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Xiangce, les albums photos prémaritaux chinois : ce que les imaginaires visuels hybrides des fiancés nous disent sur les transformations du mariage en Chine urbaine contemporaine

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

© Adrien Savolle, 2019

Xiangce, les albums photos prémaritaux chinois. Ce que

les imaginaires visuels hybrides des fiancés nous

disent sur les transformations du mariage en Chine

urbaine contemporaine

Mémoire

Adrien Savolle

Maîtrise en anthropologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

(2)
(3)

Résumé du mémoire

Fondé sur l’analyse de dix albums de photos prémaritaux, ainsi que sur des entrevues et des observations directes menées en Chine continentale urbaine, ce mémoire a pour ambition de comprendre comment les imaginaires mobilisés dans ces clichés photographiques par de jeunes Chinois en instance de mariage nous renseignent sur l’évolution de leurs désirs, que ceux-ci prennent pour objet le couple ou la réussite sociale. Partant de la constatation que ces imaginaires sont hybrides, à savoir localement construits et influencés par des référents issus de la globalisation, je cherche à analyser plus finement les processus à l’œuvre dans cette imbrication du local et du global.

Cette enquête a permis de faire ressortir, au sein d’une société fondée traditionnellement sur la piété filiale, les transformations des valeurs se rapportant au mariage, au couple et à la famille. À cela s’ajoute une analyse genrée des imaginaires, étant donné le contraste observé entre fiancés et fiancées lorsqu’ils sont interrogés sur leurs conceptions et idéaux. Les résultats tendent à montrer que les jeunes fiancés chinois, hommes et femmes, sont tiraillés entre des désirs de natures différentes, à savoir des désirs enracinés dans la culture locale et d’autres distillés par la globalisation, une tension non résolue, souvent déchirante, entre régimes de valeurs antinomiques.

(4)

Abstract

Based on the analysis of ten premarital photo albums as well as interviews and direct observations conducted in urban areas of Mainland China, this M.A. thesis seeks to understand how the social imaginaries experienced in these photos by young Chinese in the process of marriage, captured the evolution of their desires, whether the emphasis is put on the couple itself or social success.

Considering that these social imaginaries are in fact hybrid, meaning that they were locally built but influenced by referents issued from globalization, I am looking to analyze more specifically the process in this intricate combination of local and global influences.

This research has allowed to bring out, at the heart of a society traditionally based on the principle of filial piety, the transformations of values regarding marriage, couple life and family. In addition to that we consider a gendered analysis of social imaginaries, as disparities have been observed between fiancés and fiancees when asked about their conceptions and ideals.

The results tend to show that young engaged Chinese men and women are torn between desires of different nature, some of which are engrained in local culture while others stem from globalization, exacerbating an unresolved tension, often wrenching, between opposite sets of values.

(5)

简介

本文通过对 10 份婚前相册的分析,以及在中国大陆城市进行的访问和直接观察, 旨在了解准备结婚的中国年轻人对结婚照的构想如何展示了他们需求的演变,无论 是关于夫妻还是关于其社会上的成功。 根据观察,这些构想是混杂的,即形成于地方特色又受全球化参照的影响。我试图 更精确地分析这种地方与整体交织的过程。 这项调查揭示了一个传统上基于孝道的社会,以及与婚姻,夫妻和家庭相关的价值 观的转变。除此之外,鉴于未婚夫和未婚妻在被问及他们的观念和理想时所观察到 的对比,我还增加了一个对男女构想区别的分析。 结果表明,中国年轻的未婚夫妻总是在不同性质的需求之间左右为难,即根深蒂固 于当地文化中的需求和其他提炼自全球化的需求。在相互对立的价值体系之间,悬 而未决的紧张感,往往令人心碎。

(6)

Table des matières

Résumé du mémoire ... iii

Abstract ... iv

简介... v

Liste des figures ... ix

Remerciements ... xii

Introduction ... 1

Chapitre I. Cadre contextuel : les mariages en Chine et leur évocation photographique ... 4

1. Le mariage : une institution centrale de la société chinoise traditionnelle ... 4

1.1. Le mariage comme instrument d’une idéologie politique ... 5

1.2. Des informations rares et parcellaires ... 7

2. Le turbulent 20e siècle et les transformations relatives au mariage ... 8

2.1. Les changements relatifs au mariage de la fin de la dynastie des Qing à la prise du pouvoir par les communistes ... 8

2.2. La loi sur le mariage de 1950 ... 10

2.3. Les effets de la Révolution culturelle sur les mariages ... 11

2.4. L’évolution des mariages depuis Deng Xiaoping ... 12

2.4.1. Réforme libérale et globalisation ... 12

2.4.2. Derniers changements législatifs et constance du caractère familial des mariages chinois 15 3. Les albums de photos xiangce : une pratique récente ...17

3.1. Les premières photographie chinoises relatives au mariage ... 17

3.2. La photographie sous l’ère communiste ... 18

3.3. L’importance des studios de Taiwan ... 19

3.4. Des images comme marque de romantisme ... 19

Chapitre II. Question de recherche et concepts mobilisés ... 21

1. L’imaginaire ...22

2. L’imagination chez Arjun Appadurai ...25

3. L’hybridation comme corollaire de la globalisation ... 28

3.1. La globalisation ... 28

3.2. La globalisation en contexte chinois... 29

3.3. L’hybridation ... 31

4. L’imaginaire hybride ...34

(7)

vii

1. Un projet en mutation ... 37

2. Un recrutement façonné par le terrain ... 39

3. La difficulté des entrevues formelles et informelles ...40

4. Contexte et incompréhensions : quand le chercheur ne se comporte pas comme il le faudrait ... 42

5. Éthique et réflexivité ... 43

6. Production et exploitation des données ...45

7. Internet ... 46

8. L’observation directe ...47

9. Les photographies comme objets signifiants, et comment les conceptualiser ...49

Chapitre IV. Inventaire des imaginaires visuels mobilisés dans les xiangce ... 52

1. Présentation de deux studios ...53

2. Les trois styles photographiques ...58

2.1. Le style chinois ... 59

2.2. Le style européen ... 62

2.3. Le style coréen ... 68

Chapitre V. Interprétation des imaginaires révélés dans les xiangce ... 74

1. L’imaginaire de la famille ... 74

2. La présence de l’argent et d’un certain romantisme ...84

3. Les appareils enregistreurs d’images comme témoins de l’amour du couple ...91

4. Une nature exempte de pollution ... 93

5. Les clichés où n’est présent que le fiancé ou la fiancée ... 94

5.1. Clichés des fiancés seuls ... 95

5.2. Clichés des fiancées seules ...101

Conclusion : Les xiangce comme objets et comme lieux de rencontre d’imaginaires multiples ... 108

Bibliographie ... 113

ANNEXE 1 : Bref survol des études anthropologiques sur le mariage ... 128

ANNEXE 2 : Histoire de la photographie en Chine et spécificité de son utilisation ... 139

ANNEXE 3 : Grilles d’entrevues ... 152

(8)

viii

ANNEXE 5 : Carte de métro de Pékin, avec surlignement du lieu des agences Jujiao et U Wedding, et du Salon international du mariage de Pékin ... 157 ANNEXE 6 : Grille d’analyse des photos ... 158 ANNEXE 7 : Les albums photographiques ... 159

(9)

Liste des figures

Figure 1: Union de Chiang Kaishek et Soon Meiling, 1927 17

Figure 2: Une mariée anonyme, 1962 18

Figure 3: Devanture du local de la cathédrale de nantang dédiée aux mariages, 2017 37 Figure 4: Stand du studio Sum au salon international du mariage de Pékin 2017 38 Figure 5: Stand du studio Grace Kelly au salon international du mariage de Pékin 2017 38 Figure 6: Stand du studio Am + Wonkyu au salon international du mariage de Pékin 2017 39 Figure 7 : Stand du studio Artiz au salon international du mariage de Pékin 2017 39

Figure 8: Devanture du studio Am + Wonkyu de Pékin, 2017 47

Figure 9: Devanture du studio Muse de Pékin, 2017 47

Figure 10: Devanture du studio Miss Luna de Pékin, 2017 47

Figure 11: Devanture du studio Jujiao de Pékin, 2017 53

Figure 12: Salle d’attente du studio Jujiao de Pékin, 2017 54

Figu_re 1_3_: _In_t_é_rieur_d_’_u_n_e_d_esalcôves p_résente d_a_n_s_la s_al_le d_’_at_tente d_u s_tudio Jujiao de Pékin, 2017 55 Figure 14: Salle de réception et d’attente de l’agence U wedding de Pékin, 2017 57

Figure 15: Photographie de style chinois L10, S9, C61 59

Figure 16: Cheung, 2006, The Wedding kit – just for marriage 60

Figure 17: Ma, 2006, The bride and groom in casual smart dress code 60

Figure 18: Photographie humoristique de style chinois L10, S10, C14 60

Figure 19: Photographie humoristique de style chinois L6, S7, C3 61

Figure 20: Photographie de style chinois L4, S5, C3 61

Figure 21: Photographie de style européen L5, S5, C11 63

Figure 22: Photographie de style européen L3, S3, C4 64

Figure 23: Photographie de style européen L9, S5, C10 65

Figure 24: Photographie de style français L9, S5, C1 66

Figure 25: Photographie de style français L5, S4, C4 67

Figure 26: Huguier, 2016 : deux fans de K-pop devant une salle de concert à Séoul 70

Figure 27: Dorothy M. Yoon, 2011, Won Gang 70

Figure 28: Chan Hyo Bae, 2007, Existing in Costume-3 70

Figure 29: Sang Hyun Lee, 2009, One Day of History 71

Figure 30: Photographie de style coréen L2, S4, C5 72

Figure 31: Photographie de style coréen L10, S6, C7 73

Figure 32: Photographie avec ours en peluche L9, S7, C2 74

Figure 33: Photographie avec ours en peluche L4, S2, C14 75

Figure 34: Photographie avec ours en peluche L3, S2, C1 76

Figure 35: Photographie avec ours en peluche L9, S7, C1 77

Figure 36: Photographie avec ours en peluche L4, S2, C11 78

(10)

Figure 37: Photographie avec chien L7, S2, C4 79

Figure 38: Photographie avec chien L8, S2, C6 80

Figure 39: Photographie devant la future maison L10, S5, C3 82

Figure 40: Photographie devant une ferme L8, S3, C1 83

Figure 41: Photographie avec décor de fête foraine L5, S1, C9 85

Figure 42: Photographie « Love » L9, S3, C1 88

Figure 43: Photographie « cœurs » L10, S8, C5 88

Figure 44: Photographie des alliances L1, S3, C10 89

Figure 45: Photographie des alliances L6, S4, C2 89

Figure 46: Photographie des alliances L10, S1, C4 90

Figure 47: Photographie avec un appareil photo L1, S4, C20 91

Figure 48: Photographie avec un appareil photo L2, S4, C5 92

Figure 49: Photographie avec un appareil photo L4, S4, C9 92

Figure 50: Photographie avec un clap de cinéma L7, S5, C4 92

Figure 51: Photographie avec caméra L1, S1, C5 92

Figure 52: Photographie avec un appareil photo L9, S4, C14 92

Figure 53: ○cHAP/Quirky China News/ REX, 2013 93

Figure 54: Photographie de fiancé seul L5, S4, C3 95

Figure 55: Photographie de fiancé seul L9, S5, C9 95

Figure 56: Photographie de fiancé seul L5, S6, C9 95

Figure 57: Photographie de fiancé seul L4, S1, C13 96

Figure 58: Photographie de fiancé seul L9, S5, C26 96

Figure 59: Photographie de fiancé seul L4, S7, C2 97

Figure 60 : Photographie de fiancé seul L2, S2, C4 97

Figure 61: Photographie de fiancé seul L4, S1, C31 97

Figure 62: Photographie de fiancé seul L2, S5, C17 98

Figure 63: Photographie du fiancé tenant un cheval par la bride L6, S1, C15 99

Figure 64: Photographie du couple et d’un cheval L6, S1, C16 99

Figure 65: Photographie du fiancé sur un cheval L6, S1, C17 99

Figure 66: Photographie de fiancé seul L2, S4, C4 100 Figure 67: Photographie de fiancé seul L10, S10, C7 100 Figure 68: Photographie d’une fiancée seule L4, S1, C5 101 Figure 69: Photographie d’une fiancée seule L5, S4, C6 101

Figure 70: Photographie d’une fiancée seule L1, S7, C10 102

Figure 71: Photographie d’une fiancée seule L9, S5, C4 102

Figure 72: Photographie d’une fiancée seule L3, S3, C2 102

Figure 73: Photographie d’une fiancée seule L10, S3, C2 102

Figure 74: Photographie d’une fiancée seule L10, S9, C3 103

Figure 75: Photographie d’une fiancée seule L7, S5, C3 103

Figure 76: Photographie d’une fiancée seule L6, 3, C8 103

Figure 77: Photographie d’une fiancée seule L8, S2, C26 104

Figure 78: Photographie d’une fiancée seule L2, S2, C8 104

Figure 79: Photographie d’une fiancée seule L9, S4, C10 104

Figure 80: Photographie d’une fiancée seule L5, S1, C3 104

Figure 81: Photographie d’une fiancée seule L6, S4, C12 105

Figure 82: China Film Insider, 2018: Fan Bingbing 106

Figure 83: Adepte de la culture hime 106

(11)

Figure 85: Gu Feng Collection: Portrait d'un comprador chinois daté de la décennie 1840 140 Figure 86: Liang Shitai, 1888, Seventh Prince with Deer, Domaine public. Conservé à Washington: Library

of Congress 143

Figure 87: Illustration du Tuhua ribao, 1909, v.134 (domaine public) 144

Figure 88: Portrait du prince Hongming (1705-1767) 146

Figure 89: Photographie de Lai Fong (Lai Fong Studio) réalisée pendant la décennie 1870 (Collection

privée de Terry Bennett) 147

Figure 90: Plan du métro de Pékin 156

Livre 1: Figure 91 à Figure 175 158

Livre 2: Figure 176 à Figure 246 163

Livre 3: Figure 247 à Figure 265 168

Livre 4: Figure 266 à Figure 362 170

Livre 5: Figure 363 à Figure 446 176

Livre 6: Figure 447 à Figure 538 181

Livre 7: Figure 539 à Figure 572 187

Livre 8: Figure 574 à Figure 630 190

Livre 9: Figure 632 à Figure 695 194

(12)

Remerciements

À ma conjointe pour son soutien indéfectible dans cette aventure. Voici encore un épisode de notre relation qui nous aura (une fois de plus) mis à l’épreuve, et dont nous ressortons encore plus unis.

À ma fille, pour son ouverture d’esprit et sa soif de connaissance, et tout simplement pour sa joie de vivre au quotidien qui a constitué, sans qu’elle le sache, une force dans l’écriture de ce mémoire.

À ma directrice Isabelle Henrion-Dourcy pour son aide extrêmement précieuse du début à la fin de cette période. Merci beaucoup d’avoir cru en moi, d’avoir partagé vos réseaux, et de m’avoir « guidé » tout au long de ce processus. Merci également pour l’ensemble de vos cours, denses et instructifs, sans lesquels je n’aurais jamais choisi la Chine comme terrain.

À toutes ces jeunes femmes (quoi qu’elles en disent) qui résistent au quotidien aux pressions familiales et sociétales, et qui par des stratégies diverses, refusent de se marier sans sentiments ou attirance pour le conjoint. Un merci tout spécial à celles que j’ai eu la chance de rencontrer et qui m’ont fait confiance au point de rendre ce mémoire possible.

À tous mes amis chinois, cités ou non dans les lignes suivantes, qui ont rendu mon terrain si plaisant.

(13)

Introduction

Un visiteur qui se balade pour la première fois dans la ville de Pékin est assailli par plusieurs choses : la foule et son empressement sur les grosses artères, qui contraste avec le calme relatif des voies secondaires, les odeurs inconnues qui se substituent minute après minute au cours de la marche, et qui restent un mystère tant qu’on n’a pas franchi la porte des restaurants (comment décrire en mots l’odeur des plats mala (麻辣)2 ou les effluves des différents tofus vieillis, la consistance des tendons ou encore celle des pattes de poule ?). Dans les parcs de la ville, on aperçoit souvent des attroupements d’hommes de 50 ans et plus en train de jouer aux échecs chinois (xiangqi, 象 棋 ) ou aux cartes, ou alors en train de s’étirer dans des mouvements de gymnastique silencieux. En s’approchant, on remarque qu’ils sont nombreux à fumer, malgré les panneaux qui l’interdisent, et l’on voit aussi l’argent qui change de mains entre les plis et les parties. Si le badaud s’attarde un certain temps dans la ville, d’autres constatations apparaissent assez vite : le fait que Pékin doit être l’une des villes au monde où circulent actuellement le plus grand nombre de voitures de luxe, la présence des policiers et des caméras de surveillance, le contrôle spatial de la foule aux heures de pointe, la grande pauvreté d’une partie des habitants, le dédain avec lequel la majorité des Pékinois de souche considèrent les non-Pékinois… On sait alors que l’on se trouve dans une mégapole complexe qui ne dort jamais.

Dans ce décor, où que le regard se jette, on se rend compte immédiatement de l’importance dévolue au mariage au sein de la société chinoise : publicités monumentales, boutiques spécialisées, cortège de limousines s’arrêtant devant des hôtels, couples se faisant photographier devant certains monuments célèbres… Les discussions entretenues avec des Chinois sur le sujet confirment le poids sociétal du mariage et les lourdes attentes familiales qui l’entourent. Les jeunes femmes sans conjoint se déclarent vieilles dès leurs vingt-cinq ans, alors que les hommes n’étant pas en couple et s’approchant de la quarantaine interprètent leur célibat comme une défaite personnelle, tout en l’expliquant par leur pauvreté économique.

2

Mala veut dire « épicé et engourdissant » et désigne une préparation souvent pâteuse et jaunâtre d’épices

créant un engourdissement des lèvres au cours du repas. Cette pâte est le plus souvent incorporée dans une soupe.

(14)

S’interroger sur le mariage dans ce contexte est, en fait, souvent malaisé, car il est conceptualisé comme une chose tout à fait « naturelle » pour la plupart des Chinois. En insistant, on se rend compte des nombreux non-dits et lourdeurs qui pèsent sur cette institution, et des nombreux aspects oblitérés au quotidien dans le but de ne pas dégrader ce qui est présenté comme un événement à la fois attendu et joyeux.

Ces embûches, rencontrées sur le terrain, pour parler de ce sujet en apparence anodin et joyeux, m’ont paradoxalement convaincu de la grande place symbolique que le mariage occupe dans cette société. Le mariage, et surtout ses évolutions récentes, est un phénomène central à appréhender pour les chercheurs qui s’intéressent à la Chine contemporaine – c’est aussi, je dois le dire, une porte d’entrée royale pour ceux qui, comme moi, sont amenés à faire leurs premiers pas et apprentissages dans la civilisation chinoise.

Dans ce mémoire, je m’interrogerai non pas sur les mariages en général, sujet bien trop vaste à saisir pour une première incursion en sinologie, mais plus spécifiquement sur les xiangce ( 相 册), albums de photographies prémaritaux, qui sont apparus il y a une vingtaine d’années environ. Je chercherai à en dégager les grands styles visuels et à interpréter au plus près les multiples niveaux de signification que l’on peut y déceler. Choisir d’aborder une institution centrale de la société chinoise par sa culture visuelle fut d’abord un choix stratégique pour moi : mon niveau de mandarin à l’époque ne me permettait pas d’espérer pouvoir mener des entrevues à bâtons rompus sur des sujets potentiellement délicats. J’ai donc choisi un axe d’entrée (à la fois dans la culture chinoise et dans mon sujet d’étude) qui fasse l’économie relative de la langue, tout en me permettant de parfaire mon apprentissage du mandarin en amenant les fiancés à commenter leurs photos prénuptiales. Ensuite, ce choix d’étudier les albums de photos fut aussi des plus instructif, me permettant de m’interroger sur la modification de la perception des images et des symboles qu’elles transportent suivant les cultures de réception de ces images.

Dans le cadre de ce mémoire, afin de faire sens de ces albums de photos, je présenterai dans un premier temps le contexte général du mariage en Chine, puis l’importance des cérémonies de mariage dans ce pays, en soulignant aussi les évolutions récentes du mariage en Chine contemporaine. Cette partie contextuelle s’attachera enfin à retracer

(15)

l’historique de l’utilisation du médium photographique en Chine pour immortaliser cette occasion.

Dans un deuxième temps, je présenterai le cadre théorique et la question de recherche, en mobilisant les concepts que j’opérationnaliserai dans l’analyse subséquente, en particulier les concepts d’imaginaire, de globalisation, d’hybridation, et d’imaginaire hybride, ainsi que la relation entretenue entre les imaginaires et les désirs.

J’exposerai ensuite les choix méthodologiques que j’ai opérés, tant pour la cueillette de données sur le terrain, qui a nécessité de multiples réajustements, que pour l’analyse de ces données entreprise une fois de retour au Canada.

C’est avec la présentation des données recueillies que la richesse symbolique portée par les xiangce sera dévoilée, accompagnée de mes interprétations, qui insistent sur les codes et les transformations entourant le mariage, la structure familiale et les relations de genre, pour en donner la meilleure compréhension possible.

Ce mémoire se termine par une conclusion qui permettra de regrouper les différentes interprétations et de mieux appréhender les transformations du mariage contemporain en Chine actuelle.

(16)

Chapitre I.

Cadre contextuel : les mariages en Chine et leur

évocation photographique

Que peut-on dire du mariage en Chine, cette institution qui semble avoir un impact significatif dans la société chinoise à travers toutes les époques ? Quelle est son histoire et comment le mariage a-t-il revêtu une importance politique ? En parallèle, comment le médium photographique a-t-il pu prendre une telle ampleur dans les cérémonies de mariages ? C’est ce que nous allons tenter de retracer dans cette partie en décrivant dans un premier temps l’importance politique et historique du mariage en Chine, et dans un second temps ses récents changements provoqués notamment par la révolution socialiste. L’évolution de l’utilisation du médium photographique lors des cérémonies de mariages dans le pays sera également abordée.

1. Le mariage : une institution centrale de la société chinoise traditionnelle

L’anthropologie a très tôt pris pour objet l’institution du mariage en raison de la complexité sociale, symbolique, économique, religieuse et politique mobilisée autour de sa conclusion et de sa pérennité (Voir l’Annexe 1, où je développe plus amplement un survol des études anthropologiques consacrées au mariage). Le mariage combine en effet de nombreuses dimensions (lignée, parenté, rite, cérémonie, alliance …) et vise entre autres à encadrer la procréation de nouveaux individus et à gérer socialement la sexualité. Au cours de son développement, la discipline anthropologique a d’abord analysé le mariage comme une alliance entre deux groupes sociaux, plutôt qu’entre deux individus (Héritier, 2005 : 9). La grande diversité des formes de mariages rencontrées par les chercheurs explique qu’il soit difficile de le définir simplement, ou pour être plus précis, que « no definition of marriage is broad enough to apply easily to all society and situations » (Kottak, 2006 : 211).

Dans une société confucianiste comme l’est historiquement la Chine, le mariage est une clé organisationnelle fondamentale du social. « All of the rites described in Confucian liturgies show ways male and female are parallel and yet male is superior to female » (Ebrey, 1991: 227). Le mariage illustre par excellence ce rapport contrasté entre hommes et femmes. Bien qu’il soit une clé de voûte de la société chinoise, on en trouve

(17)

malheureusement très peu de descriptions antérieures aux années 1950 en langues occidentales. De plus, les rares informations que nous avons proviennent des témoignages de diplomates étrangers (Devéria, 1887) ou de missionnaires (Doolittle, 1865 et Doré, 1926). C’est seulement à partir des années 1940 que l’on trouve des descriptions faites par des chercheurs sinologues (Feng et Shryok, 1950; Serruys, 1944a et 1944b3 et Wang, 1950). Il faut préciser que ces rares mentions sont avant tout des descriptions fines d’une ou de cérémonies spécifiques dont l’auteur a été témoin (Devéria, 1887 témoignant par exemple d’un mariage impérial), ou encore d’un type de cérémonie propre à une région spécifique (Serruys, 1944a et 1944b), qui ne permettent donc pas d’avoir une vision d’ensemble de celles-ci à travers le pays.

Comme la Chine est très peuplée et est marquée par une diversité culturelle et économique, il ne s’agit pas ici de faire un inventaire exhaustif des types de mariage qu’a connus la Chine à travers son histoire ou d’expliquer les spécificités d’alliance et de filiation coutumière suivant les différentes régions et groupes ethniques du pays. Le but est plutôt d’essayer de montrer l’importance que le mariage a eue (et a toujours) en Chine, et ses évolutions dans le temps. Aux fins de la démonstration, je me centrerai ici sur un modèle de mariages classiques.

1.1. Le mariage comme instrument d’une idéologie politique

« La réalisation de la nature de l’homme et de la femme, c’est l’union selon les rites. De la relation entre époux et épouse naît la relation père-fils et se construit la relation entre ministre et souverain. Aussi cette relation est-elle au grand commencement de tous les existants et constitue-t-elle, avec les deux autres relations qu’elle engendre, le grand principe qui ordonne et structure la société. Si ces trois relations sont bien réglées, l’ordre règne ; sinon, c’est le désordre. »

(Liu Xiang4)

3

Serruys est à la fois missionnaire et sinologue reconnu.

4

Liu Xiang (79 à 8 avant notre ère) est une figure représentative du confucianisme sous les premiers Han. Ces phrases sont tirées du Lienüzhuan (列女傳), livre d’instruction qui aurait été écrit en l’an 30 avant notre ère, alors que la cour impériale traversait une crise résultant d’une guerre de pouvoir entre la mère et différentes favorites du jeune empereur Chengdi. Le Lienüzhuan est resté un livre de référence jusqu’aux années 1950. Dans ce livre, les femmes ne sont ni passives ni soumises, mais sont pensées comme des éléments essentiels au respect des rites (traduction et interprétation de Gipoulon, 2000 : 97-114).

(18)

Si la Chine est effectivement peuplée de nombreux groupes ayant chacun leurs coutumes, il faut noter que les dynasties impériales successives n’ont cessé de vouloir centraliser le pouvoir. La première dynastie, celle des Shang apparait vers 1600 av. J.-C.. C’est sous la dynastie Zhou qui lui succède de -1045 à -256 que vit Confucius (– 551 / – 479). Celui-ci tente de diffuser, en pleine période de chaos politique, des notions relatives à la bonne gouvernance aux différentes cours féodales constituant l’empire : son entreprise est un échec, ce qui le pousse à enseigner ses idées à des disciples.

Lorsque la Chine traverse une période de grand désordre près de 70 ans après sa mort, différentes écoles de pensées politiques présentes dans le pays s’interrogent sur la voie à prendre. C’est pendant ce long débat d’idées que deux adeptes de la pensée confucianiste, Mencius ( 孟 子 ) 5 et Xunzi ( 荀 子 ), propagent les idées du maître à l’échelle du pays (Gardner, 2014 : 1-5). Or, à partir de la dynastie Han (qui commence en -206), l’idéologie mise en avant par l’État s’inspire presque entièrement du modèle confucianiste (Levi, 2004b [1997] : 171-172). En effet, le non-interventionnisme découlant du taoïsme ne convient pas aux impératifs du pouvoir en place, et l’empereur Wudi (-141/-87) instrumentalise les idées confucianistes : « la piété filiale et la loyauté deviennent synonymes d’obéissance au souverain » (Zufferey, 2008 : 222)6

.

Bien que le confucianisme7 ne soit pas monolithique, avec des variantes à travers les époques, il garde quelques fondamentaux communs. Ainsi, le confucianisme part du

5

Nom qui a été latinisé par les missionnaires, son nom chinois étant Meng Ke (孟轲).

6

La piété filiale sur laquelle s’appuie les idées de Confucius, puis le pouvoir politique de l’époque a une histoire propre, comme le montre le culte rendu aux ancêtres qui lui est associé (Cordier, 1910), culte qui est organisé et ritualisé dès la dynastie Shang (XVII-XI s. av. J.-C.) (Zufferey, 2008 : 49).

7

Le mot confucianisme est un néologisme occidental, le chinois n’ayant aucun mot correspondant à la doctrine de Confucius et aux pratiques qui lui sont associées. Ce mot est créé en 1885 à Chicago lors du premier Congrès mondial des religions, en s’inspirant du nom du christianisme, religion faisant référence à un personnage (Cheng, 2018, 30’20’’ – 31’17’’). Pourtant, les mots chinois utilisant le caractère kong

孔qui est le nom de famille de Confucius ne recoupent absolument pas les caractéristiques attribuées au

confucianisme :

- Kongjia (孔家) qui n’apparaît que très tardivement et peut se traduire littéralement par la « famille de Confucius ».

- Kongjiao ( 孔 教 ), terme ambiguë qui apparait sans doute au cours du moyen-âge chinois (3ème au 6ème siècle de notre ère). Il désigne soit « enseignement de Confucius », soit « religion de Confucius ». Ce terme est surtout utilisé à partir de la fin du 19ème siècle par les promoteurs d’une « religion confucianiste », tels que Kang Youwei et Chen Huanzhang.

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principe que la société humaine est fondée sur la nature dans la mesure où elle découle d’elle. De ce fait, le « gouvernement naturel » de la société doit prendre « pour modèle les liens consanguins, qui sont par essence des liens naturels, pour les prolonger en relations sociales » (Levi, 2004a [1997]: 168). S’appuyant sur ce principe, la piété filiale (xiaodao 孝 道 ) est extrêmement importante, le mariage ayant comme fonction principale de donner des enfants qui honoreront les ancêtres du mari (Yang, 2012 : 43). Traditionnellement, il est généralement patrilocal et arrangé.

1.2. Des informations rares et parcellaires

Tout d’abord, analysons ce que l’écrit nous révèle sur le mariage. Un des termes en chinois ancien décrivant le mariage, hunyin ( 婚 姻 ), indique que la cérémonie se passait

généralement à la tombée du jour. Effectivement, le sinogramme de gauche 婚 est lui- même composé de deux sinogrammes. Celui de gauche 女 (nü) a ici la signification de femme, alors que celui de droite 昏 (hun) indique la tombée du jour (Sun, 2002 : 51). Le fait que tous les mots renvoyant directement au rituel de la consécration du mariage contiennent le caractère 婚 8semble en effet confirmer cette donnée, mais celle-ci ne doit pas nous faire oublier que dans la Chine antique, le mariage comporte également de nombreuses étapes qu’il nous reste maintenant à détailler.

Celles-ci nous sont accessibles via le Livre des rites (Liji 禮 記 ) 9 qui décrit six étapes elles-mêmes présentées comme des « rites successifs dont l’ensemble forme la cérémonie

- Kongmen ( 孔 门 ) qui se traduit littéralement par la « porte de Confucius » est le plus ancien et a peut-être même été utilisé du vivant de Confucius. Ceci étant dit, ce terme ne désigne que Confucius et ses disciples immédiats, et non le confucianisme comme courant d’idée.

Les deux termes se rapprochant le plus de ce que les occidentaux nomment confucianisme sont rujia (儒家) qu’on peut traduire par « lettrés » et ruxue ( 儒 学 ), la « doctrine des ru » ou « doctrine des lettrés ». Ces termes définissent le confucianisme par opposition aux autres « écoles » de pensée ancienne, soit le taoïsme (daojia 道 家 ), le légisme (fajia 法 家 ), ou le moïsme (mojia 墨 家 ) (Zufferey, 2008 : 115-117). De plus, le caractère ru ( 儒 ) a plusieurs interprétations étymologiques possibles suivant les époques. Sous la dynastie Han, il devient un synonyme de wen ( 文 ) qui a lui-même plusieurs significations, « lettres », « culture », « éducation », et désigne les spécialistes des textes anciens, alors extrêmement hétéroclites sur les interprétations qu’ils font des textes confucianistes ou non (Zufferey, 2003 : 350-357).

8

婚礼 (hunli), 婚庆 (hunqing) et 婚典礼 (hun dianli).

9

Bien que le Liji ait été écrit antérieurement à Confucius (Krowolski, 2000 : 78), sa composition est communément attribuée à lui et à ses disciples. Il est le livre le plus commenté des trois parties constitutives du Classique des rites (Lijing 禮 經 ), lui-même l’un des cinq livres classiques des Han – à partir de la dynastie des Song, les Classiques se monteront à treize. Le Liji est composé de textes

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du mariage au sens large » (Hua, 1981 : 21). D’abord, la famille du futur époux envoie un messager accompagné d’un cadeau à la famille de la convoitée10

. Si celle-ci accepte le présent, le messager demande alors le nom et la date de naissance de la jeune fille, comprenant l’heure. Au retour du messager, un astrologue consulte les horoscopes des deux jeunes gens. Dans le cas où il ne décèlerait pas de signes défavorables, il place celui de la jeune fille près de l’autel des ancêtres de la famille du jeune homme pendant trois jours. Au terme de cette période, et en l’absence de mauvais présage, la famille du jeune homme transmet un cadeau de mariage au logis de la promise dont l’acceptation conclut le contrat. Il reste alors à conclure d’une date favorable à laquelle le jeune homme ira chercher la mariée au domicile de ses parents (Hua, 1981 : 21-22). Hua souligne également les spécificités régionales, certaines régions accordant une plus grande importance à certains de ces rites et en minimisant d’autres. Cette variation est également soulignée par les témoignages de diplomates et de missionnaires qui nous sont parvenus. Pourtant, les mariages continuent majoritairement à être conformes au Liji, et ce parfois jusqu’au milieu du 20e

siècle 11 , mais l’arrivée au pouvoir des communistes change radicalement les pratiques associées au mariage.

2. Le turbulent 20e siècle et les transformations relatives au mariage

2.1. Les changements relatifs au mariage de la fin de la dynastie des Qing à la prise du pouvoir par les communistes

Sans avoir le loisir de m’étendre sur les derniers soubresauts de l’empire, je dois une fois de plus souligner qu’il n’y a pas une Chine, mais bien des Chine, et que cette réalité a été encore accentuée par les pénétrations des colonisateurs européens tout au long du 19e

confucéens hétéroclites. Deux essais furent extraits du Liji par les néo-confucianistes sous les Song (960- 1279) pour en faire deux des « Quatre livres » constituant le Canon confucéen enseigné dans toutes les écoles de Chine avant 1911 (Schipper, 2017).

10 La présence d’un intermédiaire est déjà soulignée sous la dynastie Zhou (1066-221 av. J.-C.), au sein

d’une institution officielle qui nommait des courtiers d’État à travers l’Empire (Valensin, 1977 : 11-12).

11

Voir Serruys, 1944a: 82 pour la présence du messager en zone rurale.

Voir Doolittle, 1865 : 64-65; et Doré, 1926 : 26-27 concernant le don de la date de naissance de la convoité. Voir Doré, 1926 : 27-29; et Granet, 1953 : 92 concernant la compatibilité astrologique des deux jeunes gens. Voir Ebrey, 2003 : 62-64 et Serryus, 1944a : 88-91 concernant le cadeau officialisant le mariage.

Voir Doolitlle, 1865 : 69 et Serryus, 1944a concernant le choix de la date de la cérémonie.

Pour Doré et Granet, j’utilise comme pagination les chiffres présents dans la marge du PDF consultable dans la bibliographie

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siècle, et leurs concessions nombreuses sur la côte pacifique. En 1911, la dernière dynastie impériale, celle des Qing, tombe et est remplacée dès 1912 par une république de type « démocratie libérale » (Mitter, 2008 : 17-30). De son côté, le mouvement du 4 mai 191912 à Pékin réunit des étudiants demandant de nombreuses réformes, dont celle du droit des femmes à choisir leurs maris (Angeloff, 2012 : 92). C’est également par un groupe d’étudiants présents le 4 mai qu’est fondé le Parti communiste chinois en 1921 (Angeloff, 2012 : 34-37). Enfin, l’ensemble du pays connaît une désorganisation due aux guerres (qu’elles soient civiles, opposant le Parti communiste aux nationalistes du Guomindang, ou non : guerre sino-japonaise), et ce jusqu’en 1949.

Dans ce décor trop brièvement posé, la réforme du mariage est demandée dès le mouvement du 4 mai 1919 (Pettier, 2010 : 313). Le Parti communiste fait d’ailleurs de

cette réforme une de ces priorités principales (l’autre étant la mise en place de la réforme agraire), en partie sans doute par calcul politique, mais aussi par conviction idéologique (Hua, 1981 : 9-10).

Le gouvernement nationaliste qui prend le pouvoir en 1928 cherche lui aussi à combattre l’idéologie confucianiste qu’il nomme « superstition ». En 1931, alors que le Japon envahit la Mandchourie et que les communistes prennent le contrôle du Nord-Ouest du pays (Mitter, 2008 : 41-43), le gouvernement nationaliste adopte une loi sur le mariage et un code civil inspiré de celui des Japonais (Hua, 1981 : 33), qui interdit toute forme de mariage forcé, et donne aux femmes le même statut légal que celui de leur mari (Monger, 2004 : 65). De son côté, les autorités du Soviet du Jiangxi (situé en zone communiste) promulguent un « décret sur le mariage » (Domenach et Hua, 1987 : 13; Pettier, 2010 :4); qui interdit également tout mariage forcé.

En 1937, un militant communiste respecté assassine une adolescente de seize ans qui refuse sa proposition d’union maritale. Le jury mis en place condamne les deux acteurs :

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Mouvement qui est en grande partie provoqué par le fait que la Chine, alliée des vainqueurs de la première guerre mondiale ne se voit pas rétrocéder la province de Shangdong occupée par les Allemands, et qui est finalement octroyée au Japon. Le mouvement du 4 mai est donc un mouvement nationaliste et anti impérialiste qui regroupe plus de 3000 étudiants pékinois de treize institutions différentes, et qui demande outre le respect de la souveraineté du pays, des réformes politiques diverses : libération des femmes, mise au banc du confucianisme, mise en place d’un système démocratique… Les étudiants présents ne sont pas pour autant d’accord sur tout, mêlant des personnalités souhaitant réformer le système de l’intérieur, et des activistes se réclamant du communisme et de l’anarchisme.

13

Pour cette référence, j’utilise comme pagination les chiffres présents dans la marge du PDF consultable dans la bibliographie.

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l’adolescente pour avoir flirté sans avoir l’intention de se marier; et le militaire révolutionnaire qui est reconnu coupable d’un crime féodal, pour avoir traité l’adolescente en propriété privée alors qu’ils n’étaient même pas fiancés, et qui est condamné à mort. Après cet épisode, le Parti réagit en publiant les « règles de relation amoureuse » pour ses militants : 1-La personne aimée doit être révolutionnaire, 2- Le sentiment doit être partagé, 3- Le sentiment ne doit pas gêner le travail révolutionnaire (Lu, 1938 : 90-96 cité par Hua, 1981). Cette affaire aura des répercussions sur les mariages à l’échelle du pays. En effet, la première règle sera comprise dans un sens sociologique, entraînant l’apparition de la classe « rouge » et des classes « noires » : propriétaires fonciers/paysans riches/contre-révolutionnaires/droitiers. Cette conception aura des conséquences sur le long terme pour les quatre catégories noires et leurs enfants, dans le choix de leur alliance maritale (Domenach et Hua, 1987 : 37-40 et Wang, 1950 : 35-37). Nous voyons avec cette affaire que le mariage reste une « occasion pour la famille d’affirmer son rang, son unité, ses croyances » (Domenach et Hua, 1987 :134), et n’est absolument pas une affaire concernant seulement deux individus. Cette idée amènera également à nombre de mariages arrangés entre membres du Parti, renforçant le modèle patriarcal normalement combattu : les révolutionnaires d’expérience de sexe masculin épousant le plus souvent de nouvelles recrues (Wei, 2011 : 191-194 et Xinran, 2005 : 167-180).

À partir de 1939, communistes et nationalistes coordonnent leurs efforts militaires respectifs pour contrer l’avancée japonaise, et les politiques mises en place par les deux camps au sujet du mariage s’influencent l’une l’autre (Hua, 1981 : 34). Ceci étant dit, dans cette période trouble, l’application de ces textes n’est prioritaire pour aucun des camps. Par exemple, le Parti communiste ferme sciemment les yeux sur la persistance du mariage par vente (négocié suivant la dot donnée par la famille du fiancé) dans les régions qu’il contrôle (Hua, 1981 : 56).

2.2. La loi sur le mariage de 1950

En 1949, alors que les communistes prennent le pouvoir sur l’ensemble du pays et que la République populaire est proclamée, la première loi qu’ils adoptent est la loi sur le mariage de 1950. Cette loi fixe l’âge minimum pour se marier à 18 ans pour les femmes

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et 20 ans pour les hommes (Zhang et Gu, 2007 : 126). D’autres changements majeurs sont édictés dans cette loi : obligation d’être monogame (Davis et Friedman, 2014 : 15), fiançailles d’enfants et concubinages sont interdits. Enfin, certaines nouveautés tranchent avec les pratiques du passé : le divorce est autorisé14, et le remariage des veuves n’est plus automatique (Davis, 2014a : 42). Notons également que le consentement des parents n’est plus nécessaire (Herbots, 2012 : 718), et que si les échanges de cadeaux et de dot ne sont pas interdits, ils deviennent facultatifs (Ocko, 1991 : 320).

Pour certains spécialistes, cette loi casse les pratiques traditionnelles qui faisaient des femmes des « filles en loi » avant d’être des « épouses » (Watson, 1991 : 351). Ocko voit dans cette loi la fin de l’appartenance des enfants à la seule lignée paternelle. En effet, bien que la révision du Code criminel Qing de 1907, et que le Code civil mis en place par le Guomindang en 1930 donne des droits de propriété à l’épouse, ceux-ci ne sont dans les faits pas appliqués. La loi sur le mariage de 1950 permet au contraire à l’épouse de divorcer et de récupérer ses biens (Ocko, 1991 : 314-320).

Dans la pratique, la mise en place du système communiste a aussi des effets concrets sur le mécanisme des mariages, et ce, de manière non législative. Bien que le système communiste bouleverse finalement assez peu les organisations familiales dans les campagnes, il casse complètement les schémas traditionnels dans les zones urbaines. En effet, la fermeture des commerces familiaux, et les études suivies immédiatement par le travail pour les jeunes affaiblissent considérablement le contrôle parental sur le mariage de leur progéniture. À cela s'ajoute le fait que dans les villes, le mariage entre collègues, donc découlant de rencontres sur le lieu de travail, devient la norme (Whyte, 1992, cité par Davis, 2014 b).

2.3. Les effets de la Révolution culturelle sur les mariages

La révolution culturelle qui est lancée par Mao en 1966 (voir MacFarquhar et Schoenhals 2006; Mitter, 2008) va aussi radicalement changer la relation entre les genres, et donc le

14

Cette législation entraina une vague massive, mais brève, de divorces, car ceux-ci furent rapidement difficile à obtenir : il traitait de questions personnelles aux dépens de l’ordre social (Domenach et Hua, 1987 : 71-73 et Evans, 1997 : 195-196). De plus, à travers sa politique familiale, le Parti communiste essaye d’inculquer aux individus la prise en compte du projet communiste dans leurs relations matrimoniale (Diamant, 2000 : 17).

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mariage. On peut voir cette volonté du Parti par « les représentations des corps légitimées par le pouvoir politique, et notamment les opéras modèles, où aucun personnage ni discours ne comporte jamais ni référence à un sexe ni évocation de relation amoureuse ou sexuelle [comme dans] l’adoption d’une tenue unique et commune à l’ensemble des travailleurs et travailleuses » (Pettier, 2010 : 10). En outre, cette période historique pousse la notion de « classe sociale » et de qualité révolutionnaire du partenaire envisagé à son paroxysme, entraînant des enquêtes de personnalité et des antécédents politiques des prétendants de la part des deux familles (Pettier, 2010 : 11).

Pour ce qui est du rite en lui-même, il est également politisé, surtout dans les villes, où les jeunes époux s’inclinent devant le portrait de Mao (Parish et Whyte, 1985 :139-141). Cette volonté, accompagnée des excès de certains gardes rouges, se traduit dans les photos de mariage de l’époque, dans lesquelles femmes et hommes portent les mêmes habits et ont la même expression faciale (Constable, 2006 : 50).

De plus, la Révolution culturelle s’est accompagnée de l’envoi de nombreux gardes rouges en zone rurale, ce qui a provoqué ce que Domenach et Hua nomment « les ruses matrimoniales » (Domenach et Hua, 1987 : 80). En effet, nombre de ces jeunes ont voulu regagner leur ville d’origine au plus vite, et c’est dans cette configuration, une fois la Révolution culturelle passée, que le fait de se marier avec quelqu’un résidant dans la ville d’origine de l’expatrié a été utilisé de façon fréquente (Domenach et Hua, 1987 : 80-82). Cette ruse a également été utilisée à grande échelle pour transformer un hukou15 agricole en hukou urbain (Huang, 2012 : 27).

2.4. L’évolution des mariages depuis Deng Xiaoping

2.4.1. Réforme libérale et globalisation

Après son accession au pouvoir en 1978 à la suite de la mort de Mao, Deng Xiaoping se lance dans de nombreuses réformes, dont une des premières concerne le mariage. En 1980, une nouvelle loi sur le mariage est votée. Elle repousse de deux ans l’âge légal pour

15 « Le hukou indique le lieu de résidence officielle d’une personne, classée rurale ou urbaine. […] Familles

rurales et urbaines sont différenciées pour divers domaines : la politique démographique qui leur est appliquée, l’accès au logement, aux soins médicaux, à l’école, les tickets de rationnement alimentaire, la priorité à l’emploi, voire le mariage » (Boquet, 2009: 355).

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pouvoir se marier, soit 20 ans pour les femmes et 22 ans pour les hommes16 (Cai et Feng, 2014 : 102). Cette loi reflète les nouvelles priorités politiques de Pékin (Davis, 2014a : 43), en légitimant les désirs individuels, et en définissant le mariage comme un contrat entre les deux parties concernées, priorisant la satisfaction personnelle (Davis, 2014b : 553-554). Cette conception du mariage comme un contrat d’une part, et la satisfaction des deux parties d’autre part, est une conception qui se retrouve de nos jours dans la définition de ce qu’est un mariage pour certains informateurs vivant à Pékin (Gallone, 2008 : 11’ 30).

En effet, la Loi sur le mariage de 1980 est accompagnée d’une ouverture économique de type libérale et d’une importation de produits étrangers qui influence les imaginaires de la jeunesse chinoise. Venant d’un système autoritaire communiste, les effets sur la population ont été brutaux, et ce d’autant plus que le libéralisme chinois s’est très rapidement transformé en capitalisme néolibéral globalisé. En effet, si le libéralisme économique a été véritablement mis en place au milieu des années 1980 avec la privatisation générale des entreprises publiques et une libéralisation partielle des prix en place par des réformes, ce qui a créé « un ‘double système de prix’, ceux des moyens de production étant fixés par le Plan et ceux des biens de consommation par le marché » (Hui, 2002), la possibilité donnée en 1988 aux entreprises d’État de conclure des accords financiers et commerciaux à l’étranger a transformé les « produits du Plan » en produits du marché, menant le système économique vers une libéralisation générale. Les néolibéraux (qui grâce à leur position de pouvoir avaient profité de la privatisation des entreprises d’État) instrumentalisèrent le mouvement social de 198917

, et menèrent la Chine au néolibéralisme actuel (Hui, 2002).

16 Bien que cette disposition n’ait pas changé depuis, elle est dans les faits non appliquée. Par exemple, en

1990, il y a eu plus de 8 millions de mariages d’adolescentes de 15 ans et moins dans le pays, et ce, très généralement dans les zones rurales (Zang, 2012 : 322).

17

« Aux yeux du reste du monde, les néolibéraux se sont posés en contestataires du régime luttant contre la ‘tyrannie’ et pour la ‘liberté’. Ils ont dissimulé leurs rapports complexes avec le pouvoir sur lequel ils s'appuyaient pour développer le marché intérieur et faire passer leur politique de décentralisation et de privatisation des richesses. En l'absence de contrôle démocratique, cette confiscation des ressources a été ‘légalisée’ par le recours à de nouveaux dispositifs législatifs. En raison des liens entre le ‘néolibéralisme’ chinois et l'ordre mondial, ces ‘réformateurs radicaux’ ont imposé leur propre lecture du mouvement social de 1989, qui est apparu comme l'expression de la marche en avant du libéralisme économique » (Hui, 2002 : 21).

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Cette transformation économique a eu des répercussions visibles dans la société chinoise. Si les produits et les divertissements véhiculés par le consumérisme fascinèrent la Chine urbaine dès la fin des années 1980 (Rosenberg, 2009), c’est véritablement à partir des années 1990 que la jeune génération devient plus individualiste, préférant la vie urbaine et la consommation de produits de masse, voire l’immigration en ville, à la piété filiale et ses exigences, ce qui change considérablement de nombreuses dynamiques familiales rurales (Greenhalgh et Winckler, 2005 : 229-230). Il faut ajouter à ce changement de structure, la disparition dans le discours officiel du terme « classe » remplacé par un vocabulaire mettant en avant la profession des individus (Zhou, 2008 : 153). De plus, c’est à la même époque que les firmes transnationales obtiennent la permission de faire de la publicité à la télévision, devenant comme en Occident des acteurs majeurs dans la définition des désirs de tel ou tel segment de la population, auxquels leurs produits répondent (Greenhalgh et Winckler, 2005 : 242). Par le fait même, ces campagnes publicitaires contribuent à la transformation des imaginaires des Chinois. Au tournant des années 2000, les politiques mises en place par le gouvernement reprennent aussi les logiques du marché, envoyant aux individus la possibilité de devenir des consommateurs de produits issus de la culture globale (Greenhalgh et Winckler, 2005 : 243).

C’est dans ce contexte que les cérémonies de mariage se transforment, et mélangent le plus souvent des particularités découlant de la tradition chinoise (comme la présence de hongbao 红 包 18 , de pétards …) à des éléments véhiculés par la globalisation19 actuelle : mariée en robe blanche, échange d’alliances, demoiselles d’honneur (Abkowitz, 2015), se déroulant parfois dans des églises (j’ai observé lors de mon terrain que quatre églises de Pékin marient des non-chrétiens contre rémunération) et avec la présence d’une fontaine de champagne lors de certaines réceptions (Zheng R., 2012). Les cortèges de voitures, devenus à la mode dans les années 1990, sont également un phénomène démontrant les effets de la globalisation sur les pratiques de mariages actuels. Cette globalisation est encore perceptible dans le fait que de nombreux couples organisent leurs noces en dehors du pays, à la recherche d’un romantisme à l’occidentale (Lévi, 2014).

18 Enveloppes rouges que l’on remplit d’argent pour faire un cadeau ; dans ce cas, les invités offrent des

enveloppes rouges pour transmettre de l’argent aux nouveaux mariés.

19 Une discussion sur le terme globalisation, plutôt qu’américanisation ou occidentalisation sera faite dans

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2.4.2. Derniers changements législatifs et constance du caractère familial des mariages chinois

La législation encadrant le mariage individualise également les droits des mariés, avec en 2001 l’ajout de 33 amendements à la Loi sur le mariage de 1980 (voir Davis, 2014a :46; Davis et Friedman, 2014 : 11 et Herbots, 2012 : 721) que Davis interprète comme une privatisation du mariage (Davis, 2014 b : 556). Cette loi sur le mariage révisée est beaucoup plus répressive que la mouture précédente en cas de non-respect de la forme de mariage légale. Ainsi, les articles de la loi condamnant la bigamie passent de 1 à 6, et ceux punissant la cohabitation d’un couple, dont l’un des deux est marié avec une autre personne, de 0 à 6 (Davis, 2014a : 46).

Cependant, dans les faits, cette nouvelle législation reste extrêmement vague dans ses définitions. Par conséquent, c’est finalement la Cour Suprême et non le Parti qui a la responsabilité d’interpréter et de faire jurisprudence vis-à-vis de nombreuses questions spécifiques (Fu et Cullen, 2011 : 27). Ceci étant dit, Davis souligne que cette Cour est constituée exclusivement d’élites issues du Parti (Davis, 2014 b : 561).

Elle a, à ce jour, été saisie à plusieurs reprises et a statué sur de nombreux détails, comme sur le coût des indemnités en cas d’infidélité, ou le droit de garde des enfants. Pour ce qui est du mariage comme concept légal, la Cour Suprême n’a pas remis en cause la législation précédente, et a assimilé le mariage à un simple contrat. Elle applique donc la logique de rupture de contrat pour rendre ses décisions, celles-ci faisant jurisprudence (Davis, 2014a : 49-52). Cette jurisprudence a dès 2001 financiarisé les réparations pour fautes personnelles, tout en remettant en cause le manque d’affection, pourtant présent dans la loi, comme suffisant pour obtenir un divorce (Davis, 2014b : 558). En 2003, le ministère des Affaires civiles réduit drastiquement ses comités de supervision dédiés au mariage. Ce faisant, l’État semble vouloir atténuer sa régulation sur le mariage, en facilitant les démarches de demandes de divorce. À la suite de cette décision, divorcer, si les deux partenaires sont d’accord, coûte 50 yuans et prend moins de deux heures (Davis, 2014a : 47-48).

Toujours en 2003, la Cour Suprême rend sa seconde interprétation de la loi sur le mariage révisée de 2001 : cette interprétation fait en sorte que des époux voulant divorcer ne doivent avoir recours à la justice qu’en cas de désaccord. Elle clarifie également les droits

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des beaux-parents relativement à leurs dépenses respectives dans les biens du couple, comme lors de la cérémonie (Davis, 2014 b : 559).

En 2011, la Cour Suprême rend sa troisième interprétation de la loi sur le mariage révisée de 2001, en décidant que les cadeaux inamovibles (maison) des parents aux mariés n’appartiennent qu’à leurs enfants, et non au couple (Davis, 2014 b : 559). Cette décision précarise fortement les femmes en cas de divorce, la maison étant le plus souvent payée par la famille du marié20.

Malgré l’individualisation législative du mariage (la libéralisation dans son sens classique), on constate empiriquement que le mariage est toujours en Chine une affaire de familles, et que les Chinois ne se marient habituellement pas sans l’accord de leurs parents.

Outre le fait que de nombreux contacts que je me suis tissés à Pékin soient des femmes ayant migré dans cette ville pour s’éloigner de leur famille, et donc de la pression de celle-ci concernant le fait qu’elles devaient maintenant se marier, rappelons que la Chine, dans son histoire et ses pratiques, a érigé comme premier devoir la piété filiale, et que les jeunes Chinois d’aujourd’hui sont majoritairement des enfants uniques, alors même que le mariage est présenté dans les médias comme quelque chose de « naturel » et d’absolument nécessaire pour avoir des enfants (Evans, 2002 : 342 et 348). Pour les « aider », les parents d’enfants non mariés participent à des rencontres pour trouver le ou la partenaire idéale (voir Pettier 2015; Zhang et Sun, 2014). À côté de ces marchés de célibataires, on trouve également de nombreuses plateformes écrites (Gallonne, 2008 : 7’50-8’20) et télévisuelles spécialisées dans les rencontres (Pettier, 2015; Pouille, 2017 [2013], et Zavoretti, 2016) 21, auxquels il faut ajouter de nombreuses agences mettant en relation de jeunes célibataires, eux-mêmes le plus souvent inscrits par leurs parents (Pettier, 2015). Ces nombreuses pressions sociétales et familiales sont d’autant plus pesantes que la majorité des jeunes Chinois sont, rappelons-le, des enfants uniques.

20 Traditionnellement, le mariage est patrilocal. Il l’est encore dans de nombreux cas, mais l’achat d’un

logement néolocal se généralise, surtout dans les zones urbaines. De plus, la famille de la mariée participe de plus en plus aux frais du mariage. Tout cela est l’objet de tractations qui pèsent lourd dans l’accord que les parents donnent ou non à leurs enfants pour se marier.

21 Notons que les parents peuvent alors généralement intervenir directement sur le plateau et mettre leurs

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Voici à gros traits le contexte des mariages contemporains chinois. J’ai essayé dans une place restreinte de dépeindre l’histoire culturelle de cette pratique et ses principales implications actuelles. Je vais maintenant dépeindre le contexte spécifique des xiangce, objets au centre de cette étude.

3. Les albums de photos xiangce : une pratique récente

Le premier réflexe de la part d’un apprenti anthropologue s’intéressant à ces albums fut de questionner mes informateurs sur son développement : Pourquoi, et depuis quand fait- on ce genre de livre ? La réponse fut unanime : « c’est la tradition ». L’appareil photographique étant plutôt récent dans l’histoire technologique humaine, il me semblait important de revenir sur le développement de ce phénomène. Les spécificités chinoises accompagnant l’appropriation de la technologie photographique sont, par manque de place, présentées en Annexe 2, mais elles doivent être prises en compte pour comprendre finement certains des clichés qui suivront. En effet, si les portraits servent à entretenir des interactions sociales, ils sont aussi intégrés à une histoire locale22.

3.1. Les premières photographie chinoises relatives au mariage

Mes recherches spécifiquement limitées aux clichés de mariage montrent que le xiangce est une pratique spécifiquement chinoise qui découle de dynamiques globales.

Les plus anciennes photographies de mariage que j’ai trouvées datent de 1927, immortalisant l’union de Chiang Kaishek et Soon Meiling. Ces photos sont imprimées dans le livre à la gloire de Chiang 伟大的蒋主席 (wei da de jiang zhuxi) édité par l’Agence de nouvelles du Ministère de la Défense nationale en 1946 (Parr et WassinkLundgren, 2016 : 82). Il est difficile de ne

Figure 1: Union de Chiang Kaishek et Soon Meiling, 1927

22 Voir l’Annexe 2. Notons ici que la photographie chinoise a, dès ses débuts, exprimé et fait circuler des

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pas y voir des similitudes avec certaines photos de mariage actuelles que nous analyserons par la suite (voir Figure 1).

3.2. La photographie sous l’ère communiste

Après la prise du pouvoir par les communistes, « étonnamment, la photographie sentimentale dans le style traditionnel des lettrés continua à être autorisée sous l’appellation de photographie ‘artistique’ » (Zheng G., 2012 : 5). Ceci étant dit, les photographies de cette époque sont rares, et c’est grâce au travail de plusieurs années de Peng Yangjun et Chen Jiaojiao (Peng et Chen, 2010 évoqués par Parr et WassinkLungrend, 2016 : 324-325) que nous pouvons présenter celle-ci datant de 1962 (voir Figure 2).

Figure 2: Une mariée anonyme, 1962

« Pendant la révolution culturelle, la photographie s’insinua dans tous les aspects de la vie sociale » (Zheng G., 2012 : 5), faisant disparaître au passage ce genre de cliché de la Chine continentale23.

23

La Révolution Culturelle commence en 1966 avec le but affiché de débusquer toute personne dont le comportement est bourgeois. Dans ce contexte, la Campagne de purification des arts est lancée en 1967 et impose un carcan étouffant (seuls huit spectacles idéologiquement corrects sont autorisés dans l’ensemble du pays) (Gauthier, 2016). Alors que les délations et les exactions en tous genres se multiplient, la population cherche à être irréprochable en tout point. « Pour s’en sortir, il fallait être toujours plus révolutionnaire que son voisin » nous rappelle Li Zhensheng, reporter chinois à qui on doit la majorité des photos d’exécutions et de procès publiques de l’époque (Le Naire, 2003). Dans ce contexte, les photographies de mariage pouvant être interprétées comme un plaisir personnel et bourgeois disparaissent de la Chine continentale.

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3.3. L’importance des studios de Taiwan

Dans le contexte taïwanais, les photographies antérieures au mariage remontent au moins à la fin des années 1940 (Adrian, 2004 : 147 et Jie, 2013 : 30). Les salons non spécialisés (faisant des photos pour toutes les occasions, et pas seulement pour le mariage), les zhaoxiang guan ( 照 相 馆), apparaissent à Taiwan durant la période de colonisation japonaise de 1895 à 1945. À partir des années 1960, la démocratisation progressive des appareils photo fragilise ces institutions. Au début des années 1980, certains

photographes professionnels joignent leurs savoirs faire aux maquilleurs et coiffeurs. Ils créaient ainsi des studios de photographie se concentrant exclusivement sur les clichés ayant un rapport avec le mariage. Cette formule se généralise et devient majoritaire au début des années 1990 (Adrian, 2006 : 76), au moment où de nombreux photographes taïwanais s’installent en Chine continentale, ce nouveau marché étant beaucoup moins compétitif que celui de l’île, et leurs investissements semblant plus sécuritaires, vu les incertitudes que la République Populaire de Chine fait peser sur Taiwan (Adrian, 2006 : 74 et 80). Ces photographes travaillant en Chine continentale s’inspirent des procédés mis en place à Taipei, Hong Kong, Singapour, Séoul et Tokyo (Adrian, 2006 : 80). Or, au milieu des années 1990, les clichés sont encore limités en nombre, et la tendance fait écho à la fois à l’historique vestimentaire de la Chine et du Japon, comme à celui de la France. C’est au début des années 2000 que le nombre de clichés croît avec l’arrivée des livres imprimés de ce type, et de photos prises dans des parcs comme dans des lieux urbains dédiés à la consommation (Adrian, 2004 : 141).

3.4. Des images comme marque de romantisme

La majorité de mes informateurs souhaitent, s’ils se marient un jour, le faire en blanc. Les explications de leurs choix tiennent en deux mots qu’ils projettent sur le mariage en blanc : romantisme et modernité.

Il est donc intéressant de savoir que dès la fin des années 1990, il devient courant à Taiwan d’associer les clichés photographiques bien faits à l’idée de romantisme. Cette utilisation des photographies déjà courante au Japon et aux États-Unis est véhiculée par des campagnes de publicité orchestrées par Kodak et Fuji. Cette idée consacre

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évidemment les salons photographiques professionnels (Adrian, 2004 : 151-152), dont les styles proposés sont influencés par la circulation d’image (Adrian, 2006 : 83) via les médias et la diaspora chinoise.

La pratique qui m’intéresse est donc une pratique provenant d’un monde globalisé et qui a été adaptée par les Chinois du continent à leur propre réalité. Cette pratique recèle des imaginaires sociaux qui sont influencés en partie par les médias et la publicité, mais plus généralement par les flux d’informations qui entrent en Chine depuis son ouverture relative au reste du monde. Elle s’insère également dans une institution centrale de la société chinoise qu’est le mariage, avec ces impératifs propres. De par ses caractéristiques, les xiangce ( 相 册 ) ne peuvent, de mon point de vue, être analysés finement qu’à travers la tension global-local, ce qui m’amène à présenter le cadre théorique sur lequel j’appuierai mes analyses.

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Chapitre II.

Question de recherche et concepts mobilisés

« Les intuitions sans concepts sont aveugles. Les concepts sans

intuitions sont vides. »

(Kant24)

J’avais dans un premier temps envisagé d’étudier les cérémonies de mariage et leurs transformations multiples en Chine contemporaine urbaine, plus précisément à Pékin, mais le terrain, qui ne s’est pas déroulé comme prévu25, m’a plutôt amené à réfléchir sur

les albums photographiques nuptiaux réalisés par les couples de fiancés. De cette réflexion a finalement émergé la question de recherche principale suivante :

Comment interpréter les imaginaires hybrides et les désirs exprimés par des couples

de fiancés dans les albums de photographies prémaritaux (xiangce 相 册 ) en Chine

contemporaine urbaine à l’heure de la globalisation ?

Cette question se subdivise en plusieurs objectifs de recherche, qui ont organisé les étapes de mon travail :

1) Quels sont les imaginaires mobilisés au sein des xiangce ?

2) Quelle est l’origine culturelle, si tant est que l’on puisse la retracer, des référents de chacune de ces images ?

3) Quelle est la proportion, parmi ces clichés, d’imaginaires hybrides ? 4) Quels sont les désirs exprimés par les couples à travers ces images ? 5) Ces aspirations sont-elles toutes imputables à la globalisation ?

6) Que nous apprend cette culture visuelle sur l’évolution des mariages en Chine urbaine contemporaine ?

24

Cette citation est à propos pour deux raisons. En raison de son sens littéral évidemment, mais elle s’explique également par le fait qu’un des concepts principaux de ma question de recherche est l’imaginaire. Or, si Kant suit les philosophes occidentaux qui l’ont précédé en séparant clairement le corps et l’esprit, il est le premier à suggérer que l’esprit n’accède pas au monde tel qu’il est, mais qu’il donne des significations au monde, créant par là des représentations.

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