE: LE CORPS ET L’ESPACE

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Une des particularités des casques VR tient dans le fait qu’ils nous isolent du monde extérieur. Le spectateur a donc plus d’aisance à se projeter dans l’espace qu’il perçoit grâce au visiocasque. C’est ce que l’on appelle le sentiment de présence.

Le sentiment de présence, au même titre que la réalité virtuelle, n’est pas quelque chose de nouveau. Un équivalent de ce terme existe pour parler des œuvres de fiction dans la littérature, le cinéma ou encore le théâtre : la suspension volontaire d’incrédulité2. Ce sentiment se

manifeste par l’acceptation du spectateur ou du lecteur de la véracité d’une œuvre de fiction, c’est-à-dire qu’aucun doute n’est posé sur l’authenticité de l’expérience qu’il est en train de vivre. Autrement dit, il s’agit de l’acceptation mentale de vivre une expérience de fiction comme s’il s’agissait du réel. Il est question de mettre son scepticisme de côté pour prendre part à l’expérience, le temps de la consultation d’une œuvre. On peut donc voir que cette thématique et les questionnements qu’elle suscite sont remis à l’ordre du jour avec l’arrivée de la réalité virtuelle.

Ce sentiment de présence ou de suspension volontaire d’incrédulité se retrouve dans un exemple célèbre du cinéma, lorsqu’il en était encore qu’à ses prémices. Le premier film des frères Lumière L’Entrée

d’un train en gare de La Ciotat, montrait comme son nom l’indique,

l’arrivée d’un train en gare. Les spectateurs, plongés dans l’obscurité, ont pu assister à ce qui constitua le précurseur du plan subjectif au cinéma. Malgré son caractère non intentionnel, cette prise de vue à hauteur d’œil pendant l’arrivée du train suscita une forte réaction de la part de l’audience. L’histoire raconte que la projection eut un effet tel sur les spectateurs qu’ils se précipitèrent au fond de la salle craignant

2 C. HAND, “Other Faces of Virtual Reality”, Proceedings of the East-West International Conference on Multimedia, Hypermedia and Virtual Reality, Moscow, Sept. 14-16 1994, p. 69.

Le sentiment de présence