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Chapitre III. Outils et réflexions méthodologiques

5. Éthique et réflexivité

Mon terrain étant également mon premier voyage en Chine, les considérations éthiques ont primé sur les autres, et ce, avant même mon départ. En effet, j’avais choisi sciemment un sujet relativement apolitique aux yeux du pouvoir en place, mais ma simple position de chercheur étranger a influencé mes données. En effet, en contexte chinois, il ne sert à rien de vouloir promettre une confidentialité: le seul résultat est une méfiance accrue : « Est-ce que ta recherche est légale ? » m’a-t-on dit à plusieurs reprises. Je pense que la plupart des étrangers estiment que les Chinois vivent sous une chape de plomb. La réalité est beaucoup plus complexe, et mon terrain va dans le même sens que le sinologue Pimpaneau qui constate qu’au sein de la société chinoise, les Chinois n’ont plus peur de leurs compatriotes (Pimpaneau, 2017 : 14) : la jeune génération pékinoise n’hésite pas à parler à cœur ouvert lorsqu’elle se sent en confiance.

Ceci étant dit, et malgré ce changement significatif que traverse la société chinoise actuelle, ils ne se dévoileront que s’ils le désirent vraiment, et se présenter comme un chercheur de manière directe est le meilleur moyen pour qu’ils ne soient pas intéressés à participer au projet, et ce quel que soit sa finalité. De plus, le fait d’être un étranger (ni touriste ni travailleur accrédité en Chine) compliquait encore les relations dans le cadre de ma recherche. Un chercheur chinois cité il y a plus de vingt ans reste à ce sujet d’actualité: « people have definite limits on what they would say to a foreigner. If I were giving my opinion to foreigners, for instance, I would not tell them anything that in any way questions government policy » (cité dans Curran et Cook 1993: 77).

Les Pékinois que j’ai rencontrés sont généralement extrêmement curieux vis-à-vis des étrangers, mais la prudence reste de mise, même sur un sujet d’apparence anodine. Plus que le danger politique en ce qui m’a concerné, le pourquoi j’étais là sans ma famille, et le pourquoi je m’intéressais aux mariages ont été des questions formulées ou non qui ont réduit mes capacités d’exploration au début de chaque nouvelle rencontre. De plus, le

mariage est un sujet lourd pour les jeunes Chinois, et ce pour de multiples raisons (voir la partie contextuelle), créant un contexte d’enquête et de rencontre moins favorable que celui espéré de loin.

Pour continuer sur l’éthique, j’ai dû également en faire preuve au quotidien. En effet, lors de mon terrain, certains de mes informateurs étaient très intéressés à savoir quelle école photographique je préférais, et surtout pourquoi. En tant qu’Occidental fumant parfois la cigarette électronique, ce qui reste atypique même à Pékin (« trop cool » m’a dit une de mes informatrices lorsque je me suis mis à vapoter), je ne savais pas vraiment si la réponse à cette question pouvait avoir des conséquences. Sans cacher mes opinions à mes informateurs privilégiés avec qui je suis devenu ami, je bottais en touche la plupart du temps, disant que comme cette pratique ne se faisait pas chez moi, je ne savais pas vraiment quoi en penser, ou encore que je les aimais toutes. En vérité, ma position de chercheur a fait en sorte que tout comme les Chinois, j’étais très prudent vis-à-vis de ce que je disais lors de nouvelles rencontres.

Vis-à-vis des professionnels, je n’ai jamais caché que j’étais en position de chercheur. Le résultat fût que les discussions tournaient court, ou se refroidissaient, mais je me voyais mal faire l’anthropologue-espion disant se renseigner pour son propre mariage (le terrain aurait alors été beaucoup plus fructueux en données) qui disparait par la suite. Certains me laissaient tout de même visiter leur commerce, mais la plupart me cantonnaient dans la salle d’accueil en me disant qu’ils ne me comprenaient pas assez pour pouvoir répondre à ma requête. Un studio m’a proposé d’acheter des clichés, ce qui me permettrait d’avoir une visite et un échange verbal approfondi avec un extra. J’ai refusé, tout comme je me suis dit non catholique lors de ma rencontre avec le prêtre en chef d’une église, malgré mon baptême en bonne et due forme.

À ces incompréhensions s’ajoute le fait que le Nouvel-An chinois et ma sortie du territoire pour raison administrative ont morcelé mon terrain sans que je puisse y remédier. Finalement, c’est bien du terrain, et de ses acteurs qu’a émergé mon sujet. D’un point de vue réflexif, je ne peux cacher mes incompréhensions multiples, et mes phases de démotivation, mais pour citer une de mes informatrices principales : « C’est normal. Pour nous, les Français ne sont pas faciles à comprendre non plus. Tu comprends mieux comment les choses marchent ici que lorsque je t’ai rencontré ». Je pense encore en

écrivant ces lignes ne pas avoir été complètement à la hauteur de mon terrain, mais j’espère bien à l’avenir utiliser le peu que j’y ai appris.

Ma recherche a donc été qualitative et empirico-déductive, se déroulant en pleine théorisation ancrée. Ayant préféré des discussions profondes à la quantité de contacts, mon échantillonnage, s’il faut le souligner, est non-probabiliste (Bernard, 2002 : 146). Les entretiens (formels ou informels) n’ont jamais été enregistrés, et ont été reconstitués à partir des notes prises lors de celle-ci, et surtout dès qu’elles avaient pris fin. Lorsqu’elles s’étaient bien passées, elles ont été affinées par d’autres rencontres. Une bonne partie de mes informations proviennent également de discussions via WeChat (certaines entrevues se sont même déroulées exclusivement sur ce réseau social).