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Les états de différenciation et d’intégration du système d’organisation

1. LES ASPECTS CLES DE LA THESE DE LAWRENCE ET LORSCH

1.1. Les états de différenciation et d’intégration du système d’organisation

La conception systémique de l’entreprise suppose l’existence de sous-systèmes d’organisation adaptés à des secteurs d’environnement variés (la différenciation) et des interactions entres ces sous-systèmes (l’intégration). En d’autres termes, un système social dynamique peut être

caractérisé par différentes situations de différenciation et d’intégration : « L’influence des

états de différenciation et d’intégration dans le système organisationnel constitue l’élément fondamental de cette étude. Les organisations font face à l’environnement en se fractionnant en unités de façon telle que chacune d’elles a pour principale tâche de traiter une partie des conditions externes à l’entreprise. C’est la conséquence du fait que chaque groupe de dirigeants a une zone d’action limitée, chacun ayant la capacité de traiter

seulement une portion de l’environnement. Si nous prenons par exemple les départements

d’une grande entreprise diversifiée ou d’une usine de taille moyenne, nous observons immédiatement la vente, la production et les bureaux d’étude. Chacun d’eux fait face à un secteur de l’environnement de l’organisation. Le département des ventes fait face aux problèmes liés avec le marché, les consommateurs, les concurrents, etc., le département de production traite avec les fournisseurs d’équipement et de matières premières, le marché de travail et ses besoins. Les conditions externes relevant de l’état de la connaissance scientifique et ses possibilités, la connaissance des nouvelles découvertes et de leurs applications,

constituent dans le cas général le champ d’action du bureau d’étude. Ces différentes parties du

système doivent être liées pour que les objectifs de l’organisation soient atteints. Cette division

du travail entre départements et la nécessité d’un effort commun conduisent à divers états

de différenciation et d’intégration à l’intérieur de toute organisation » (Lawrence et Lorsch

1967 p 26).

Notons que cette conception du système d’entreprise en termes de différenciation et

d’intégration n’est pas nouvelle. Koestler (1960)88 disait que « on peut décrire le processus de

l’évolution comme une différenciation de structure, et une intégration de fonction. Plus les parties sont différenciées et spécialisées, plus il faut de coordination pour former un tout équilibré ». En réaction à ces propos, Le Moigne (1973, op. cité) souligne que Koestler « nous livre les deux clefs par lesquelles la plupart des chercheurs se proposent aujourd’hui de décrire, ou d’analyser, le processus de l’évolution du système général ». C’est dans cette perspective systémique que Mélèse propose une conception analogue du système d’entreprise (une méthode d’analyse du système, sous le titre d’analyse modulaire des systèmes, A.M.S). Il

considère qu’à une différenciation des objectifs correspond une différenciation interne du

système, différenciation qui affecte en général surtout les frontières du système. La perception

de ces différenciations conduit à les formaliser sous formes modulaires (le module étant un

sous-système assurant spécifiquement l’adaptation du système à un type donné de différenciation des objectifs). Cette notion de module s’avère, en pratique, extrêmement

puissante pour permettre aux systèmes d’évoluer avec leurs objectifs. Mélèse (1972) et ses

collaborateurs ont popularisé une procédure d’analyse de gestion qui illustre l’intérêt de la

modularisation des systèmes en matière de conception de l’organisation. Cette notion de module est aujourd’hui utilisée par les concepteurs du système ERP pour designer ses différents composants (module comptabilité et finance, module commercial, module production). Chaque module est conçu pour traiter un aspect particulier de l’organisation et de l’environnement.

Cette conception du système d’entreprise en termes de différenciation et d’intégration a évolué au fil du temps avec la prise en compte progressive de l’acteur social (comportement, attitude, objectif...) et plus récemment du système d’information (l’ERP par exemple, comme le montrera notre thèse). Les concepts de différenciation et d’intégration sont plutôt techniques

(simple division du travail en fonctions spécialisées) et mécanistes (intégration par la hiérarchie) dans la théorie classique (l’entreprise « machine »), humains ou sociaux dans l’école des relations humaines (l’entreprise ensemble des relations humaines), et sociotechniques dans l’école contingente à laquelle appartiennent Lawrence et Lorsch (l’entreprise est un système à la fois social et technique). Nous partageons cette dernière conception car nous considérons le système d’entreprise (et le système comptable) comme un

système homme-machine89.

1.1.1. La différenciation des sous-systèmes sociaux

La différenciation est définie comme étant «les différences d’attitude et de comportement et

non uniquement le simple fait du fractionnement et de la spécialisation» (Lawrence et Lorsch

1967 p 27). La différenciation de comportement repose sur «les différences d’orientation

cognitive et affective des cadres dans les différents départements fonctionnels » (Lawrence et Lorsch 1967 p 28). Dans ce sens, Lawrence et Lorsch reprochent aux théoriciens classiques de ne pas avoir découvert les conséquences de la division du travail sur les attitudes et les comportements des membres de l’organisation : « Fayol, Gulick, Mounet et Urwick ont dit comment faire pour répartir au mieux les tâches et comment obtenir la meilleure intégration. De notre point de vue, cependant, ils ont commis une erreur fondamentale en ignorant les propriétés systémiques des organisations. Par conséquent, ils n’ont pas vu que l’acte de fractionnement en départements devait influencer le comportement des membres de l’organisation de différentes façons. Les membres de chaque unité deviennent des spécialistes de tâches particulières. Par suite de leur éducation, de leur expérience spécifique et de la nature de leur tâche, ils ont développé des styles spécifiques de travail et de procédures mentales » (Lawrence et Lorsch 1967 p 27).

La différenciation des unités peut être liée à différents aspects (différenciation d’orientations et différence de structure), à savoir :

- « l’orientation des dirigeants fonctionnels vis-à-vis d’objectifs particuliers » : ce sont les préoccupations qui conduisent les dirigeants à se comporter d’une certaine façon pour

89 Dans cette perspective le système d’information peut être défini comme étant « un système « utilisateur-machine » intégré qui produit de l’information pour assister les êtres humains dans les fonctions d’exécutions, de gestion et de prise de décision » (Davis et al. 1986).

atteindre certains objectifs plutôt que d’autres. En effet, chaque unité est souvent centrée sur la réalisation des objectifs particuliers qui peuvent être mesurés en termes quantitatifs (coût, chiffre d’affaires, volume, rendement…) ou qualitatifs (qualité, délai, innovation…). Par exemple, les vendeurs sont généralement plus motivés par le volume des ventes par rapport à leurs collègues de la production qui sont souvent motivés par les coûts bas de production ;

- « l’horizon temporel du travail » : ce sont les différentes façons dont les cadres projettent leurs actions dans le temps, dans les différentes unités de l’organisation. Par exemple les ingénieurs de production sont davantage sollicités pour la résolution des problèmes immédiats (réduire les défauts de qualité), que les ingénieurs de conception qui traitent des questions à long terme (concevoir de nouveaux produits) ;

- « la nature de l’orientation des individus » : ce sont les comportements des cadres vis-à-vis de leurs collègues selon leur spécialité. Un individu peut être plus concentré sur la tâche qu’il a à réaliser ou sur ses relations avec les autres. Les ingénieurs de l’unité recherche et développement doivent collaborer étroitement avec leurs collègues des unités de production et de vente, pour concevoir et mettre en place de nouveaux produits, alors que ceux qui travaillant sur la chaîne de production doivent se concentrer sur leurs tâches et, par conséquent, n’ont pas besoin d’entretenir des relations avec les autres employés ;

- « les différents modèles de structure formelle » : chaque unité fonctionnelle engendre des types d’interrelations formelles particulières, des critères de récompense et des procédures de contrôle spécifiques en fonction de ses tâches propres. Par exemple l’unité de production peut être composée de plusieurs niveaux hiérarchiques, et comporter un intéressement aux résultats en fonction des coûts, de la qualité et des systèmes de contrôle qui mesurent ces critères en détail. A l’opposé, l’unité de la recherche devra être beaucoup moins formalisée pour s’adapter aux besoins changeants de la clientèle. Elle peut ne posséder qu’un petit nombre de niveaux hiérarchique, des systèmes de récompense basés sur de larges objectifs tels que la contribution à la connaissance (nouveaux produits) et un système de contrôle plus léger. Cet aspect de la différenciation est très important dans notre thèse, car il implique la différenciation des sous-systèmes d’information.

1.1.2. Les risques de balkanisation de l’organisation

La différenciation génère souvent des conflits répétitifs qui semblent être inévitables, comme le souligne Lawrence et Lorsch (1967 p 30) : « la différenciation est une nécessité et par conséquent, par suite des façons de penser variées qui en résultent dans les diverses unités des grandes organisations, les conflits répétés sont inévitables ». Par exemple, « un cadre de production et un vendeur qui ont des responsabilités spécifiques peuvent avoir des points de vue différents sur le meilleur prix à donner à un produit particulier, le producteur peut souhaiter un prix élevé qui lui donnerait une plus grande marge pour les coûts de production, ce qui est souhaitable, tandis que le vendeur peut préférer un bas prix qui lui permet d’entrer en compétition plus facilement » (Lawrence et Lorsch p 29). Ces conflits peuvent empêcher la prise de décision rapide et ralentissent la réponse de l’entreprise à l’environnement (délai, qualité, coût, innovation, etc.). Ce type de conflits peut remettre en cause l’unité et la cohésion globale de l’entreprise. Pour faire face à un tel risque de balkanisation et répondre aux exigences de l’environnement (coût, qualité, délai), des mécanismes de résolution de conflits et d’intégration semblent nécessaires. « du fait de sa croissance, le système se différencie et le fonctionnement de ses parties séparées doit être intégré dans le système tout entier pour être viable » (Lawrence et Lorsch p 25).

1.1.3. L’intégration des sous-systèmes différenciés

L’intégration est définie par Lawrence et Lorsch comme étant «la qualité de la collaboration

qui existe entre des départements qui doivent unir leurs efforts pour satisfaire aux demandes de l’environnement et les stratégies organisationnelles pour atteindre ce but ». Dans cette perspective, Lawrence et Lorsch reprochent aux théories classiques leur conception trop mécaniste de l’intégration : « Du fait que les premiers théoriciens en organisation n’ont pas découvert les conséquences de la division du travail sur les attitudes et les comportements des membres de l’organisation, ils n’ont pas vu que les problèmes d’intégration étaient étroitement liés aux différences d’orientation et de mode d’organisation. En effet, puisque les membres de chacun des départements ont des intérêts et des opinions différents, ils rencontrent souvent des difficultés pour se mettre d’accord sur des programmes d’action généraux.» (p 28-29).

L’atteinte de cet objectif d’intégration nécessite la mise en place de mécanismes de révélation et de résolution des conflits entre sous-systèmes variés, à savoir :

- la procédure hiérarchique : la circulation des ordres venant des supérieurs, c'est-à-dire la voie hiérarchique fournit un moyen par lequel la liquidation de conflits peut être atteinte ;

- les comités et les équipes de coordination : comités de direction, département d’intégration, groupes de projet ;

- les intégrateurs individuels : chef de projet, chef de produit, agent de liaison de type technico-commercial ou informatico-comptable ;

- les contrôles classiques et les procédures écrites : ce sont les contrôles basés sur la comparaison des résultats aux objectifs planifiés (budget-réalisation) et les systèmes d’incitation y associés (système de rémunération) mais aussi les procédures écrites tels que les manuels de procédures, les notes de services, les fiches de postes.

Cependant, l'intégration ne doit pas se faire au détriment de la différenciation : « il ne faut pas chercher, par souci d’homogénéité ou de symétrie, à réduire les différences entre unités, il faut au contraire les valoriser » (Lawrence et Lorsch). A ce titre, Lawrence et Lorsch reprochent aux théoriciens classiques de ne pas comprendre la complexité de la tension (conflit) différenciation-intégration (nature systémique de l’organisation). En effet, l’intégration passe

par la résolution des conflits entre sous-systèmes sociaux différenciés : « du fait que les

premiers théoriciens n’ont pas perçu explicitement les relations entre les différents états de différenciation et d’intégration, ils ont exagéré le besoin d’intégration dans l’organisation. Selon eux, cependant, l’intégration s’accomplit au moyen d’une procédure entièrement rationnelle et mécaniste. Si la division du travail a bien été faite selon certains principes, l’intégration doit se faire simplement par la circulation des ordres venant des supérieurs, c'est-à-dire par la voie hiérarchique. Notre point de vue est très différent. Nous pensons que l’intégration n’est pas atteinte par une telle procédure automatique. En fait, les points de vue divers soutenus par les différents spécialistes fonctionnels conduisent fréquemment à des conflits au sujet de la direction à prendre. Pour atteindre une intégration effective, ces conflits doivent être liquidés, la procédure hiérarchique fournit un moyen par lequel cette liquidation peut être faite, mais ce n’est pas le seul moyen. Dans beaucoup d’organisations, des comités de coordination et des équipes sont constitués, ou bien des intégrateurs individuels sont désignés pour faciliter la collaboration entre les fonctionnels des différents niveaux de commandement. Des contrôles classiques et des procédures écrites peuvent également faciliter l’intégration. Finalement, les cadres eux-mêmes déploient beaucoup d’activité dans ce but, en

facteurs conditionnent ces différents modes d’intégration et quelles relations il peut y avoir entre les procédures de conflit et d’intégration d’une part, et les conditions externes d’environnement, d’autre part» (Lawrence et Lorsch 1967 p 29-30).

Au total, la différenciation des sous-systèmes d’organisation n’est pas uniquement technique (simple fractionnement de l’entreprise en fonctions spécialisées) mais aussi comportementale (objectifs, orientations, horizon) et l’intégration ne passe pas uniquement par la hiérarchie mais aussi par des dispositifs sociotechniques variés (communication, comité d’intégration, intégrateurs individuels). Le système comptable est un aspect de ces dispositifs.

1.1.4. L’hétérogénéité et le dynamisme des différents secteurs d’environnement

L’environnement est une variable clé de l’étude, l’entreprise étant un système ouvert sur son environnement. Ce système est composé des sous-systèmes différenciés faisant face à des secteurs d’environnements variés. Chaque sous-système doit respecter les contraintes de son secteur d’environnement. Des observations préliminaires effectuées par Lawrence et Lorsch révèlent que différents types d’organisation sont efficaces sous différentes conditions externes (environnement) : « un cas d’étude dans une entreprise de papeterie à taux de rentabilité élevé révéla une organisation où l’on avait très peu confiance dans les règles formelles et les procédures écrites, et où il n’existait qu’un contrôle limité au sommet de l’entreprise. Beaucoup de décisions importantes étaient prises aux plus bas niveaux de commandement. A l’inverse, un autre cas relatif à une firme prospère de conditionnement de viande montrait un type différent d’organisation. Là, nous trouvions des procédures très détaillées, de nombreux niveaux hiérarchiques et un contrôle très strict et très contraignant au sommet. Nous fûmes très intrigués de savoir quelles différences de techniques de production et de marchés pouvaient expliquer des styles aussi différents pour ces deux organisations hautement efficaces » (Lawrence et Lorsch 1967 p 31).

Ce constat confirme les résultats de l’étude de Burns et Stalker (1961) qui montrent que le degré d’incertitude des informations et des connaissances sur les différents secteurs d’environnement détermine les variables organisationnelles (les modes d’intégration). En effet, dans les environnements certains, les conflits doivent être liquidés et l’intégration atteinte aux niveaux les plus élevés de la hiérarchie. Dans les plus incertains l’intégration est réalisée aux bas niveaux de la hiérarchie « Burns et Stalker ont étudié des entreprises, d’une

part dans des secteurs industriels dynamiques et en évolution, et d’autre part dans des secteurs plus stables et plus traditionnels. Les organisations dans l’industrie traditionnelle tendaient à être ce que les auteurs ont qualifié de « mécanistes » il y avait une plus grande confiance dans les règles formelles et les procédures, les décisions étaient prises à des niveaux plus élevés de l’organisation, les systèmes de contrôle étaient plus stricts. A l’inverse, les organisations efficaces dans les industries plus dynamiques étaient plus typiquement « organique », les systèmes de contrôle étaient plus lâches, moins d’attention étaient portée aux procédures formelles, plus de décisions étaient prises aux niveaux moyens de l’organisation, etc. » (Lawrence et Lorsch 1967 p 32). En ce sens, Mintzberg a identifié cinq grands types de configurations structurelles adaptées à des contextes différents (taille et environnement) : la structure simple, la « bureaucratie mécaniste », la bureaucratie professionnelle, l’ « adhocratie » et la structure divisionnalisée.

1.1.5. L’importance de l’acteur social

L’individu est au cœur de l’étude de Lawrence et Lorsch. En effet, il semble qu’il existe une forte relation entre la réalisation efficace du travail d’un individu et la satisfaction de ses propres besoins (besoins psychologiques et sociologiques). De ce point de vue, l’entreprise efficace doit permettre à l’individu d’accomplir certaines tâches correspondant à ses compétences (besoin d’accomplissement), mais aussi de communiquer avec les autres (besoin d’indentification), voire d’exercer un pouvoir sur eux (besoin de pouvoir). Le besoin d’accomplissement efficace du travail semble être le besoin dominant de beaucoup de dirigeants. En effet, l’organisation efficace donne l’occasion à l’individu de se sentir efficace. Cependant les besoins d’identification (communication) et de pouvoir peuvent en partie être satisfaits en dehors de l’entreprise, au sein de la famille et de la société. Tous ces besoins peuvent exister chez les membres de l’organisation mais à des degrés variables. En effet, si beaucoup de membres semblent avoir un grand besoin d’accomplissement efficace dans le travail, d’autres peuvent avoir des besoins plus forts de pouvoir et de participation. L’entreprise efficace, bien adaptée à l’environnement, doit être structurée de façon à donner à ses membres l’occasion de faire convenablement leur travail (se sentir compétent) mais de réaliser leurs désirs de communication et de pouvoir. L’entreprise efficace doit satisfaire les besoins de ses membres mais aussi la demande de l’environnement. Le profil de l’individu (son éducation, son expérience) est un facteur de conception de l’organisation et de résolution

profil est très importante dans notre recherche. En effet, nous montrerons que le profil du dirigeant est un facteur clé de la conception de l’organisation des systèmes comptables (l’intégration des systèmes comptables est la décision d’un dirigeant ayant une culture informatico-comptable).