• Aucun résultat trouvé

L'assujettissement littéraire

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "L'assujettissement littéraire"

Copied!
728
0
0

Texte intégral

(1)

Thesis

Reference

L'assujettissement littéraire

VÉDRINES, Bruno

Abstract

Cette thèse s'intéresse à la faculté des sujets de tenir un discours littéraire socialement reconnu comme tel. En nous appuyant sur l'émergence d'un genre textuel au XXe siècle - les témoignages sur les violences historiques extrêmes (guerres, génocides et déportations), nous avons tout d'abord observé comment ce genre, par sa revendication éthique fondamentale, conteste radicalement une forme dominante d'idéologie qui, depuis le tournant romantique, promeut dans le champ littéraire une valorisation exclusive de l'esthétique. Dans un deuxième temps, ces textes proposés à l'étude dans des classes (Ecole de Culture Générale et collège du secondaire II genevois) se sont encore avérés un précieux auxiliaire pour mieux comprendre certaines caractéristiques de l'enseignement contemporain de la littérature. Enfin, dans le cadre spécifique du cours de français, nous avons tenté de mettre en évidence les effets de l'organisation du système scolaire en filières sur le développement intellectuel des élèves.

VÉDRINES, Bruno. L'assujettissement littéraire. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2017, no. FPSE 680

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:102384 URN : urn:nbn:ch:unige-1023842

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:102384

(2)

Section des sciences de l’éducation Sous la direction du Professeur Bernard SCHNEUWLY

L’assujettissement littéraire

THESE

Présentée à la

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève

pour obtenir le grade de Docteur en Sciences de l’éducation

par

Bruno VEDRINES

Thèse n° 680 GENEVE Décembre 2017

N° Etudiant : 13-328-778

(3)
(4)

Université de Genève

Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education Section des Sciences de l’Education

L’assujettissement littéraire

Thèse de doctorat présentée par Bruno VEDRINES Le 21 décembre 2017

Composition du jury de thèse :

Bernard SCHNEUWLY (directeur), Université de Genève, FPSE Bertrand DAUNAY, Université Charles-de-Gaulle-Lille 3

Sonya FLOREY, Haute Ecole pédagogique Vaud Charles HEIMBERG, Université de Genève, FPSE Charlotte LACOSTE, Université de Lorraine

Christophe RONVEAUX, Université de Genève, FPSE

(5)
(6)

INTRODUCTION GENERALE ... 9  

1. Le champ littéraire ... 17  

2. L’idéologie ... 29  

Il y a un « truc ». Être assujetti en tant que sujet-littéraire. ... 36  

Ainsi va la vie : forme école et disciplination ... 44  

3. Le genre des textes ... 51  

4. « Surmonter l’insurmontable » ... 55  

5. Comment la littérature est-elle possible ? ... 65  

6. Conclusion de l’introduction générale/Plan de la thèse ... 79  

PREMIERE PARTIE. LE TEMOIGNAGE, EMERGENCE D’UN GENRE ... 83  

Chapitre 1 : Témoins, un ouvrage capital ... 87  

1-1. Introduction du chapitre ... 89  

1-2. Jean Norton Cru, Témoins ... 91  

1-3. Une méthode ... 95  

1-4. Conclusion du chapitre ... 105  

Mise en perspective 1 : L’idéologie littéraire dans l’historiographie de la Grande Guerre ... 111  

Chapitre 2. Empêtré dans l’idéologie littéraire ... 129  

2-1. Introduction du chapitre ... 131  

2-2. L’esprit de scission ... 133  

2-3. « La littérature à effet » ... 145  

2-4. Une activité langagière : témoigner ... 161  

2-5. Conclusion du chapitre ... 175  

Mise en perspective 2 : « L’expérience de l’humiliation ». Le témoignage est-il un récit ? ... 177  

Chapitre 3. Les témoins de 1914-1918 et l’idéologie littéraire ... 187  

3-1. Introduction du chapitre ... 189  

(7)

3-2. Le « moment » romantique ... 191  

3-3. Le « moment » grammatical ... 197  

3-4. La littérature scolaire des témoins ... 203  

3-4-1. Le latin ... 209  

3-4-2. Le discours français ... 213  

3-4-3. Les classiques du 17e siècle ... 214  

3-5. Conclusion du chapitre ... 221  

Mise en perspective 3 : le témoignage, outil de connaissance. ... 225  

La place du lecteur dans les témoignages ... 239  

Chapitre 4. Le référent ... 253  

4-1. Introduction du chapitre ... 255  

4-2. Un débat sémantique ... 257  

4-3. Les conséquences du débat pour le témoignage ... 275  

4-4. Le formalisme ... 279  

4-5. Nouveau Roman et structuralisme ... 285  

4-6. Conclusion du chapitre ... 289  

DEUXIEME PARTIE : L’OBJET ENSEIGNE. L’ASSUJETTISSEMENT LITTERAIRE DANS L’ENSEIGNEMENT .... 295  

Chapitre 5. Transposition didactique externe. ... 299  

5-1. Introduction du chapitre. ... 301  

5-2. Présentation des filières ... 304  

5-3. Le savoir à enseigner : les plans d’études et les instructions officielles ... 309  

5-3-1. Plan d’étude du collège ... 312  

5.3.2. Plan d’étude de l’ECG ... 314  

5-4. Le savoir à enseigner : les manuels ... 319  

5-4-1. Analyse de quelques manuels ... 330  

5-5. Conclusion du chapitre ... 367  

Chapitre 6. Transposition didactique interne. ... 371  

6-1. Introduction du chapitre / Explicitation de la démarche ... 373  

6-1-1. À propos du dossier proposé pour accompagner la séquence d’enseignement ... 374  

6-1-2. Explications sur les objectifs visés par le questionnaire ... 375  

6-2. Deux auteurs en contraste : Barbusse et Lintier ... 379  

6-2-1. Paul Lintier ... 381    

(8)

6-3. Le rôle de la référence dans le développement intellectuel des élèves ... 401  

6-3-1. Les concepts ... 401  

6-3-2. Concepts quotidiens et concepts scientifiques ... 405  

6-3-3. Le système des concepts ... 408  

6-3-4. Les interactions langagières ... 412  

6-3-5. La fréquence de conceptualisation ... 415  

6-4. L’usage des concepts ... 423  

6-4-1. Les concepts du quotidien ... 423  

6-4-2. L’effet-texte : l’impact du genre ... 430  

6-4-3. L’enseignement de la méthode ... 439  

6-4-4. Quelques exemples d’effets de la disciplination dans les classes du collège ... 450  

6-5. Les frontières disciplinaires ... 459  

6-6. Les appréciations intéressant vs pas intéressant ... 469  

6-6-1. Une entrée dans le cérémonial. ... 471  

6-7. Le concept disciplinant de narrateur ... 487  

6-8. Le concept disciplinant de style ... 509  

6-9. « Plaire au lecteur par des figures de style » ... 519  

6-10. Conclusion du chapitre ... 533  

CONCLUSION GENERALE ... 543  

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ... 573  

RÉFÉRENCES DES TABLEAUX ET GRAPHIQUES ... 605  

INDEX ... 607  

ANNEXES ... 619  

(9)
(10)

INTRODUCTION GÉNÉRALE

1

1 Cette thèse a été rédigée en tenant compte de la brochure Les rectifications de l’orthographe du français publiée en août 2002 par la Délégation à la langue française de la CIIP. URL : http://www.dlf- suisse.ch/documents/showFile.asp?ID=2139, consulté le 19.06.2017.

Pour le genre, elle adopte le langage épicène selon la charte de l’Université de Genève. URL : https://www.unige.ch/rectorat/egalite/files/9314/0353/2716/charte_epicene_GE_ecrire_genres.pdf, consulté le 19.06.2017.

(11)
(12)

Introduction générale

Les choses passées sont abolies, mais nul ne peut faire qu’elles n’aient été. (Ricœur, 2000, p. 367)

La philosophie de Ricœur laisse un espoir de trouver les traces de ce qui a été et d’amorcer ainsi la démarche historiographique. On ne peut toutefois s’empêcher de penser à toutes les difficultés pour que les choses soient effectivement rappelées, et ceci de manière véridique, non pas tant comme le voudrait le lieu commun de l’indicible à cause d’une incapacité des langues, mais bien plus en raison d’obstacles sociaux ; l’histoire non seulement opère des choix, mais elle n’est pas la seule à décréter l’existence historique. Ce travail de thèse doit son origine à ce constat, et à l’étonnement provoqué par la lecture des corpus de textes proposés aux élèves dans les cours de français qui, d’une manière ou d’une autre ténue ou centrale, sont liés à l’évocation du passé. S’intéresser aux modalités de la transposition didactique invite donc à confronter ces corpus à ceux, pour paraphraser de Certeau (1975, p. 248 et 339) qui sont exclus des histoires qu’une société se raconte. Et, en entreprenant cet inventaire, notre curiosité est forcément éveillée par les textes de témoignages et l’accueil qui leur est réservé. Dénier, détourner ou donner toute sa portée à la déposition du témoin, telles sont les principales attitudes résumant la réaction du corps social. On peut alors se demander pourquoi les traumatismes historiques majeurs causés par les violences politiques des XIXe et XXe siècles sont abordés par la médiation quasi exclusive de la fiction. À l’inverse, les textes de témoignage - pourtant indispensables puisque leur genre en tant que tel induit un point de vue essentiel sur ces évènements, sont ignorés ou lus de manière confidentielle (aussi bien dans le canton de Genève qu’en France), à l’exception notable de quelques auteurs toujours cités, Barbusse et Levi par exemple, et ce n’est pas sans poser un certain nombre de difficultés. Il est donc nécessaire de reformuler notre propos liminaire : si nul ne peut faire que les choses n’aient été, pourquoi sont-elles évoquées avec les élèves de cette manière ? Pourquoi une société dans sa conception des disciplines scolaires2 favorise-t-elle tels savoirs politiques au détriment de

2 Pour une note de synthèse sur la discipline, voir Franck (2017, p. 31). Elle peut être définie comme : « Une organisation de savoirs apprêtés de façon à les rendre enseignables à l’échelle d’une génération d’élèves, laquelle se lie à un dispositif d’enseignement fait de formes d’exposition de savoirs, d’exercices, de moyens de motivation et de moyens d’évaluation » (Dolz, Gagnon et Thévenaz-Christen, 2009, p. 47).

(13)

Introduction générale

tels autres ? La comparaison des disciplines histoire et français s’avère à ce propos instructive.

La première doit répondre régulièrement aux sollicitations extrascolaires porteuses d’enjeux mémoriels, au point d’en faire une question vive nécessitant un objet d’enseignement à part entière (Heimberg, 2002). La deuxième ne semble pas concernée par la question de la vérité dans la relation des faits. Ce n’est en tout cas pas une interrogation pertinente requérant un enseignement approprié, les polémiques se portant plutôt sur l’apprentissage de l’orthographe, la lecture ou des programmes qui conduiraient à la ruine de la culture littéraire et de ses valeurs3.

L’occultation des témoignages gagne donc à être analysée comme un enjeu idéologique, dans la continuité de ce qu’écrit Foucault à propos du contrôle et de la sélection des discours :

Un certain nombre de productions […] ont pour rôle [de] conjurer les pouvoirs et les dangers [des discours], d’en maitriser l’évènement aléatoire, d’en esquiver la lourde, la redoutable matérialité. […] Le discours n’est pas seulement ce qui traduit les luttes ou les systèmes de domination, mais ce pour quoi, ce par quoi on lutte, le pouvoir dont on cherche à s’emparer. (1971, p.12)

Envisagée de ce point de vue, la surdité qui a accueilli la première publication de Si c’est un homme dans l’Italie de 1947 prend une singulière portée, de même la réception de la parole des poilus dans la France de l’entre-deux-guerres, ou encore celle des rescapés de la Shoah dans le jeune État d’Israël jusqu’au procès d’Eichmann en 1961, soit seize ans après la fin de la guerre ; mais aussi celle des déportés par le régime de Vichy, des soldats de la guerre d’Algérie sous les 4e et 5e Républiques ; et de même, l’accueil du rapport Bergier sur les relations de la Suisse avec le IIIe Reich. Et pour revenir à des considérations plus littéraires demandons-nous par exemple quel auteur de langue française peut soutenir, sur le

Pour Hofstetter et Schneuwly : « Référant étymologiquement au disciple et à la disciplina, l’usage du mot

‘‘discipline’’ désigne subjectivement, le fait d’être éduqué, formé et, objectivement, l’enseignement (en première signification), les branches d’études, mais aussi la méthode d’enseignement, voire la discipline scolaire, plus rarement les règles de vie » (2014, p. 42). Ces deux auteurs distinguent par ailleurs disciplinarisation « le processus complexe de formation du système disciplinaire et de ses composantes, les disciplines » et disciplination « processus à travers lequel des individus s’approprient, voire sont soumis à une discipline, ici dans tous les sens du terme » (2014, p. 43). Nous ferons dans ce travail un usage fréquent du deuxième concept et nous aurons donc amplement l’occasion de le détailler.

3 Voir par exemple l’article collectif paru dans Le Monde du 4 mars 2000 « C’est la littérature qu’on assassine rue de Grenelle ». URL : http://sauv.free.fr/archives/0,2320,44938,00.html, consulté le 19.06.2017. Cf.

(14)

Introduction générale

plan de l’obsession de l’histoire, la comparaison avec des écrivains de langue allemande comme Bertolt Brecht, Günter Grass ou Peter Weiss ?

Il y a donc des choses dont on ne peut parler, non pas, encore une fois, parce qu’elles seraient indicibles (les témoins sont là pour le démentir), mais parce qu’il faut les taire – ou du moins faire en sorte que dans « la société des normes » (Macherey, 2014), certaines voix restent inaudibles, étouffées, parce que - c’est la position qui sous-tend la première partie de ce travail, elles attaquent au cœur même un ordre social fondé sur la lutte des classes. L’affrontement sans fin entre hégémonie et subalternité explique selon nous qu’un tonnelier comme Louis Barthas, pourtant militant socialiste proche des idées de Jean Jaurès, puisse quitter en 1914 son Aude natale pour aller risquer sa vie dans les tranchées aux frontières du pays, contraint de le faire à la fois par l’appareil répressif de l’État et par son appareil idéologique. Cela explique sans doute aussi que son témoignage si lucide sur un prétendu consentement patriotique ait dû attendre 1970 pour trouver son public. La nation française n’aurait jamais pu surmonter le scandale anthropologique, philosophique, social que constituent d’abord la Première puis la Deuxième Guerre mondiale, et la Shoah, sans une lutte idéologique de tous les instants. En un sens très particulier et pour ne prendre qu’un secteur de l’activité intellectuelle, toute l’historiographie, toute l’histoire littéraire et même toute la littérature depuis 1914 peuvent être envisagées en fonction de ces évènements selon un spectre qui va de la prise de consciente la plus nette à l’occultation la plus totale4. On pourrait écrire un ouvrage singulier qui montrerait que, aussi paradoxal que cela puisse paraitre, un roman délibérément antihistorique comme La Jalousie de Robbe-Grillet est impensable sans la contemporanéité de L’espèce humaine d’Antelme. À l’inverse, la composition et l’écriture des œuvres de Delbo ou d’Hyvernaud, ne sont concevables que dans un contexte historique, un champ littéraire qui ont également permis l’émergence du Nouveau Roman.

4 Brecht le dit d’ailleurs à sa manière : « Quand après la fin de la guerre hitlérienne, nous avons recommencé à faire du théâtre, la plus grande difficulté consistait peut-être en ce que l’ampleur des destructions qui avaient eu lieu semblait n’être connue ni des artistes ni du public. Pour les usines qui se trouvaient en ruines, pour les habitations sans toit, il était évident qu’un effort particulier était exigé, mais pour ce qui était du théâtre avec lequel avait été détruit tout de même davantage que ne pourraient réédifier à eux seuls les maçons, personne ne semblait exiger beaucoup plus ou offrir beaucoup plus qu’une continuation rendue un peu plus pénible par le manque de pain et de coulisses. La décadence était pourtant monstrueuse. La barbarie et la bêtise triomphaient, d’évidence, inébranlablement résolues à survivre à leur apogée » (2000 f, p. 417).

(15)

Introduction générale

Cette entrée en matière paraitra peut-être bien banale… mais nous espérons que le sera un peu moins l’effort pour suivre l’idéologie littéraire telle qu’elle a pu se manifester dans le passé, mais aussi telle qu’elle apparait encore dans la vie la plus quotidienne de classes de français à Genève, en ce début de XXIe siècle. Sans trop anticiper sur le développement des prochains chapitres, il n’est sans doute pas inutile de donner dès à présent un rapide aperçu de notre raisonnement.

Selon notre hypothèse, l’idéologie dominante historique et littéraire est révélée par un genre comme le témoignage, parce que ses particularités imposent un point de vue spécifique sur les conséquences du traitement du référent5. Pour en développer les conséquences, nous avons essentiellement eu recours à quatre concepts :

i. Le premier, le champ littéraire, renvoie originellement à la sociologie de Bourdieu et a depuis été amplement commenté, illustré, expérimenté par tout un courant des études littéraires.

ii. Le deuxième, l’idéologie, est associé à un processus central pour notre travail, celui de l’assujettissement.

iii. Nous essaierons avec le genre de montrer selon quelles modalités celui dit « de témoignage » pris dans un sens restreint rend compte d’un corpus centré sur l’évocation de traumatismes historiques. Les genres de textes étant indexés sur des besoins sociaux spécifiques, se pencher sur les raisons de leur émergence permet de comprendre leur place dans un système relationnel et parfois conflictuel avec d’autres genres déjà existants et répondant à d’autres besoins idéologiques. Pour illustrer cette position, nous serons amenés à considérer les liens que les textes de témoignage entretiennent avec un évènement majeur dans l’histoire : la Première Guerre mondiale, et c’est dans ce cadre que l’œuvre d’un ancien combattant, Jean Norton Cru, jouera un rôle prépondérant. L’objet de la première partie portera ainsi sur la définition et les enjeux théoriques du genre « œuvre de témoignage ». Nous proposons d’ores et déjà de considérer l’œuvre à la suite de Rastier comme la fusion d’un projet esthétique et éthique : le premier « relev [ant] des valeurs internes et de l’élaboration d’une forme

5 Ce concept dont la définition complexe s’avère source de controverses fera l’objet d’un développement

(16)

Introduction générale

singulière de la sémiosis. [Le second de] valeurs externes [qui] inclu [ent]

l’œuvre dans un projet de vivre ensemble. Ainsi la stylisation dépend du projet de véridiction » (2011, p. 24). Cette définition, certes, n’est pas unanimement partagée, mais elle présente, à nos yeux, l’avantage de mettre en perspective le projet esthétique et la responsabilité idéologique. On verra que ce point est particulièrement utile pour le témoignage, puisqu’il peut faciliter une discussion critique sur la valeur des œuvres quand elles ont des prétentions à la vérité historique (chapitres 2 et 4-3). Enfin, nous serons également attentif dans la deuxième partie de cette thèse au fait que cette double portée (esthétique et éthique) s’avère dans l’enseignement à l’origine de tensions qui déterminent des modes spécifiques d’interprétation.

iv. Quant à la transposition didactique, elle sera abordée principalement dans le chapitre 3de la première partie, mais fera surtout l’objet de la deuxième. Il nous a semblé qu’une des manières de mettre au jour l’ordonnancement, l’organisation méthodique et normative construisant l’assujettissement littéraire pouvait passer par une démarche inhabituelle dans les classes. Les œuvres de témoins, peu familières et surtout considérées comme non-littéraires à priori, représentaient un instrument de choix, pour faire office de révélateur paradoxal.

Nous nous intéresserons donc dans la deuxième partie à quelques cas (rares) de présence du témoignage dans les manuels (transposition didactique externe) et, de manière plus spécifique, aux effets du « réactif textuel » (Ronveaux, 2012), dans le cadre de six classes du secondaire II (trois de l’École de Culture Générale et trois du collège à Genève6 (transposition interne).

6 Dans le canton de Genève, le secondaire I appelé cycle d’orientation dure trois ans et reçoit les élèves de 12 à 15 ans ; le secondaire II, dans le cadre de cette thèse ne sera représenté que par l’ECG (Ecole de Culture Générale) et le collège ; la première filière s’adresse théoriquement à des élèves de 15 à 18 ans (trois ans de scolarité), la seconde des élèves de 15 à 19 ans (quatre ans de scolarité). En pratique, l’âge moyen d’obtention du diplôme de l’ECG se situe en 2014 à 19,3 ans et la maturité du collège à 19,4.

Cf. URL : https://www.geneve.ch/recherche-education/doc/ris/2015/g2/g2_type_diplome_age.pdf, consulté le 19.04.2017. Nous entrerons davantage dans les détails de la spécificité de ces filières au chapitre 5-2.

(17)
(18)

Introduction générale : le champ littéraire

1. Le champ littéraire

L’émergence historique du genre du témoignage coïncide avec la Première Guerre mondiale7 en regard d’un champ littéraire qui s’est autonomisé progressivement depuis le XVIIe siècle8. Mais ce qui nous intéresse plus particulièrement, c’est la configuration qui s’est mise en place au XIXe dans « le champ littéraire moderne » et qui a privilégié une certaine forme d’idéologie valorisant son autonomie, c’est-à-dire au-delà des diverses esthétiques, une idéologie qui se maintiendra sous différents avatars comme le fondement d’un processus de différenciation et de distinction ; ce processus affecte aussi bien - mais sous des modalités spécifiques, le champ littéraire et l’enseignement de la littérature.

Bourdieu définit le champ littéraire comme un

Un champ de forces agissant sur tous ceux qui y entrent, et de manière différentielle selon la position qu'ils y occupent […] en même temps qu'un champ de luttes de concurrence qui tendent à conserver ou à transformer ce champ de forces.

Ce que nous retenons avant tout dans le cadre de ce travail, c’est l’espace de différenciation et la lutte constante que le champ provoque pour exclure le témoignage. Il faut en effet immédiatement compléter la première citation par une autre dimension essentielle des champs :

Nombre des pratiques et des représentations des artistes et des écrivains […] ne se laissent expliquer que par référence au champ du pouvoir, à l'intérieur duquel le champ littéraire […] occupe lui-même une position dominée. (1991, p. 4)

Cette lutte pour l’hégémonie nous occupera également beaucoup dans les prochains chapitres. On relèvera au passage que c’est en s’attachant aux agents que Bourdieu réintègre

7 Jean Norton Cru cite Marcel Dupont qui publie un témoignage dès décembre 1914 dans le Correspondant (2006, p. 300). Nous reviendrons au chapitre 1 sur la justification de l’émergence du genre à ce moment historique précis en nous référant principalement à la thèse de Lacoste (2011).

8 Thumerel (2002, p. 53) présente ainsi la périodisation proposée par Viala : « Refusant de se conformer à la commode sécularisation et d’indexer ses découpages sur ceux des historiens pour se fonder sur des critères spécifiques (création et développement d’instances de légitimation, luttes internes, incidences des facteurs externes...), [Viala] propose une division binaire de l’histoire du champ littéraire (‘‘premier champ littéraire’’

et ‘‘champ littéraire moderne’’), [qui] se subdivisent en plusieurs phases (trois pour la première : ‘‘phase de constitution’’ — de 1630 à 1665 environ —, ‘‘phase de consolidation’’ - de 1665 à 1750 - et ‘‘phase de mutation’’ – de 1750 à 1830 - et quatre pour la seconde : ‘‘phase de consécration’’ – de 1830 à 1850 —,

‘‘phase d’expansion’’ - de 1850 à 1914 —, ‘‘phase d’exploitation’’ — de 1914 à 1950 — et ‘‘phase de redistribution’’ — à partir de 1950. » Philippe et Piat (2009) situent le développement d’une langue littéraire qui contribue de manière essentielle à la physionomie du champ entre 1850 (Flaubert) et la fin du XXe s (Simon).

(19)

Introduction générale : le champ littéraire

l’histoire que les formalistes avaient délaissée pour s’occuper de l’immanence de l’œuvre, son système synchronique et son fonctionnement intertextuel – fondements théoriques de l’autotélisme. Ainsi, les écrivains sont dominants comme détenteurs d’un capital culturel, mais dominés par ceux qui détiennent le pouvoir politique et économique. Ils sont pris dans les mécanismes généraux du marché, ne serait-ce que par le fait qu’ils doivent être édités. C’est ce qui explique plus généralement l’ambivalence idéologique de certains intellectuels :

En révolte contre ceux qu’ils appellent les "bourgeois", ils sont solidaires de l'ordre bourgeois, comme on le voit dans toutes les périodes de crise où leur capital spécifique et leur position dans l'ordre social sont véritablement menacés. (Bourdieu, 1987, p. 173)

L’un des cas les plus emblématiques de cette solidarité dans l’urgence renvoie à la réaction des auteurs les plus en vue de la fin du XIXe siècle, quand ils sont confrontés à l’insurrection révolutionnaire de 1871. Leur virulence, que ce soit celle de Flaubert, de Zola ou de bien d’autres encore, a été éloquemment illustrée par Lidsky dans son ouvrage Les écrivains contre la Commune (2010 [1970]).

Bourdieu défend la thèse que le champ littéraire au XIXe siècle s’est scindé en deux sphères de production : l’une de grande diffusion, rentable, et une autre beaucoup plus restreinte, davantage porteuse de valeurs symboliques et surtout fortement tributaire de la reconnaissance des pairs. Elle se caractérise par une volonté affichée de dissocier le beau et l'utile, trouve son crédo philosophique dans le jugement esthétique désintéressé de Kant et son manifeste dans la préface à Mademoiselle de Maupin de Gautier. Cette forme d’autonomisation9 incarnée par Flaubert pour la prose et Baudelaire pour la poésie exercera une influence décisive. Elle entraine un certain nombre de conséquences qui expliquent l’éviction hors du champ des textes de témoignage :

i. L’esthétique est dissociée de l’éthique. La confrontation avec les incidences pratiques apparait souvent comme du moralisme, ou un littéralisme obtus, et c’est l’un des reproches les plus récurrents adressés au travail de Jean Norton

9 Il est à noter, en toute logique historique, que la configuration des champs n’est pas identique selon les pays et les traditions nationales : « Le degré d’autonomie […] est à la mesure du capital symbolique qui a été accumulé au cours du temps par l’action des générations successives […] » (Bourdieu, 1991, p. 8). Jurt (1992) pour sa part procède à une analyse comparée d’un grand intérêt entre l’Allemagne et la France. Il l’axe précisément sur les variations au cours du temps de l’autonomie et de l’hétéronomie. Ainsi Böll ou Grass peuvent être accusés dans les années 90 de céder à un « kitsch de conviction » et Jurt relève en cette fin du

(20)

Introduction générale : le champ littéraire

Cru. Sapiro évoque une « tension entre forces d’autonomie et forces d’hétéronomie, auxquelles doivent résister ceux qui défendent l’autonomie du jugement esthétique par rapport aux contraintes extralittéraires, éthico- politiques ou économiques. Les formes que prennent ces oppositions varient selon les configurations sociohistoriques » (2014, p. 25). La gratuité s’oppose à l’utilitarisme.

ii. Le référent ne peut en aucun cas être un dernier recours, un critère de validation et d’évaluation de la portée de l’œuvre qui reste en définitive irréfutable.

iii. Ajoutons l’inépuisable fécondité du chef-d’œuvre dont l’exceptionnelle richesse dépasse la contingence sociologique et historique, ce qui lui octroie une valeur intemporelle et universelle.

Afin d’exemplifier ces caractéristiques structurantes du champ, on peut citer la crise des années 1925-1935 provoquée par le débat sur la littérature prolétarienne. Dans l’immédiate après-guerre et révolution russe, la question des rapports de la littérature avec l’émancipation du prolétariat va devenir un sujet brulant qui, de Barbusse à Céline, en passant par Gide et les surréalistes, va agiter le monde intellectuel et politique. Nous avons bien affaire à une contestation de l’autonomie du champ par le politique. Pour certains écrivains sensibles à la révolution en marche, il n’est plus question de s’engager à la manière de Zola sortant de sa tour d’ivoire pour défendre Dreyfus, mais de « soumettre l'activité littéraire à des critères politiques, ce qui revient à se démettre de sa souveraineté littéraire en en appelant à une autorité supérieure d'essence politique » (Péru, 1991, p. 49). Dans la configuration de l’époque, le parti communiste français va dès lors devenir un acteur-clé.

Sans entrer dans tous les détails de l’analyse de Péru, on peut dire que s’opposent deux tendances dans le champ littéraire orienté à gauche, l’une tire les conséquences logiques de la mission révolutionnaire de l’écrivain contre l’ordre bourgeois : la littérature prolétarienne doit détruire radicalement cette assise institutionnelle et sociologique, et elle s’attaque par là à l’existence même du champ littéraire ; l’autre n’a eu de cesse de préserver avec obstination l’autonomie du champ. Barbusse grâce à son livre Le feu vient d’obtenir de fraiche date une réputation littéraire, et il est pour lui très risqué de la fragiliser en prenant la voie de la littérature prolétarienne, vers laquelle devraient le conduire ses convictions communistes.

(21)

Introduction générale : le champ littéraire

On notera un point sur lequel nous reviendrons plus amplement, c’est cette même volonté de s’assurer une position dans le champ qui a desservi la qualité de son témoignage. Dans les deux cas, Barbusse est tiraillé entre deux impératifs, car la logique du champ est prépondérante et impitoyable : il faut lui donner des gages sous peine d’être exclu, mais ce faisant on hérite aussi de son idéologie. Les surréalistes, pourtant en concurrence acharnée avec Barbusse pour obtenir une reconnaissance révolutionnaire, sont pris dans le même dilemme, d’où les circonlocutions de Breton afin de séduire le PCF - parti lui-même en plein débat sur la place à accorder à la littérature et aux arts dans la lutte politique. Les surréalistes ambitionnent le label de mouvement littéraire à l’avant-garde de la Révolution accordé par le parti des travailleurs, mais sans renoncer pour autant à ce qui reste un enjeu essentiel : dominer le champ littéraire. Or, la littérature prolétarienne, si elle devait se concrétiser dans ses attendus, s’avère beaucoup trop incertaine et extrémiste en regard des bénéfices symboliques assurés du champ, et c’est ce qui lui vaudra les attaques répétées de Breton. Finalement, les surréalistes devront adopter un positionnement nouveau qui affectera la cohésion du groupe avec l’exclusion d’Aragon. Ce dernier sera préféré à Breton par le PCF qui peut laisser à l’association des écrivains, la mission de définir une ligne juste en matière littéraire, et désormais se concentrer sur son champ propre : la bataille pour l’hégémonie politique10. Voici, comment après quelques soubresauts, l’autonomie est finalement préservée et même renforcée par des auteurs qu’apparemment beaucoup de choses séparent.

Le champ de production symboliquement dominant doit en permanence se situer vis-à-vis de l’hétérodoxie, et l’on comprend que même si sa plus grande efficacité consiste à ne pas lui accorder d’existence en l’ignorant purement et simplement, en la méprisant, en la niant, il n’en reste pas moins qu’il n’est concevable que différentiellement par rapport à des facteurs de déséquilibre, que ce soit la littérature prolétarienne, le témoignage ou plus généralement la production large : le « roman de gare », policier, d’espionnage, sentimental... Le spectre va ainsi de l’autonomie la plus forte incarnée par la poésie :

10 Sapiro (2007, p. 69) fait observer ce point intéressant : « La différence de formation et de ressources culturelles peut en outre contribuer à expliquer les divergences de trajectoire au sein du groupe surréaliste : l’un des mieux dotés sous ce rapport, Aragon, rompt avec le groupe pour renouer avec le modèle du grand écrivain, poète, romancier, essayiste, homme politique, incarné par Victor Hugo. »

(22)

Introduction générale : le champ littéraire

Gautier Emaux et Camées, le Parnasse et les Poèmes barbares de Leconte de Lisle, Mallarmé Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, et pour le roman des œuvres emblématiques comme Salammbô de Flaubert, A rebours de Huysmans, à certaines formes d’hétéronomie, mais à l’intérieur d’un champ littéraire tendanciellement orienté vers l’autonomie.

La direction générale du champ littéraire est donc l’autonomisation, mais dans cette disposition, ce qui nous intéresse plus particulièrement, c’est la forme la plus extrême, la plus voyante qui sera théorisée et conceptualisée au XXe siècle par l’autotélisme. Il faut donc distinguer, selon nous dans le cadre de ce travail, l’autonomisation du champ dans lequel tous les acteurs sont pris avec parfois des velléités d’hétéronomie et la revendication d’une esthétique autonome constitutive et que l’on pourrait dire conservatrice militante, et c’est cette dernière que nous qualifierons désormais d’idéologie de l’autonomie du littéraire.

L’adjectif conservatrice renvoie ici à la volonté de chercher à sauvegarder les avantages symboliques d’une place dominante dans le champ, et n’équivaut donc pas forcément à un positionnement politique de droite. Un auteur comme Barbusse peut en toute sincérité s’affirmer d’extrême gauche et pourtant rester conservateur à bien des égards dans son esthétique, ce qui l’empêchera d’ailleurs de donner sa pleine force au potentiel subversif du témoignage. S’il ne peut être question d’homologie, c’est que le champ littéraire joue un rôle de médiateur avec sa logique propre, résultat de contraintes socioéconomiques et de

« l’objectivation de toute son histoire dans des institutions et des mécanismes » ; il s’agit donc d’un « effet de réfraction » et non de reflet (Bourdieu, 1991, p. 16). Bourdieu reproche par exemple au structuralisme génétique de ne pas tenir assez compte de cette médiation et d’essayer d’expliquer l’œuvre par la vision du monde d’un groupe social s’incarnant de manière plus moins consciente dans l’auteur-médium. Dans Le Dieu caché.

Étude sur la vision tragique dans les « Pensées » de Pascal et dans le théâtre de Racine (1955), Goldmann comprend ainsi les œuvres de ces auteurs du 17e siècle comme l’expression idéologique d’un jansénisme portée par la noblesse de robe cherchant à se démarquer de celle d’épée et de la bourgeoisie. Le problème se pose toutefois de savoir de quel groupe social il est réellement question :

De celui dont l'artiste est lui-même issu - et qui peut ne pas coïncider avec le groupe dans lequel se recrute son public - ou du groupe qui est le destinataire principal ou privilégié de l'œuvre – ce qui suppose qu'il y en ait toujours un et un seul ? Rien n'autorise à supposer que le destinataire déclaré, quand il existe, commanditaire, dédicataire, etc., soit le véritable

(23)

Introduction générale : le champ littéraire

destinataire de l'œuvre et qu'il agisse en tout cas comme cause efficiente ou comme cause finale sur la production de l'œuvre. (1991, p.16)

Pour Bourdieu, court-circuiter ainsi le champ et sa médiation prive l’analyse d’un autre élément d’explication essentiel, car les habitus s’inscrivent dans un espace des possibles :

L'héritage accumulé par le travail collectif se présente à chaque agent comme un espace de possibles, c'est-à-dire comme un ensemble de contraintes probables qui sont a condition et la contrepartie d'un ensemble fini d'usages possibles. […] C'est une seule et même chose que d'entrer dans un champ de production culturelle, en acquittant un droit d'entrée qui consiste essentiellement dans l'acquisition d'un code spécifique de conduite et d'expression, et de découvrir l'univers fini des libertés sous contraintes et des potentialités objectives, choses à faire, problèmes à résoudre, possibilités stylistiques ou thématiques à exploiter, contradictions à dépasser, voire ruptures révolutionnaires à opérer. (1991, p. 36)

La trajectoire d’un écrivain peut d’ailleurs révéler cette tension. Ainsi Barbusse commence sa carrière littéraire dans la proximité des poètes parnassiens, mais le passage par la guerre oriente son œuvre vers une forme d’hétéronomie, puisqu’il prétend témoigner avec son œuvre Le feu, et délivrer un message pacifiste, être la voix respectée des anciens combattants11. Il ne renonce pas pour autant à la reconnaissance dans le champ et il s’inscrit dans une autre tradition légitimante que celle du Parnasse, qui est celle du roman naturaliste. Il passe donc d’un champ restreint de production (la poésie) à un pôle plus large, plus largement diffusé, plus commercial, celui du roman – et même s’il intitule son livre Journal d’une escouade, il utilise bel et bien des procédés romanesques qui s’ajoutent à toute une série d’autres caractéristiques fictionnelles. Ce déplacement entre parfaitement dans une stratégie qui consiste à toucher un large public pour faire avancer une cause chère à ses convictions. Sa réaction aux critiques de Cru est symptomatique : dès lors qu’il est pris en défaut sur la piètre qualité de son témoignage, il se retranche de manière hautaine derrière l’autonomie du littéraire et réplique à l’auteur de Témoins en le traitant de pion de collège insensible aux subtilités littéraires. Le cas est identique pour Dorgelès et tous ceux jusqu’à Wiesel, Haenel, Littell ou Semprún12 qui cherchent à rester dans le champ pour en

11 Il fonde d’ailleurs en 1917 l’ARAC Association républicaine des Anciens Combattants, proche de l’extrême gauche. Cf. Prost (2014 [1977], p. 95).

12 Voir Rastier (2016 a, p. 122) : « Le livre de Semprún [L’écriture ou la vie] paraît un demi-siècle après sa déportation. Ainsi, le projet de témoignage, abandonné en 1947, a-t-il laissé place en 1987 à un projet d’autobiographie romancée, qui devient cinq ans plus tard un roman historique à la première personne […].

Ce genre littéraire [l’autofiction] se dispense de toute garantie de véridicité (celle du pacte testimonial) ou

(24)

Introduction générale : le champ littéraire

retirer les bénéfices symboliques13. Le défi consiste à se différencier pour exister et se « faire un nom » (Bourdieu, 1981, p. 24), mais dans le même temps il ne faut pas pousser l’hétéronomie jusqu’à remettre en question radicalement le champ, ce que nécessite le témoignage. Pour mieux le comprendre, prenons l’exemple de Baudelaire qui écrit dans L’Art romantique14 :

Nous arrivons à cette vérité que tout est hiéroglyphique, et nous savons que les symboles ne sont obscurs que d’une manière relative, c’est-à-dire selon la pureté, la bonne volonté ou la clairvoyance native des âmes. Or, qu’est-ce qu’un poète (je prends ce mot dans son acception la plus large), si ce n’est un traducteur, un déchiffreur ? Chez les excellents poètes, il n’y pas de métaphore, de comparaison ou d’épithète qui ne soit d’une adaptation mathématiquement exacte dans la circonstance actuelle, parce que ces comparaisons, ces métaphores et ces épithètes sont puisées dans l’inépuisable fonds de l’universelle analogie, et qu’elles ne peuvent être puisées ailleurs.

Il est intéressant de relever qu’une telle confiance dans la valeur du style n’est plus de mise pour un auteur comme Levi par exemple, car elle repose sur l’optimisme d’une

« universelle analogie » radicalement contestée par les pages sombres de l’histoire du XXe siècle, si on les considère comme la négation du mouvement de civilisation qui avait puisé ses valeurs dans les Lumières. C’est sans doute en ce sens -là qu’il faut comprendre la phrase devenue célèbre d’Adorno : « Écrire un poème après Auschwitz est barbare... »15. Cette phrase doit sans doute beaucoup à la recherche d’une formule-choc, un attrait littéraire pour l’effet comme le dirait Cru. Elle a marqué les esprits et a suscité de nombreux commentaires. Traverso tout en montrant ses limites l’interprète de la manière suivante :

Ce qui est devenu impossible, après Auschwitz, c'est d'écrire des poèmes comme on le faisait avant, car cette rupture de civilisation […] a transformé le matériau même de la création poétique, le rapport du langage à l'expérience, et nous oblige à repenser le monde moderne à la lumière de la catastrophe qui l'a défiguré à jamais. Après le massacre industrialisé, la culture ne peut subsister que comme l'expression d'une dialectique négative : le reflet esthétique d'une blessure qui refuse autant la consolation lyrique que la prétention à recomposer une totalité brisée. (1997, p. 124)16

garantie, par la décision toute-puissante du Je. » Cette question du point de vue et de la garantie fera l’objet d’un développement plus détaillé au chapitre 4-2.

13 Nous aborderons plus longuement cette posture au chapitre 2.

14 Baudelaire L’Art romantique, XXII : Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains, Victor Hugo. 1861.

15 La référence renvoie à Adorno, (1986, p. 23) Critique de la culture et société. Paris : Payot, cité in Traverso (1997).

16 Voici également la réponse de Primo Levi: « […] Après avoir terminé La Trêve, il m’a semblé en avoir fini, avoir épuisé une réserve d’expériences uniques, tragiques et cependant (pour moi) paradoxalement précieuses ; j’ai eu l’impression que je m’étais complètement brûlé en tant que témoin, en tant que narrateur et interprète d’une certaine réalité, d’un chapitre de l’histoire. Mais je sentais que j’avais encore des choses à dire, et que je ne pouvais les exprimer qu’en adoptant un autre langage […] Oui, peut-être, comme l’a dit Adorno, on ne

(25)

Introduction générale : le champ littéraire

Cela signifie que le champ littéraire d’après-guerre a dû non seulement se situer par rapport aux évènements historiques, mais qu’il a dû également négocier la survie de son autonomie contre le témoignage, lutte qu’il a gagnée en le repoussant dans les marges du non-littéraire. Le maintien des privilèges du pouvoir symbolique, même s’il est passé entre d’autres mains, était à ce prix. Le cas de Claude Simon sur ce point s’avère très intéressant.

S’étant fait un nom grâce au Nouveau roman, il aurait pu comme Robbe-Grillet ou Butor s’en tenir à une sorte d’exotisme formel, mais la mort de son père durant la Première Guerre mondiale et sa propre participation comme soldat à la débâcle de 1940 développent chez lui une sensibilité aigüe à l’histoire. Il se lance dans la rédaction de romans comme La Route des Flandres (1960), Histoire (1967), L’Acacia (1989), dans lesquels il emploie des techniques narratives novatrices fortement marquées par Joyce et Faulkner : destruction du récit linéaire, partition musicale avec des retours d’éléments internes à l’œuvre, correspondances très concertées typiquement autotéliques. Son rapport à l’histoire est donc totalement médiatisé par son positionnement dans le champ littéraire. L’écriture d’une œuvre de qualité, exigeante, à la réception restreinte correspond parfaitement à l’un des territoires du champ avec son éditeur attitré : les Éditions de minuit. Sa reconnaissance sera complète avec le Prix Nobel et la publication de ses œuvres complètes dans La Pléiade.

Dans l’espace des possibles, cette configuration du champ explique en partie son esthétique, particulièrement dans sa manière si singulière d’aborder la temporalité : dans La route des Flandres, un ancien cavalier, Georges, raconte ce qu’il a vu, imaginé, rêvé pendant une brève guerre de mouvement (mai 1940), puis ses années de captivité. Les différents récits s’entremêlent de manière chaotique à l’image de la confusion des sentiments dans une succession d’instantanés, d’images isolées, hors contexte, sans explication. Simon parvient ainsi à rendre compte du désordre et de l’affolement des sens. Par ailleurs, son personnage principal observe que son éducation l’empêche d’échapper à une culture livresque qui médiatise son rapport au monde et ne lui permet pas de le comprendre dans sa tragique nouveauté. Cette esthétique s’accompagne par ailleurs d’un discours théorique qui prend

peut plus faire de poésie « après » Auschwitz, ou en tout cas ceux qui y sont allés ne le peuvent plus, alors qu’il était possible de faire de la poésie « sur » Auschwitz, une poésie lourde et dense, comme du métal en fusion, qui s’écoule et vous laisse vide » (1998, p. 115). Et quelques pages plus loin : « Il m’a semblé, alors, que la poésie était mieux à même que la prose pour exprimer ce qui m’oppressait. Quand je parle de ‘‘poésie’’, je ne pense à rien de lyrique. À cette époque, j’aurais reformulé ainsi la phrase d’Adorno : après Auschwitz, on ne

(26)

Introduction générale : le champ littéraire

soin de se distinguer d’un réalisme plus traditionnel largement pratiqué par d’autres auteurs du champ, reconnus par ailleurs : Mauriac, Giono, Yourcenar. Simon explique dans La préface à Orion aveugle :

Si aucune goutte de sang n’est jamais tombée de la déchirure d’une page où est décrit le corps d’un personnage, celle où est raconté un incendie n’a jamais brûlé personne, si le mot sang n’est pas du sang, si le mot feu n’est pas le feu, si la description est impuissante à reproduire les choses et dit toujours d’autres objets que les objets que nous percevons autour de nous, les mots possèdent par contre ce prodigieux pouvoir de rapprocher et de confronter ce qui, sans eux resterait épars. (Simon, 2006, p. 1182)

On voit bien qu’une telle esthétique serait impensable sans les apports de la linguistique utilisés par les théories au service de l’avant-garde du moment (Barthes en particulier). Elle se construit en outre dans le champ contre la position dominante de Sartre et contre le type de littérature engagée qu’il incarne en particulier dans Situations III.

Littérature et engagement (1949).

Comme nous le voyons avec ces exemples, l’idéologie littéraire laisse penser qu’elle est autonome, mais dans tous les cas elle agit ; ce que se refusent à considérer les bénéficiaires de cette idéologie, ce sont les conséquences de cette action. Ce n’est pas surestimer la littérature à la manière des mages romantiques, elle ne sert pas de guide et on peut même être sceptique sur une quelconque clairvoyance intrinsèque aux créateurs, pas plus que d’autres en tout cas, c’est reconnaitre que la chose littéraire17 joue un rôle majeur dans nos sociétés en tant que technique sociale du sentiment (Vygotski, 2005, p. 347), concept sur lequel nous aurons amplement l’occasion de revenir.

Toutefois, en disant cela, nous n’avons pas encore établi de relation avec l’enseignement de la littérature qui, pour des raisons institutionnelles et historiques, a sa logique propre. C’est en fait l’assujettissement qui assurera le lien. En effet, dans la mesure où comme nous le verrons avec Althusser cohabitent dans un même individu (l’auteur en l’occurrence) plusieurs sujets idéologiques, il ne peut plus dès lors être question d’une personne au sens de l’unité biographique, mais de l’histoire de plusieurs assujettissements

17 Quand nous utilisons cette expression, nous nous référons principalement à l’article de Macherey (2003). Il faut toutefois relever qu’on en trouve déjà une définition au XIXe siècle dans un texte de Sainte- Beuve (1839) : « C’est un fait que la détresse et le désastre de la librairie en France depuis quelques années ; depuis quelques mois le mal a encore empiré : on y peut voir surtout un grave symptôme. La chose littéraire (à comprendre particulièrement sous ce nom l’ensemble des productions d’imagination et d’art) semble de plus en plus compromise, et par sa faute. » In La littérature industrielle. Revue des Deux Mondes T.19, 1839.

Source : URL : https://fr.wikisource.org/wiki/La_Litt%C3%A9rature_industrielle, consulté le 13.10.2017.

(27)

Introduction générale : le champ littéraire

successifs ou contemporains dont le scolaire n’est pas l’un des moindres. En ce sens, la théorie de l’assujettissement rompt avec l’essentialisme lié à la personnalité du créateur, avec l’œuvre envisagée comme un produit de cette personnalité et avec la biographie traditionnelle ; elle offre une alternative à une philosophie de l’histoire où les évènements s’enchainent vers une fin. Il est important de noter dès à présent que le témoignage est en décalage profond avec cet essentialisme. Des témoins comme Delbo ou Levi pour n’en citer que deux vivent l’expérience extrême d’une perte d’identité et ils s’insurgent contre le fait que l’on puisse trouver un sens à l’existence concentrationnaire, une justification téléologique à postériori, une cohérence ante et post évènementielle. La Trêve qui relate le long retour de Levi après sa libération dans l’Europe peut être lue de manière symbolique comme une errance entre une impossible soudure avec le monde d’avant et la difficulté de concevoir un monde d’après. La coupure est encore plus remarquable avec un témoin de la Guerre de 14 comme Joseph Astier, dans la mesure où il ne fait pas partie des lettrés. Son journal débute in media res par sa présence au front et s’arrête abruptement non pas parce qu’il est mort, mais quand il part en permission le 1er juillet 1916 : « Je suis parti à 8 heures pour Ruy, je suis arrivé le 3 juillet à Ruy » (1982, p. 147). Ainsi s’achève son témoignage : pas de conclusion, pas d’envolée lyrique, pas de message philosophique ou prophétique tel celui de Barbusse à la fin du Feu. La différence est flagrante entre le premier qui note beaucoup de choses, même l’insignifiant, au risque de la monotonie et le second dont le texte ne retient que les faits significatifs, quitte à les romancer pour les rendre encore plus signifiants, ce qui altère la qualité de son témoignage.

Essayer donc de se placer du côté des acteurs-trices dans le présent du passé, c’est

« défataliser l’histoire » (Heimberg & Opériol, 2012). Cette perspective rejoint la notion de trajectoire sociale telle qu’elle est développée par Bourdieu. On peut la comprendre

« comme la série des positions successivement occupées par un même agent ou un même groupe d'agents (la même chose vaudrait pour une institution, dont il n'y a d'histoire que structurale) dans des espaces successifs » (1991, p. 39), en devenir et soumis à d’incessantes transformations » (1986, p. 71). Ainsi le positionnement d’un auteur peut changer en fonction des évolutions de l’histoire du champ, mais aussi d’évènements biographiques, c’est ce qui explique des tensions dans la « même » personne entre idéologie politique et idéologie esthétique.

(28)

Introduction générale : le champ littéraire

La formation scolaire joue indéniablement un rôle majeur dans les différents assujettissements. Notre hypothèse de départ consistait à considérer que l’opposition autonomie vs hétéronomie recouvrait l’opposition autotélique vs hétérotélique de la théorie littéraire, dont on pouvait trouver de manière homologique la trace dans l’enseignement de la littérature comme un facteur de distinction entre les filières du collège et de l’ECG : l’un favorisant l’appréciation autotélique, l’autre l’hétérotélique. Cette hypothèse partait du processus de sélection pour en chercher une illustration dans la forme école18. Mais c’était une erreur d’y voir un reflet, car nous avions sous-estimé l’autonomie, la logique, l’histoire, la disciplination spécifique à la forme école en question. La transposition est une affaire autrement plus complexe et nuancée. Cela n’enlève rien au fait que les systèmes scolaires des sociétés capitalistes sont tous reproducteurs d’inégalité, et on voit mal comment l’enseignement de la littérature ne serait pas évidemment partie prenante à sa manière de cette reproduction. Nous avons dit évidemment, mais cela en fait n’a rien d’évident puisque précisément l’idéologie littéraire - mais transposée cette fois - par sa revendication d’autonomie semble se situer dans un lieu hautement intellectualisé, indemne, préservé de la lutte des classes. Pourtant, comme nous le verrons dans la lecture des données, il y a bien tension, lutte, négociation pour une prise en compte, une compréhension, un traitement du référent. Ce que la disciplination attend des élèves, c’est une attitude de « lector19 qui

18 Le syntagme est emprunté à Hofestetter & Schneuwly (2017) : « Il est formé comme ceux de ‘‘forme monnaie, marchandise, capital’’, ou plus proche de nous ‘‘forme nation’’ (Balibar, 2007). Le concept de forme nous semble particulièrement approprié pour traiter le rapport entre formation sociale et actions et transformations des acteurs (Sève, 1984). » La référence à Sève renvoie à Sève, L. (1984). Forme, formation, transformation. In L. Sève, Structuralisme et dialectique (S. 193-258). Paris : Éditions Sociales.

19 Macherey, (2010, p. 7) prolonge ainsi la l’analyse de Bourdieu : « Dans le domaine de l’intellectualité, et plus précisément des œuvres de langage, l’auctor est donc celui qui fait autorité, en assumant directement la responsabilité des thèses qu’il propage, dont il porte à titre personnel l’initiative pleine et entière, ce qui justifie qu’il les signe de son nom. Face à lui, le lector est celui qui, en toute modestie, s’appuie sur cette autorité dont il ne fournit qu’une exploitation dérivée : son affaire, c’est la lectio, au sens où legere c’est diffuser un message dont le contenu a déjà été élaboré, par exemple en tirant des œuvres des auctores matière à enseigner, dans le cadre propre à une activité professorale, qui est une activité de second niveau ou de seconde main dans la mesure où elle a renoncé à être authentiquement créatrice, ce dont la pratique du commentaire, dominante dans l’enseignement médiéval, constituerait l’exemple par excellence […]. »

« Le lector par excellence, c’est donc le professeur, le schlolar qui discourt à l’infini sur des textes et se consacre à cette occupation en croyant dur comme fer qu’elle se suffit à elle-même et n’obéit à aucun enjeu extérieur.

Bien sûr, cette conviction est factice : la pratique de lector repose sur la dénégation de ses véritables présupposés ; pour réussir, elle a besoin d’euphémiser les critères dont elle se sert, et d’effectuer, comme par magie, la transmutation de ses principes d’évaluation en normes techniques, neutres en apparence, alors qu’elles obéissent à des nécessités qui sont en dernière instance celles de la reproduction sociale […] » (2010, p. 11).

(29)

Introduction générale : le champ littéraire

présuppose que les auteurs et les lecteurs posent des questions de ‘‘lecture’’ et non des questions de vie ou de mort. » (Bourdieu, 2003, p. 129). Macherey commente ainsi cette citation :

[Les] questions de [vie ou de mort], que gomme la lecture de lector, qui se veut expressément déréalisante, et atteint cet objectif en ne voyant le monde qu’à travers le prisme de ‘‘textes’’ qu’elle se contente d’expliquer, ont été seulement éludées : elles n’en restent pas moins présentes à l’arrière-plan, rendues plus urgentes encore du fait d’avoir été passées sous silence. (Macherey 2010, p. 11)

Or, les textes de témoignage posent de manière particulièrement aigüe cette question de vie ou de mort. Et c’est précisément cette conviction qui nous a conduit à les proposer à l’étude dans les classes, de manière à observer la place de l’idéologie littéraire dans cette négociation très délicate avec la violence politique. Ce sera plus particulièrement l’objet de la deuxième partie de cette thèse.

(30)

Introduction générale : l’idéologie

2. L’idéologie

Beaucoup de gens du peuple pensent (quand ils ne pensent pas être naturellement stupides) qu’il y a à la base de la difficulté des études, un ‘‘truc’’ qui joue à leur désavantage : ils constatent que les messieurs […]

accomplissent de façon détendue et avec une apparente facilité le travail qui coûte à leurs enfants des larmes et du sang, et ils pensent qu’il y a un ‘‘truc’’. (Gramsci, 1932/1978, p. 345)

Dire que le concept d’idéologie a connu une postérité conflictuelle depuis la fin du XVIIIe siècle, depuis Cabanis et Destutt de Tracy, relève de l’euphémisme. Héritier des Lumières, les idéologues se proposaient de fonder une théorie de la genèse des idées et Macherey rappelle donc que le terme n’a pas toujours été porteur d’un sens péjoratif cherchant à distinguer le réel du non réel, le vrai du faux. Il évoque le contexte historique qui a nécessité l’élaboration d’un outil épistémologique visant une rationalisation de la pensée dans les bouleversements de la Révolution française et de la fondation de la République (2014, p. 213). Il ajoute que l’équilibre précaire science-politique n’a pas tardé à voler en éclats, sous l’impulsion de Napoléon en particulier, pour aboutir à un surinvestissement politique, négatif de surcroit : les idéologues étant dénoncés comme les ennemis subversifs du régime. Par la suite, ce concept a occupé une place prépondérante dans les pensées d’inspiration marxiste, mais la dépréciation de ces dernières à la charnière des XXe et XXIe siècles a entrainé corrélativement une érosion de sa portée critique. Garo explique que le terme idéologie est devenu si galvaudé qu’il a cessé même d’être considéré comme un concept et elle déplore que cette absence de rigueur sémantique s’accompagne en même temps d’une perte de « mordant politique » (2009, p. 17)20. En effet, la confusion affecte en priorité l’une de ses caractéristiques les plus intéressantes : sa dimension critique

20 Garo, commentant les travaux de M. Pinçon-Charlot et M. Pinçon sur la grande bourgeoisie en France, explique qu’ils « excellent à montrer à quel point la puissance de l’idéologie dominante réside moins aujourd’hui dans un discours positif de légitimation que dans son pouvoir d’escamotage et d’auto- occultation : la victoire idéologique suprême de la grande bourgeoisie réside sans doute dans sa ‘‘disparition’’

même et dans le caractère innommable de la classe par excellence qu’elle constitue, au moment même où elle offre une illustration parfaite du concept marxiste, étant pourvue au plus haut degré de consistance sociale et de conscience de soi » (Garo, 2009, p. 118).

Références

Documents relatifs

- décidé de faire usage de la délégation de compétence qui lui a été conférée par l’assemblée générale ordinaire et extraordinaire des actionnaires du 16

« Reconnaître le caractère social de la langue c’est aussi admettre que la sociolinguistique est l’étude des caractéristiques des variétés linguistiques, des

Je me suis souvent demandé pourquoi ceux que j’admirais pour leur intelligence et leur compétence étaient souvent aussi des gens humains et gentils, et pourquoi les gens

Tracer les droites où se trouvent tous les points situés à 3 cm de (d).. Hachurer la zone où l’usine peut

o écrire, en respectant les critères d’évaluation, un texte court expliquant l’expression « Voir loin, c’est voir dans le passé », texte qui sera à rendre sur feuille pour

Exit, voice and loyalty a ainsi pour objectif d’étudier les conditions de développement, conjoint ou non, des deux modes d’action, leur efficacité respective dans

Lorsque le producteur adhère à une norme, il donne son accord à ce que les articles fabriqués par lui soient produits dans des conditions contrôlées et que son

Attention : une couleur pourrait être aussi une quinte flush, il faut donc soustraire les …… quintes flush possibles.. Le nombre de couleurs possibles est donc : E XERCICE 2D.2 :