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Chapitre 1 : État de l’art

2- Écoulements dans les milieux poreux

Les milieux poreux sont définis comme l’assemblage d’une matrice solide comportant des vides internes [Dullien 1992]. Ces vides sont appelés pores. La morphologie du volume poreux peut être variée, selon le matériau considéré.

Notion de porosité

Une première quantification de ces pores est leur volume relatif, ou porosité 𝜙, sans unité (mais souvent exprimée en %), définie comme suit :

𝜙 = 𝑉𝑜𝑙𝑢𝑚𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑝𝑜𝑟𝑒𝑠

𝑉𝑜𝑙𝑢𝑚𝑒 𝑎𝑝𝑝𝑎𝑟𝑒𝑛𝑡 𝑑𝑢 𝑚𝑖𝑙𝑖𝑒𝑢 = 𝑉𝑝

𝑉0 (1.1.1)

Il existe différents types de porosité, tels que représentés à la Figure 8.

La porosité ouverte ou percolante est constituée des pores connectés (ou percolants) d’une face à l’autre de l’échantillon de matériau considéré. La porosité percolante est celle qui est utile lors du stockage de fluides dans un milieu poreux : elle permet de l’y mettre sous pression et de l’en soutirer.

La porosité occluse est constituée de pores isolés, ne communiquant pas avec le milieu extérieur.

Enfin, certains pores peuvent être percolants, mais d’une géométrie ne permettant pas la récupération aisée des fluides les remplissant. On parle dans ce cas de porosité piégée (cf. référence b dans la Figure 1).

Figure 8 : Schéma de représentation de différents types de porosité, a) ouverte, b) piégée, c) occluse

10 Notion de distribution de taille de pores

Selon l’IUPAC (International Union of Pure and Applied Chemistry) qui fait référence dans le domaine, les pores d’un matériau (i.e. milieu solide) sont classifiés en trois catégories selon leur taille, c’est-à-dire leur diamètre (s’ils sont assimilés à des cylindres) ou plus généralement leur largeur (width en anglais) [Thommes et al. 2015] :

1. Les micropores, de taille inférieure à 2 nm

2. Les mésopores, de taille comprise entre 2 et 50 nm

3. Les macropores, de taille au moins égale à 50 nm. Ces derniers sont également qualifiés de pores capillaires [A. M. Neville 1996].

Dans tout matériau poreux, il existe des proportions variables de ces trois catégories. Selon l’IUPAC, la notion de nanopores recouvre ces trois catégories, mais avec une taille maximale de l’ordre de 100nm.

La courbe dite de distribution de taille des pores (Pore Size Distribution ou PSD en anglais) permet de caractériser la proportion relative de ces trois familles de pores.

La distribution de taille réelle de tous les pores d’un matériau est difficile à obtenir expérimentalement, du fait d’une grande complexité de formes, et de tailles qui peuvent varier sur plusieurs ordres de grandeur.

C’est donc plus souvent la distribution de la taille d’entrée de pore qui est mesurée, notamment avec la porosimétrie par injection de mercure (PIM en français ou MIP pour

Mercury Intrusion Porosimetry en anglais). En pratique, du mercure liquide est injecté dans les

pores du milieu poreux sous pression croissante. Au préalable, il est séché avant d’être placé dans le porosimètre où un vide poussé est effectué. Le mercure est utilisé car c’est un liquide non mouillant, dont l’angle de contact θ avec la plupart des solides est supérieur à 90°C, typiquement entre 130° et 150°. Une pression supérieure à l’ambiante est nécessaire pour le faire pénétrer dans les pores. L’équation dite de Washburn-Laplace est utilisée pour décrire la relation entre la pression d’injection de mercure Pi (en Pa) et le diamètre d’entrée de pores dp

(en m), donnée par la formule suivante :

𝑑𝑝= −4𝜎 cos(𝜃)

𝑃𝑖 (1.1.2)

où σ est la tension superficielle du mercure. Elle est souvent prise égale à 0,48 N.m-1 à 20°C. Cette relation suppose que les pores sont cylindriques, débouchants et indépendants les uns des autres (voir figure ci-dessous, à droite). Avec les gammes de pression de mercure généralement applicables avec les appareils standard, les tailles de pores concernées par cette mesure sont comprises entre 3 à 6 nm et plusieurs millimètres.

Dans le cas de matériaux dont les pores ne sont pas cylindriques (dans la plupart des cas, donc), le diamètre de pore calculé est le diamètre d’accès du mercure au pores (ou diamètre d’entrée). Cette méthode présente l’inconvénient de sous-estimer les pores dont les diamètres d’entrée sont significativement plus petits que leur diamètre réel (effet dit bouteille d’encre [S. Diamond 2000] voir Figure 9.

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Figure 9 : Schéma de l'erreur introduite par l'interprétation des données de porosimétrie par intrusion de mercure. a) vrai pore, b) fausse interprétation. [Dullien 1991]

D’autres méthodes indirectes permettent de mesurer une distribution de taille de pores, comme la sorption-désorption de gaz (azote, CO2, etc.), voir Figure 10. Il s’agit de mesurer la quantité de gaz adsorbé à l’intérieur du réseau poreux, et en premier lieu à leur surface, lorsque l’on fait varier la pression relative du gaz, à température constante (77K dans le cas de l’azote).

Figure 10 : Principe de l’adsorption progressive de gaz à la surface d’un milieu poreux, extrait de [Bertier et al. 2016]

Les tailles de pores concernées vont les micropores, jusqu’à des tailles de macropores de l’ordre de plusieurs centaines de nm. Comme la PIM, elle suppose que les pores sont représentés par des cylindres de section circulaire, débouchants et indépendants les uns des autres (voir Figure 9 b). Cette technique, en particulier lorsqu’elle utilise l’azote, permet également d’accéder à la surface spécifique du réseau poreux du matériau, à partir de la courbe donnant la quantité de gaz adsorbé à la surface des pores en fonction de la pression relative appliquée (P/P0). Pour cela, le modèle de Brunauer-Emmet et Teller (BET) est utilisé

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dans la gamme de pression relative (P/P0) allant généralement de 0.1 à 0.3 [Thommes et al. 2015] et s’écrit : 𝑃 𝑃0 𝑛 (1 −𝑃𝑃 0) = 1 𝑛𝑚𝐶+ 𝐶 − 1 𝑛𝑚𝐶 𝑃 𝑃0 (1.1.3)

Où nm est une constante (en mol), interprétée comme la capacité spécifique d’adsorption de la monocouche (i.e. de la première couche de gaz adsorbée à la surface des pores). C’est la seconde constante du modèle (sans unité) : elle est reliée à l’énergie d’adsorption de la monocouche, n est la quantité de gaz adsorbée (en mol) et (P/P0) est la pression relative. Les paramètres nm et C sont identifiés par interpolation linéaire sur la portion (P/P0) comprise entre 0.1 et 0.3. En deçà (pour (P/P0)<0.1), se produit le remplissage des micropores, et au-delà (pour (P/P0)>0.3), c’est le domaine de l’adsorption multi-moléculaire (plusieurs couches de gaz s’adsorbent les unes sur les autres à partir de la surface des pores). La surface spécifique SBET (en m2/g) est déduite via la relation :

𝑆𝐵𝐸𝑇 = 𝑛𝑚𝑁𝜎𝑚

𝑚 (1.1.4)

Où 𝜎𝑚 correspond à l’aire de la section droite de la molécule considérée (elle vaut 0.162 nm2

pour l’azote), N est le nombre d’Avogadro, et la m est la masse de l’adsorbant (matériau poreux considéré).

D’autres méthodes indirectes existent, qui ne seront pas détaillées ici, comme la résonance magnétique nucléaire appliquée à la mesure du temps de relaxation transversale T2 du proton (utilisable in situ [Robinet et al. 2012]).

Caractérisation de la morphologie du réseau poreux

Hormis le volume relatif et la distribution de taille de pores obtenue par méthodes indirectes, il est possible de caractériser plus finement le réseau poreux avec différentes méthodes d’imagerie, selon la taille de pores considérée. En effet, la taille d’un échantillon obtenu par imagerie est directement reliée à la taille du pixel (ou du voxel en 3D) qui est la brique élémentaire qui compose chaque image. En général, une taille d’image de l’ordre du millier de pixels peut être obtenue. Ainsi pour observer les micropores (<2 nm), la taille d’échantillon que l’on est susceptible d’observer est de l’ordre de quelques microns (voir Figure 11). En général, cet échantillon à lui seul n’est pas représentatif, au sens statistique, du réseau poreux complet du matériau considéré, que l’on appelle l’échelle macroscopique. Il est alors nécessaire de multiplier les échantillons, et de disposer d’un ensemble d’observations pour avoir une représentativité satisfaisante, au sens statistique, à l’échelle du matériau [Y. Song et al. 2016].

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Figure 11 : Taille de voxel observable en fonction de la taille de la zone observée

Ainsi, pour observer les caractéristiques d’un réseau poreux qui s’étend sur plusieurs échelles, il est généralement nécessaire de recourir à plusieurs méthodes d’imagerie, chacune étant adaptée à une gamme de pores (et à une échelle) particulière.

Avec les appareils courants de micro-tomographie aux rayons X, ou de microscopie confocale [Yio et al. 2014] (voir Figure 12), la taille de voxel peut descendre jusqu’à quelques centaines de nm (et jusqu’à la dizaine de nm pour des appareils encore peu répandus [Bossa et al. 2015]). Ce type d’appareil permet d’observer un réseau poreux macroporeux.

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Figure 12 : Principe de la microscopie confocale 3D, extrait de [ Collins et al. 2014]

Afin de visualiser des pores jusqu’à la dizaine de nm, ces appareils peuvent être utilement complétés par de la microscopie par rayons X à transmission et à balayage (STXM pour Scanning Transmission X-ray Microscopy, voir Figure 13 ou de la ptychographie à rayons X de type XANES (X Ray Absorption Near Edge Structure) [Bae et al. 2015].

Figure 13 : Schéma de STXM. [Bae et al. 2016]

Aux mêmes échelles, la microscopie électronique à balayage couplée à un faisceau d’ions focalisé ou non (FIB/SEM ou BIB/SEM pour Focused Ion Beam/Scanning Electron Microscopy et Broad Ion Beam/Scanning Electron Microscopy) donne des résultats qu’il est possible de

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traiter numériquement, pour obtenir une structure tridimensionnelle du réseau poreux ([Y. Song et al. 2016], voir Figure 14.

Figure 14 : Illustration 3D du réseaux poreux d'échantillons d'argilite obtenu par FIB/SEM. [Y. Song et al. 2016]

À notre connaissance, afin d’observer des pores de la taille du nm, l’un des rares outils disponibles est la Microscopie Electronique à Transmission, éventuellement par Balayage, en 2D ou en 3D (aussi appelée TEM pour Transmission Electron Microscopy ou STEM pour

Scanning Transmission Electron Microscopy) voir [L. M. Keller et al. 2013]. La Figure 15

présente une image en STEM tomographique (3D), à une taille de voxel de 2.3 nm3, du réseau poreux de l’argile à Opalinus.

Figure 15 : Illustration 3D du réseau poreux d'argile d'Opalinus obtenu par STEM. (a) données brutes (b) Reconstruction 3D. [L. M. Keller et al. 2013]

De ces réseaux poreux obtenus par imagerie, et de façon plus directe que la mesure de coefficients de diffusion [Scherer et al. 2007], on peut déduire un ensemble de paramètres caractéristiques, dont le volume percolant, les longueurs de chemins de percolation, la tortuosité, l’orientation, les distributions de taille de gorges et d’évasements le long d’un chemin de percolation, etc. [Y. Song, et al. 2015].

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Différents modèles existent dans la littérature, qui relient les propriétés du réseau poreux à ses propriétés de transport, telle que la relation de Kozeny-Karman ou celle de Katz-Thompson [Scherer et al. 2007].

Il est également possible de combiner les méthodes d’imagerie sur plusieurs échelles, pour en déduire les propriétés de transport de fluide (perméabilité au sens de Darcy notamment) au moyen des outils de calcul numérique 3D actuels (méthode de type Lattice Boltzmann par exemple) [Davy et Adler 2017].

Analysons maintenant de façon plus précise comment les écoulements dans les milieux poreux peuvent être caractérisés, notamment du point de vue expérimental.

2.2- Écoulements de fluides

La perméabilité d’un milieu poreux caractérise la facilité qu’a ce milieu à être traversé par un fluide, qu’il soit liquide ou gazeux, ou les deux. Avec la diffusion de fluide, c’est l’un des principaux paramètres permettant d’évaluer les écoulements de fluides dans les milieux poreux.

Approche de Darcy pour les écoulements laminaires

A la même époque que J. Weisbach, A. Chézy, G. C. F. M. Riche de Prony et J. L. Poiseuille 11, Henry Darcy a démontré de façon empirique que le débit volumique d’injection 𝑄 d’un fluide liquide incompressible dans un milieu poreux pouvait être relié à la chute de pression ∆𝑃 par la formule suivante [Dullien 1992; Coussot et al. 2012] :

𝑄 = −𝐾𝑎𝑆 𝜇

Δ𝑃

𝑙 (1.2.1)

où S est la section du milieu poreux mesurée transversalement à l’écoulement (en m²), 𝑙 est la longueur du milieu poreux traversé par le fluide et mesurée suivant la direction de l’écoulement (m), 𝐾𝑎 est la perméabilité apparente du milieu poreux (m²) et 𝜇 est la viscosité dynamique du fluide (Pa.s). Cette équation, appelée aussi loi de Darcy, fait l’approximation d’un milieu homogène, isotrope, traversé par un flux suivant une seule direction donnée (i.e. uniaxial), d’un fluide supposé incompressible. Les effets de gravité sont négligés lors de la mesure, car très faibles devant l’effet de la pression d’injection du fluide. Ils ne seront donc pas détaillés dans ce manuscrit.

Lorsque le fluide est compressible (c’est le cas des gaz), dans le cas d’un écoulement uniaxial suivant x, l’équation (1.2.1) s’écrit plutôt de la façon suivante :

𝑄 = −𝐾𝑎𝑆

𝜇 ∇𝑃 (1.2.2)

où ∇𝑃 est le gradient de pression de gaz (il est égal à 𝜕𝑃

𝜕𝑥 suivant x), et x est l’abscisse suivant l’axe d’écoulement.

Quel que soit le régime d’écoulement, la résolution de l’équation de diffusivité des fluides [Bear 1988; Dullien 1992; Davy 2010] donne par ailleurs :

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(1.2.3) pour un gaz dont on mesure le débit de gaz (ou le gradient de pression) en amont (en x=0), avec P1 = P(x=L) et P0=P(x=0), et L longueur de l’échantillon de matériau suivant l’axe d’écoulement.

Par ailleurs, à gradient de pression de gaz imposé entre les deux extrémités de l’échantillon (P1 = P(x=L) et P0=P(x=0)), et avec une hypothèse de gaz parfait et d’écoulement stationnaire au travers d’un réservoir tampon (de volume V1) situé en amont de l’échantillon, le débit volumique est déduit comme :

𝑄𝑣𝑚𝑜𝑦 = 𝑉1∆𝑃1

𝑃𝑚𝑜𝑦∆𝑡 (1.2.4)

et la perméabilité au gaz est finalement donnée par : 𝐾 =𝜇𝑄𝑣 𝑚𝑜𝑦 𝐴 2𝐿𝑃𝑚𝑜𝑦 (𝑃𝑚𝑜𝑦2 −𝑃02)= 2𝜇𝐿𝑉1 𝐴 ∆𝑃1 ∆𝑡(𝑃𝑚𝑜𝑦2 −𝑃02) (1.2.5) où la pression diminue de P1 pendant t, et P1 << P1.

Pour un liquide, quelle que soit l’abscisse x considérée le long de l’axe d’écoulement : (𝑑𝑝(𝑥)

𝑑𝑥 )𝑙𝑖𝑞𝑢𝑖𝑑𝑒 = −

(𝑃1− 𝑃0)

𝐿 (1.2.6)

Dans ce cas, le débit Q est généralement mesuré directement et la perméabilité est déduite de l’équation (1.2.2).

Notion de régimes d’écoulement

L’équation (1.2.2), comme la loi de Darcy (1.2.1), ne sont valides que pour les régimes d’écoulements de type laminaire.

La nature du régime d’écoulement (laminaire, turbulent ou autre) est déterminée de façon empirique par un nombre adimensionnel, appelé le nombre de Reynolds. Celui-ci représente le rapport entre les forces inertielles et les forces visqueuses agissant sur le fluide. Dans le cas d’une conduite droite de diamètre hydraulique Dh, dont un schéma est représenté sur la Figure 16, il est défini comme :

𝑅𝑒 = 𝜌𝑣𝐷

µ =

𝜌𝑄𝐷

𝑆µ (1.2.7)

Où 𝜌 est la masse volumique du fluide (en kg.m-3), 𝑣 la vitesse moyenne du fluide (en m.s-1), Dh le diamètre hydraulique de la conduite (en m), µ la viscosité dynamique (en Pa.s), Q le débit volumique (en m3.s-1) et S la section perpendiculaire à l’écoulement (en m2) avec 𝑆 = 𝜋𝐷2/4.

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Figure 16 : Schéma d’une conduite droite de diamètre hydraulique Dh

Lorsque la vitesse du fluide augmente, le nombre de Reynolds augmente et une transition entre le régime laminaire et le régime turbulent apparaît pour un Re d’environ 2100 [Bear 1988]. Pour un Re inférieur, les forces visqueuses sont prédominantes et le régime est laminaire. Pour un Re supérieur, les forces inertielles sont prédominantes et le régime est turbulent.

Dans le cas d’un matériau poreux, la longueur caractéristique du matériau n’est plus le diamètre hydraulique mais le diamètre de pore moyen 𝑑̅𝑝𝑜𝑟𝑒.

𝑅𝑒 =𝜌𝑄𝐷 𝑆µ =

𝜌𝑄𝑑̅𝑝𝑜𝑟𝑒

𝑆µ (1.2.8)

Pour des empilements granulaires, [Chilton et al. 1931] ont redéfini le diamètre hydraulique comme étant le diamètre moyen des particules 𝑑̅𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑐𝑢𝑙𝑒𝑠 :

𝑅𝑒 =𝜌𝑄𝑑̅𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑐𝑢𝑙𝑒𝑠

𝑆µ (1.2.9)

Avec un nombre de Reynolds ainsi redéfini pour les empilements granulaires, il a été observé que la loi de Darcy est valide pour des valeurs de Re ne dépassant pas une valeur comprise entre 1 et 10 [Bear 1988]. Au-delà de cette valeur, des effets inertiels apparaissent et la relation entre le gradient de pression et le débit n’est plus linéaire. Dans ce manuscrit, le nombre de Reynolds sera évalué pour déterminer la nature du régime d’écoulement (laminaire ou turbulent).

Écoulements non laminaires

Lorsque la relation entre le débit et le gradient de pression n’est plus linéaire, mais que la porosité du milieu reste inférieure à 80%, Ph. Forchheimer [Ward 1964] a proposé une modification de l’équation (1.2.2) avec un terme supplémentaire, qui est fonction du carré du débit, et qui prend en compte les effets inertiels :

∇𝑃 =𝑑𝑃 𝑑𝑥 = − 𝜇 𝐾𝑖𝑆𝑄 − 𝛽𝜌 𝑆2 𝑄2 (1.2.10)

où Ki est la perméabilité intrinsèque, et 𝛽 est le coefficient dit de Forchheimer en (m-1). La perméabilité mesurée avec cette équation (1.2.6) est dite intrinsèque car elle prend en compte des effets qui ne sont pas liés au réseau poreux du matériau. Il s’agit ici des effets inertiels, liés à un débit de fluide élevé.

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Si la porosité devient de l’ordre de 80% ou plus, les équations de Brinkman et Darcy-Brinkman-Forchheimer permettent de prendre en compte les effets inertiels et de turbulence [Bear 1988 ; Dullien 1992].

En pratique, dans le cas d’un gaz, prenons en compte les effets inertiels. La mesure de perméabilité 𝐾𝑎est faite en augmentant le débit de gaz Q et en mesurant la pression P(x=0) présente en amont de l’échantillon, avec une pression en aval P(x=L) égale à la pression atmosphérique. Une régression polynômiale d’ordre deux 𝑦 = 𝑎 𝑄 + 𝑏 𝑄2 est réalisée sur la courbe représentant y=(𝑃2(𝑥=𝐿)−𝑃𝑃(𝑥=𝐿)2(𝑥=0)) en fonction de Q.

En effet, en combinant les équations (1.2.3) et (1.2.10), on obtient : 𝑑𝑃 𝑑𝑥 = − 𝜇 𝐾𝑖𝑆𝑄 − 𝛽𝜌 𝑆2𝑄2 = 𝑃 2(𝑥 = 𝐿) − 𝑃2(𝑥 = 0) 2 𝐿 𝑃(𝑥 = 𝐿) (1.2.11)

Soit pour la relation entre

(

𝑃2(𝑥=𝐿)−𝑃2(𝑥=0)

𝑃(𝑥=𝐿)

)

et Q : 𝑃2(𝑥 = 𝐿) − 𝑃2(𝑥 = 0) 𝑃(𝑥 = 𝐿) = 2 𝐿 (− 𝜇 𝐾𝑖𝑆𝑄 − 𝛽𝜌 𝑆2 𝑄2) (1.2.12)

La perméabilité apparente est alors calculée à partir du coefficient a de premier degré de l’interpolation polynômiale comme :

𝐾

𝑎

= −

2𝐿 𝜇

𝑎𝑆

(1.2.13)

Effet de glissement des gaz

Dans le cas des gaz, un autre effet doit être pris en compte. Il s’agit du glissement des particules du gaz sur les parois du milieu, couramment appelé « effet Klinkenberg » dans la littérature [Civan 2015]. L’écoulement mesuré du gaz est alors la somme de l’écoulement visqueux et de l’écoulement par glissement (voir Figure 17).

Figure 17 : Profil des vitesses d'un gaz dans un tube capillaire. [Lion 2004]

Cet écoulement par glissement correspond au choc des particules sur les parois. Il induit une distribution de vitesse du gaz non nulle aux parois.

Les chocs des particules de gaz sont d’autant plus importants que le libre parcours moyen du gaz est grand [Lion 2004]. La taille des pores a un effet sur l’effet Klinkenberg : plus les pores sont petits, plus les particules subiront des chocs sur les parois. Un moyen expérimental pour

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limiter cet effet est d’augmenter la pression du gaz de façon à diminuer le libre parcours moyen des particules.

L. J. Klinkenberg a formulé une relation entre la perméabilité apparente (mesurée à gradient de pression donné, donc à glissement des particules de gaz donné) et la perméabilité intrinsèque (indépendante du phénomène de glissement du gaz sur les parois) et permettant de tenir compte de cet effet [Civan 2015] :

𝐾𝑎 = 𝐾𝑖(1 +𝛽𝑘

𝑃𝑚) (1.2.14)

où βk est le coefficient de Klinkenberg en Pa et Pm est la moyenne entre pression amont et pression aval :

𝑃

𝑚

=𝑃

𝑖

+ 𝑃

0

2 (

1.2.15

)

A température constante, ce coefficient est considéré comme inversement proportionnel à un rayon de pores moyen [Lion 2004].

Expérimentalement, l’effet Klinkenberg est quantifié en mesurant la perméabilité apparente pour différentes pressions d’injection de gaz, et en traçant la relation (( 1

𝑃𝑚), 𝐾𝑎), voir Figure 18.

Figure 18 : Schématisation du principe de Klinkenberg. [Lion 2004]

L’ordonnée à l’origine de l’interpolation linéaire des points expérimentaux donne directement la perméabilité intrinsèque 𝐾𝑖 (la pente donne βk).

2.3- Écoulement de fluides à suspension

Les fluides à suspensions sont composés d’un liquide et d’une suspension solide, sous forme de particules plus ou moins fines.

Dans la littérature sur l’écoulement de ce type de fluides, la problématique principale concerne la séparation du liquide et des particules solides, que l’on appelle communément la filtration. Il s’agit de permettre aux particules de s’accumuler soit à la surface du milieu poreux

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(en formant un « cake » ou bouchon, voir Figure 19 ci-dessous), soit par rétention dans le volume du réseau poreux.

Figure 19 : Trois modes de filtration : (1) du bouchage en surface (formation d’un « cake » ou bouchon, à gauche), (2) du passage en force (ou déformation), et (3) de la filtration

physico-chimique. [McDowell-Boyer et al. 1986]

Mécanismes de filtration

Les phénomènes de transport des suspensions dans les milieux poreux sont complexes, car pilotés par des processus très variés. Toutefois, [Herzig et al. 1970] proposent de définir trois modes de filtration principaux (voir Tableau 1 ci-dessous) :

1) La filtration mécanique prédomine pour les particules de taille au moins égale à 30 microns. Elle est liée à l’existence de sites de rétention de diverses morphologies, voir Figure 20. En particulier, une constriction se produit quand la particule est bloquée par la pression du fluide dans une ouverture de pore trop petite.

Figure 20 : Types de sites propices à la rétention de particules, et donc au bouchage du réseau poreux, extrait de [Herzig et al 1970]

En réalité, la rétention mécanique de particules est liée à des processus de sédimentation, d’inertie (i.e. du poids) des particules, d’effets hydrodynamiques (qui provoquent des mouvements de migration latérale des particules, surtout si elles ne sont pas sphériques et s’il y a du cisaillement ou du frottement aux parois), à l’interception directe (taille de particule plus importante que celle des pores), ou à de la diffusion due au mouvement brownien [Herzig et al. 1970].

2) La filtration physico-chimique concerne les particules colloïdales, dont la taille est inférieure au micron (voir Introduction et Section 1.2)., et les particules de taille comprise entre 1 et 3 microns.

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Les forces de surfaces de type Van der Waals (VdW) ou électrostatiques, et les forces chimiques, sont susceptibles d’influencer cette filtration (voir Tableau 1 ci-dessous).

3) Les particules de taille intermédiaire, comprise entre 3 et 30 microns, sont filtrées par un mécanisme mixte, impliquant à la fois la filtration mécanique et la filtration physico-chimique.

Le Tableau 1 ci-dessous résume ces principaux mécanismes en fonction de la taille des particules. d > 30 µm 30 > d > 3 µm 3 > d > 0,1 µm d > 0,1 µm Constriction Frottement VdW et électrostatique Chimiques

Tableau 1 : Mécanismes de filtration prédominants (en vert) en fonction de la taille des particules, d’après [Herzig et al. 1970]

L’identification des modes exacts de filtration requiert donc la connaissance des caractéristiques des particules (taille, forme, composition chimique, etc.).

Caractérisation des particules

De façon analogue aux pores du milieu à traverser, les particules d’une suspension peuvent être caractérisées par une distribution de taille, appelée distribution granulométrique. Les techniques usuelles emploient le tamisage, la diffraction laser ou la diffusion de lumière. On en trouvera une description plus concrète dans [Allen 1996 ; Andreotti et al. 2011].