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Les témoins de 1914-1918 et l’idéologie littéraire

Dans le document L'assujettissement littéraire (Page 188-0)

Chapitre 3. Les témoins de 1914-1918 et l’idéologie littéraire

Juché avec son état-major sur un tas de traverses, il [le général] salua très noblement les soldats de vingt ans en route pour la Fable. Et tous, aux portières des wagons, délirant d’orgueil et d’amour, braillèrent La Marseillaise.

Ils roulèrent toute la journée. Turbulents d’épopée, ils ameutaient les gares déjà indifférentes. (Bernier, 2004 [1920], p.18)

Première partie. Chapitre 3-1. Introduction du chapitre

3-1. Introduction du chapitre

Ce chapitre s’intéresse aux raisons qui déterminent la hiérarchisation des textes, de la pure et simple exclusion à ceux considérés comme dignes d’être transmis, proposés à l’admiration et même envisagés comme une modélisation du langage, de la pensée et de comportements éthiques, politiques, sociaux. Pourquoi sont-ils considérés comme recevables dans le processus d’acculturation des élèves ? Qu’est-ce qui vaut à un texte d’être reconnu comme ayant une esthétique, une forme réputées littéraires ? Philippe soutient qu’il « est à la fois nécessaire et difficile de faire le lien entre l’autonomisation du champ et de la langue littéraires, d’une part, et celle de l’enseignement du français comme discipline scolaire, d’autre part » (2009, p. 38). L’objectif de cette partie vise précisément à prendre en compte cette nécessité tout en essayant de ne pas trop la simplifier pour éviter de la caricaturer. Nous aimerions en effet aborder spécifiquement quelques effets de la transposition didactique. Nous tenterons par exemple de préciser ce qu’était la littérature pour le lycée de la fin du XIXe siècle afin de donner une idée de l’intertexte littéraire scolaire des futurs témoins de la Grande Guerre, essentiellement issus comme nous le verrons d’une élite sociale et intellectuelle. Ce détour historique devrait permettre de mieux comprendre la place de l’idéologie littéraire et sa relation au référent dans le processus de la transposition didactique, avant d’aborder plus précisément dans la partie II de cette thèse, l’enseignement contemporain de la littérature.

Mais avant de passer à la formation scolaire des témoins de la Grande Guerre, nous allons d’abord préciser le contexte idéologique dominant dans le champ littéraire à la charnière du XIXe et du XXe siècle.

Première partie. Chapitre 3-2. Le « moment » romantique

3-2. Le « moment » romantique

Ce qui s’est joué à Iena à la fin du 18e siècle sous l’impulsion des frères Schlegel et de Novalis notamment revêt un caractère primordial si l’on veut comprendre l’une des orientations centrales de la théorie littéraire, telle qu’elle a pu se diffuser au XIXe et XXe siècle – du moins dans le monde francophone. La réputation de littérarité, c’est à dire cette marque distinctive qui affecte certains textes d’un statut particulier (esthétique, prestigieux, mémorable dans le meilleur des cas) leur doit beaucoup. C’est ce que montre Rochlitz quand il reprend les analyses de Schaeffer pour qui le premier romantisme « naît […] de la conviction que « l’Art doit remplacer le discours philosophique défaillant 156», et il fait remarquer que l’art dès le milieu du XVIII siècle intéresse au plus point la philosophie dans le monde germanophone au point d’en devenir un enjeu de pensée considérable (1994, p. 209). Dans le sillage de l’Aufklärung, le criticisme kantien a fortement affecté le discours philosophique dans la mesure où la réponse à la question « que puis-je savoir ? » précise les limites que l’on doit poser entre la connaissance et la croyance. La première qui se déploie dans le champ de la raison ne peut concerner que les phénomènes, mais pas l’être en soi, et la réalité n’est susceptible d’être connue que dans la mesure où elle se manifeste à travers l’espace, le temps, la causalité. C’est pourquoi Hersch écrit que cette philosophie « laisse [la] condition humaine, en pleine nostalgie » (1993, p. 253), formule très utile pour comprendre les romantiques. En effet, une partie des héritiers de Kant va aller au-delà des limites posées par le philosophe lui-même et développer une pensée idéaliste dans laquelle le sujet peut accéder à la connaissance de l’être en soi, à l’Absolu ; il devient alors une sorte de démiurge, le « double du Créateur », ce que signalent par exemple les titres de livres que Bénichou a consacrés au romantisme Le sacre de l’écrivain (1973), Le temps des prophètes (1977), Les mages romantiques (1988). Rochlitz soutient ainsi que « Schlegel prend la Critique de la faculté de juger au mot pour faire de la poésie elle-même la clé du système qu’est chez Kant la faculté de juger. […] La démarche poétique se substitue à la raison

156 La référence dans Rochlitz renvoie à : J.-M. Schaeffer, L'art de l'âge moderne. L'esthétique et la philosophie de l'art du XVIIIe siècle à nos jours, Ed. Gallimard, 1992, p. 90.

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comme procédure permettant d’unir l’ensemble des activités humaines » (1994, p. 213). Le romantisme de Iena passe outre les scrupules kantiens et élabore une esthétique novatrice, clé fondamentale, sans égale, pour la connaissance. En ce qui concerne la question spécifique de l’art, Rochlitz précise encore que

Kant est à l’origine de deux traditions esthétiques dont les répercussions ont largement dépassé les frontières allemandes : celle d’une esthétique formaliste qui tient sur l’art un discours classificateur, souvent sans se confronter aux enjeux intellectuels et historiques des œuvres, et celle d’une esthétique romantique, adoptée par un nombre important d’artistes et de critiques depuis le cercle d’Iéna jusqu’aux nietzschéens et heideggériens d’aujourd’hui, qui voit dans l’art la révélation d’une vérité inaccessible à la connaissance scientifique et philosophique. (1994, p. 210)

Or, ces deux traditions recouvrent un large spectre de la théorie littéraire francophone, celle qui exercera une grande influence par l’approche formaliste dans la nouvelle critique, et celle de travaux critiques comme ceux de Blanchot, de mouvements dits d’avant-garde comme le surréalisme, Tel Quel, sans parler de la fascination de certaines figures reconnues du champ littéraire pour la pensée d’Heidegger157.

Ainsi, le discours ontologique, sérieusement reconsidéré par la philosophie va trouver un refuge dans la littérature et Schaeffer entend par ontologie romantique une vision du monde très particulière, qui va multiplier les entités comme Absolu, Univers, Nature, Roman (mais au sens d’un supragenre équivalent d’un poème universel), Infini, Humanité, etc. (1983, p. 19). L’usage des majuscules exprime bien l’idée que nous avons

157 On peut mentionner à cette occasion le courageux engagement politique contre le nazisme d’un résistant comme René Char, et le positionnement esthétique de son œuvre poétique : hermétisme, prédilection pour le fragment, irrationalisme, filiation au romantisme, méfiance à l’égard du monde moderne de la technologie.

De ce point de vue, il illustre bien le processus de l’assujettissement par des sujets idéologiques contradictoires. Mais de manière encore plus troublante, Rastier (2016 a, p. 124) retrouve l’influence de la philosophie heideggérienne dans certains écrits à prétention testimoniale, ce qui en affecte inévitablement la portée. Il écrit ainsi : « Imprégné dès avant son arrestation par la lecteur de Heidegger, Semprún admet son être-pour-la-mort, sans s’aviser que dans cette philosophie nazifiante, l’être-pour-la-mort ne peut être compris sans référence à la théorie des deux morts : elle dérive de l’affrontement entre le Maître et l’Esclave au début de La Phénoménologie de l’Esprit. Le Maître devient tel parce qu’il met décisoirement sa vie en jeu, alors que l’Esclave reste dans la crainte. Dans Sein und Zeit, le Dasein (germanique – intraduisible selon Heidegger) est détourné de son être-pour-la-mort (héroïque) par le Man, ce On indisctinct et menaçant qui a toutes les caractéristiques des Juifs. Pour Heidegger, les Juifs ne meurent pas, et il répète, en 1949, Sterben sie ? On sait que le négationnisme ontologique était monnaie courante : les médecins SS avaient forgé la catégorie de ‘‘vie qui ne vaut pas la peine d’être vécue’’. En somme la race de guerriers est couronnée par la mort glorieuse du sacrifice militaire, alors que ses victimes ne sont capables que de trépasser […]. Le radicalisme politique extermine – l’ontologie de Heidegger appelle ainsi explicitement à l’anéantissement (Vernichtung). Toute ontologie est basée sur la question du non-être ; Sartre a bien vu que l’ontologie heideggérienne devait être

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affaire à une création nouvelle, à un nouveau langage nécessaire pour accéder à la connaissance du monde. Pour la théorie romantique, il s’agit de pallier la fragmentation des genres par une unité holistique. Le fragment est d’ailleurs caractéristique de l’œuvre romantique elle-même fragment, élément du puzzle de l’Œuvre158. À la lecture des romantiques, on comprend que ce supragenre a pour vocation de réunir dans le langage poétique, la philosophie, la rhétorique et la poésie. De ce point de vue, des œuvres aussi différentes que La divine comédie, Don Quichotte, les pièces de Shakespeare sont des romans romantiques, des fragments du Roman. Cependant, il faut bien noter qu’accepter l’idée d’un supragenre revêt un enjeu considérable, car c’est vider de toute son efficacité explicative l’approche par les genres comme outils de sémiotisation liés à un contexte social et historique.

Canvat montre par ailleurs que c’est en réaction à la rhétorique, que l’esthétique romantique est « apparue en Allemagne en 1750 avec Baumgarten (Aesthetica), s’est peu à peu développée avec Winckelmann (Histoire de l’art de l’Antiquité, 1763), Lessing (Laokoon, 1766), Goethe, Schiller (Lettres sur l’éducation esthétique, 1792) et surtout Kant (Critique de la faculté de juger, 1790 » :

Tout un rapport au monde se trouve ainsi bouleversé, impliquant, à court terme, le remplacement des principes de conformité et de tradition par ceux d’originalité et de singularité et, à plus long terme, l’amorce du processus de ‘‘retrait du monde’’, (Weltlosigkeit), caractéristique de la culture contemporaine. Comme l’édifice rhétorique repose tout entier sur la notion de genre, c’est assez naturellement autour de celle-ci que les tenants de l’esthétique nouvelle vont fonder leur combat. Dès les années 1770-1780, les romantiques allemands d’Iéna, et notamment le groupe de la revue Athenaeum, les frères Schlegel, Novalis et Schelling s’en prennent aux classifications rhétoriques. Leur réflexion est capitale, non seulement parce qu’elle permet de comprendre l’esthétique romantique, mais aussi, plus fondamentalement, parce qu’elle constitue un tournant dans l’histoire de la notion de genre. (Canvat, 1999, p. 21)

158 Cf. Macé (2004, p. 39) : « La convenance générique a longtemps décidé de la valeur d’une œuvre, et constitué pour une grande part l’objet de la critique. Pendant la période classique, la littérature était coextensive aux genres ; désormais, à l’inverse, l’appartenance générique fait le départ entre la littérature ‘‘qui compte’’ et la littérature de masse, et la valeur attribuée aux œuvres est ‘‘inversement proportionnelle’’

(Dominique Combe) à la représentation que l’on se fait de leur obéissance aux genres. Généricité et littérarité se sont ainsi progressivement découplées, et la fragilisation des genres est désormais indiscutable. D’autres topiques guident l’écriture moderne : le primat de la parole, le fragment, le mouvement. » Il faudrait préciser dans notre optique, fragilisation des genres réputés littéraires à l’intérieur de l’idéologie littéraire, car les succès éditoriaux de certains genres montrent leur solidité : roman policier, sentimental, historique, science-fiction, etc. On ajoutera que le découplage est homologique à celui de l’éthique et de l’esthétique. L’un ne peut aller sans l’autre.

Première partie. Chapitre 3-2. Le « moment » romantique

L’esthétique romantique dans sa quête de l’Absolu s’inscrit logiquement par ailleurs dans une réflexion linguistique qui, s’écartant de la transparence postulée par des doctrines plus classiques, théorise l’opacité du langage et la complexification du rapport des mots aux choses. Schaeffer explique comment cette conception est fondée sur une dichotomie radicale au point qu’il parle de deux langages. Le premier est utilitaire, trivial, référentiel et le second qui s’émancipe de son rôle d’instrument est celui du créateur et de l’absolu littéraire159 : « Il va de soi que l’essence du langage ne saurait résider que dans le pôle expressif, autotélique et motivé, c’est-à-dire dans le langage poétique » (1983, p. 24).

Refermons ce moment romantique en signalant que cet autotélisme qui fascine tant Novalis est promis à une belle postérité avec Blanchot160, Jakobson, Barthes, Riffaterre, etc., au point qu’il va devenir le concept fondamental, la colonne vertébrale d’une définition d’une écriture réputée littéraire. Enfin, il n’est pas inutile, comme le fait Eagleton (1994, p. 20), de rappeler que le concept de la philosophie de l’art lié au moment romantique est

« une conséquence de l’éloignement de l’art par rapport à la vie sociale » qui recherche une essence a-historique, immuable, universelle : « l’art est extirpé des pratiques matérielles, des relations sociales et des significations idéologiques dans lesquelles il a toujours été pris et il s’élève jusqu’au statut de fétiche solitaire » (1994, p. 21). Jablonka pour sa part montre l’importance du romantisme dans l’évolution de l’histoire comme science humaine :

Alors que l’histoire occupait une position cruciale au sein des belles-lettres, elle est fragilisée non seulement par la montée en puissance du roman, mais par l’ambition même de la littérature au sens romantique […]. Véritable ontologie esthétique, la littérature fait coïncider le Dire et l’Être. Elle ne saisit pas le monde, elle s’y substitue. L’histoire au contraire n’a rien d’un absolu littéraire : sa vocation est précisément de rendre compte d’un hors-texte. (2014, p. 42)

159 Cf. également sur le sujet : Lacoue-Labarthe, Ph. & Nancy, J.-L. (1978). L’absolu littéraire. Théorie de la littérature du romantisme allemand. Paris : Seuil.

160 Pour lequel d’ailleurs le genre n’a plus lieu d’être et son dépassement est même un signe indubitable de modernité : « Seul importe le livre, tel qu’il est, loin des genres, en dehors des rubriques, prose, poésie, roman, témoignage, sous lesquelles il refuse de se ranger et auxquelles il dénie le pouvoir de lui fixer sa place et de déterminer sa forme » Blanchot, in Macé, 2004, p. 212). [La référence renvoie à Blanchot, Le livre à venir, Gallimard, 1959, p. 253]. Il est assez remarquable de constater que pour ouvrir le passage à l’idéalisme, voire à une mystique de la littérature, la voie royale consiste à disqualifier le genre. Todorov précise que pour Blanchot : « il n’y a […] aucun intermédiaire entre l’œuvre particulière et singulière, et la littérature entière, genre ultime ; il n’y en a pas, car l’évolution de la littérature moderne consiste précisément à faire de chaque œuvre une interrogation sur l’être même de la littérature » (1978, p. 44).

Première partie. Chapitre 3-2. Le « moment » romantique

La scission est capitale, car l’histoire, délestée en quelque sorte de la littérature - telle qu’elle est en train de se théoriser et de se faire dans la voie autoréférentielle vers la grammaticalisation (objet du développement ci-après), l’autonomisation, va se trouver libre de développer une épistémologie capable de tendre vers une connaissance rationnelle du monde et vers une recherche de la vérité. Vaccinée contre la rhétorique et les « microbes littéraires », « sans jamais s’endimancher » comme le préconisent Langlois et Seignobos (Garcia, 2010, p. 446), elle va pouvoir s’adonner à la science et marquer son territoire.

Première partie. Chapitre 3-3. Le « moment » grammatical

3-3. Le « moment » grammatical

La généalogie de la réputation littéraire peut difficilement faire l’impasse – du moins dans la littérature de langue française, sur la fin du XIXe et le début du XXe siècle, période à laquelle Philippe associe l’expression d’« épisode grammatical161 » (2002, p. 10. La grammaire va devenir en effet le foyer d’une évolution qui marquera durablement le statut de la littérature ; elle est « désormais placée au cœur de tous les débats : sur les notions de

‘‘style’’ et de ‘‘langue’’, sur les options critiques, sur les méthodes scolaires, sur les choix d’écriture. » Ainsi, elle devient indispensable à une définition de la littérarité qui unit dans un échange complexe champ littéraire et institution scolaire. De manière volontairement synthétique, Philippe en tire deux conséquences : la définition de la littérature dans la première moitié du XXe siècle se résume à la glose de la langue littéraire elle-même tributaire de la grammaire et c’est cette évolution qui conduira progressivement à la recherche d’un concept propre à distinguer le discours littéraire des autres : la littérarité. Il est cependant important de noter que cette évolution prépare en profondeur la valorisation de la clôture du texte sur sa forme, l’autotélisme, puis la dénonciation dans la deuxième moitié du XXe siècle de l’illusion référentielle :

En mettant au cœur du débat la question de la grammaire, on passait en effet de la définition humaniste de la littérature comme corpus à une définition formaliste de la littérature comme pratique de la langue […]. Ce qui fait qu’un texte est littéraire n’est plus à chercher en dehors du texte lui-même - dans la qualité d’une pensée, l’évidence d’une imagination originale ou la richesse des références culturelles -, mais bien dans le texte lui-même en tant que texte. (2002, p. 12)

Il s’agit donc bien d’une contribution majeure à l’idéologie de l’autonomie et, au cours de ce processus historique durant la période 1850-2000, la langue littéraire va devenir cet objet imaginaire et linguistique défini par :

161 « Assurément, les mots ‘‘grammaire’’ et ‘‘grammatical’’ avaient au tournant du siècle - comme aujourd’hui encore un sens relativement instable et renvoyaient plus souvent à une terminologie scolaire et technique (épithète, relative, complément...) qu’à une méthodologie ou à un niveau d’observation linguistique. Dans son acception la plus étroite, celle qui nous retient ici, le mot ‘‘grammaire’’ correspondait cependant déjà à ce que nous nommerions plus précisément la syntaxe et la morphosyntaxe, c’est-à-dire - pour reprendre une métaphore proposée par Gaston Paris en 1906 - aux deux éléments ‘‘physiologiques’’ du langage (organisation et forme des constituants de la phrase), par opposition à ces deux éléments ‘‘anatomiques’’ que seraient la phonétique et le lexique » (2002, p. 11).

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Un double mouvement d’autonomisation : figement d’une langue perçue comme morte d’une part, c’est-à-dire bloquée à un stade de son développement, condamnée comme telle par certains écrivains, revendiquée par d’autres, mais toujours perçue comme l’autre de la langue ordinaire, désormais réservée à l’expression littéraire comme pratique spécifique ; travail expérimental d’autre part visant à élargir et renouveler les possibilités expressives de la langue en rupture complète avec l’usage courant. (Philippe, 2009, p. 28)

Ainsi, quelle que soit son orientation, classique ou expérimentale, cette langue est perçue « comme l’autre de la langue ordinaire » et s’en distingue progressivement en disant

« indirectement ce qu’[elle] a à dire » (2002, p. 224). Or, ce mode d’expression indirect s’accompagne de notions comme le bon et le mauvais gout, la capacité de bien écrire et de bien lire, en bref des marques de distinction. Une démarcation est ainsi créée et elle exclut d’autres pratiques langagières, d’autres genres et particulièrement ceux dits factuels. Un autre aspect à retenir, c’est que la doxa de la grammaticalisation innerve au-delà des postures, des manifestes, des querelles tout le champ littéraire, elle est le socle à partir duquel se développent les discours et les productions :

On a trouvé, par exemple, de vigoureux partisans d’une approche grammaticale des textes tant chez les irréductibles de l’impersonnalité du style (Maupassant, France...) que chez les zélotes de la personnalisation de l’écriture (Boschot, Proust...) : que l’on considère que la littérature vise un idéal de la langue commune et est en quête de l’unique façon de rendre compte du réel par le langage, ou que l’on considère qu’elle offre d’abord l’accès à une vision du monde particulière et non généralisable, dans tous les cas, l’argument premier se devait d’être d’ordre grammatical […]. Comme toute doxa aussi, la grammaticalisation de la question littéraire fut revendiquée par ceux qui en étaient les plus éloignés et nuancée par ceux qui en étaient les plus proches. (Philippe, 2002, p. 218)

Mais comme Philippe le souligne à plusieurs reprises, ce mouvement général se traduit dans les évolutions de l’enseignement du français. Il est possible de le repérer, malgré les controverses qui émaillent son histoire, dans le fait que s’imposent un

Mais comme Philippe le souligne à plusieurs reprises, ce mouvement général se traduit dans les évolutions de l’enseignement du français. Il est possible de le repérer, malgré les controverses qui émaillent son histoire, dans le fait que s’imposent un

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