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LES
DEUX ÉCOLES ÉCONOMIQUES/
i ; V*: »
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« ’>M aw.v ice p\o^k>,;-’ ’ , >
Ceux
quiont suivi lemouvement économique
iééA&b?
a'<nières années s’étonneront peut-être de’tyQüsf» voir poser cettequestion:
Y
a-t-ilréellementdeux
écoleséconomiques?Personne n’ignore, en effet, qu’en Allemagne aussi bien qu’enItalie desgroupesd’économistes se sont constituésen réformateurs de lascience , ils se sont solennellement,ilest permisde dire
bruyamment,
séparés des autres économistes,ils ont lancé des
programmes, non
sans accabler de repro- ches ceux qui sont restés fidèlesaux
doctrines reconnues jusqu'alorscomme
seules vraies, saines, orthodoxes. Les novateurs ontnaturellement été traités d’hérétiques. Quel- ques professeurs allemands sesontmême
écartés assez loin des doctrinesd’Adam
Smith, de J.-B. Say, de Rossi pour avoirpu mériterladésignation de« Socialistesdelachaire»,dénomination qu’ils ontacceptée d’assez
bonne
grâce, et qu’ils ont presque consacrée en fondant la Société depoli- tique sociale. Les polémiques ont eu letemps
de s’adoucir, lesinimitiés de la première heure ont cédé à laréflexion, maisil n’en estpas moins resté des différences notables, moins profondes qu’on pouvait le penser au début, mais qûi n'en ont pasmoins
besoin d’être caractérisées avec soin, d'êtreexaminées
àla lumière de lascience.11 n’estpas nécessaire de le dire, la nouvelle école pro- cède parla critique, par l’attaque; elle cherche lescôtés faibles de la doctrine établie, et
comme
touteœuvre hu-
maine a des défauts,comme
tout savoirhumain
a desla- cunes,elle entrouve : mais le plus souventelle neparvientNOUVELLESÉRIE
—
XII. 45POLITIQUES.
à démontrer Jqu’une chose, c’est qu'elle a
une
autre ma*nière de voir etde raisonner, ou plutôt d’autres tendances quel’ancienneécole.
Nous
montrerons qu’elle n’a jamaispu
rian.réfuter ni rien édifier.P.âi>li/çs;,fio.i>dateurs ou les chefs de la nouvelle école,
• # * • *
nous devonsôfl.$0mgier surtout quatre, qui sont
évidemment
9 *• * • f ** • #
...•d
#ej^sp«t^;distingpé
#
s, des
hommes
d’un vaste savoir,tous les quathê'proîësfêiÿ^ d’économie politique en Allemagne, Leipzig,*M. Hildebrand, à Iéna, M. Knies, à Heidelberg-,«M*:Çcàimoller, à Strasbourg. Les doctrines de ces savants se distinguent entre elles pardes nuances que nouspouvons
négliger, elles s’accordent enun
point, celui de reprocheraux
disciplesd'Adam
Smith la raideur de leurs principes, l’expression absolue de leurs propositions, la prétention d’avoirtrouvé des lois économiques. Il n’y apas delois économiques, s’écrient-ils; l’économie politique est essentiellement changeante; les théories reliètent l’organi- sation sociale de l’époque. Autres temps, disent-ils, autresmœurs;
autres pays, autres intérêts.En un
mot, toutest relatif.Ily aurait doncdeux
écoleséconomiques : l’écoledes principes plusou moins absolus, etl'école des faits,règles, préceptes relatifs.Les termes d'absolu etde relatifontétéemployés, mais il
enestd’autres qu’onretrouveplus
fréquemment. Nous
de- vons mentionner avant tout les dénominations proposées par M. Roscher, car c’est lui qui a inventé—
ou du moins quia appliqué pourla premièrefois, en 1838, à l’économie politique—
l’expression deméthode
historique, expressionqui, depuis lors, a joué
un
certain rôle dansla science.C’est M. Roscher qui est considéré
comme
l’initiateur de« l’École historique», qui a trouvé des adhérentsjusqu’en Angleterre(M. ClifFe Leslie) eten Italie(M. Luzzati et les
économistes qui se groupent autour de lui)v Mais sil’école historiqueest celle de M. Roscher,
comment
caractérise-t-il l’écoleopposée? Il l'appelle : laméthode
idéalistique/ Ainsias
o
0*3
aeoctWvver
,?j5
707 LES DEUX ÉCOLES ÉCONOMIQUES.
l’éminerit professeur de Leipzig ne connaît encore que des différences de méthode, il lescaractérise à peu près en ces termes : Lune, celle des économistes, estfondéesurl’obser- vation, surl’induction, elle présente les
hommes,
tels:çfu'ilssont; l’autre part d'une idée préconçuè, ellelprocède par déduction et expose
comment
leshommes
deyrajeru être; c’estleprocédé des socialistes. Ce s§at4a;dés’diStihstioris?
soit dit en passant, tout à fait conforme
sa
notre r^a^ièra;de voir. Maisvingtans plus tard, en 1874,', M.,
R
pocher pu-blie
une
Histoire deVéconomie
politique en Allemagne.Dans ces vingt années, le
mouvement économique
aété ac-tif en Allemagne,etM.Roscher oppose maintenantà l’école historique
non
plus l’école idéalistique ou le socialisme, maisl’école abstraite , c'est-à-dire celled’Adam
SmithetdeJ.-B. Say; il considère
comme synonyme
de« historique » les termes«réalistique » et aussi « éthique » employés de préférence par quelques-uns de ses collègues. Il insiste aussi plus qu'autrefois surce que l’économiepolitique a derelatifet se déclarebien plus énergiquement contre les lois
économiques. Ainsi, ce n’est plus à la
méthode
dessocialis- tes, maisà cellesd’Ad. Smith qu'il oppose lasienne.Nous
retrouverons plus loin M. Roscher, passons à M.Bruno
Hildebrand.M. Hildebrand publiaen
décembre
1847 unlivre intitulé :L
Économie
nationaledu
présent et de l’avenir. C’est letome
1er d’un ouvrage, dont la suite n’a pas encore paru, bien quel’auteur aitpublié depuis cette époquenombre
de travaux (1). Ce premiervolume
traiteduprésent, letome
IIdevaittraiter de Yavenir; c'était en effet
un
problème un peu difficile, et nouscomprenons
quel’auteur aitreculé de- vant lasolution. M. Hildebrand préconise aussi laméthode
historique, maisil rend
complètement
justiceàAdam
Smith.(1) L’auteur vient de mourir. Ce livre, autitre prétentieux, restera donc inachevé.
pî.7
1SLO
45
« Cequi le distingue, dit-il p. 19, c’est la
méthode
claire et pratique de son exposition Il déduit toutes sesproposi- tions de faits très-bien choisis, il conduit ainsilelecteur• *
dds* g'fofpn.dçurs de la vie réelle
aux
régions élevéesdes^thléorîeVib^traîtèsj.’et de ces hauteurs il le
ramène
au do-;npine*da.l.a réalité* et lui
communique chemin
faisant les ob&ervâÊicmsJi^prtçues lesplus instructives. »Adam
Smith .$e rite.doncafimwreproche,
mais ses disciples -- selonM*.‘‘Éilduél/ah^*
4
- ontabandonné
laméthode
historique, pour se lancer“dans les abstractionspures. L’assertion de M. Hildebrand sera examinée, mais nous pouvons bien ex- primer ici notreétonnement
de ce que les disciples de M. Hildebrand n'aient pasgardépour Adam
Smith labonne
opinionexprimée par leur maître. M. Hildebrand est un des premiers économistes quiprofesse les doctrines qu’on a dé- signées plus tardcomme
le socialisme de lachaire. Il ne se borne pas à critiquer la prétention des économistes, de formulerdes lois, ou plus exactement, de dégager les lois des rapports économiques, qui existent entre leshommes
etentre lesnations,il dresseunvéritable réquisitoirecontre la science des Turgotetdes
Adam
Smith, l’accusantde pré- coniser l’égoïsme, l’individualisme et le matérialisme. Ces vues, exposées dans lapremière livraisond'une revuemen-
suelle qui paraît depuis 1863 sous letitre (¥
Annales
d'éco-nomie
politique et de statistique (1) sans pouvoir encore être qualifiées de socialistes, ont servi de pont à plusd’un de ses successeurs qui ont adopté les opinionsquenousau- rons à combattre.Mais nous avons d’abord à faire connaître le troisième en date des quatre économistest[ue nous avons
nommés. Nous
voulons parlerde M. Charles Knies, professeur à Heidel- berg, l'auteur d’un livre remarquable, malgré les erreurs qu’il renferme,un
livrequi fait penser, qui intéresse pro-(1) JahrbücherfurNationalœkonomieu. Statistik.
709 LES DEUX ÉCOLES ÉCONOMIQUES.
fondément
même
ceux quine partagent pas sa manière de voir. Ce livre, qui aparu en 1853, est intitulé: L’économie politiqueau
point de vue de laméthode
historique (1).C’est M. Knies qui, lepremier, nous explique ce qu’il faut entendre par
méthode
historique. C’estdans cetouvrage, et plusrécemment
dans unessaide M. Cliffe Leslie à Londres, qu’on a sérieusement cherché àla'déflnir(2), Jusqu'alorson pouvait confondre cetteméthode
avecl’histoiredelascience économique, ou aussi avec l’histoire de l’évolution sociale des peuples; la confusion n’a pascomplètement
disparu, mais on saitun
peumieux
de quoi il s’agit, et surtout où aboutissent les doctrines qui se couvrent de ce drapeau.Pour
M. Knies,laméthode
historique consiste dans l’asser- tion que chaque peuple, et surtout chaque époque, a son économie politique spéciale, et qu’au lieu de déduire la science des principesgénéraux
et des lois naturelles, ilfaut l’induiredefaitscontemporains. Iln’y a qu’une succes- sion de faits économiques, ces faitschangent avec les
hom- mes
et les sociétés;l’homme
les produitet ne les subit pas.M. Knies n’afait que donner
une
forme philosophique à des propositions qui avaient cours depuis déjà quelque temps. Frédéric List les avait soutenues dans l’intérêt du système protectionniste, des socialistes s’en étaientempa-
rés, car c’était,
comme
on dit, «amener
de l’eau à leur moulin. »Pour
les socialistes, la société actuelle est le ré- sultatd’une longue suite de violences, de spoliations, d’in- justices; ils n’ontqu’un désir, la changer du tout au tout.L’undes principauxarguments qu’on faitvaloircontre eux, c’est que, la société
comme
leshommes,
obéissent à des lois naturelles.En
vain, leur dit-on, chercheriez-vous à réorganiserla sociétéselon vos vues, ellp. résisteraità tous(1) Die politische (Economie
vom
Standpunkt. der geschichtlichen Méthode.(2) On thc philosophical Méthode of political Economy. Londres, 1876.
MORALES ET POLITIQUES.
vos efforts, et vos victoires
même
n’auraient qu’un effetmomentané;
le lendemain de votre triomphe, s’il était pos- sible, les chosesreprendraientleurtrain.Vous
pouvez dé- molir,mais vous ne sauriez édifier. Les socialistes répli- quent :Vous
niez l’histoire.De même
qu’une sociétécom-
prenantdes esclaves a été suivie d'une société où florissait leservage, et qu’après celle-ci estvenue une
société où règne lecapital, demême
verrons-nousse réaliserle régi-me
du travail universel. Il n’y a pas de loi économique,œuvre
de la nature; c’est l'État quifaitles lois, il ne dépend que de luide changer l’organisation sociale actuelle. L’État est toutpuissant.— Deux hommes
d’un talent incontesta- ble sesontchargés de répandre cesvues, Lassale parmi les ouvriers, M. KarlMarx
parmi lessavants, car son ouvrage:Le
Capital, n’est pas àla portée de tous. Les savants, et spécialementles professeurs d’économie politique, l’ont lu;ce livrea
évidemment
influencé leurs idées, ils font usage d'une partie de sa nomenclature, et les tendances, qui s’étaient manifestéesjusqu’à présent sous la forme d'une école historique se posantàcôté d’une école philosophique ouabstraite, ces tendances disons-nous, ontprisun
carac- tère plustranchéet se sontformellementconstituéesen une nouvelle école souslenom
de Société de politique sociale.c’est-à-dire Société des applications sociales. Cette société s’est réunie
pour
la première foisà Eisenach, le 6 octobre 1872, et M. Schmoller, actuellement professeur d’économie politique à Strasbourg, s’estchargé de faire connaître les doctrines, ou plus exactementl'esprit de la nouvelle école.Après avoir constaté l’antagonisme qui règne entre les
‘patrons et les ouvriers, entre les classes aiséeset celles qui vivent de leur gain journalier, antagonisme qui nous
me-
nace d'une révolution sociale, le savant professeur exprime des doutes surla possibilité de conjurer le danger à l’aide des doctrines économiques qui préconisent la liberté de l’industrie, etil sedemande
si l’on a eu raison de faire dis-LES DEUX ÉCOLES ÉCONOMIQUES. 711
paraître, sans la remplacer, l’organisation industrielle du
moyen
âge. Surce point, dit-il,deux
manières de voir se sontfaitjour. L’une, restant fidèle au principe de laliberté absolue.continueànevoirle salut que dansl'initiativeindi- viduelle, dans les efforts que chacun ferapour
améliorer sa position, tandis que l'autre aperdu toute confiance dans cet agent du progrès.Le
savant professeur entre alors dans quelques détails sur la situation politique etéconomique
de l'Allemagne, rappelle que depuis quelquetemps déjà onremarque
dans lemouvement
scientifiquedeux
courants, l’un représentant l'école philosophique ou abstraite (ouan- cienne), et l’autre l’école historique ou réaliste (ounou-velle), etilpense quele
moment
d’agir estvenu. L’école qui se constitueestaussi éloignée de la glorification de l'indivi-du que de la théorie absolutistique de toute puissance de l’État. Selon cette école, latâche del’Étatvarie avec les cir-
constances; elle esttantôt restreinte, tantôt étendue, mais
l’État n’est jamais,
comme
leprétend le droit naturel, oucomme
le soutiennentles libres échangistes,un
mal néces- saire, il est et sera toujours «l’institution morale la plus grandiose pourl’éducationdu genrehumain
»Bas
grossar-tigste sittliche Institut
zur Erziehung
desMenschenge-
schlechts.
M. Schmolleret ses amis ne nient pas les progrès « bril- lants etinouïs»de la production, mais ils proclament aussi les défauts de la société actuelle, l'inégalité croissante des fortunes, le
peu
d’honnêteté ducommerce,
la brutalité des classes inférieures.Comine
cause principale de cesmaux,
ils signalent l’habitude de n’envisager les inventions, les
mesures
d’organisation ou delégislation qu'au pointde vue des progrès de la production, et jamais à celui des effets qu’elles auront surla moralité deshommes.
L’orateur déve- loppece pointavec beaucoup d'éloquence, maisnon
avec toute la clarté désirable, car après avoir protesté avec beaucoup d’énergie contre toute idée rétrograde, aprèsavoir affirmévouloir maintenir «la législation
économique
existante, lesformes existantes de la production», il an- nonce vouloir réformer ce qui existe, etcelapar l'interven- tion de l’État. L’orateur termine par une invocation au grandidéal qui doitinspirerl’Étatettousceuxquivoudront coopéreràla solution dela questionsociale.
Du
brillantdiscours de M. Schmoller, il résulterait que desdeux
écoles, l’une celle des économistes libres-échan- gistes, n’a pas assez decompassion pourlesouvriers,qu’elle est indifférente àla moralitédeshommes,
et en tout cas qu’elle atropde confiance enl’initiativeindividuelle, tandis que l’autre école necomprend
pas le progrès matériel sans le progrès moral, affirmant enmême temps
que le vrai progrès, le progrèsréparti également entre toutes les classesdela société, nepeut-être réalisé qu’avec l’interven- tionde l’État. L’État, en effet, peutralentir les progrès de ceux qui marcheraienttrop vite etdépasseraient le niveaucommun.
Il estjuste de dire que M. Schmoller ne s’expri-me
pas aussicrûment, maisun
autresavantdumême
groupe,M. de Scheel, alorsprofesseur à l'université de Berne, s'est
chargé de mettre les pointssurles i(Die Théoriedersocia- len Frage, p. 75 etc. etc), et
un
autre encore, M.Hermann
Rœsler,professeurà l’université de Rostock, voulant carac- tériserlesdeux
écoles «l’ancienne etla nouvelle », opposelacausalité àlalégalité, la guerre à la paix, l’empire des intérêts à l'empire de lajustice etde la liberté, réservant naturellement la légalité, la paix et la justice pourla nou- velle école,dont ilse proclame l'un des fondateurs. (I).
Nous
allons maintenantexaminer
de plus près les points qui différencientlesdeux
écoles ou, si l’onveut, lesdeux
méthodes.(1) Diealte and dieneueNationalœkonomie.
LES DEUX ÉCOLES ÉCONOMIQUES. 71
I
Le
premier point que nous examinerons, c'est la mise en opposition, si fréquente aujourd’hui, de laméthode
histori- que et de laméthode
philosophique.Nous
négligerons dans cette étude la foule des élèvespourlesquels lemot
histori- que estdevenu un
drapeau, et nous ne nous en prendrons qu’aux maîtres,aux
initiateurs dumouvement. Nous
re- trouverons toutà l'heure M. Roscher, qui a pour ainsidire inventé le mot, arrêtons-nous avant tout sur l’ouvrage deM.
Knies, qui a consacré toutun
livre, etun
livreremar-
quable à la question. Si nous voulions esquiver la discus- sions nous trouverions dans ce livremême
de quoi opposer une fin de non-recevoirà hauteur. Des divers passages qui s’y prêteraient, nous prenons,comme
le pluscomplet, celui que nousallonstraduire (PolitischeOeconomie
, p. 323).«
On
sait que pour faireressortir une opposition tranchée entredeux méthodes
scientifiques, onparle d’uneméthode
philosophiqueet d’uneméthode
historique. M.Roscher
l’a fait également dans l'introduction de sesÉléments
d'écono-mie
politique, afin d’appeler l’attention du lecteur sur sa manière particulière de traiter les questions économiques.J’ai de la peine à
comprendre
cette opposition, surtout sion laisse aumot méthode
son sens étroit habituel.La méthode
philosophiqueserait-elle celle qu’emploientlesphilosophes,comme
les naturalistes se serviraient de la leur?Dans
ce cas, cette définition ne nous avanceraitguère, car les pro- cédés de recherche diffèrent tellement d’un philosophe à l’autre, que la généralisationferait disparaître toute préci- sion; pour avoir uneidée nette, il faudrait s’en tenir àun
philosophe déterminéou àlaphilosophie d’uneépoque
don- née. Car quelle différence n’y a-t-ilpas entre les méthodes des philosophes, depuis celles de Descartes et de Bacon, jusqua celles de Hegel et de Herbart. Pourra-t-on jamais opposer uneméthode
philosophique etnon
historique, àMORALES ET POLITIQUES.
une
méthode
non-philosophique et historique, bien que telouvrage puisse avoir mérité
une
pareille combinaison d’é- pithètes? »Pour montrer
ensuite, d’une manière pratique, les dé- fauts de cetteopposition, il cite l’exemple de M. Roscher.« Aussi, dit M. Knies,
quand
M.Roscher
veut caractériser ladifférence entre laméthode
historique et laméthode
phi- losophique, » il n'indique pas les différentes méthodes en usage dans lamême
science, il se borne à signaler la diffé-rence qu’ilya entre la philosophie et l’histoire. «
Le
philo- sophe, ditM. Roscher, rechercheun
système de concepts et de jugements aussiabstraitsquepossible, c'est-à-dire aussi dégagé que possible de toutes les contingences de l’espace et du temps; l’historien s’attache à la description des déve- loppements et des rapports humains, copiée aussi fidèle-ment
que possible sur la vie réelle. L’un a expliquéun
faitquand
il l’adéfini, et que dans sa définition ne figureaucun
conceptquin’ait étéexaminé
dans lespartiesantérieuresdu système; l’autre, lorsqu'ildépeint leshommes
qui ontcausé ousubi le fait. » M. Kniesmontre
aisémentque M.Roscher
n’a fait que décrire des
méthodes
propres à des sciences différentes. Continuantladiscussion, M. Kniesarrive àcette conclusion (p. 424], quel'opposition de laméthode
histori- que àlaméthode
philosophique est nichtssagend, « ne di- santrien, » ou,pourlemoins, « une expressionmal
choisie.»Mais une findenon-recevoirnefait pasavancer lascience.
Abordons donc la vraie difficulté. M. Knies oppose la
mé-
thode historique à Yabsolutisme de la théorie. Voicicom- ment
le savant professeur de Heidelbergdéfinitsaméthode
historique: «Contrairement à l'absolutisme de la théorie, laconception historique de l'économie politiquerepose sur ce principe que lathéorie économique,comme
la vie éco- nomique, sous quelque forme que nous la trouvions, et de quelques arguments et résultats qu’elle soit armée, estleproduitdu développement historique; qu’elle est dans un
715
LES DEUX ÉCOLES ÉCONOMIQUES.
rapport organique avec tout ce qui constitue
une
période dans l’humanité ou dans l’histoire d’une nation; qu'elle est la résultante des conditions de temps, d'espace, de nationa-lité ; qu’elle tire ses
arguments
de la vie dans l'histoire (geschichtliciiem Leben), et doitdonner
àses résultats le caractère de solutions historiques; que les ;< lois générales»de l’économie politique ne sont que des explications histo- riques, et qu’une manifestation progressive de la vérité, qu’à
aucune
époque la science ne peut être considéréecomme
achevée, et qu’une théorie absolue, si elle s'est fait accepter àun moment
donné, n’est qu’un enfant de son temps, etmarque
une étape dans le développement histori- que de l’économie politique.Ainsi, voilà la thèse; il n’y a pas de lois économiques, il
n’y a qu'une théorie relative, celle qui se rapporte àlavie
économique
d’une nation àun moment
donné, et pour leprouver, l'auteur interprète à sa manière
un
certainnom-
bre de faits. Si M. Knies avait dit seulement que l’économie politique est
une
science d'observation, qu’elleemprunte
à la vie réelle, à la succession des faits, tous ses arguments, tous ses principes, nous n’aurions euaucune
objection àluiopposer; oui, certainement, l'économie politique est
une
science d’observation. 11 est encore vrai que la science se développe, progresse, se perfectionne et n’estjamais ache- vée. Mais heureusement, elle n'apas àrecommencer
tous lesjours le tissu de ses vérités; celles qu'elle a dégagées restent acquises; ellesne seperdent plus. Ce que lascienceéconomique
recherche, ce ne sont pastant les faits, quelesenseignements qu'ils renferment, les rapports qui les re- lient entre
eux
et avec les autres faits. Les résultats ainsi obtenus, s’ils ne devaientéclairer que les casobservés, s'ilsne devaient pas jeter une vive lumière sur tous les cas semblables ou analogues, seraient à peu près stériles, et l’on pourrait se
demander
s’ils valent la peine d’être en- registrés.MORALES ET POLITIQUES.
Il ne serait pas exact de dire qu'on confond en Allema- gne les faits etleurenseignement, ouleurthéorie;M.Knies, spécialement, fait de louables efforts pour les distinguer, maisl’emploi du
mot
Volkswirthschaftle gêne évidemment, et gêne davantage d’autres économistes: ce mot, dont la traduction littéraleest« économiedu
peuple» s'emploie in- différemment pour situationéconomique
d’un peupledéter-miné
et pour économie politique.Nous
pourrions, si nous nevoulions éviter toute digression, montrer que le choix des mots a euune influence sensible sur les doctrines éco-nomiques
en France, en Angleterre, en Italie, nous l’avons constaté souvent, mais nulle part cette influence n’a été aussigrandequ’en Allemagne, depuis quelemot purement
allemand de Volkswirthschaft aété substitué à l’expression demi-étrangère de Nationalœkonomie.o
upolitische Oecono- mie. Sans cette confusion dont, par l’effet de l’habitude, on n'apas toujours conscience, on n'aurait jamais confondu le fait avec la loi.De
ce que, àune
époque donnée, la société étaitorganisée autrement quedenosjours, il nes’ensuit pas queles principesvrais de notrescience, n'aient pasété vrais entouttemps. Dira-t-on que la terre n'estpasune
planète, parce que les anciens la croyaient le centre dumonde.
Les rapports naturels entre les choses ne changent pas au gré de l'idée que s’en font leshommes.
Mais, objecte-1-on, les choses n'existant pas dans l’antiquité, les rapports ne pou- vaient pas exister. Sans doute, nous nepouvons
pas parler de l’influencedes chemins defer au temps de Périclès; mais Thucydide vous dira que Corinthe dut ses richesses à la fa- cilité de ses communications par mer. C’estun
autre fait,mais c’est la
même
loi. Ce que la scienceéconomique
cons- tate, c’est moins l’identité desphénomènes,
que l’identité des rapports de causalité.Nous
citions toutà l’heureThu-
cydide; nous venonsdele relire parceque nous avonstrouvé dansun
livre de M. Roscher, traduit en français en 1872 sous letitrede Recherches surdivers sujetsd'économie po-717 LES DEUX ÉCOLES ÉCONOMIQUES.
litique (1). p. 8, ce qui suit: « Je
remarque
encore, en ter- minantce sujet, que, dans leshuit livresde son Histoire, ilne se trouve pas, à
ma
connaissance,une
seule erreur éco- nomique. » Ajoutons encore une citation, c’est M.Roscher
qui parle : « Simaintenant nous passons de la théorie à lapratique de V
économie
politiquechez lesanciens, noustrou- verons que cette science, dans ce qu’elle ad’essentiel, s'estdéveloppée
conformément aux mêmes
lois naturelles que chez les peuples modernes. C’est justement sur le terrain de l’économiepolitique qu’on a lieu d’êtrele plus surpris de lamultitude des analogies frappantes quiserencontrent en- tre l’histoireancienneet l’histoiremoderne;
nullepart peut- être ces analogies ne sont si nombreuses, parce que c’est icique les rapportsles plussimples et les plus élémentaires de lavie sont mis en question. » Et M.Roscher
a raison.Les rapports entre l’acheteur et levendeuront toujours été les
mêmes
: entre esclavesou entrehommes
libres, les mar*chandises rares étaient chères, et l’abondance en avilissait le prix.
II
Nous
venons d’examiner ce qu’on a dit en faveur de laméthode
historique, étudions maintenantce qu’on a écrit contre laméthode
philosophique, c’estune sorte de contre- épreuve que nous allons tenter. M. Cliffe Leslie, professeur distinguéd’économiepolitique à Londres, etauteurdenom-
breux travaux que nous nous proposons de faire connaître un jour, vientde publierune dissertation intitulée :On
phi- losophicalmethod
ofpoliticaleconomy
(2). L’auteur, après avoirrappelé les définitionsd’Adam
Smith, de Senior, de Stuart Mill,résume
ainsiles doctrines de ces maîtres etde leurs disciples: «La
nature de la richesse (wealth) est ex-(1) Paris, Guillaumin et Cie.
(2) Heraiathenan° IV, 187G.
718 ACADÉMIE ET POLITIQUES.
pliqiiée en ladéfinissant
comme
l'ensemble des objets querhomme
désire, objets dont l'offre est limitée, et qui ontune
valeuréchangeable.Pour
exposer les causes qui enrè- glent laquantitéetla distribution, on dit, que le désir d'ac- quérir des richesses porte l’homme, dans les paysoù
ré- gnent la sécurité et la liberté, à travailler, àaccumuler des capitaux, à s’approprier le sol, à diviser le travail, à faire lecommerce,
àemployer
les monnaies; il en résulte un accroissement continuel de lamasse
des richesses, et leur distribution en salaires, profits, renteset en prix despro- duits, proportionnellement au travail, à l’épargne, aumon.
tantducapital, à la quantité et àla qualité du solfourni ou possédé par chaque individu.
On
ajoute, que, la féconditéhumaine
tendant àaugmenter
la population selonune
pro- gression géométrique, tandis que la productivité du sol est limitée, la proportion de la rente du solaux
salaires etaux
profits, tend à s’accroître avec les progrès de la so- ciété. »Nous
avons traduitlittéralement cet exposé, et nous nous abstenons de l'apprécier. L'auteur continue:«La
théorie qu’on vient de soumettre au lecteur, est illusoirecomme
solution du problème.
En
premier lieu, ellejette à peine quelques lumières sur la nature de la richesse. » Ainsi, voilà l’objection, la critiquede M. CliffeLeslie: la définition des économistes n’entre pas dansdes détails, donc elle est insuffisante. M. Cliffe Leslie aurait voulu, qu’au lieu de dire brièvement que larichesse secompose
de tous les biens quel’homme
peutdésirer, oneût tenté l’énumérationdeces biens. Il lacommence
: « terres, maisons, meubles, vête- ments, outils, armes, ornements, animaux, blé, vin,mon-
naies, tableaux, statues, livres » et ajoute, que ce n'est là
encore qu’une faible partie de la richesse. Faudrait-il donc
faire l’énumération complète de tous les objets nécessaires, utiles, agréables,de tous ceux qu’un
homme
ou unefemme
a pu désirer à
une époque
quelconque? Était-il réellementLES DEUX ÉCOLES ÉCONOMIQUES. 719 indispensable, pour compléterla définition, de mentionner, avec M. Cliffe Leslie, lesjoyaux dupetitprince turc, ou les turbans en tissus précieux des Punjabees, ou les'diamants du
Schah
de Perse. 11 nous est difficile de l’admettre.Nous avouons
aussinepas trouverbiengrave lereproche, adressé àla définition usuelle, d’être abstraite. Certains économistes affectentde considérerl’abstractioncomme
l'ennemidugenre humain, ils devraient pourtant savoirque la science ne sau- raits’en passer.Nous
ne leur ferons pas l’injure de dire, qu’ils s'en passent.Le
premiergriefde M. Cliffe Leslie contre « the doctrine of abstract politicaleconomy
» c’est qu’ellen’explique pas lanature de larichesse; le second est dirigé contre cette proposition que c’estledésir deposséder larichesse ou les objets utiles qui en provoquela productionet l’accumula- tion. Lesavant économiste anglais s’élève contre cettenou- velle abstraction. Il n’est pas exact de dire que tous leshommes
travaillentpour être riches, ou pour avoirle bien- être, il en est quitravaillentpour
obtenir lagloire militaire, ou des honneurs civils et politiques, ou la célébrité litté- raire, ouils sont poussés par d'autresmobiles encore queles économistesont le tort de vouloir
comprendre
dansune
même
synthèse. Les moralistes, dit-il, quoiquepartant d’un point de vue opposé, sonttombés dans lamême
erreur et ont compris, sous une abstraction Xamour
de la richesse,l’amour de lavie, de lasanté, de la propreté, de la décence, le savoiretl’art, en
même
temps que la sensualité, l’ava- rice et la vanité(p. 6).Nous pouvons abandonner aux
mora-listes le soin de se laver de ce reproche, mais nous devons citer unautre passage que nous trouvonsàla
même
page 6 de la dissertation de M. Cliffe Leslie: «La
division du tra- vail, lemécanisme
de l’échange et l’intervention de lamon-
naie ontfaitapparaître la richesseabstraitecomme
lemo-
bilede la production, et ont voilé cette vérité, que lapro-
duction est provoquée par les besoins des
consommateurs
« ihe
demands
ofconsumers
determiningthe commodities suppliedbyproducers. » Ce n’estpas lemoment
d’examinersi cette proposition est neuve, nisi elle est bonne; ce qui saule
aux
yeux, c'est qu’elle est abstraite. M. Cliffe Leslie s’estdonc également rendu coupable d'une abstraction. Et par quoi se distingue l’abstraction de M. Cliffe Leslie de celledes autres économistes? Ceux-ci disent:l’homme
tra- vaille pour devenir riche (ou aisé), celui-là :l’homme
tra- vaille pour cesser d'êtrepauvre.Nous
avions donc raison de dire que la science ne peut pas se passerd'abstractions.Quand
M. Schmoller proclame, queladirection du progrèsdoit être mise entrelesmains de l'État, il énonceune
abstraction;quand
M.de Scheel en- seigne, quela révolution de 89 ayant produit l’égalité poli- tique, c’estànous d’établir l’égalité économique, ilcommet
une abstraction ; enfin— pour
ne pas trop prolonger l’énu- mération— quand
M.Hermann
Roesler faitquelque peuin- tervenir Dieu dans la fixation duprix des marchandises,c’estencore de l'abstraction. Mais nous n’insisterons pas.
Nous
aimonsmieux
donner la parole àun
économiste émi- nent, qui aconsacréun
livre spécial à réfuter les critiques opposées à laméthode
philosophique.Nous
voulons parler de M. J.-E. Cairnes, autrefois professeur à Dublinet qui a été ensuite titulaire de la chaire d’économie politiqueau collège del'Université, à Londres, où il estmort
vers la finde 1875.
Le
livre auquel nous venons de faireallusion est intitulé:The
character andlogicalméthod
ofpolitical eco-nomy
(Londres, 2e édition 1875.)Nous
y prendrons quel- ques passages danslesquels l’auteurexamine
la valeur de laméthode
inductive—
c’est chez les économistes alle-mands, chez
M.
Cliffe Leslie et quelques Italiens qui se groupent autour d’eux— un
parfaitsynonyme
de lamé-
thode historique.LES DEUX ÉCOLES ECONOMIQUES. 721 M. Cairnes abordantles critiques adressées à la
méthode
philosophique (ou abstraite—
déductive—
logique),dit (1):Selon les partisans de la
méthode
inductive, on « doitcommencer
parrecueillir etclasserlesphénomèneg.pojacfe*fi-\nantlarichesse, les prix, les salaires, la Çeà^\lVgJi,**îes profits, les importationsetles exportations, •Fafccroisgôm^nt*.
ou la diminution de la production, les ;(!hjin£<ejnefttf3.du
mode
de distribution; enun
mot, aufaflt:cfu’on jaeuM$s\
déterminer, tousles faits fournis parrexpérietK^#d^.*:chtfé:-*
rentes contrées. Ayant réuni tous ces matériaux*, l’écono- miste doit s’élever, par voie d’induction directe ou indi- recte, jusqu'aux causes et
aux
lois qui les gouvernent.Maintenant
—
c’est toujours M. Cairnes qui parle—
pourcomprendre
l’extrême futilité—
the utter futüity,—
l'im- puissanceinévitabled’unepareillemanièredeprocéder pour résoudredes problèmes économiques, on n’aqu'àse rendrecompte
de la nature de ces problèmes. Lesphénomènes
de larichesse, telsqu’ilsse présentent à nos yeux, sont des plus compliqués auxquelsune
recherchespéculative puisse avoiraffaire (withwhich
spéculative inquiry lias todeal).Ils sontle résultat d’une grande variété d’influences, agis- santsimultanément, serenforçant, se contrariant, se modi-
fiant les unes les autres, de la manière la plus diverse. » M. Cairnes cite
comme exemple
les causesnombreuses
qui concourent àla fixationdu prix d’une marchandise, àun moment
donné. Ildémontre
ensuite, en s’appuyant sur laLogique de J. Stuart Mill que, pour arriver à une loi au
moyen
de l’induction, il faut pouvoir expérimenter. Il faut pouvoir isolerun
fait, le placer dans lescirconstances les plusdiverses, et constatercomment
il s’ycomporte. Mais cela n’est guère possible en matière sociale. «On
est obligé deprendre lesphénomènes
économiquescomme
ils sepré- sentent dans lavie< avec toute leur complexitéetleur va-(1) The logicalmethod ofpolitical Economy, p.62.
NOUVELLE SÉRIE.
—
XII. 46ET POLITIQUES.
riété
constamment
changeante; mais desfaits quisepré- sententainsi, l’économiste, s’il neveut pas choisirune
autre;Vt>i*e qjie la seule induction, pourra raisonner, ditM. Cair-
•nésj*4Âil o
f doom
,jusqu’aujugement
dernier, sans•arriver
VatLC&nç
conclusion qui ait lamoindre
valeur. » Si epêfiKlant ;Oiî ijrrçprofitdel’induction,c'est qu’onla combine Souvent àsoÂ:i*ns.*u.&vecde la déduction.Nous
avons tous;nü/f<(tott/l^
#^ijnaissances acquises, soit de la naturehu- maine,’sdit*Viê l’organisation politique et sociale, et en gé- néral du rapport des choses, et nous ne
manquons
pasd’en faire usage. Les faits ordinaires, nous les classons selon les rubriques déjà toutétabliesdans notre esprit les faits nou-veaux
peuvent seulsdonner lieu à induction, mais, dans ce cas, refuserons-nous l’aide de notre savoir, de notreexpé-
rience ?Les progrèsde lascience
économique
sontdus àune
sorte d’alternance entre l’emploi de l’induction et deladéduction.Tout
homme
désire améliorer sa position, etl’homme
tend à obtenirle plus grandrésultatau prix dumoindre
effort ; ce sont là des prémisses que chacun peut induire de sa propre nature. D’autres lois simples sont égalementtirées de l’observationdirecte des faits. Mais dès que nouspossé- donsdes principes, notreintelligence veutentirer des con- séquences, et c’est ainsi quel’économie politique arrive à formuler ses lois générales surles profits, les salaires, les prix. Maisles premières formulestrouvées n'ont qu’une va- leur très-relative, car on n’a d’abord été frappé que des faits lesplus saillants. Les influences secondaires, l’action descauses perturbatrices, font ressortir les défautsdes pre- mières formules, on seremet
à observer l^s faits, et de cette façon l’induction corrige les erreurs de la déduction.Les principes rectifiésservent de point de départ à de nou- velles conséquences, et ainsi de suite, lesprincipes se per- fectionnant sans cesse tant qu’ilya des observations àfaire, jusqu'à la
consommation
des temps.LES DEUX ÉCOLES ÉCONOMIQUES. 723
III
S'il en estainsi, si lascience va en s’améliorant^il-daft avoir eu, nous dira-t-on,
un temps
oùe\\e §te$truâîm*eh-Je »• • #
#
taire. Sans doute, lascience a eu ses commfcncémentvjîiai^
• * • •• • •
l’état d’avancement de la science, et1^n#.tUr&fles\çht)ses*
qu’elle étudie, sont deux.
Combien
de*.,fj)îsv<fàui-il.çépétfer.
quela loipeutexister sansqueles
hommes
s’ehcomme
ilne suffit pas de la nierpour qu’elle*disparaisse, Mais puisque quelques savants distingués nient la loi éco- nomique, il paraît indispensable d'examiner plus ample-ment
cettequestion.Pour
l’approfondir complètement, il faudrait peut-être faireune
excursion dans ledomaine
philosophique et re- chercher, dans quellemesure l’homme
estlibre, etcombien
il estsoumis àlanécessité; mais nous avons
un
butspécial, et nous nous efforcerons de l’atteindreparla voie laplus courte.On
saitque loietnécessitépeuvent êtreconsidéréescomme
synonymes. Or, la nécessitéjoueun
rôle important dans la vie humaine.L’homme
a des besoins; quelques- uns de ces besoins, parexemple
la nourriture, levêtement,le logement, tous les
hommes
les subissent, Diogène ou Epictète aussi bien que Sardanapale ou queLucullus; nous pouvons négliger ici les différences de quantité etdequa-lité,
pour
nous en tenirau fait élémentaire.La
satisfac- tion de ces besoins dépend de conditions matérielles, de lois physiques, d’une part; de conditionsintellectuelles et morales, del’autre.Ce sont cesdernières quirenfermentleséléments de liberté.
On
ne saurait nier quel’homme
est soumisà des conditions matérielles qui constituent,sous ce rapport,les lois de sanature. Les lois qui président à Insa- tisfaction del’homme
vivantensociété sont d’ordre écono- mique. Ces lois sont complexes, elles sontlarésultante dedeux
sortes d’actions: 1°de l’action des forces naturelles qui contribuentà la production, par exemple,la fertilitédu46.
sol, le
mouvement
de l’eau, l'expansion de lavapeur, la lu- mière, la chaleur, l'électricité;2° de l'action de
l’homme
emploieces forces à la satisfaction de ses besoins. L’é- côAohiié*|)pJ/tlquen’étudiepasLes forces naturelles,d’autres .scbençes’scftlVchargées de luien faireconnaître les lois; elle*n’exàp?inâqîferj^actionde l’homme, ses mobiles etson but.
/Elle^.vçul *sâvofr*
comment l’homme
vivant en sociétépar-’vi^nt^C.pïp^uire les objetsdontila besoin, ou dontils’ima- gine avoir be’soin, et elle suit les objets jusqu’àce qu’elle les ait vus rendre leurs services ou disparaître par une cause quelconque. S'il en est ainsi, on peut considérer
comme
prouvéecette première loiéconomique
quel'homme
désire satisfaire
à
sesbesoins, loi que les économistes an- glais rendent par :l’homme
désire la richesse ; ce sont d'autres termes, mais lamême
pensée.Une
seconde loi,que nous allons énoncer,a la
même
évidence:l'homme
doit agir pourarriver àsatisfaireà ses besoins, carla natureneluiprésente généralement pas les aliments, les vêtements et autres produits tout préparés.
La
nécessité de l’actionhumaine
figure dansla science sous laforme decetaxiome
:C’est
par
letravail quel'homme
produit. Mentionnons en- corecette troisième loi économique, que : chacun veut ob- tenir leplusgrand
résultat possible aveclemoindre
effort.Voilà déjà trois lois tiréesde l’observation et qui s’impo- sent à l’esprit humain.
La
preuve de l’existence des loiséconomiques estdonc faite, et si l’on nous reprochaitde n’avoir encore présenté que trois lois, nousrappellerions quilasuffidetrouver
une
loi, celle de lagravitation, pour expliquerlamécanique
céleste,comme
il a suffi d’unseul principe, Yamour du
prochain (aime tonprochaincomme
toi-même),
pour
édifiertoutun
systèmede morale.Vous
avons indiqué quelques lois fondamentales, mais chaque ordre défaits économiquesaseslois propres. Voici, parexemple, ce que M. Càirnesdit (p, 18, Logical Method) des loisnaturelles desphénomènes
économiques. « Mainte-LES DEUX ÉCOLES ÉCONOMIQUES. 725 nant, dit-il, qu'entend-on par
phénomènes
de la richesse?(On sait que l’économie politique est définie la sciencede la richesse). Les
phénomènes
de larichesse sont les faitsrela- tifs à la richesse: la production, réchange, le prix, ou aussi lesdifférentes formes que larichesse revêt en se dis- tribuant: les salaires, les profits, la rente du sol, l’intérêt.Tels sontles
phénomènes
delarichesse, et les lois natu- rellesde cesphénomènes
sont certaines relations cons- tantes dans lesquelles ils se trouvent entreeux
et envers leurs causes.Par
exemple, le capital s’accroîttous les ans en Angleterre selonune
certaine progression, quiestbeau- coup pluslente que celle des États-Unis, etbeaucoup plus rapidequecelle de la Chine. Or, cesfaits ne sont pas for- tuits,maisle produit de causes,comme
la nature du pays, l’intelligence et la moralité des habitants, les institutions politiques et sociales de la nation ; et aussi longtemps que ces causes subsisteront, lesrésultats seront identiques.De même,
le prix des denrées,la rente du sol, le taux des sa- laires, des profits, de l’intérêt diffèrent dans les diverses contrées*; mais ici aussi le hasard ne joueaucun
rôle.» M. Cairnes développe cettepenséequeles faitséconomiques ne sontpas moins des effets nécessaires que les faits phy- siques ou naturels, et que nous avonsun
grand intérêtàles connaître.Cetintérêt est évident. Mais
comment
peut-onconstater, etsurtout étudier l'action des lois économiques?A
cette question, tout)emonde
répondra: en lesisolant. C’est làoù les adversaires des lois économiques nous attendent.
Pour
neparler que du plus récent d’entre eux,M.
Cliffe Leslie, il reproche précisémentàStuart Mill d’avoir insisté surla nécessité de cette opération intellectuelle. Voici lepassage, tel qu'il estreproduit dans la dissertation du sa- vant professeur que nous avons déjàcité
On
thephilosophi- calMethod
p. 11 : «L’économie politique, dit Mill, n’a à s'occuper del’homme
quecomme
d’unêtre qui désire pos-726 ET POLITIQUES.
séder de larichesse (lire : qui désire satisfaire à ses be- soins).Elle fait entièrementabstraction de toute autre pas- sion humaine, detoutautre motif, à l’exception de
ceux
qu’onpeutconsidérercomme
des principes contrariant cons-tamment
laproduction ou l’accumulation des richesses, no-tamment
l’aversion contre le travail et le désir des jouis- sancesimmédiates. Ces passions, elle les fait entrer pourune
certaine mesure, dans ses calculs, parce qu’elles n’en- trent pas,comme
d’autres passions, accidentellement enconflitavec lapoursuite des richesses (c’est-à-dire la pro- duction), mais parce qu’elles en arrêtent l'essor, pourainsi dire
comme un
bouletau pied.) Voilàla citationde M. Cliffe Leslie; elle est tirée de Définitionand
Metiiod of politicaiEconomy
de Mill; nousla retrouvons à la page 138 de ladeuxième
éditionde celivre, etnous profitons de l’occasion pour ajouterencoreun
passage. Après avoir passéen revuelesprincipauxfaitséconomiques,StuartMillcontinue: «Tou- tes ces opérations, bien que quelques-unes d’entre elles soient, enréalité, le résultatd’une pluralitéde motifs, sont considéréesparl'économiepolitique
comme
desconséquen- cesdu
désirde produire des richesses.La
science procède ensuite àl'investigation des lois qui gouvernent les diverses opérations, sous la suppositionquel'homme
estun
être dé- terminé, de par sa nature, à préférer en tout cas plus de richesses àmoinsde richesses, sauflorsqu’il estdominé
par laparesse ou l’amour des jouissances immédiates. Mill ter-mine
ainsi:Non
qu'aucun économiste aitjamais
été as- sez absurdepour
supposer que leshom.mes
soient ainsi constitués,mais parce
que c'est seulement de cettemanière
quelasciencepuisse procéder. »Nous
n'avons rien à ajou- ter à cette propositiondel’illustre penseur, sice n’est, quelascience pure procède toujours ainsi; elle fait abstrac- tion des circonstances accessoires, contingentes; c'est l'art
ou l’application quien tientcompte. C'est là précisément sa spécialité.
LES DEUX ÉCOLES ÉCONOMIQUES. 727
Nous
revenons àM. Cliffe Leslie. Voicicomment
cet éco- nomiste apprécie la manière de voir de J. Stuart Mill.« L’abstraction a troublé ici la vue duplus célèbre logicien du siècle. SiM. Mill avait considérélavie réelle, ilse serait aperçu que, parmi les désirslesplusardentsconfondus dans
l’abstrait désir desrichesses, setrouve celui desjouissances immédiates, et quel'aversion contre le travail a été
Lune
des principales causes d’inventions et d'améliorations desti- nées à l'abréger. »Nous
nepouvons
pas accepter ces obser- vationsde M. CliffeLesliecomme une
réfutation de lapro- position de Stuart Mill.Nous
ne voyons pas, il est vrai, pourquoi Mill a faitune classeà part des jouissancesimmé-
diates; il aurait pu les
comprendre
dans le désir des ri- chesses (1),comme
l'ont fait d'ailleurs les autres écono- mistes. Il n’en est pas moins vrai quel’homme
travaillepour
satisfaire ses besoinsréels ou factices:quantau second point, que l’aversiondu
travailafait inventer desmachines,c’est
pour
lemoins une
manière vicieuse de s’exprimer.A
quoisert doncla loi
du moindre
effortpour
obtenir leplusgrand
résidtat possible? L'ouvrier qui a inventé un outil a voulu amoindrir son effort; iln'en reste pasmoins vrai qu'il travaillepoursatisfaire à ses besoins, ou,comme
on dit en anglais par désirofwealth. M. Cliffe Leslie insistebeaucoup sur l'habitude, critiquable selon lui, des économistes, de s’en teniraux
cas les plus fréquents etd'esquiver les cas Secondairesparun «toutes choses égales d’ailleurs » cœteris pxxribus, ou pard’autresréserves analogues; maisc;
est leur reprocher de faire des Traités en
un
volume, au lieu de Traités en quatrevolumesLa
question estde savoir si les cas habituels ontété exposésconformément
à la réalitédes choses. Qu’on travaille pour avoir du pain, ou qu'on tra- vaille pour aller au spectacle, le but n'est-il pas dans les(1) Les jouissances immédiates sont un obstacle à laformationdn
capital.