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ère paysanne

Dans le document PLOUC PRIDE - Récit pour les campagnes (Page 30-33)

Peuplement dispersé pour produire Nature anthropisée, campagne agricole Musculaire animale, énergie mécanique de l’eau

et du vent (moulin) Mobilité physique musculaire Semence Père On ne respire plus, le coeur ne bat plus La poitrine/le coeur, la foi Féodalisme, aristocratie Monarchie Agriculture Produire et échanger la nourriture Capital foncier éc onomie éner gie mobilit é géogr aphie per cep tion de l ’espac e per cep tion du t emps sociopolitique c orps Aire Cyclique V. JOUS SEAUME, S. CHARRIER © IG ARUN, Univ er sit é de Nan tes Siège de l’être Mort Sexe

La communauté familiale élargie, la maisonnée, composée des parents, grands-parents, enfants, parfois oncles et tantes célibataires ou pas, et domestiques, est la cellule économique et sociale de base. Chacun y contribue selon son sexe et son âge. Emmanuel Todd en a décrit les variations régionales (2011). Le groupe familial garantit la survie (toit, nourriture) et la sécurité des individus qui la composent face aux aléas de la vie (enfance, vieillesse, maladie, violences). La société est patriarcale dans le sens où tout le monde travaille, mais seul le chef de la maisonnée, nommé le patriarche, gère les fruits du travail de l’ensemble des membres. Karl Polyani (1944) a montré qu’avant la diffusion de la modernité, l’économie n’est pas marchande. Elle est essentiellement domestique : elle n’a pas pour but le gain ou l’accroissement, mais la sécurité. Elle est redistributive : le patriarche répartit les fruits du travail, selon des règles collectives connues et sans idée de profit personnel. Elle s’organise par la réciprocité, le don et le contre-don, ainsi “ce qui est donné aujourd’hui, sera compensé par ce qui sera rendu demain“. Celui qui ne rend pas honnêtement le temps de travail, l’aide, l’invitation, la nourriture offerte ou l’hospitalité, est exclu du lien social.

Tous les ruraux sont nommés “paysans“, il n’y a d’ailleurs pas de division nette entre le travail paysan et l’artisanat, ni d’ailleurs entre l’ouvrier et le propriétaire (Noiriel, 2019). De même, les aspects économiques de production et les aspects sociaux de la famille, sont totalement imbriqués. Le savoir est toujours associé au faire, il n’est pas de connaissance intellectuelle non appliquée ou non impliquée par le corps humain. L’enseignement se fait de maître à apprenti : c’est un compagnonnage personnalisé. La transmission est orale autour du métier ou autour du feu des veillées, elle est encadrée par des rites.

La durabilité de la fertilité de la terre, ainsi que l’autonomie vivrière, alimentaire et énergétique (bois, eau), garantes de la survie individuelle et collective, fondent l’organisation de systèmes agraires en polyculture-élevage. Ceux-ci associent aux terres cultivées en permanence, les saltus communs pour les pâtures des animaux (landes, marais, estives, garrigues, maquis, …) et la forêt pour le bois de chauffe et d’œuvre. La prédation n’a pas disparu avec l’ère paysanne. Tant sur les saltus que dans la forêt, la chasse reste une activité majeure (Crémeu-Alcan, 2019). La cueillette de champignons, de plantes, d’herbes ou de fruits sauvages reste jusqu’au début du 20e siècle un apport nutritionnel important dans les familles (Hélias, 1975). L’espace est perçu comme une aire appropriée, c’est un territoire.

Toute la vie sociale est rythmée par la nature et le calendrier agricole. Le climat annuel impacte la récolte et la prospérité de l’année. La météo du jour conditionne l’activité. La vie agricole imprègne tout, depuis l’univers corporel au contact direct de la vie et de la mort, du sang, des excréments et de la boue, jusqu’à l’univers symbolique. Les métaphores agricoles sont comprises par tous, depuis l’expression “mauvaise graine“ (pour décrire un enfant dont il n’est rien présagé de bon), à la “grande faucheuse“ (pour parler de la mort) ou “la brebis égarée“ (pour parler d’une personne aux comportements déviants par rapport aux normes collectives). Toute vie humaine est liée à l’agriculture et au rythme climatique. Le temps est perçu comme un cycle annuel sans cesse répété où toute vie germe, s’épanouit et meurt, avant de renaître au printemps. Le temps quotidien se mesure à l’aune du soleil, début des travaux au lever du soleil, fin des travaux au coucher du soleil, sieste (signifiant sixième heure du jour) ou “marienne“ (mot issu de méridienne) au zénith. La perception du temps est cyclique (Rosa, 2012), il tourne telle une roue. Le futur n’est envisagé que comme l’éternel retour du passé.

L’occupation du territoire est dispersée pour produire de la nourriture, il y a donc une relative équi-densité des humains, de l’activité agricole et de la richesse produite. Certes, il existe bien à l’échelle de

la France, quelques variations entre les “bons pays“ et les mauvais, en fonction de la fertilité des sols, mais les écarts de densité et de revenus entre territoires restent modestes. L’environnement de vie était la campagne, c’est-à-dire une nature domestiquée par et pour l’humain à travers l’activité agricole. Progressivement tous les territoires, des polders littoraux aux estives de haute altitude, sont conquis et aménagés par les sociétés paysannes. Les villes étaient des lieux d’échanges et d’administration de tailles fort modestes. En Europe, elles se développent à partir du 12e siècle, soutenues par la révolution agricole du Moyen-Âge qui avait accru les surplus alimentaires. Elles sont essentiellement habitées par les classes sociales dominantes c’est-à-dire les propriétaires fonciers (aristocratie, haut-clergé), les négociants (bourgeoisie) et leur domesticité.

La terre est l’outil de production dont la propriété donne le pouvoir économique et politique. La propriété foncière hiérarchise la société depuis le notable local modeste rentier, jusqu’à la haute aristocratie et les monarques. Localement cette inégalité s’organise depuis le rentier qui possède la terre sans la travailler jusqu’au plus bas, le journalier qui la travaille sans la posséder, ni la louer. Entre les deux, il existe de nombreux intermédiaires allant du métayer en location, au paysan propriétaire de sa terre. La propriété n’avait toutefois pas le sens absolu que nous lui connaissons aujourd’hui. Une grande partie des terres agricoles étaient en propriété collective et en usage commun, gérées par la communauté villageoise et le droit coutumier. Il s’agissait de terres exploitées mais non cultivées (forêts, marais, landes, garrigues, maquis, les estives d’altitude). Les communs s’étendaient à des abreuvoirs naturels pour le bétail, des fontaines, des puits, des fours à pain ou à briques, des places, etc. De plus, sur les terres privées, s’exerçaient des droits collectifs, comme les calendriers de rotation de culture en régions d’openfields, comme le droit de vaine pâture et le droit de glanage après les moissons permettant aux plus pauvres de survivre.

Outre les droits économiques sur la terre, une seconde valeur structurait les sociétés paysannes anciennes : il s’agit de l’estime publique. Elle est corrélée à l’observation par la personne et les membres de sa famille, de valeurs résumées par les vertus cardinales profanes - prudence (discernement), justice, tempérance (maîtrise de soi) et courage - et les valeurs théologales sacrées - foi (croyance en Dieu), espérance (confiance en Dieu) et charité (amour inconditionnel) - encadrées par l’Eglise catholique qui délimitait l’univers moral des populations. La honte, c’est-à-dire le sentiment personnel d’avoir échoué, d’être indigne, et la culpabilité qui ajoute à la honte le jugement moral des autres, sont les pires des émotions pour les sociétés paysannes.

L’enracinement, lié à l’attachement économique à la terre cultivée, génère un ancrage dans le même lieu sur des générations. Cela produit une interconnaissance profonde entre les individus, qui entretient un sens aigu de la localité villageoise, et construit un véritable “effet de lieu“, aujourd’hui moqué sous le vocable “d’esprit de clocher“. Parenté et localité sont les identifiants sociaux des humains des sociétés paysannes. Ils permettent de définir la position géographique, économique et morale de la famille au sein de la communauté villageoise. “Je suis de telle famille, de tel lieu-dit“, telle est la façon de se présenter propre aux sociétés paysannes. Dans le cas de l’etche basque, nom de famille et nom de la maison se superposent même complètement.

Le système villageois est un groupe fondé sur la localité comme principe d’organisation sociale. Effet de lieu et interconnaissance structurent intimement les rapports sociaux et leur régulation. Le politique est lié au social sans corps intermédiaires formels (Chiva, 2007). Localement, il y a une auto-organisation

des communautés paysannes, en particulier pour gérer les communs et les conflits. En cas d’Etat faible ou absent, comme en Corse par le passé, cette auto-organisation inclut la haute-justice par des règles de vendetta. En cas de dissensus, la recherche du consensus se fait d’abord en interne, c’est-à-dire entre les familles concernées ou au cœur des familles. Ici, “on lave son linge sale en famille“, car si la proximité sociale et physique est très forte entre les familles d’un même village, la préservation de la distance psychologique est garantie par une tendance au silence sur l’intimité, au secret de la maison, qui laisse peu entrevoir les émotions personnelles et les affaires domestiques. Les communautés paysannes sont taiseuses.

Dans le document PLOUC PRIDE - Récit pour les campagnes (Page 30-33)