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différents systèmes éducatifs

B) Politiques ou idéologies scolaires à l’époque coloniale au Togo

1) L’école au Togo à l’époque de la colonisation allemande (1884 1914) : fondement socio-économique et idéologique

Quarante années de mission évangélisatrice et scolaire ont précédé l’installation de l’administration coloniale allemande (Lange34, 1989). Quand les Allemands se sont emparés

du Togo en 1884 à la suite d’un protectorat signé à Togoville, il existait déjà au sein de la population « une petite minorité déjà détentrice d'un niveau scolaire relativement élevé » (Lange, 1989, p.35). Dans ce pays, à leur arrivée, ils avaient vu l’organisation mise en place par les missionnaires en termes d’éducation. La première stratégie des colonisateurs allemands était de s’imposer à ces missionnaires. C’est ainsi qu’ils ont réussi à chasser les Missionnaires africains de Lyon au profit de la Société du Verbe divin, une congrégation d’origine allemande (Lange, 1991). L’objectif n’était pas relatif à la germanisation culturelle du pays par la scolarisation. C’était plutôt une stratégie d’interdiction d’accès au Togo insidieusement mise en place contre les autres colonisateurs. De fait, les Allemands, on le voit bien en 1913, veille de la 1ere guerre mondiale, 1 togolais sur 1500 fréquentait une école officielle contre 1 pour 35, une école de mission35 (Gayibor et al. p.80). Le décompte statistique en 1914, montre qu’il existait 3 écoles officielles détenues par l’administration contre 330 écoles missionnaires (Marguérat, 2003). Il en résulte que les Allemands s’étaient très peu occupés des questions scolaires. En 1914, seul 1,3 % du budget est alloué à l’instruction publique36 (Cornevin, 1988).

Dans sa politique administrative, l’intérêt économique du colonisateur était mis en avant au détriment du bien-être des autochtones. Dans sa thèse, de Souza (1990), montrait que Le

http://journals.openedition.org/etudesafricaines/206. (plus de 80% des élèves à l’époque française provenaient du sud ; la partie septentrionale difficile d’accès étant négligée par le colonisateur.

34 Lange, cent cinquante ans de scolarisation au Togo : bilan et perspectives, 1989, p.33

35 Gayibor, N. L., Aduayom, M., Ahadji, V., Ali-Napo, P., Amegan, K., Amegbleame Essilivi, A., ... & Marguerat, Y. (1997).

Le Togo sous domination coloniale (1884-1960).

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chancelier Bismarck s'était plus penché sur la protection des intérêts des sujets allemands qui vivaient et commerçaient dans ces territoires (colonies) qu’au sort des autochtones » (de Souza, p.85). Le discours de Bismarck au sujet de l’entreprise coloniale est révélateur. Il disait :

« (…) nous laissons au commerce, aux individus, le choix et si nous voyons l’arbre prendre racine, croître et prospérer, si les créateurs de l’entreprise invoquent la protection de l’empire, alors nous leur accorderons notre protection … Nous laissons donc la fondation de colonies et leur développement livrés à l’initiative et à l’esprit d’entreprise de nos concitoyens. »37

La recherche des intérêts commerciaux par le truchement des citoyens allemands, voilà le cœur de la politique extérieure de l’Allemagne. Sous prétexte que l’éducation européenne était inconvenable aux Togolais, la question scolaire ne préoccupait le colonisateur allemand au Togo que pour deux raisons (Agbobly, 1982). Tout d’abord ce fut quand en 1904 on manqua d’employés subalternes. C’est ainsi qu’en 1905, les allemands s’ingèrent dans la politique éducative au Togo. A cet effet, l’ordre fut donné de réduire l’horaire accordé à l’enseignement religieux pour correspondre aux exigences de l’administration allemande. Plus de temps fut alors accordé aux autres matières qui pouvaient permettre l’implication des autochtones dans l’administration. Ensuite l’administration ayant vu les effets pervers qu’occasionnent la langue locale d’enseignement et l’anglais, langue du colonisateur voisin, décida d’imposer l’apprentissage de l’Allemand et de l’instruction civique (éducation à l’ordre, discipline et obéissance à l’autorité (Tsigbe, 2003).

Mais les Togolais formés sur place contournaient cette stratégie et allaient à Gold Coast (actuel Ghana) soit pour continuer leurs études supérieures soit pour trouver un travail plus rémunérateur que ce qu’ils trouvaient dans leur pays. Cette migration est mal perçue par l’administration allemande qui voit dans cet exode une fuite de main d’œuvre et un éveil de la conscience anglophile chez les Togolais. C’est pourquoi, l’allemand fut imposé comme une solution idéologique pour contrecarrer cette migration. Cette option combat subrepticement le fait que les togolais se sentent plus anglais qu’allemands puisque « appartenir au domaine culturel anglais, c’est aussi reconnaître une allégeance politique à l’égard des détenteurs de cette culture »38(Lange, 1991). De retour du séjour en Gold Coast,

« les jeunes Togolais qui ont pu faire leur éducation dans les classes supérieures du territoire

37Lugan, B. (1990). Cette Afrique qui était allemande. J. Picollec., p.27

38 Lange, M. F. (1991). Le choix des langues enseignées à l'école au Togo : quels enjeux politiques ? Cahiers des sciences humaines,

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anglais [...] répandent des idées démocratiques et révolutionnaires dans le Protectorat. »39 (Sebald, 1988). On voit donc apparaître une différence nette entre les deux colonies. Il résulte que les anglais accordaient plus d’autonomie à leurs administrés que les allemands.

Constatant l’émergence d’une prise de conscience démocratique et révolutionnaire chez les élites autochtones ayant embrassé la culture anglaise, l’administration allemande comprit que sans la maîtrise idéologique de l’école, il lui sera difficile d’asseoir son autorité dans le pays et faire son commerce. De ce constat, naît l’idée de prendre un certain nombre de mesure y compris le contrôle de l’école (Lange, 1991). Une ordonnance fut prise le 9 janvier 1905 par le comte Rech pour promulguer le contrôle de l’école. Dans cette ordonnance, on lit que : « dans toutes les écoles du territoire, ne sera autorisée comme enseignement de langue non-indigène aucune autre langue vivante que l’allemand. » Cette ordonnance règle deux problèmes : la stabilisation de la main d’œuvre et l’étouffement de l’émergence de tout esprit nationaliste chez les populations.

L’analyse de cette ordonnance laisse entrevoir que l’apprentissage de l’Allemand pour permettre des échanges commerciaux et la soumission des populations a détourné l’objectif premier de l’enseignement mis en place par les missionnaires. Cette fois-ci, il ne s’agit pas de chercher l’épanouissement des populations mais il faut les rendre un peu plus professionnelles au bénéfice du colonisateur. Dans cet ordre d’idée, Lawrence (2001), voit une sorte de germanisation des peuples du Togo40qui ne s’intéressait qu’aux intérêts économiques de l’administration. Cette germanisation consiste à faire du Togo une chasse gardée allemande. Mais quand il s’agissait de répandre la culture allemande, les Allemands adoptaient une posture contradictoire. Car certains Allemands craignaient que des Noirs instruits dans la culture germanique se soulèvent contre l’administration. Par conséquent,

faire une instruction au rabais en formant des « demi-lettrés », des subalternes ou des « sous- pasteurs »41 dans la langue locale éviterait tout éveil révolutionnaire.

39 Sebald (P.), 1988. - Togo 1884-1914, Akademie Verlag, Berlin, 792 p

40 Lawrance, B. N. 2001 « Language Between Powers, Power Between Languages : Further Discussion of Education and

Policy in Togoland under the French Mandate, 1919-1945 », Cahiers d’Études africaines, XLI (3-4), 163-164 : 517-539.

41 Peter Sebald (2005), « L’organisation administrative du Togo allemand », Gayibor N.L. (ss.dir.), Histoire des Togolais, de

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La phobie de voir émerger une élite révolutionnaire a fait adopter une politique éducative restrictive qui était réservée à une petite minorité. Les propos de G. Trierenberg en disent long à ce sujet :

« L'enseignement scolaire peut comporter certains dangers pour les peuples incultes, comme la naissance d'un prolétariat formé de demi-lettrés fainéants, qui ont acquis quelques connaissances insuffisantes en allemand dans les écoles de village et qui sont devenus par la suite trop paresseux pour reprendre 1a bêche ou la houe, ou qui abusent de leur supériorité sur le plan de l'intelligence vis-à-vis des indigènes incultes, etc. Au Togo, ces excès, qui caractérisent une culture naissante, ont été évités grâce à la politique prévoyante mise en place par les autorités en ce qui concerne les indigènes et la formation scolaire [...J. Le maintien de cette politique dans l'avenir [...] constituera notre meilleure défense contre le mouvement éthiopien ».

A cause de cette politique, l’administration allemande a refusé toute instruction au-delà du primaire (Marguerat, 2003). La politique éducative à l’époque coloniale rimait avec la déculturation et la productivité. Avec raison, nous pouvons soutenir qu’elle avait peu d’influence sur la vie sociale en particulier sur l’enseignement puisque les allemands s’y sont intéressés très peu. Le professeur citant Ali conclut que « l’héritage culturel allemand au Togo est finalement assez maigre, car, ni la langue allemande, ni la littérature qui en résulte ne sont véritablement ancrées dans la conscience des Togolais d’aujourd’hui, alors qu’il est bien établi que l’élite émergente togolaise de l’époque allemande avait été formée à l’école allemande et dans l’esprit prussien qui caractérisait l’éducation allemande » (Napo. 1982 ; Gayibor, 2018).

A dessein les Allemands avaient choisi cette politique « persuadés que l'éducation européenne convenait mal à la mentalité de la race noire ». Ils voulaient une main d’œuvre à bon marché apte à cultiver la terre c’est pourquoi ils ont préféré « diriger l’enseignement vers un but pratique ; (…) l’on enseignait ce qui était d’une utilité immédiate et rendait les indigènes aptes à seconde les européens, sans jamais les supplante »42(Lange citant Maroix). L’administration allemande voulait des citoyens qualifiés à la production agricole (économie de plantation) et dévoués au service de l’administration. De l’idée d’avoir des citoyens acquis à la cause de l’administration, un accent particulier est mis sur « l’instruction civique et l’éducation à l’ordre, à la discipline, à l’obéissance envers l’autorité »43 (Gayibor et al.,

p.80). On peut comprendre le type de pédagogie employé à cette époque. L’instruction

42 Maroix, G., "Le Togo. Pays d'influence française", Paris, Larose éditeurs, 1938, 136 p. (pp. 27-28).

43 Gayibor, N. L., Aduayom, M., Ahadji, V., Ali-Napo, P., Amegan, K., Amegbleame Essilivi, A., ... & Marguerat, Y. (1997).

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civique nous paraît une première dans le contexte togolais. L’instruction civique à laquelle est adjointe l’éducation à l’ordre, à la discipline et à l’obéissance aux autorités est pour l’administration allemande ce que serait l’instruction religieuse pour les missionnaires. L’administration adjoignit aux missionnaires d’enseigner aux administrés leur devoir d’obéissance. Ainsi la formule « prie et travaille » des missionnaires de la Société du Verbe Divin (SVD), l’accent est porté sur le « travail » uniquement.

La pédagogie d’enseignement était quasiment celle qui est appliquée pendant les travaux forcés et gratuits. Elle était teinte d’intimidation et de soumission à l’autorité et par conséquent à l’enseignant. L’historien Assima-Kpatcha (2005), dans son article Education sous domination, donnant la parole au médecin Ludwig Külz justifie l’intimidation comme étant le moyen par lequel : « l’Africain doit sentir que le Blanc est fort, sinon il ne lui obéira jamais (…) s’il fait l’expérience du bâton, il n’éprouvera plus jamais le besoin de recommencer ; il doit savoir qu’en cas de besoin, le bâton est là, prêt à entrer en action »44.

L’humiliation et l’intimidation étaient présentes dans tous les secteurs de l’existence que les peuples voisins du pays nommaient le Togo « pays des 25 coups » en référence à l’expression bien répandue au Togo « And one for Kaiser »45 (25e coup en l’honneur de

l’Empereur). C’était le dernier coup accompagnant les 25. On voit bien que c’était une époque de violence, de démonstration de force au quotidien où la liberté n’est accordée à personne, même pas aux élites, ceux qui ont fait leurs études (Gayibor, 1997, p.30 ; Assima- Kpatcha, 2012).

Ces traumatismes n’ont pu laisser place à des initiatives des autochtones pour l’établissement d’une société savante. Il apparaît que d’abord l’administration ne cherchait que son intérêt, son renforcement. Le peu d’écoles (03) créées était pour avoir des ouvriers subalternes avec qui elle pouvait communiquer aisément en Allemand. Cela suppose que même si la formation des ouvriers devait être bien assurée, elle ne pouvait se faire que dans un esprit de domination. Ils ne pouvaient prétendre atteindre des études supérieures de peur de devenir un handicap à la colonisation. Ensuite ils sont formés en vue de travailler la terre ; uniquement pour assouvir les désidératas de l’administration. Et donc aux subalternes, il fallait une pédagogie de soumission, de violence et d’humiliation afin de tuer chez les

44 Gayibor cité par Assima-Kpatcha, Le Togo en 1912-1913, p.141

45 On peut avec raison douter que cette formule soit attribuée aux Allemands pour la simple raison que l’expression soit

formulée en Anglais. Serait-elle d’origine anglaise ou c’est parce que les Togolais épris de l’esprit anglais ont dû la formuler en Anglais. Il faut des recherches à cet effet pour élucider cette question.

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apprenants tout éveil de prise de conscience qui pourrait déboucher à une autonomie vis-à- vis du colonisateur. Malgré tout, l’influence culturelle allemande sur le Togo était très modeste (Gayibor, 1997, p.85).

En revanche, la pédagogie d’humiliation, en sa fameuse formule « And one for Kaiser », pratiquée dans tous les domaines a laissé des souvenirs amers dans l’esprit de beaucoup d’élèves togolais jusqu’à nos jours. A ce propos, le témoignage d’un planteur à la retraite est révélateur. Selon M. Komla Adjeodah les travaux forcés étaient parfois accompagnés d’une telle violence que certains travailleurs succombaient des suites de bastonnades par le colonisateur.46

En clair, au-delà de la question de domination qu’on a évoquée, les Allemands n’ont pas voulu avoir des dépenses supplémentaires en éducation parce que la colonie devait s’auto- suffire (Assima-Kpatcha, Gayibor, p.114). Par contre la petite initiative entreprise par les Allemands en matière scolaire allemande montrait « un décalage très important entre les contenus de l'enseignement et les réalités du terroir » surtout au niveau de l’enseignement professionnel (Gayibor et al. p.175). Il convient de dire que sur le plan scolaire, l’administration allemande n’a pas eu un grand effet puisqu’elle avait investi très peu dans ce domaine.

Les données statistiques montrent que sur une période de près de 30 ans de présence au Togo, les Allemands ont construit dix prisons contre trois écoles uniquement (Gayibor, 2018, p.114). Dès leur installation dans un milieu donné (Assima-Kpatcha cf ; Gayibor, p.113), ils construisaient une prison ; la construction des écoles venait plus tard. Cependant, la promotion de l’éwé par les allemands donnant à cette langue une portée académique à l’étranger est à leur honneur. Elle a permis d’avoir des textes littéraires de grande qualité dans cette langue.

A cause de la mise en valeur des langues autochtones, l’Allemand n’a pas été répandu (environ 1000 personnes pouvaient le parler) au Togo comme l’ont été le français et l’anglais dans les pays voisins (Gayibor, 2011). Par contre les schèmes de pensées anglais étaient d’actualité dans tout le pays. Ce phénomène se produisit à cause de la fuite de beaucoup de togolais vers Gold Coast (actuel Ghana), la colonie anglaise voisine où il existait un peu plus

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de liberté, d’opportunité d’études supérieures, de commerce et d’acquisitions de compétences pragmatiques (Sebald, 1988 ; Cogneau, 2003). L’influence de l’époque allemande est moins visible en éducation mais elle a engrangé un taux de scolarisation beaucoup plus élevé au Togo par rapport aux autres colonies voisines. (Gayibor et al., 1997, p.171)

2)

L’école au Togo sous le mandat français : fondements idéologiques

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