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différents systèmes éducatifs

B) Politiques ou idéologies scolaires à l’époque coloniale au Togo

2) L’école au Togo sous le mandat français : fondements idéologiques et utilitaristes de l’enseignement

A la fin de la première guerre mondiale, l’Allemagne perdit le Togo. Le pays, divisé en deux, est confié aux Français et aux Anglais. Dans la partie francophone, l’enseignement donné est différent de celui de l’époque coloniale allemande (Lawrance, 2001). Quand l’administration française récupéra le Togo après la défaite allemande, le pays était bien organisé et outillé en matière scolaire (Sarraut, 1922). Contrairement aux Allemands, qui sans doute à cause de leur manque d’expérience dans le domaine scolaire dans les colonies n’ont pas su imposer leur langue, les Français ont pu adopter une politique scolaire en conformité à l’esprit de la laïcité, de la gratuité en rapport à leur besoin47 (Gifford et Weiskel,

p.673-674). Il est vrai que l’accès à l’école était obligatoire. Par contre la part belle fut offerte aux plus méritants, les plus brillants et aux enfants dont les parents collaboraient avec honneur à l’œuvre coloniale. Par ricochet, ce procédé sape l’ouverture de l’école à tous, un des piliers de l’école de Ferry.

Former des indigènes dans l’esprit de la laïcité au Togo devait être difficile aux Français, dans un pays où les missionnaires détenaient la quasi-totalité des écoles. La première difficulté à affronter était l’insuffisance du personnel48. En effet, en 1921, le Togo ne comptait que six instituteurs français et huit indigènes. C’est de Dahomey qu’une main forte de la part des enseignants vient appuyer la France pour faire asseoir sa politique scolaire et administrative (Gayibor, 1997, p.174) en conformité à l’enseignement en cours dans l’Afrique Occidentale Française (AOF49). C’est dans ce sens que quatre niveaux

d’enseignement ont été mis sur pied à savoir : l’enseignement primaire, l’enseignement élémentaire, l’enseignement supérieur et l’enseignement primaire professionnel. Ces

47 Gifford P., T. C. Weiskel, 1971, African Education in a Colonial Context: French and British Styles, in Gifford P., W.R. Louis,

France and Britain in Africa, Imperial Rivalry and Colonial Rule, Yale University Press, 985 pp

48 Cf. Gayibor, 1997 « En 1921, le personnel total ne comprend que six instituteurs français et huit indigènes, togolais ou

dahoméens (ils seront 18 en 1923)

49 AOF est l’Afrique occidentale française. Elle regroupe de 1895 à 1958 le Sénégal, la Mauritanie, le Soudan, la Haute-Volta,

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niveaux d’enseignement avaient pour but de donner une instruction élémentaire et de faciliter un bon rapport entre l’administration et les colonisés.

Au primaire, dans le public, les élèves apprenaient de bonnes habitudes d’esprit. Ils étaient formés dans le but d’avoir « une intelligence ouverte et éveillée, des idées claires, du jugement, de la réflexion, de l’ordre et de la justesse dans la pensée et dans le langage »50(Gbikpi-Benissan, 2011). A ce niveau, il y a non seulement l’apprentissage du Français mais aussi la préparation des jeunes à être de bons travailleurs dans leur milieu. Le supérieur est réservé aux élèves qui ont eu le certificat. Là, ils faisaient une formation de trois ans au terme desquels, ils pouvaient devenir enseignants ou auxiliaires dans le secteur santé ou administratif. Les élèves les plus doués passaient le concours pour aller à William Ponty à Dakar, ou à Bamako selon les filières dans lesquelles ils étaient qualifiés51 (Gayibor et al. p.170). On retrouve dans l’ouvrage la Conquête morale de Hardy (1917), premier inspecteur de l’enseignement en AOF, l’objectif de l’école :

« Nous imposons à l’école d’étroites obligations. … Nous nous efforçons de l’apparenter de plus en plus étroitement aux intentions essentielles de notre œuvre coloniale, de l’enraciner en pleine terre de réalité, de faire de son enseignement tout entier une préparation aux modes d’existence qui nous paraissent désirables pour les indigènes »52 (Hardy, 1917, p :350)

En résumé, le programme dans les écoles était dirigé vers les impératifs culturels, économiques et à la recherche de rendement. A l’origine, il devait être homologué sur la scolarisation en métropole c’est-à-dire selon le principe de laïcité (Spaëth, 2000). Cependant, la pratique sur le terrain était tout autre. Dans le fond, il était seulement manuel et non orienté vers le travail intellectuel (Gbikpi-Benissan, 2011). Seule l’élite avait accès au travail intellectuel. Envisageant une politique ambitieuse (Gayibor, 1997, p.170), les colonisateurs français ont voulu homologuer la scolarisation dans les colonies sur le modèle des écoles françaises. Si dans son organigramme, l’école était arrimée sur celle en place en Métropole, la pédagogie d’enseignement par contre était différente dans la forme puisque le but visé était d’avoir de la main d’œuvre bon marché par la pratique de la politique assimilationniste53.

50 Extrait des instructions officielles (cité dans Desclos et al. 1933, Atlas de l’enseignement en France : 87) Cité par, Système

scolaire au Togo sous mandant Français, tome 1, Paris, L’Harmattan, 2011, p.41.

51 Gayibor, N. L., Aduayom, M., Ahadji, V., Ali-Napo, P., Amegan, K., Amegbleame Essilivi, A., ... & Marguerat, Y. (1997).

Le Togo sous domination coloniale (1884-1960).

52 Hardy, Georges. Une conquête morale : L’enseignement en A.O.F. Paris : A. Colin, 1917 53 Journal officiel de l’AOF, arrêté du 1er mai 1924, p. 309

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(a) Pratique pédagogique et idéologie culturelle en AOF

La politique scolaire en AOF était destinée à soumettre les populations et en faire une main d’œuvre au service de l’administration française. Ainsi, pour donner aux auxiliaires, une formation qui n’allait pas devenir un instrument perturbateur une pédagogie taillée sur mesure reposant sur le contenu avec une méthode appropriée (Lange, 1991 ; Cornevin, 1967 ; Hardy, 2017). Il s’agissait donc de donner l’opportunité d’utiliser le savoir appris uniquement dans l’intérêt du colonisateur. C’est pourquoi, était interdit aux indigènes tout savoir métaphysique et des connaissances théoriques 54qui pourraient devenir un contre- poids à l’administration. Les particularités linguistiques étaient devenues la cible de cette politique assimilationniste (Kamara55, 2007).

A cet effet, à la place de la stratégie évangélisatrice des missionnaires par l’alphabétisation, l’option d’expansion de la culture française pour « civiliser » les indigènes avec la langue française56 a été choisie (Spaëth, 2001). Victor Duruy, une éminente personnalité française en matière d’instruction publique, dit à propos que : « quand les indigènes apprennent notre langue, ce sont des marchés qui s’ouvrent pour notre industrie ; c’est la civilisation qui arrive et qui transforme la barbarie57 ». On voit ici, l’intention cachée de la politique linguistique française. Cette politique linguistique qui consistait à imposer le Français au détriment de la multiplicité des dialectes a sous-tendu pendant longtemps la situation pédagogique dans l’AOF.

Au Togo, elle a débuté avec l’arrêté de septembre 1922 qui ne laissa planer aucun doute. Il précise péremptoirement en son article 5 que : « l’enseignement doit être donné exclusivement en français. Sont interdits les langues étrangères et les idiomes locaux »58. Si le choix du Français, comme le dit le colonisateur, était fait à dessein pour des raisons pratiques et pour éviter des conflits ethniques à cause de la multiplicité des langues du Togo, il n’en demeure pas moins qu’il cache l’idée d’un impérialisme culturel par l’usage d’une

54Mohamed Kamara citant Commandant de Cercle dans L’Odyssée de Mongou : “Je ne vous demande pas de faire de ces nègres

des savants. Ne nous empoisonnez pas l’existence avec une classe de lettrés prétentieux et vantards […]. Il me faut des auxiliaires, des gens qui servent d’intermédiaires entre nous et la population. Apprenez-leur des choses empruntées à leur milieu, à leur vie. Pas de grandes théories, surtout pas de philosophie. Ce ne sont pas des hommes de tête qu’il nous faut, mais des hommes de mains. Qu’ils nous servent sans poser des questions et qu’ils obéissent avant de comprendre. S’ils arrivent de distinguer leur main droite de la gauche, c’est largement suffisant, il n’en faut pas plus”

55 Kamara, M. (2007). Education et conquête coloniale en Afrique francophone subsaharienne. Afroeuropa: Journal of

Afroeuropean Studies, 1(3).

56 Spaëth, V. (2001). L'enseignement du français en AOF. Le français aujourd'hui, 132(1), 78-86. doi:10.3917/lfa.132.0078. 57 Cf. « les colonies françaises. » « L’œuvre scolaire de la France dans nos colonies » par H. Froideveux. Augustin Chalamel,

éd. Librairie Maritime et coloniale 1900- p. 20

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pédagogie de seconde zone (Règlement du 28 janvier 1899). Les langues locales ne pouvant pas favoriser la politique d’assimilation, il faillait les déclarer idiomatiques, c’est-à-dire limitées à une communauté, primitives et donc inadaptées à l’enseignement. Autrement, leur usage aurait été utile comme les missionnaires l’avaient fait.

Au regard de la politique assimilationniste, le choix de la langue devrait orienter la formation des autochtones selon le modèle français (Marguerat, 2003). En revanche, la méthode expéditive, garantissant une mauvaise assimilation de la culture française, était en porte à faux avec les ambitions de l’administration. Cette méthode montre une ambivalence destinée à former au rabais, comme l’atteste la recommandation ci-dessous faite aux instituteurs :

« Dans les écoles indigènes ou les postes avancés, dans les cours d’adultes, partout où la connaissance pratique de la langue est seule utile, on aura recours à la méthode

expéditive. On se contentera d’enseigner aux élèves les mots usuels, on causera avec

eux, on leur fera répéter des phrases très simples en s’assurant qu’ils les comprennent exactement. On n’aura besoin ni de plumes, ni de papiers. »59

La méthode expéditive va dans l’intérêt de l’administration. Elle a concouru à l’aliénation culturelle et à la soumission des populations aux normes étrangères par une pédagogie contraignante. Le recrutement des instituteurs au sein des sous-officiers60, même s’il participait à l’étoffe du personnel enseignant, a servi à « la subordination de la nécessité pédagogique à la rentabilité administrative » (Spaëth, 2001). Par ailleurs, la transmission de la civilisation française61 était la mission des expatriés sur le sol africain (Thevenin, 2002).

(b) Adaptation pédagogique de l’enseignement et formation sous fond de violence

Dans l’allocution de G. Hardy (1917), l’une des figures de proue de la promotion de la pédagogie coloniale en AOF, il révèle la nouveauté de l’instruction en Afrique qui exige la nécessité d’élaborer une pédagogie contextualisée. A ce propos, il dit : « nous taillons dans du neuf, déclare-t-il, comme on dit ; nous connaissons mal encore cette étoffe qu’on nous confie et nos ciseaux, ne craignons pas de l’avouer, hésitent souvent dans nos mains ». Ses propos expriment le malaise qu’il sentait dans l’adaptation de l’enseignement aux réalités africaines. Ce malaise, en réalité, se trouve dans la difficulté éprouvée pour « franciser », en fait, les Africains. L’apparition, en 1913 de la revue pédagogique « Bulletin de l’enseignement de l’Afrique Occidentale Française » (BEAOF) s’inscrit dans la dynamique

59 Règlement N° 5-6, p. 66

60 C’est le cas du Soudan qui a servi du model en AOF.

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de l’africanisation de l’enseignement (Lange, 1991). Pour ce faire, les expériences de terrain des uns et des autres ont servi de modèles. Bien que cette méthode soit appréciable à bien des égards, puisqu’elle est greffée sur l’éducation traditionnelle, elle est discriminatoire, taillée sur mesure et orientée vers des métiers professionnels pour aider l’administration (Assima-Kpatcha ; Marguerat ; Sebald (1983) »62.

Si dans ce bulletin, l’injonction d’adapter l’enseignement aux mentalités locales est effective, les manuels ne disent pas clairement la mise en application de la pédagogie de cet ordre63 (Eizline, 2012). De ce fait, l’aspect pratique de l’enseignement tant prôné par de nombreux textes officiels français n’était qu’une chimère. Etablissant le bilan de l’enseignement en France à la veille de la 1ere guerre mondiale, M. Gontard a mis en lumière

une « stagnation pédagogique » plutôt théorique que pratique (Gbikpi-Bénissan, 2011). L’acquisition de la connaissance en vue d’un travail administratif était la cible de l’instruction. C’est un tel modèle qui a été transmis dans les colonies et plus tard au Togo. Ce modèle est discriminatoire au point qu’on n’apprenait aux indigènes que les rudiments pour les calculs simples. Hardy le précise bien dans son ouvrage en affirmant que :

« Nulle part dans notre enseignement primaire et primaire supérieur, les mathématiques pures, dégagées de tout empirisme et séparées des soucis de la vie quotidienne, n’ont installé jusqu’ici l’élégant appareil de leurs abstractions. A vrai dire, nous ne calculons pas, nous comptons ; nous manions des quantités réelles, des valeurs tangibles ; toutes tentatives pour monter à de plus hautes spéculations ont abouti à de piteux résultats. Cela ne veut pas dire que nous soyons irrémédiablement condamnés à cette humilité ; mais il faut laisser au temps sa part d’action ; ne nous pressons pas ; les acquisitions actuelles nous suffisent momentanément ; ne sautons pas impudemment de la halle du Marché aux coulisses de la Bourse (Conquête… 226-227).

Si les propos de l’inspecteur Hardy frisent avec l’idée d’avancer graduellement dans l’apprentissage des calculs avec les Africains, implicitement, ils révèlent l’idée qu’a l’administration de former uniquement des cadres d’exécution et non de direction. La direction est réservée aux expatriés. Estimant que c’était inutile voire dangereux64 de donner

une bonne formation aux indigènes : seuls quelques rudiments sont donnés aux élèves. Explicitement, l’inspecteur dit que « nous élaborons une pédagogie indigène, très différente de l’autre… »65 (Desalmand, 1983). L’autre fait référence à la pédagogie en cours en France.

62 Education sous domination coloniale, dans Histoires des Togolais. Des origines aux années 1960 (Tome 4 : le refus de.

(Gayibor), p.101)

63Eizlini, C. (2012). Le Bulletin de l'Enseignement de l'AOF, une fenêtre sur le personnel d'enseignement public, expatrié en Afrique Occidentale

française (1913-1930) (Doctoral dissertation, Université René Descartes-Paris V), p.225

64 Desalmand, P., Histoire de l’éducation en Côte d’Ivoire, 1983, 456p 65 Hardy Georges. « Notre bulletin », dans BEAOF, 1913, n°1, p.3

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C’est l’élaboration de cette pédagogie pour les indigènes qui a conduit à l’adaptation du matériel didactique aux réalités locales. En réalité, cette adaptation n’avait d’autres objectifs que de fidéliser les populations à la cause française et ainsi faire d’elles des aliénés culturels. Pour Hardy, la stratégie de contextualisation consiste à faire entrer dans les cœurs indigènes l’instruction et à « la faire admettre comme une vieille institution à peine transformée »66(Hardy, 1917). Dans la politique éducative française, si la formation des subalternes était un centre d’intérêt de l’instruction, ni le contenu ni l’objectif pédagogique ne comptaient. Comme l’affirme Gayibor :

« L'objectif majeur est de produire des agents nécessaires à l'exploitation des territoires coloniaux. Aucune considération n'était donc accordée aux cultures locales. L'éducation a été le moyen le plus efficace d'aliénation des indigènes ; elle a œuvré à l'effacement de la mémoire culturelle des peuples à travers l'interdiction d'utiliser les langues maternelles dans l'enseignement. En même temps, elle a donné aux Togolais une ouverture sur le monde, et le moyen de communiquer entre eux. » (Gayibor, 1997 : p.171)

La priorité de l’apprentissage était l’approche morale. La scolarisation dans cet élan est destinée à la fabrique des citoyens d’outre-mer. Hardy le souligne très bien : « La France ne demande pas qu’on lui procure en série des contrefaçons d’Européens […] Faites que chaque enfant né sous votre drapeau tout en restant homme de son continent, de son île, de sa nature soit un vrai Français de langue, d’esprit, de vocation ! »67 (Hardy, 1931). Le paradoxe réside

dans le fait que la France veut faire des petits Français à l’étranger mais elle ne compte pas fabriquer des érudits de peur de créer des élites qui vont se révolter contre elle. Le choix de la pédagogie expéditive s’explique alors par ce projet caché de l’administration. C’est pourquoi, elle a opté pour la limitation de l’instruction à une grande partie des élèves au cours élémentaire (Bourgine, 1935).

A l’analyse du volume horaire des matières enseignées au Togo, il faut noter une prédominance de l’apprentissage du Français rendu obligatoire68. Entre 1924-1925,

l’enseignement du Français occupe, par rapport aux autres matières, les ¾ de la masse horaire par semaine au cours préparatoire, 2/3 du temps au cours élémentaire, la moitié du temps au cours moyen et complémentaire (Gbikpi-Benissan, 2011). On peut soutenir que la

66 G. Hardy, Une conquête morale. L’enseignement en AOF, Paris, A. Colin, 1917, p. 203-204 dans la réédition par L’Harmattan en

2005.

67 Discours de Henri Gautier, chef de cabinet du ministère de l’Instruction publique, L’adaptation de l’enseignement, pp. 291 et

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part belle fut réservée à l’enseignement du Français dans l’optique d’effacer les marques germaniques et anglophones sur l’ensemble du territoire national. Ce n’est que par ce moyen que l’administration peut asseoir sa politique de productivité et de rentabilité.

Il en résulte que les intérêts politico-culturels et économiques ont orienté la pratique pédagogique dans les colonies. C’est pourquoi, il est demandé d’accorder au Français beaucoup de temps (J.O, p.316). Il faut noter que l’imposition du Français par la force va à l’encontre des lois pédagogiques. Était privilégié, dans l’instruction de cette langue à l’époque coloniale, l’apprentissage du par cœur. Autant les moniteurs que les élèves apprenaient par cœur les leçons qui sont bien souvent mal comprises (Gbikpi-Benissan, 2011). La consigne d’apprentissage donnée en décembre 1922 est on ne peut plus claire. Elle dit ceci :

« A vos moniteurs qui ne sont pas très familiarisés avec notre langue, le directeur de l’école expliquera les leçons et au besoin les leur fera apprendre par cœur. Les maîtres répéteront à leur tour la leçon à leurs élèves. Cette façon de procéder permettra de mener de front l’instruction des moniteurs et celle des élèves. »

Cette instruction des années 1922 exhume en fait une pratique de répétition enchevêtrée dans la pédagogie frontale avec une consigne d’apprentissage par cœur des leçons qui aura cours pendant de longues années. Il faut répéter et apprendre par cœur pour apprendre la langue de l’administré et pour partager sa culture. A la pédagogie par mémorisation est rattachée la pédagogie pratique par laquelle l’élève apprend à partir d’exemples concrets. Généralement, ce type de pédagogie s’applique à des leçons du type de « comment faire le jardin » ou « comment cultiver certaines plantes ».

En clair, les recommandations de l’administration dans l’ensemble sont convenables à l’exception de la méthode expéditive, l’apprentissage en Français entre dans les limites pédagogiques de l’administration. Comment faire comprendre des leçons en Français à des élèves qui ne parlent que leur langue à la maison ? N’était-ce pas plus aisé de faire les cours en langues locales ? Quand on sait que la non -maîtrise d’une langue peut entraîner des difficultés d’assimilation du cours, il n’est pas rare de voir les élèves apporter des réponses absurdes à des questions mal comprises. L’astuce des élèves à ce niveau n’est rien d’autre que la mémorisation systématique des énoncés pour satisfaire aux attentes des maîtres (Gbikpi-Benissan, 2011).

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Les maîtres peu formés aussi face à ces incompréhensions des élèves s’adonnent à la rigueur, à la simple répétition sans faire appel à l’exercice de l’intelligence des élèves. Si la répétition ne fonctionnait pas bien, il s’abattait sur les élèves punitions et corvées à longueur de journée. A en croire, le témoignage de Martin Aku, écolier dans un établissement protestant au Togo, futur médecin et député à Paris, il s’agit donc d’une violence qui frise l’anti - pédagogie (Gayibor, 2018). A ce sujet il affirme que :

« L’enseignement n’était pas fait de manière à fixer notre attention, encore moins à éveiller en l’amour de l’école. Une demi-heure avant la fin de la classe, nos pensées n’étaient déjà plus là. Nous forgions des projets de jeux que nous voulions entreprendre tout de suite après. La plupart d’entre nous n’entendaient même pas l’instituteur donner les devoirs, et nous ne savions pas ce qu’il y avait à faire pour le lendemain. (...) Les autres se taisaient, naturellement, car ils savaient que cela irait mal pour eux ils se faisaient aimer du maître pour leur application. (...) À peine la cloche avait-elle sonné que nous abandonnions la classe en criant très fort, en hurlant et en chantant, avec le sentiment que, pour deux heures au moins, nous étions libres de toute contrainte » (...) (Westermann 1938/2001 : 269-272)

On comprend alors qu’il n’y avait aucune préparation préalable des élèves avant leur scolarisation. Les parents n’étant pas instruits, cela est tout à fait soutenable. La suite du témoignage révèle que les élèves les plus studieux retenaient des noms et des mots sans pouvoir établir des liens qui les unissaient tant ce type de formation leur était étrangère. La pédagogie d’enseignement à l’époque coloniale était à l’aune de la relation qui existait entre

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