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L’équilibre vie professionnelle-vie privée et les régimes d’assurance-soins

Les politiques en matière d’équilibre vie profession-nelle-vie privée se présentent sous deux formes : 1.

Les politiques concernant la prestation de services

d’action sociale pour les personnes employées ayant des obligations familiales (ex. les parents de jeunes enfants).

2.

Les politiques du marché du travail qui réglementent les jours et les heures de travail pour permettre de concilier travail et obligations familiales. Quelques exemples :

• La législation en matière de congés de soutien familial (congés maternel, paternel, parental et autres congés de soutien familial pour les membres de la famille malades).

• La réglementation des heures de travail à temps plein selon des normes de travail décent de 35 à 40 heures par semaine.

• L’harmonisation des horaires de travail et des ho-raires des écoles, des maternelles et des garderies.

• Les pratiques de travail flexible pour permettre de concilier responsabilités professionnelles et fami-liales, comme l’accès temporaire au travail à temps partiel, les horaires aménagés et le télétravail.

Les mesures de réglementation du marché de tra-vail s’inscrivent en complément des services et permettent de redistribuer le temps de travail domes-tique non rémunéré entre les femmes et les hommes.

Elles redistribuent également une partie du coût des soins entre les familles et les systèmes d’assurance financés par les employeurs et les États. Par exemple, dans la plupart des pays où il existe, le congé parental est couvert par un régime d’assurance financé par les employeurs, parfois par les cotisations des employés, voire par l’État. Dès lors que le congé parental est couvert par un régime d’assurance, la grossesse, la maternité ou la parentalité risquent moins de devenir une source de discriminations sur le marché du travail.

Par ailleurs, lorsqu’il existe des mesures spéciales pour encourager les hommes à prendre leur congé parental (quotas de pères et choix de combiner congé parental et travail à temps partiel), cette législation devient un mécanisme efficace pour redistribuer le travail de soins entre les femmes et les hommes.

Dans de nombreux pays, la législation en matière de congé de soutien familial rémunéré va de pair avec l’acquisition de droits à la sécurité sociale. Par exemple, les retraites des parents ne sont pas réduites s’ils cessent temporairement leur activité rémunérée pour s’occuper de jeunes enfants. Dans de nombreux pays, les personnes au foyer ont droit à la sécurité sociale et à une retraite, financées en partie par des cotisations individuelles, mais principalement par l’État. En Équateur, les personnes au foyer ont droit aux prestations de sécurité sociale depuis 1964. En Argentine, les règles concernant les caisses de retraite

ont été modifiées au début des années 2000, de telle sorte que les personnes qui n’avaient pas cotisé à la sécurité sociale parce qu’elles n’exerçaient pas un em-ploi formel (y compris les femmes au foyer) pouvaient s’inscrire et contribuer à la caisse de retraite.

Dans certains cas, les systèmes d’acquisition de droits à la sécurité sociale sont élargis aux programmes de transferts monétaires destinés aux femmes chargées du travail de soins. Cette démarche ne fait pas l’unani-mité du point de vue de l’égalité femmes-hommes. En effet, si une politique de transferts sociaux en échange de travail de soins reconnaît effectivement le travail non rémunéré, elle ne contribue ni à sa réduction ni à sa redistribution de la sphère domestique vers la sphère publique, ou des femmes vers les hommes (encadré 4.4).

Alors que les salariés du secteur formel sont généra-lement couverts par des régimes obligatoires, comme le congé maternel, il n’en est pas de même les tra-vailleurs indépendants, les tratra-vailleurs familiaux non rémunérés ou les salariés du secteur informel. La plu-part des pays ont des régimes d’assurance universelle

obligatoire pour la santé, la retraite ou le chômage, mais très peu ont des régimes d’assurance-soins, pu-blics ou obligatoires.

Il n’en reste pas moins que les régimes d’assu-rance-soins destinés à des catégories de population particulières peuvent constituer un mécanisme effi-cace pour financer et redistribuer la charge de soins.

Les régimes d’assurance-soins financés ou subven-tionnés par l’État peuvent améliorer le congé parental pour les travailleurs indépendants et les travailleurs familiaux non rémunérés, ainsi que pour les employés du secteur informel. Les régimes d’assurance-soins ne sont pas forcément limités aux besoins de soins des enfants. Le régime d’assurance-soins vieillesse adopté en Corée du Sud en 2008, par exemple, permet à tous les citoyens de plus de 65 ans d’accéder aux services de soins publics, qu’il s’agisse d’aide ménagère ou de séjours en établissement d’accueil médicalisé (Esplen, 2009a) (on trouvera un exposé plus approfondi sur les politiques en matière d’équilibre vie profession-nelle-vie privée dans le Module 5 : L’emploi, le  travail  décent et la protection sociale).

ENCADRÉ 4.4.

La rémunération des tâches ménagères est-elle une stratégie d’autonomisation des femmes ? L’exemple d’Oportunidades au Mexique

Oportunidades (autrefois Progresa), au Mexique, est le programme de transferts monétaires conditionnels le mieux connu et le plus étudié. Son objectif : réduire la pauvreté par le biais de transferts monétaires aux mères. Ces paiements sont toutefois conditionnels, car les mères doivent accepter de se soumettre à cer-taines obligations, notamment des visites médicales régulières pour les enfants, des cibles de fréquentation scolaire, la participation à des ateliers de santé, et des activités bénévoles au service de la communauté (ex.

le ramassage de détritus).

Le programme Oportunidades a reçu un accueil élogieux parce qu’il améliore la fréquentation scolaire, met l’importance de l’éducation des filles à l’ordre du jour politique, et améliore l’estime de soi des femmes (voir les évaluations du programme dans Eldis, 2006). Il a toutefois été critiqué parce qu’il ajoute aux respon-sabilités des femmes et renforce la division traditionnelle du travail entre les sexes. Au lieu de chercher à incorporer les hommes dans le programme, toutes les actions visant à améliorer le bien-être des enfants sont simplement supposées faire partie du rôle maternel. Le programme ne cherche pas non plus à améliorer la sécurité économique des femmes, ou à fournir des services d’accueil des jeunes enfants pour les femmes qui le souhaitent ou qui en ont besoin parce qu’elles travaillent ou font des études. Par conséquent, pour assurer la réussite du programme, les femmes doivent remplir leurs rôles sociaux traditionnels.

(Esplen 2009a, p. 47 ; adapté de Molyneux 2007a, p. 23–30)

Pour terminer, la réglementation des conditions de travail des aidants rémunérés est un autre domaine d’action publique pertinent qui relève de l’économie des services à la personne, mais qui n’est pas abordé dans ce module de formation consacré au travail non rémunéré. Son exclusion de cette formation ne signifie toutefois pas qu’il est sans importance. En quelques mots, les politiques dans ce domaine reconnaissent et réglementent les conditions de travail dans les services professionnels à la personne. La réglementation des conditions de travail de la main-d’œuvre rémunérée dans ce secteur demande l’adoption et la réforme de la législation nationale en matière de travail domestique rémunéré pour protéger les travailleurs, y compris les travailleurs domestiques, ainsi que la ratification de conventions internationales, dont la Convention no 189 de l’OIT concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques.

4.4.4 Perspectives : l’économie mauve en riposte à la crise de l’économie des soins à la personne

Quelques théoriciennes féministes ont fait observer que la question du travail de soins est aussi une ques-tion de croissance durable. Elles soutiennent qu’en plus des obstacles à la croissance durable posés par la crise économique mondiale, la montée du chômage et l’aggravation de la crise écologique, nous devrions aussi être inquiétés par la crise du « care » qui s’annonce. Selon Himmelweit (2007), la crise de l’économie des services à la personne est l’expression d’une transformation de la société en une société moins capable de fournir une main-d’œuvre de soins face à l’intensification de la concurrence commerciale, et moins disposée à le faire.

Les théoriciennes pointent certaines retombées concrètes dans les sociétés de moins en moins so-lidaires : la baisse du taux de fécondité en dessous du taux de remplacement ; l’incapacité à parer aux besoins de soins croissants des personnes âgées (une proportion grandissante de la population) et des ma-lades en raison de chocs sanitaires comme le VIH et le sida. Cette mutation en des sociétés moins solidaires est visible dans l’érosion des normes de soins, dans les liens sociaux de plus en plus ténus et dans la désaffec-tion croissante des citoyens.

Ilkkaracan (2013 et 2017) déclare qu’au moment même où l’économie verte est proposée comme une vision future d’un nouvel ordre économique en riposte à la crise environnementale, nous avons besoin d’une vision future d’un autre ordre économique, en complément de l’économie verte, pour relever les défis posés par la crise des services à la personne.

L’économie mauve9 désigne un ordre économique organisé autour de la durabilité du travail de soins, par l’internalisation redistributive des coûts, tout comme l’économie verte est organisée autour de la durabilité de l’approvisionnement par la nature en internalisant les coûts environnementaux dans les schémas de production et de consommation. L’économie verte reconnaît que nous dépendons des ressources na-turelles de la terre et que nous devons donc créer un système économique qui respecte l’intégrité des écosystèmes. L’économie mauve reconnaît que nous dépendons du travail de soins, élément indispensable du bien-être humain. Par conséquent, nous devons créer un système économique qui tienne compte de la va-leur du travail de soins et qui permette de le fournir de manière durable, sans revenir à des mécanismes inégalitaires fondés sur le sexe, la classe ou l’origine.

L’économie mauve repose sur quatre piliers axés sur la reconnaissance, la réduction et la redistribution de la charge de soins (encadré 4.5).

ENCADRÉ 4.5.

L’économie mauve en complément de l’économie verte pour une croissance durable

Source : Ilkkaracan 2013 et 2016

commentaires

Économie verte Économie mauve

En riposte à...

également à la crise économique à travers

la crise

environnemen-tale – pour assurer la pérennité de l’approvisionnement par la nature Les emplois verts

la crise des services à la personne (care) – pour assurer la pérennité de l’approvisionnement par la main-d’œuvre de soins Les emplois mauves Reconnaît que, outre la consommation de

produits, le bien-être humain dépend de

l’accès à... des écosystèmes en bonne santé des soins de qualité

Tient compte de... toutes deux invisibles

dans l’analyse économique orthodoxe la valeur de la nature la valeur de la main-d’œuvre de soins

Demande l’intervention de l’État et la réglementation du marché pour l’internalisation des... dans les schémas de production et de consommation

coûts environnementaux coûts de la main-d’œuvre de soins

Vise à éliminer... par la redistribution des

coûts. les inégalités intergénérationnelles les inégalités entre les sexes, les classes, les origines Demande de réordonner les priorités,

de la consommation à la nature aux soins

de la croissance du PIB à la croissance durable et équitable (voire à la décroissance)

Les quatre piliers de léconomie mauve

Une infrastructure d’action

sociale universelle La réglementation

du marché du travail Des infrastructures physiques écologiques pour

les communautés rurales

Environnement macroéconomique

favorable

réduit et redistribue les coûts des soins entre les

sphères publique et domestique

redistribue les coûts des soins entre les hommes et les femmes dans la sphère

domestique

réduit et redistribue les coûts des soins entre les

sphères publique et domestique

reconnaît les coûts des soins et permet leur

réduction et leur redistribution en faveur de l’équilibre

vie professionnelle-vie privée avec mesures incitatives égales pour les hommes

et les femmes