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Les manipulations reportées dans ce manuscrit ont été effectuées à débit croissant. La différence obtenue pour des débits décroissants est détaillée dans la section III.8.

III.3.1 Les régimes à débit croissant

En augmentant le débit pour une inclinaison donnée, nous trouvons cinq régimes d’é- coulement. Aux plus faibles débits, l’écoulement se fait en gouttes. Nous avons déjà étudié les écoulements de gouttes au chapitre précédent, pour des gouttes d’huile silicone visqueuses sur un substrat fluoré. En augmentant le débit, on arrive à former un filet liquide. Comme on peut le voir sur la Figure III-5a, le ruisselet formé aux plus bas débits est droit ! Ses variations d’amplitude ne sont au plus que de l’ordre de la largeur w du filet, et sont imputables aux dé- fauts de la plaque de Mylar. Rappelons que NAKAGAWA & SCOTT (1984) ne voyaient pas ce

régime, pourtant très commun, et ne notaient qu’un passage direct des gouttes à un filet méan- drant.

Figure III-5 : Filet d’eau s’écoulant sur une plaque de Mylar pour des débits crois- sants. α=32°. (a) Filet droit, débit Q=0,50 mL/s. (b) et (c) Méandres stationnaires, Q=1,08mL/s et Q=1,40 mL/s respectivement. (d) Régime instable, α=80°, Q=1,27 mL/min (e) Restabilisation en feuilles de sauge, α=80°, Q=10,2 mL/s.

Au-delà d’un premier débit critique Qc1, dépendant de l’inclinaison de la plaque, la solu-

tion en filet droit n’est plus stable et le ruisselet change radicalement de comportement en se mettant à faire des méandres (cf. Figure III-5b et c). La frontière filet droit/méandres est très bien marquée (pour l’eau en tout cas) les méandres ayant une amplitude de l’ordre du centimè- tre au seuil, pour des ruisselets de largeur millimétrique. La particularité de ces méandres est qu’après un transitoire de mise en place, ils adoptent une forme stationnaire, bien définie et particulièrement stable. Le liquide continue bien évidemment de s’écouler à l’intérieur du filet, mais extérieurement, celui-ci apparaît comme figé sur la plaque.

Si l’on continue d’augmenter le débit au-delà d’un deuxième débit seuil Qc2, les méan-

dres n’arrivent plus à se stabiliser. À l’image de l’embout libre d’un tuyau d’arrosage [DE

LANGRE (2001)], le filet balaye indéfiniment la plaque de gauche à droite et de droite à gauche,

sans jamais trouver de position d’équilibre. Dans ce régime, le filet principal se sépare en plu- sieurs sous-filets (cf. Figure III-5d), brisures déjà étudiées par SCHMUKI & LASO (1990). Enfin,

le filet se restabilise et redevient droit (voir Figure III-5e). Sa largeur n’est par contre pas cons- tante et présente une structuration qui fait penser à une feuille de sauge [CLANET &

PODGORSKI (non publié), NAKAGAWA (1992), MERTENS et al (2004) et (2005)].

III.3.2 Développement des méandres

Revenons plus particulièrement sur le régime de méandres et sur la manière dont ils se développent. Des perturbations (défauts de surface, mouvements d’air, …) créent de petits virages, de taille typique comparable à la largeur w des ruisselets, qui s’amplifient latéralement et vers le bas (voir Figure III-6). Il n’a pas été observé d’emplacement systématique où débutent les premiers virages des méandres. Les premières boucles peuvent se former indifféremment tout près de l’injection, tout en bas de la plaque, ou n’importe où entre ces deux extrémités. La vitesse typique de croissance des méandres est de l’ordre de 1 mm/s, c’est-à-dire qu’elle est bien plus faible que celle de l’écoulement du fluide dans le filet qui vaut typiquement 1 m/s.

Figure III-6 : Formation d’un virage d’eau distillée sur du Mylar. L’écoulement se fait du haut vers le bas. Inclinaison de la plaque α=32° et débit Q=1,19 mL/s. Les images sont séparées par un intervalle de temps de 1/3 s.

Une fois le premier virage amorcé, les méandres se « propagent » toujours vers l’aval, en ce sens que la partie supérieure reste fixée et que de nouveaux virages se développent juste en dessous de la boucle initiale. Afin d’observer la mise en place des méandres sur toute la lon- gueur de la plaque, nous avons pris des séquences d’images des filets à intervalles réguliers (voir extraits en Figure III-7). On peut y voir le développement des méandres se propager vers le bas de la plaque au cours du temps.

Si la première boucle n’avait pas été située tout en haut de la plaque, une nouvelle déstabilisation aurait également fini par se créer quelque part en amont. Cette nouvelle boucle se développe elle aussi et crée de nouveaux virages en dessous d’elle, qui vont inévitablement finir par atteindre le motif précédent, et le détruire pour en créer un nouveau. Nous n’avons pas constaté de vitesse caractéristique très bien définie pour le déplacement du front de méandres, mais l’ensemble d’un motif de méandre met entre 10 minutes et deux heures pour s’installer sur toute la longueur de la plaque.

Figure III-7 : Séquence d’images montrant la mise en place d’un méandre. Temps entre deux images : 1 min. α=32°, Q=1,21 mL/s.

III.3.3 Stabilité des méandres stationnaires

Une fois leur forme stationnaire atteinte, les méandres ne bougent plus et sont particu- lièrement stables. Nous avons photographié un méandre stationnaire toutes les deux minutes pendant 12 heures, puis à nouveau 12 heures plus tard et le méandre n’a absolument pas bougé pendant ces 24 h (voir Figure III-8). La seule différence que l’on constate entre les deux images, prises à 12 heures d’intervalle, concerne les gouttes déposées par le filet liquide sur le substrat lors de la mise en place du méandre. Ces gouttes, n’étant plus alimentées une fois que le méan- dre a trouvé son chemin, se sont évaporées dans les 12 heures en laissant le méandre seul sur la plaque. Les méandres sont donc très stables dans le temps. Ils résistent aussi très bien aux vi- brations mécaniques (tapes sur le substrat, secousses données dans le bâti du dispositif, courants d’air, ...). Par contre, il est crucial que le débit Q imposé soit particulièrement constant car la forme adoptée par les méandres est fortement reliée au débit (voir section III.5.3), ce qui fait qu’ils peuvent être facilement cassés par de faibles variations de débit.

Figure III-8 : Illustration de la stabilité des méandres stationnaires. α=32°, Q=1,19 mL/s. Un même méandre pris au temps (a) t=0 et (b) t=12 h. (c) Produit des images (a) et (b) montrant que le méandre n’a pas bougé.