• Aucun résultat trouvé

Article pp.361-366 du Vol.27 n°4-5 (2007)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Article pp.361-366 du Vol.27 n°4-5 (2007)"

Copied!
6
0
0

Texte intégral

(1)

© Lavoisier – La photocopie non autorisée est un délit

FOCUS : Sucre, sucreries, chocolat, quelle place ?

Plaisir et chocolat : danger ?

B. Waysfeld

SUMMARY

Pleasure and chocolate: danger?

Despite what is usually said, chocolate rarely appears to be an addictive food; when eaten moderately, it brings comfort and some euphoria. If the daily consumption is over 50 g, it should be considered as a marker of suf- fering and should lead to be medically taken into account.

Keywords

chocolate, pleasure, desire, palatability, threats.

RÉSUMÉ

En dépit de sa réputation, le chocolat n'est que rarement une substance addictive. Consommé sans excès, il possède des propriétés apaisantes et euphorisantes. Au-delà de 50 grammes par jour, il constitue un marqueur d'une souffrance individuelle et justifie alors une prise en charge médicale.

Mots clés

chocolat, plaisir, désir, palatabilité, dangers.

1 – INTRODUCTION

Au sein de la diversité des aliments proposés à nos vastes appétits, le cho- colat ravit la majorité des suffrages en matière de plaisir. Pour la plupart d’entre nous, il s’agit d’un plaisir sans conséquence, sans variation de poids notam- ment (1). Il est vrai que 10 à 20 g de chocolat par jour ne représente guère plus qu’un ou 2 yaourts au plan calorique.

Cependant, pourquoi parle-t-on en allemand du chocolat des veuves (witwenschokolade ») en le décrivant comme l’aliment consolateur par excellence ? Pourquoi parle-t-on en anglais de « chocoholics » par analogie

Psychiatre nutritionniste – Hôpital Saint Michel – 3, rue Régis – 75006 Paris – France.

Correspondance : bernard.waysfeld@wanadoo.fr

(2)

© Lavoisier – La photocopie non autorisée est un délit

avec les autres « holics », « alcoholics » et « workoholics », et en français de chocolatomanie. Existe-t-il une base pharmacologique permettant de ranger le cacao, à l’instar des drogues dures, parmi les substances addicitives ?

Il existe donc manifestement des sujets ou des situations à risque, favori- sant une consommation compulsive. Nous examinerons successivement et scolairement les trois termes de l’équation, le plaisir, le chocolat et le danger.

2 – LE PLAISIR

Il fait partie de l’acte alimentaire normal. Encore peut-on en distinguer diver- ses formes :

2.1 Désir et plaisir

Désir et plaisir sont liés tant dans le registre alimentaire que sexuel. Il peut certes exister du plaisir sans désir, mais celui-ci sera alors de qualité médiocre.

Au plan alimentaire, le désir correspond à la pulsion fondamentale qui peut elle-même se décomposer en faim et envie de manger. De fait, c’est l’envie qui est déterminante car elle déclenche le passage à l’acte alimentaire alors que la faim, même puissante, peut être inhibée par divers états affectifs, stress, colère, angoisse et dépression notamment. Le plaisir quant à lui résulte de la satisfac- tion de la pulsion. L’ensemble peut se résumer par l’équation suivante :

où il apparaît que le désir s’organise à partir du souvenir d’une satisfaction initiale ; la faim, survenant par intermittence, ravive le désir qui convoque à son tour le plaisir dans une cybernétique bien rôdée (2).

Le point de vue psychanalytique qui postule le désir comme lié à l’hallucina- tion de l’objet et au souvenir du plaisir, fait ici écho à l’expression de la jeune génération qui exprime bien souvent son désir en s’exclamant : « j’hallucine ! ».

Au plan pharmacologique, il semble également que plaisir et désir soient liés comme le montrent certaines expériences faites chez le rat : des électrodes implantées dans le noyau accumbens du rat montrent que le taux de dopamine augmente au fur et à mesure que l’animal se rapproche de l’aliment convoité ; ce taux culmine même après que l’animal ait consommé l’aliment. Ainsi désir et plaisir apparaissent indissociablement liés via ce neuromédiateur dit « de la récompense » qu’est la dopamine (3, 4).

2.2 Plaisir et palatabilité

La palatabilité fait référence à la composante affective de la perception de l’aliment ; notamment à ce qui plaît au palais, à ce qui est bon, ce qui suscite la faim et encore davantage l’envie de manger (6). Il y aurait donc des aliments plus

Faim Désir Objet Plaisir

(3)

© Lavoisier – La photocopie non autorisée est un délit

ou moins palatables, des aliments sources de moins de plaisir qu’on ne con- sommerait qu’en cas de faim sévère, sans doute avec des variations individuel- les considérables. En réalité, on remarque facilement que les aliments les plus palatables sont ceux qui présentent habituellement la plus forte densité énergéti- que, le chocolat par exemple. Albert Creff avait l’habitude de dire : « Il y a 2 types d’aliments, les bons et les mauvais ; malheureusement, ajoutait-il, les mauvais sont les meilleurs ». L’obèse complice de cet humour quelque peu ironi- que riait sans savoir que le nutritionniste exprimait là, avec une certaine mal- veillance certes, une vérité fondamentale : ce ne sont pas les mauvais qui sont les meilleurs mais ce sont surtout les aliments qui possèdent la plus forte densité énergétique (ceux qui sont censés assurer un avantage spécifique en termes de survie dans un environnement précaire) qui vont apparaître comme les meilleurs car les plus « nourrissants ». Il est vrai qu’on assiste rarement à des compulsions de radis ou de salades, sauf chez certaines anorexiques devenues plus ou moins orthorexiques ! Une patiente américaine déclarait : « I had a fat attack », comme pour exprimer que c’était malgré elle, que c’était le gras (le nutriment le plus dense énergétiquement) qui lui sautait dessus et non l’inverse !

2.3 Plaisir sans faim

a) Dans des cas pas si rares, l’aliment – plaisir est recherché indépendam- ment de la faim. L’envie certes est présente. Il s’agit souvent de sujets qui, sous la pression de l’environnement, ont mangé en excès et ont dépassé la valeur de consigne de leur pondérostat. Dès lors, n’ayant plus de faim véritable, ils ne peuvent avoir de satiété, ils mangent par envie seulement parce que c’est bon, ils sont devenus « finicky » (de finickyness en anglais, exagération des appétits discriminatifs ; on mange plus quand c’est bon et moins quand c’est mauvais) ; et le chocolat peut évidemment faire partie du voyage.

b) Le plaisir peut aussi servir à masquer une souffrance. C’est d’ailleurs ainsi que l’aliment est le plus souvent utilisé. Si anxiolytiques et antidépresseurs per- mettent d’éviter les angoisses de séparation ou de castration (6), l’aliment per- met aussi de ne pas faire le deuil, de ne pas exprimer sa colère, de lutter contre le vide affectif par le plein alimentaire. Il apporte du réconfort comme l’a bien décrit Jean-Philippe Zermati ; et la question se pose : n’est-il pas pathologique voire dangereux si, en lieu et place du réconfort, il génère à son tour de l’angoisse et de la culpabilité ? (7)

Confronté à une consommation jugée excessive, le sujet va entreprendre de se restreindre et tomber dans les affres de la restriction cognitive (8) : après une première phase de contrôle de ses sensations alimentaires, notre malheureux sujet va en quelque sorte brouiller son tableau de bord sensoriel, ne plus savoir quand il a faim et quand il est rassasié et, à la faveur d’une fatigue, d’un cha- grin, d’une atmosphère festive et souvent alcoolisée, tomber dans la déshinibi- tion, sous forme de boulimies ou de compulsions graves.

Disons-le clairement, c’est surtout chez les sujets en restriction cognitive qu’un aliment particulier peut s’inscrire dans une conduite addictive. En d’autres termes, tant que le produit (ici le chocolat) remplit une fonction adaptative dans la vie d’un sujet qui par ailleurs ne s’impose pas de restriction, le danger reste mineur. À l’inverse, si le recours à « l’aliment-drogue » concerne un sujet déjà en manque, le risque d’une dépendance, en tout cas psychique, augmente.

(4)

© Lavoisier – La photocopie non autorisée est un délit

3 – LE CHOCOLAT

Le chocolat a tout pour plaire : Il est à la fois sucré, amer, doux, onctueux, tendre et craquant…Tout pour plaire majoritairement aux femmes qui représen- tent plus des trois quarts des sujets dans les différentes études (9).

De nombreux travaux ont tenté de corréler les compulsions au chocolat, les plus fréquemment observées, aux substances psychoactives contenues dans le cacao. En particulier, l’étude assez complète de Gibson et Desmond (10) repré- sente une synthèse assez satisfaisante sur ce point : Le chocolat contient à la fois des amines sympathomimétiques, notamment la tyramine et la phenyléthy- lalanine ainsi que des methylxanthines, la théobromine et la caféine. Quelles sont les conditions pour que ces substances puissent jouer un rôle au niveau du système nerveux central ?

1. Ces produits doivent être présents dans le cacao à dose stimulante, voire euphorisante.

2. Les mêmes compulsions doivent pouvoir être observées avec tous les ali- ments qui contiendraient ces substances, et pas avec ceux qui ne les contien- draient pas.

3. Les compulsions doivent pouvoir être réduites par l’ingestion des subs- tances dites actives en l’absence même de l’aliment, ici du chocolat, pour lequel le sujet éprouve ces besoins compulsifs.

Divers arguments plaident en faveur du caractère « non addictif » du chocolat :

a) Les amines sympathomimétiques sont rapidement métabolisées par des enzymes comme la monoamine oxydase à la fois dans l’intestin et dans le foie, si bien qu’elles n’atteignent que peu ou pas le cerveau, encore que des diffé- rences existent selon les sujets (survenue de migraines chez certains pour des quantités faibles de chocolat contenant quelques milligrammes de phenylethy- lamine).

b) En revanche, les méthylxanthines peuvent atteindre le cerveau à des quantités dites psycho-actives, notamment la caféine qui peut donner lieu, en cas d’arrêt brutal, à des symptômes de manque. Mais on sait qu’elle n’est que peu associée aux compulsions au chocolat et que, par ailleurs, le taux de caféine dans le chocolat est plutôt bas.

c) Des cannabinoïdes ont été également décrits, en particulier, l’anandamide présent dans la poudre de chocolat. Certains auteurs ont suggéré que ces pro- duits pouvaient contribuer aux compulsions, bien que l’on n’ait pas noté, chez les sujets « addicts » au chocolat de diminution de leur sentiment de culpabilité ou de modifications de leurs humeurs dépressives.

d) Le fait que les substances psycho-actives du chocolat soient présentes dans une grande variété d’aliments, en particulier le fromage ou le hareng pour les sympathomimétiques sans pour autant entraîner les mêmes effets compul- sifs.

(5)

© Lavoisier – La photocopie non autorisée est un délit

e) Les travaux de Michener et Rozin qui ont montré que la poudre de cacao prise isolément ne modifiait pas davantage les compulsions au chocolat que des capsules de placebo (11).

f) L’hypothèse d’une stimulation des récepteurs opioïdes endogènes ne semble pas non plus spécifique car elle implique tout autant les aliments sucrés et gras pour lesquels il n’y a peu ou pas de preuves de compulsion.

En fin de compte, ce sont les travaux de Michener et Rozin mettant l’accent sur les composantes psychosensorielles du chocolat qui semblent essentielles pour satisfaire le besoin compulsif. Ces auteurs pointent aussi que les calories sont importantes, ce qui pose la question du statut énergétique du sujet compulsif : Le chocolat est un aliment de forte densité énergétique, certes comme les pizzas, les gâteaux et les ice-cream, si bien que l’état de restriction du sujet doit être sérieusement considéré comme élément de renforcement du comportement compulsif.

Ainsi, l’étude de Gibson et Desmond propose des stratégies assez précises en matière de conduite à tenir avec ces sujets compulsifs : Les aliments haute- ment désirés peuvent être consommés de manière brève et en faible quantité à la fin des repas mais doivent être évités chez le sujet qui a faim. Une telle res- tructuration des habitudes alimentaires doit également favoriser la prise de

« snacks » comme les fruits et les légumes plutôt que les aliments de forte den- sité énergétique.

4 – DANGER

Il serait tentant de dire que tant que le plaisir se trouve au service de l’utile, il est « régulé ». À l’inverse, si le recours à l’aliment devenu drogue concerne un sujet déjà en manque (un sujet en restriction cognitive), le risque d’une dépen- dance, à tout le moins psychique, augmente.

Mais le plaisir est-il toujours au service de l’utile ? Il l’est souvent, qu’il s’agisse des grandes fonctions biologiques, nutrition et reproduction en parti- culier. Dans ce registre la beauté est-elle utile ? Sans doute en ce qu’elle per- met l’union des êtres car comme le dit Socrate « le laid ne s’accorde jamais avec le divin, tandis que le beau s’y accorde… Ainsi quand l’être pressé d’enfanter s’approche du beau, il devient joyeux et, dans son allégresse, il se dilate et enfante et produit… » (12). La beauté serait à l’enfantement ce que le goût serait à l’acte alimentaire, un plaisir certes, mais aussi un marqueur, une sentinelle et un régulateur.

Pour en revenir au chocolat, pourrions-nous conclure que sa consommation vaut parfois autant qu’une psychothérapie, que son action est plus rapide et qu’on n’a pas besoin de rendez-vous ?

(6)

© Lavoisier – La photocopie non autorisée est un délit

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

1. LECERF J.M., 2001. Le chocolat et la santé, Entretiens de Bichat, ESF edit (Paris), 110-114.

2. WAYSFELD B., 2003. Le poids et le moi.

Armand Colin.

3. WISE R.A., 1997. Drug self administration viewed as ingestive behaviour, Appetite, 28, 1-5.

4. PHlLLIPS P.E. et al., 2003. Subsecond dopamine release promotes cocaine see- king, Nature, 422, 614-618.

5. FANTINO M., 1999. Plaisir et prise alimentaire : aspects physiologiques, Cah Nutr Diet, 34(3), 149-155.

6. JEAMMET P., 1999. La pathologie du plaisir alimentaire. Cah Nutr Diet, 34(3), 155-159.

7. ZERMATI J.P., 2002. Maigrir sans régime, éd. Odile Jacob, Paris.

8. APFELDORFER G., ZERMATI J.P., 2001.

La restriction cognitive face à l’obésité, histoire des idées, Presse Médicale, 30(32), 1575-1580.

9. DALLARD I., CATHEBRAS P. SAURON C., MASSOUBRE C., 2001. Le cacao est- il un psychotrope ?, Étude psychopatho- logique d’une population de sujets s’iden- tifiant comme chocolatomanes, Encéphale, 27(2), 181-186.

10. GIBSON E.L., DESMOND E., 1999.

“Chocolate craving and hunger state”:

Implications for the acquisition and expression of appetite and food choice, Appetite, 32, 219.

11. MICHENER W, ROZIN P., 1994. Pharma- cological versus sensory factors in the satiation of chocolate craving. Physiol Behav., 56(3), 419-422.

12. PLATON. Le Banquet.

Références

Documents relatifs

Ce premier jalon d’opérationnalisation de la théorie de la distance transactionnelle s’appuie sur deux axes : la structure ou le niveau d’ouverture de l’environnement

Résumé Dix ans après la mise en place de l ’ Initiative séné- galaise d ’ accès aux antirétroviraux (ISAARV) en 1998, nous avons effectué une étude rétrospective afin

En dehors du fait que ces espèces ont tout simplement le droit de vivre, on justifie le plus souvent leur intérêt, pour la découverte de nouveaux médicaments.. Quand on parle

Pour une prise en charge raisonnable et compl e` te de l’ost e´ oporose, Editions Marabout, Dr Serge Rafal, 248 pages, 5 € 90.. Des simples

– les azo-initiateurs utilisés dans certains tests ont l’avantage de générer des radicaux à une vitesse constante, mais leur nature artificielle et l’exa- gération des

L’hypothèse du rôle que pourrait avoir la mémoire dans le goût et l’attirance pour la saveur sucrée au cours du déve- loppement est proposée..

Deux études prospectives récentes ont mon- tré des résultats à première vue différents mis en évidence, pour l’une, une relation entre l’augmentation à 5 ans du tour de taille

Rappelons cependant qu’au cours de l’intervention rapportée plus haut [Van Wymelbeke et al., 2004], dont l’objectif était de savoir si une consommation répétée de