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Le champ littéraire

Dans le document L'assujettissement littéraire (Page 18-30)

L’émergence historique du genre du témoignage coïncide avec la Première Guerre mondiale7 en regard d’un champ littéraire qui s’est autonomisé progressivement depuis le XVIIe siècle8. Mais ce qui nous intéresse plus particulièrement, c’est la configuration qui s’est mise en place au XIXe dans « le champ littéraire moderne » et qui a privilégié une certaine forme d’idéologie valorisant son autonomie, c’est-à-dire au-delà des diverses esthétiques, une idéologie qui se maintiendra sous différents avatars comme le fondement d’un processus de différenciation et de distinction ; ce processus affecte aussi bien - mais sous des modalités spécifiques, le champ littéraire et l’enseignement de la littérature.

Bourdieu définit le champ littéraire comme un

Un champ de forces agissant sur tous ceux qui y entrent, et de manière différentielle selon la position qu'ils y occupent […] en même temps qu'un champ de luttes de concurrence qui tendent à conserver ou à transformer ce champ de forces.

Ce que nous retenons avant tout dans le cadre de ce travail, c’est l’espace de différenciation et la lutte constante que le champ provoque pour exclure le témoignage. Il faut en effet immédiatement compléter la première citation par une autre dimension essentielle des champs :

Nombre des pratiques et des représentations des artistes et des écrivains […] ne se laissent expliquer que par référence au champ du pouvoir, à l'intérieur duquel le champ littéraire […] occupe lui-même une position dominée. (1991, p. 4)

Cette lutte pour l’hégémonie nous occupera également beaucoup dans les prochains chapitres. On relèvera au passage que c’est en s’attachant aux agents que Bourdieu réintègre

7 Jean Norton Cru cite Marcel Dupont qui publie un témoignage dès décembre 1914 dans le Correspondant (2006, p. 300). Nous reviendrons au chapitre 1 sur la justification de l’émergence du genre à ce moment historique précis en nous référant principalement à la thèse de Lacoste (2011).

8 Thumerel (2002, p. 53) présente ainsi la périodisation proposée par Viala : « Refusant de se conformer à la commode sécularisation et d’indexer ses découpages sur ceux des historiens pour se fonder sur des critères spécifiques (création et développement d’instances de légitimation, luttes internes, incidences des facteurs externes...), [Viala] propose une division binaire de l’histoire du champ littéraire (‘‘premier champ littéraire’’

et ‘‘champ littéraire moderne’’), [qui] se subdivisent en plusieurs phases (trois pour la première : ‘‘phase de constitution’’ — de 1630 à 1665 environ —, ‘‘phase de consolidation’’ - de 1665 à 1750 - et ‘‘phase de mutation’’ – de 1750 à 1830 - et quatre pour la seconde : ‘‘phase de consécration’’ – de 1830 à 1850 —,

‘‘phase d’expansion’’ - de 1850 à 1914 —, ‘‘phase d’exploitation’’ — de 1914 à 1950 — et ‘‘phase de redistribution’’ — à partir de 1950. » Philippe et Piat (2009) situent le développement d’une langue littéraire qui contribue de manière essentielle à la physionomie du champ entre 1850 (Flaubert) et la fin du XXe s (Simon).

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l’histoire que les formalistes avaient délaissée pour s’occuper de l’immanence de l’œuvre, son système synchronique et son fonctionnement intertextuel – fondements théoriques de l’autotélisme. Ainsi, les écrivains sont dominants comme détenteurs d’un capital culturel, mais dominés par ceux qui détiennent le pouvoir politique et économique. Ils sont pris dans les mécanismes généraux du marché, ne serait-ce que par le fait qu’ils doivent être édités. C’est ce qui explique plus généralement l’ambivalence idéologique de certains intellectuels :

En révolte contre ceux qu’ils appellent les "bourgeois", ils sont solidaires de l'ordre bourgeois, comme on le voit dans toutes les périodes de crise où leur capital spécifique et leur position dans l'ordre social sont véritablement menacés. (Bourdieu, 1987, p. 173)

L’un des cas les plus emblématiques de cette solidarité dans l’urgence renvoie à la réaction des auteurs les plus en vue de la fin du XIXe siècle, quand ils sont confrontés à l’insurrection révolutionnaire de 1871. Leur virulence, que ce soit celle de Flaubert, de Zola ou de bien d’autres encore, a été éloquemment illustrée par Lidsky dans son ouvrage Les écrivains contre la Commune (2010 [1970]).

Bourdieu défend la thèse que le champ littéraire au XIXe siècle s’est scindé en deux sphères de production : l’une de grande diffusion, rentable, et une autre beaucoup plus restreinte, davantage porteuse de valeurs symboliques et surtout fortement tributaire de la reconnaissance des pairs. Elle se caractérise par une volonté affichée de dissocier le beau et l'utile, trouve son crédo philosophique dans le jugement esthétique désintéressé de Kant et son manifeste dans la préface à Mademoiselle de Maupin de Gautier. Cette forme d’autonomisation9 incarnée par Flaubert pour la prose et Baudelaire pour la poésie exercera une influence décisive. Elle entraine un certain nombre de conséquences qui expliquent l’éviction hors du champ des textes de témoignage :

i. L’esthétique est dissociée de l’éthique. La confrontation avec les incidences pratiques apparait souvent comme du moralisme, ou un littéralisme obtus, et c’est l’un des reproches les plus récurrents adressés au travail de Jean Norton

9 Il est à noter, en toute logique historique, que la configuration des champs n’est pas identique selon les pays et les traditions nationales : « Le degré d’autonomie […] est à la mesure du capital symbolique qui a été accumulé au cours du temps par l’action des générations successives […] » (Bourdieu, 1991, p. 8). Jurt (1992) pour sa part procède à une analyse comparée d’un grand intérêt entre l’Allemagne et la France. Il l’axe précisément sur les variations au cours du temps de l’autonomie et de l’hétéronomie. Ainsi Böll ou Grass peuvent être accusés dans les années 90 de céder à un « kitsch de conviction » et Jurt relève en cette fin du

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Cru. Sapiro évoque une « tension entre forces d’autonomie et forces d’hétéronomie, auxquelles doivent résister ceux qui défendent l’autonomie du jugement esthétique par rapport aux contraintes extralittéraires, éthico-politiques ou économiques. Les formes que prennent ces oppositions varient selon les configurations sociohistoriques » (2014, p. 25). La gratuité s’oppose à l’utilitarisme.

ii. Le référent ne peut en aucun cas être un dernier recours, un critère de validation et d’évaluation de la portée de l’œuvre qui reste en définitive irréfutable.

iii. Ajoutons l’inépuisable fécondité du chef-d’œuvre dont l’exceptionnelle richesse dépasse la contingence sociologique et historique, ce qui lui octroie une valeur intemporelle et universelle.

Afin d’exemplifier ces caractéristiques structurantes du champ, on peut citer la crise des années 1925-1935 provoquée par le débat sur la littérature prolétarienne. Dans l’immédiate après-guerre et révolution russe, la question des rapports de la littérature avec l’émancipation du prolétariat va devenir un sujet brulant qui, de Barbusse à Céline, en passant par Gide et les surréalistes, va agiter le monde intellectuel et politique. Nous avons bien affaire à une contestation de l’autonomie du champ par le politique. Pour certains écrivains sensibles à la révolution en marche, il n’est plus question de s’engager à la manière de Zola sortant de sa tour d’ivoire pour défendre Dreyfus, mais de « soumettre l'activité littéraire à des critères politiques, ce qui revient à se démettre de sa souveraineté littéraire en en appelant à une autorité supérieure d'essence politique » (Péru, 1991, p. 49). Dans la configuration de l’époque, le parti communiste français va dès lors devenir un acteur-clé.

Sans entrer dans tous les détails de l’analyse de Péru, on peut dire que s’opposent deux tendances dans le champ littéraire orienté à gauche, l’une tire les conséquences logiques de la mission révolutionnaire de l’écrivain contre l’ordre bourgeois : la littérature prolétarienne doit détruire radicalement cette assise institutionnelle et sociologique, et elle s’attaque par là à l’existence même du champ littéraire ; l’autre n’a eu de cesse de préserver avec obstination l’autonomie du champ. Barbusse grâce à son livre Le feu vient d’obtenir de fraiche date une réputation littéraire, et il est pour lui très risqué de la fragiliser en prenant la voie de la littérature prolétarienne, vers laquelle devraient le conduire ses convictions communistes.

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On notera un point sur lequel nous reviendrons plus amplement, c’est cette même volonté de s’assurer une position dans le champ qui a desservi la qualité de son témoignage. Dans les deux cas, Barbusse est tiraillé entre deux impératifs, car la logique du champ est prépondérante et impitoyable : il faut lui donner des gages sous peine d’être exclu, mais ce faisant on hérite aussi de son idéologie. Les surréalistes, pourtant en concurrence acharnée avec Barbusse pour obtenir une reconnaissance révolutionnaire, sont pris dans le même dilemme, d’où les circonlocutions de Breton afin de séduire le PCF - parti lui-même en plein débat sur la place à accorder à la littérature et aux arts dans la lutte politique. Les surréalistes ambitionnent le label de mouvement littéraire à l’avant-garde de la Révolution accordé par le parti des travailleurs, mais sans renoncer pour autant à ce qui reste un enjeu essentiel : dominer le champ littéraire. Or, la littérature prolétarienne, si elle devait se concrétiser dans ses attendus, s’avère beaucoup trop incertaine et extrémiste en regard des bénéfices symboliques assurés du champ, et c’est ce qui lui vaudra les attaques répétées de Breton. Finalement, les surréalistes devront adopter un positionnement nouveau qui affectera la cohésion du groupe avec l’exclusion d’Aragon. Ce dernier sera préféré à Breton par le PCF qui peut laisser à l’association des écrivains, la mission de définir une ligne juste en matière littéraire, et désormais se concentrer sur son champ propre : la bataille pour l’hégémonie politique10. Voici, comment après quelques soubresauts, l’autonomie est finalement préservée et même renforcée par des auteurs qu’apparemment beaucoup de choses séparent.

Le champ de production symboliquement dominant doit en permanence se situer vis-à-vis de l’hétérodoxie, et l’on comprend que même si sa plus grande efficacité consiste à ne pas lui accorder d’existence en l’ignorant purement et simplement, en la méprisant, en la niant, il n’en reste pas moins qu’il n’est concevable que différentiellement par rapport à des facteurs de déséquilibre, que ce soit la littérature prolétarienne, le témoignage ou plus généralement la production large : le « roman de gare », policier, d’espionnage, sentimental... Le spectre va ainsi de l’autonomie la plus forte incarnée par la poésie :

10 Sapiro (2007, p. 69) fait observer ce point intéressant : « La différence de formation et de ressources culturelles peut en outre contribuer à expliquer les divergences de trajectoire au sein du groupe surréaliste : l’un des mieux dotés sous ce rapport, Aragon, rompt avec le groupe pour renouer avec le modèle du grand écrivain, poète, romancier, essayiste, homme politique, incarné par Victor Hugo. »

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Gautier Emaux et Camées, le Parnasse et les Poèmes barbares de Leconte de Lisle, Mallarmé Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, et pour le roman des œuvres emblématiques comme Salammbô de Flaubert, A rebours de Huysmans, à certaines formes d’hétéronomie, mais à l’intérieur d’un champ littéraire tendanciellement orienté vers l’autonomie.

La direction générale du champ littéraire est donc l’autonomisation, mais dans cette disposition, ce qui nous intéresse plus particulièrement, c’est la forme la plus extrême, la plus voyante qui sera théorisée et conceptualisée au XXe siècle par l’autotélisme. Il faut donc distinguer, selon nous dans le cadre de ce travail, l’autonomisation du champ dans lequel tous les acteurs sont pris avec parfois des velléités d’hétéronomie et la revendication d’une esthétique autonome constitutive et que l’on pourrait dire conservatrice militante, et c’est cette dernière que nous qualifierons désormais d’idéologie de l’autonomie du littéraire.

L’adjectif conservatrice renvoie ici à la volonté de chercher à sauvegarder les avantages symboliques d’une place dominante dans le champ, et n’équivaut donc pas forcément à un positionnement politique de droite. Un auteur comme Barbusse peut en toute sincérité s’affirmer d’extrême gauche et pourtant rester conservateur à bien des égards dans son esthétique, ce qui l’empêchera d’ailleurs de donner sa pleine force au potentiel subversif du témoignage. S’il ne peut être question d’homologie, c’est que le champ littéraire joue un rôle de médiateur avec sa logique propre, résultat de contraintes socioéconomiques et de

« l’objectivation de toute son histoire dans des institutions et des mécanismes » ; il s’agit donc d’un « effet de réfraction » et non de reflet (Bourdieu, 1991, p. 16). Bourdieu reproche par exemple au structuralisme génétique de ne pas tenir assez compte de cette médiation et d’essayer d’expliquer l’œuvre par la vision du monde d’un groupe social s’incarnant de manière plus moins consciente dans l’auteur-médium. Dans Le Dieu caché.

Étude sur la vision tragique dans les « Pensées » de Pascal et dans le théâtre de Racine (1955), Goldmann comprend ainsi les œuvres de ces auteurs du 17e siècle comme l’expression idéologique d’un jansénisme portée par la noblesse de robe cherchant à se démarquer de celle d’épée et de la bourgeoisie. Le problème se pose toutefois de savoir de quel groupe social il est réellement question :

De celui dont l'artiste est lui-même issu - et qui peut ne pas coïncider avec le groupe dans lequel se recrute son public - ou du groupe qui est le destinataire principal ou privilégié de l'œuvre – ce qui suppose qu'il y en ait toujours un et un seul ? Rien n'autorise à supposer que le destinataire déclaré, quand il existe, commanditaire, dédicataire, etc., soit le véritable

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destinataire de l'œuvre et qu'il agisse en tout cas comme cause efficiente ou comme cause finale sur la production de l'œuvre. (1991, p.16)

Pour Bourdieu, court-circuiter ainsi le champ et sa médiation prive l’analyse d’un autre élément d’explication essentiel, car les habitus s’inscrivent dans un espace des possibles :

L'héritage accumulé par le travail collectif se présente à chaque agent comme un espace de possibles, c'est-à-dire comme un ensemble de contraintes probables qui sont a condition et la contrepartie d'un ensemble fini d'usages possibles. […] C'est une seule et même chose que d'entrer dans un champ de production culturelle, en acquittant un droit d'entrée qui consiste essentiellement dans l'acquisition d'un code spécifique de conduite et d'expression, et de découvrir l'univers fini des libertés sous contraintes et des potentialités objectives, choses à faire, problèmes à résoudre, possibilités stylistiques ou thématiques à exploiter, contradictions à dépasser, voire ruptures révolutionnaires à opérer. (1991, p. 36)

La trajectoire d’un écrivain peut d’ailleurs révéler cette tension. Ainsi Barbusse commence sa carrière littéraire dans la proximité des poètes parnassiens, mais le passage par la guerre oriente son œuvre vers une forme d’hétéronomie, puisqu’il prétend témoigner avec son œuvre Le feu, et délivrer un message pacifiste, être la voix respectée des anciens combattants11. Il ne renonce pas pour autant à la reconnaissance dans le champ et il s’inscrit dans une autre tradition légitimante que celle du Parnasse, qui est celle du roman naturaliste. Il passe donc d’un champ restreint de production (la poésie) à un pôle plus large, plus largement diffusé, plus commercial, celui du roman – et même s’il intitule son livre Journal d’une escouade, il utilise bel et bien des procédés romanesques qui s’ajoutent à toute une série d’autres caractéristiques fictionnelles. Ce déplacement entre parfaitement dans une stratégie qui consiste à toucher un large public pour faire avancer une cause chère à ses convictions. Sa réaction aux critiques de Cru est symptomatique : dès lors qu’il est pris en défaut sur la piètre qualité de son témoignage, il se retranche de manière hautaine derrière l’autonomie du littéraire et réplique à l’auteur de Témoins en le traitant de pion de collège insensible aux subtilités littéraires. Le cas est identique pour Dorgelès et tous ceux jusqu’à Wiesel, Haenel, Littell ou Semprún12 qui cherchent à rester dans le champ pour en

11 Il fonde d’ailleurs en 1917 l’ARAC Association républicaine des Anciens Combattants, proche de l’extrême gauche. Cf. Prost (2014 [1977], p. 95).

12 Voir Rastier (2016 a, p. 122) : « Le livre de Semprún [L’écriture ou la vie] paraît un demi-siècle après sa déportation. Ainsi, le projet de témoignage, abandonné en 1947, a-t-il laissé place en 1987 à un projet d’autobiographie romancée, qui devient cinq ans plus tard un roman historique à la première personne […].

Ce genre littéraire [l’autofiction] se dispense de toute garantie de véridicité (celle du pacte testimonial) ou

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retirer les bénéfices symboliques13. Le défi consiste à se différencier pour exister et se « faire un nom » (Bourdieu, 1981, p. 24), mais dans le même temps il ne faut pas pousser l’hétéronomie jusqu’à remettre en question radicalement le champ, ce que nécessite le témoignage. Pour mieux le comprendre, prenons l’exemple de Baudelaire qui écrit dans L’Art romantique14 :

Nous arrivons à cette vérité que tout est hiéroglyphique, et nous savons que les symboles ne sont obscurs que d’une manière relative, c’est-à-dire selon la pureté, la bonne volonté ou la clairvoyance native des âmes. Or, qu’est-ce qu’un poète (je prends ce mot dans son acception la plus large), si ce n’est un traducteur, un déchiffreur ? Chez les excellents poètes, il n’y pas de métaphore, de comparaison ou d’épithète qui ne soit d’une adaptation mathématiquement exacte dans la circonstance actuelle, parce que ces comparaisons, ces métaphores et ces épithètes sont puisées dans l’inépuisable fonds de l’universelle analogie, et qu’elles ne peuvent être puisées ailleurs.

Il est intéressant de relever qu’une telle confiance dans la valeur du style n’est plus de mise pour un auteur comme Levi par exemple, car elle repose sur l’optimisme d’une

« universelle analogie » radicalement contestée par les pages sombres de l’histoire du XXe siècle, si on les considère comme la négation du mouvement de civilisation qui avait puisé ses valeurs dans les Lumières. C’est sans doute en ce sens -là qu’il faut comprendre la phrase devenue célèbre d’Adorno : « Écrire un poème après Auschwitz est barbare... »15. Cette phrase doit sans doute beaucoup à la recherche d’une formule-choc, un attrait littéraire pour l’effet comme le dirait Cru. Elle a marqué les esprits et a suscité de nombreux commentaires. Traverso tout en montrant ses limites l’interprète de la manière suivante :

Ce qui est devenu impossible, après Auschwitz, c'est d'écrire des poèmes comme on le faisait avant, car cette rupture de civilisation […] a transformé le matériau même de la création poétique, le rapport du langage à l'expérience, et nous oblige à repenser le monde moderne à la lumière de la catastrophe qui l'a défiguré à jamais. Après le massacre industrialisé, la culture ne peut subsister que comme l'expression d'une dialectique négative : le reflet esthétique d'une blessure qui refuse autant la consolation lyrique que la prétention à recomposer une totalité brisée. (1997, p. 124)16

garantie, par la décision toute-puissante du Je. » Cette question du point de vue et de la garantie fera l’objet d’un développement plus détaillé au chapitre 4-2.

13 Nous aborderons plus longuement cette posture au chapitre 2.

14 Baudelaire L’Art romantique, XXII : Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains, Victor Hugo. 1861.

15 La référence renvoie à Adorno, (1986, p. 23) Critique de la culture et société. Paris : Payot, cité in Traverso (1997).

16 Voici également la réponse de Primo Levi: « […] Après avoir terminé La Trêve, il m’a semblé en avoir fini, avoir épuisé une réserve d’expériences uniques, tragiques et cependant (pour moi) paradoxalement précieuses ; j’ai eu l’impression que je m’étais complètement brûlé en tant que témoin, en tant que narrateur et interprète d’une certaine réalité, d’un chapitre de l’histoire. Mais je sentais que j’avais encore des choses à dire, et que je ne pouvais les exprimer qu’en adoptant un autre langage […] Oui, peut-être, comme l’a dit Adorno, on ne

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Cela signifie que le champ littéraire d’après-guerre a dû non seulement se situer par rapport aux évènements historiques, mais qu’il a dû également négocier la survie de son autonomie contre le témoignage, lutte qu’il a gagnée en le repoussant dans les marges du

Cela signifie que le champ littéraire d’après-guerre a dû non seulement se situer par rapport aux évènements historiques, mais qu’il a dû également négocier la survie de son autonomie contre le témoignage, lutte qu’il a gagnée en le repoussant dans les marges du

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