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Une approche transnationale de la transformation de la pédagogie en sciences de l'éducation (XIXe et XXe siècles). Convergences et contradictions

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Une approche transnationale de la transformation de la pédagogie en sciences de l'éducation (XIXe et XXe siècles). Convergences et

contradictions

HOFSTETTER, Rita, SCHNEUWLY, Bernard

Abstract

Tirant parti de la riche historiographie disponible, cet article propose une rétrospective transnationale des premières institutionnalisations de la pédagogie – science(s) de l'éducation aux xixe et xxe siècles, centrée sur les contrées occidentales avec lesquelles ses représentants francophones interagissent. À l'interface d'autres champs sociaux et disciplinaires, ce nouveau champ de savoir sur l'éducation – un terrain convoité et controversé – est puissamment déterminé par le contexte social, politique, économique, culturel dans lequel il s'insère, contribuant en retour à le transformer. Mettant en lumière trois strates de cette construction, l'analyse examine les contradictions vives du processus, postulant que celles-ci constituent des ressorts ayant de longue date et en moult contrées questionné et conditionné ce que nous dénommons aujourd'hui, en francophonie, les sciences de l'éducation.

HOFSTETTER, Rita, SCHNEUWLY, Bernard. Une approche transnationale de la transformation de la pédagogie en sciences de l'éducation (XIXe et XXe siècles). Convergences et

contradictions. Dossiers des sciences de l'éducation , 2020, no. 42, p. 19-40

Available at:

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Une approche transnationale de la transformation de la pédagogie en sciences de l’éducation

(

xixe

et

xxe

siècles).

Convergences et contradictions

Rita Hofstetter

Bernard scHneuwly

Équipe de recherche en Histoire sociale de l’éducation (ERHISE) Université de Genève, Suisse Comment cerner les conditions d’apparition d’un champ de savoir sans se confiner à la généalogie des institutions académiques, figures emblématiques, découvertes marquantes, organismes d’accréditations officiels qui l’incarneront ultérieurement, mais en embrassant tout « l’horizon des possibles » existants pour les protagonistes de l’époque sous la loupe ? Comment appréhender sans rigidifier a priori le processus évolutif par lequel un champ disciplinaire se pro- file, dans le même temps où ses contours, ses objets, ses ancrages, ses structures sont inlassablement re-dessinés ?

Sensibles aux écueils possibles d’une vision téléologique et présentiste, suscep- tible de confondre posture descriptive et prescriptive, historiens et sociologues des sciences (par ex. Blanckaert, Blondiaux, Loty et Renneville, 1999 ; Heilbron, Lenoir et Sapiro, 2004 ; Le Dinh, 1997 ; Wagner, Wittrock, et Whitley, 1991) pri- vilégient une approche sociale et contextualisante et de fait « configurationnelle » (Hall, 1999 ; Lamy et Saint-Martin, 2015) : ils postulent que tout champ de savoir constitue une construction collective sans cesse redéfinie, traversée de contradic- tions aussi bien dans son rapport aux champs socioprofessionnels de référence qu’aux autres champs disciplinaires, que surdéterminent des enjeux d’ordre cultu- rel, politique et économique (Charle, Schriewer et Wagner, 2004 ; Pestre, 2015).

C’est le point de vue que nous adoptons à travers une contextualisation large, dans sa double dimension temporelle et géographique, pour repérer, dans la longue durée et d’un point de vue transnational, la manière dont des individus aux profils divers investissent l’éducation comme champ de savoir, en se positionnant eux-mêmes sur des échelles diverses pouvant se situer aux niveaux local, régional, national et international (Schriewer, 2004). Mais il s’agit bien ici de cerner le processus par lequel un champ de savoir centré sur l’éducation conquiert non sans luttes et disputes une progressive assise institutionnelle (postes, instituts, laboratoires), permettant une professionnalisation de la recherche, la constitution de réseaux de

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communications spécialisés (revues , congrès, associations) et le renouvellement de savoirs et méthodes ainsi que la transmission systématique des connaissances garantissant une socialisation de la relève. Une dynamique processuelle, que l’on peut appeler, à la suite d’autres (par ex. Boutier, Passeron et Revel, 2006 ; Favre 1989 ; Heilbron, 2006 ; Mucchielli, 1998), un mouvement – parfois contrarié et contesté – d’institutionnalisation, de spécialisation, de différenciation, de profes- sionnalisation, autrement dit de disciplinarisation.

Notre rétrospective met en lumière trois phases, formant de fait trois strates qui s’enchevêtrent, chacune s’ancrant dans l’héritage de la précédente, qu’elle re- configure simultanément. Tirant parti de minutieuses enquêtes archivistiques et amples analyses théoriques (cf. diverses synthèses internationales et/ou œuvres collectives : Depaepe, 1993 ; Drewek et Lüth, 1998 ; Hedjerassi et Peyronie, 2017 ; Horn, Németh, Pukánszky et Tenorth, 2001 ; Keiner et Schriewer, 2000 ; Laot et Rogers, 2015 ; Whitty et Furlong, 2017), auxquelles nous avons nous- mêmes contribué (par exemple, les contributions réunies dans Hofstetter et Schneuwly, 2002, 2004, 2006, 2007), nous dégagerons pour chacune quelques traits et sites emblématiques, centrés sur des contrées occidentales avec lesquels ses représentants francophones interagissent, ayant eux-mêmes des échelles de référence variées. L’enjeu consiste à repérer pour chaque strate les contradic- tions vives du processus, contradictions que nous regardons aussi comme des ressorts, ayant de longue date et en moult contrées questionné et conditionné ce que nous dénommons aujourd’hui, en francophonie, les sciences de l’éducation.1 Première strate. La professionnalisation de la pédagogie pour édifier la nation en référence aux modèles étrangers

Dans nombre de nations occidentales, c’est dans le même temps où l’État enseignant se construit, au cours du xixe siècle, que se démultiplient les ini- tiatives pour hisser la pédagogie au niveau d’une science. Gautherin (2002), pour la France, recourt à l’expression significative d’une « discipline pour la République ». S’agit-il pour autant d’une « science inconsistante » ?

Des recherches documentent le processus dans diverses régions du globe (Di Pol, 2007 ; Drewek et Lüth, 1998 ; Horn, Németh, Pukánszky et Tenorth, 2001 ; Lagemann, 2000), processus qui revêt des configurations particulières suivant les sites sous la loupe. Ce qui frappe rétrospectivement, ce sont également cer- tains traits convergents que les contemporains eux-mêmes repèrent, en quête de modèles de référence : en moult contrées, en effet, en ce xxe siècle pédago- gique épris de science et de progrès, une pluralité de pédagogues et intellectuels s’attache à enrichir les connaissances sur l’éducation et l’enfance. Au fil du

xxe siècle, cette réflexion s’intensifie et s’institutionnalise : des cours et postes s’inaugurent, dont des chaires tout ou partie consacrées à la pédagogie.

1 Les diverses dénominations de la discipline suivant les pays et les langues peuvent aussi renvoyer à des traditions et paradigmes différents : educational research, educational stu- dies, towarzystwo pedagogiczne [recherche pédagogique], science of education, pedago- gia, Bildungwissenschaften ou Erziehungswissenschaft pour n’en citer que quelques-unes.

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Des chaires en pédagogie/science de l’éducation

Souvent reliées à la philosophie, les chaires dédiées à la pédagogie revêtent des dénominations et fonctions différentes, ayant couramment pour mission de former les enseignants afin d’édifier la nation (Gautherin, 2002 ; Hofstetter et Schneuwly, 2002). Pourtant, la référence à l’étranger, la comparaison avec ce qui se déroule en d’autres pays, est fondatrice : les nations rivalisent alors pour démontrer qu’elles ne sont pas en retard sur ce qu’elles qualifient de « marche de la civilisation », qui s’évalue aussi à l’aune du perfectionnement des systèmes éducatifs et de la qualité de la formation des enseignants, et donc notamment des cours et chaires qui y contribuent. La comparaison internationale sert d’instrument de légitimation et d’horizon de validation (Matasci, 2015 ; Schriewer, 2004 ; Zymek, 1975). Les administrateurs, intellectuels et savants missionnés pour des voyages d’études et enquêtes dans d’autres contrées se font forts de cette expertise internationale pour renouveler les connaissances sur les phénomènes éducatifs (Dittrich, 2010) ; nom- breux sont ceux qui en tirent parti pour créer, voire occuper de nouvelles chaires de pédagogie, surnommées aussi par endroit science de l’éducation.

L’Allemagne s’impose en précurseur, avec la chaire de pédagogie confiée à Trapp en 1779 et celle de philosophie et de pédagogie occupée par Herbart dès 1809 à Königsberg, puis à Göttingen. Le Tableau 1 donne un aperçu des chaires créées dans quelques pays occidentaux.

Allemagne 1843 Jena 1864 Leipzig Empire austro-hongrois 1870 Pest

1871 Vienne 1882 Prague Suisse 1870 Berne 1889 Fribourg

1890 Genève et Lausanne

Italie 1874 Rome Écosse

1876 Edimburg et St Andrews États-Unis

1879 Michigan 1888 New York 1890 Wisconsin France 1887 Paris

Tableau 1 : Quelques exemples de création de chaires de pédagogie/science de l’éducation au xixe siècle

Dès le second xixe siècle, la pédagogie se voit donc progressivement installée comme discipline académique, démultipliant les cours s’y rapportant (Monroe [191-1913] fournit une belle vue d’ensemble pour plusieurs pays). Le mou- vement est international, dénotant une convergence étonnante sur le Vieux Continent, pour s’étendre aussi aux États-Unis. En Amérique du Nord, en effet, la pédagogie s’enseigne à l’université dès 1830 pour former les enseignants du secondaire et directeurs d’école, mais, comme en Europe, c’est dans le dernier tiers du xixe siècle que la discipline s’institutionnalise dans des chaires et connaît son essor dans les plus connues des universités américaines. Lagemann (2000) repère 27 départements en 1894, 200 universités formant les enseignants. La première chaire spécifiquement dédiée à la science et l’art de l’enseignement est

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fondée en 1879, à Michigan. Un instituteur de formation, William Payne (1836- 1907), y est nommé et il s’y fait le porte-parole des associations enseignantes, à cheval, donc entre la profession et la discipline. Il assume bientôt moult fonc- tions dans l’administration, à l’interface aussi avec le politique. Payne s’inves- tit de la mission de construire une science de l’éducation qui, en formant des enseignants cultivés, permette à la nation de progresser dans cette marche de la civilisation. La traduction d’œuvres étrangères sert d’outils pour ce faire : Payne retient notamment l’Émile de Rousseau (édition abrégée, traduite et commentée en 1897) et l’Histoire de la pédagogie de Compayré (traduction éditée en 1895), pour consolider l’éducation et la science de l’éducation américaine.

Une perspective encyclopédique : des lieux de mémoire proposant des bilans intercontinentaux

Les titulaires des chaires de pédagogie/science de l’éducation ambitionnent clairement de poser les bases d’une science. Ils s’en proclament et leurs tra- vaux en témoignent. Ces professeurs recourent aux pratiques et méthodes d’en- quêtes, de documentation et d’analyse de l’époque. La philosophie constitue la science de référence ; science reine, elle inclut de fait en ce xixe siècle d’autres champs de savoir, la psychologie notamment. Il s’agit de construire des théo- ries générales qui, en récapitulant les connaissances disponibles, serviraient de guide pour l’action. La scientificité est aussi revendiquée dans la démarche do- cumentaliste et encyclopédiste.

Quels sont les démarches et objets qui s’imposent ? La liste établie par la Society for the Development of the Science of Education d’Angleterre, lors de sa fonda- tion en 1875, est présentée comme représentative en 1911 encore :

“To collect and classify educational facts ; to discuss educational problems on a definitive plan, and to arrange and record facts ; to give lessons and discuss the principles involved ; to examine and report on educational machinery ; to get acquainted with educational ideas abroad ; to examine and criticize the labors of eminent educationalists ; to examine the lives of eminent men ; to consider the educational influences (conscious or unconscious) affecting their careers and to investigate the educational forces at work ; to publish proceedings”. (Monroe, 1911-1913, p. 402)

En Allemagne, le Verein für wissenschaftliche Pädagogik, créé en 1868, est por- té par une analogue ambition (Coriand et Winkler, 1998). « Wissenschaftlich », scientifique, signifie alors collecter, classifier, ordonner, examiner, discuter, diffuser des données, dans l’esprit documentaliste qui prévaut à l’époque, se combinant avec une approche spéculative et doctrinale, alors en vogue. Mais l’ambition de scientificité, rationalité et systématicité, voire reproductibilité et efficacité, est indéniable. La masse de données récoltées, analysées et publiées est monumentale. Les monuments les plus emblématiques de cette phase docu- mentaliste sont les encyclopédies et dictionnaires. Édité déjà en 1861, celui de Stoy documente quasiment tous les domaines couverts aujourd’hui par la re- cherche éducationnelle. Le dictionnaire de Buisson de 1887 et 1911, mais sur- tout la prodigieuse encyclopédie de Rein, éditée à partir de 1895 (10 volumes

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de 900 pages en moyenne), et celle de Monroe, à partir de 1911 (5 volumes, eux de quelque 800 pages) sont exceptionnelles aussi pour leur aptitude à documen- ter ce qui se passe à l’échelle de l’Occident. Reconnus désormais comme des

« lieux de mémoire » (Nora, 1984), ces monuments recourent à l’international en proposant d’impressionnants tours d’horizons intercontinentaux. Preuve, s’il en fallait, que la nation ne peut se définir sans la référence à l’étranger. La comparaison est fondatrice des travaux des premiers représentants de ce qui se conçoit comme nouvelle science de l’éducation : on se réfère aux figures, aux œuvres, aux initiatives, aux expériences tentées ailleurs. Celles-ci sont discu- tées dans des colloques, conférences, associations pédagogiques qui se multi- plient, et sont souvent à cheval entre profession et discipline.

L’herbartianisme2 : une référence internationale incontournable

Ce sont des modèles que l’on recherche. Visiblement, l’Allemagne s’impose alors comme référence en la matière : l’Angleterre, la Suisse, comme la France regardent Jena comme « centre pédagogique par excellence ». Les bases de cette excellence auraient été posées par les herbartiens. Leur pédagogie scienti- fique s’articule avec la pratique enseignante : point de développement théorique sans une école d’application. Ses continuateurs systématisent cette idée. Stoy, à Jena, crée un séminaire pédagogique qui comprend une école d’application, lieu d’observation et d’exercice pour les futurs enseignants. Son successeur, Rein, a pour credo que la pédagogie scientifique qui s’élabore et s’éprouve dans ces écoles d’application constituera le foyer de ce qui pourra être exploité et dé- ployé dans toutes les écoles publiques. Avec l’herbartianisme, estime Hameline (2002a), la science de l’éducation trouve sa double fondation à la fois comme connaissance rationnelle et pratique rationalisée.

Le paradigme herbartien connaît alors un immense retentissement international.

Son influence est démontrée non seulement pour l’Allemagne, la Pologne, la Hongrie, la Russie, l’Italie, la Suisse mais aussi pour le Japon. Aux États-Unis également (Cruikshank, 1993 ; Dunkel, 1969) : s’y crée la National Herbart Society pour l’étude de l’enseignement3 où s’investissent diverses personnalités (dont Dewey) travaillant en synergie étroite avec les enseignants et parents.

L’Université de Chicago en constitue un foyer. Le foyer aussi de sa critique radicale, la rigueur de l’herbartianisme étant jugé responsable de la rigidité de l’école publique, qu’il convient donc de réformer, et ceci par d’autres outils, moins dogmatiques.

2 Le lecteur trouvera une excellente introduction contemporaine pour Herbart et l’herbar- tianisme dans un article du dictionnaire de Buisson : http://www.inrp.fr/edition-electro- nique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=2856

Concernant la réception de Herbart en France et Suisse francophone : Grundig de Vaz- quez (2016) ; Extermann et Rouiller (2016).

3 Elle deviendra National Society for the Scientific Study of Education, embryon de la American Educational Research Association qui vient de fêter ses 100 ans (voir plus bas) ; ce qui atteste la continuité entre les différentes strates ici discutées.

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Cet exemple témoigne de la densité des échanges scientifiques et comparaisons internationales, favorisant la circulation des savoirs, modèles, références qui contribuent à renouveler, à une échelle aussi bien locale (un petit séminaire, une école, une chaire) qu’internationale (missions, dictionnaires, conférences, réseaux), les expériences et recherches scientifiques sur les phénomènes éduca- tifs. Une circulation qui s’accompagne certes de possibles réifications comme dilutions – serait-ce le lot de toute diffusion ? – mais aussi de discussions cri- tiques et réajustements, réappropriations, ce que nous pourrions ré tros pec ti- vement qualifier de resémantisations (Espagne, 1999).

Synthèse intermédiaire. Profession et discipline en miroir

Tirons un bilan de cette première strate, à dessein centré sur les contradic- tions à l’œuvre, postulant qu’elles fonctionnent comme ressorts du processus.

L’émergence de la pédagogie comme science est profondément déterminée par le contexte social, politique, économique, culturel dans lequel elle s’insère (aux niveaux local, régional, national et international), tout en contribuant, en retour, à le transformer. C’est le cas de bien d’autres sciences, les sciences sociales en particulier, lesquelles vibrent au diapason des convulsions du monde so- cial : portées et encouragées par une multiplicité d’acteurs – des femmes no- tamment – aux profils les plus composites et réseaux de sociabilités pluriels, elles sont institutionnalisées comme disciplines précisément pour fournir des solutions aux questions sociales les plus lancinantes de l’époque ; l’éducation en est une parmi d’autres.

Les analyses de Favre, Le Dinh, Wagner, Wittrock, notamment, peuvent ainsi être transposées aux sciences sur l’éducation. La fabrication de ces nouvelles sciences est pour eux le fait d’une société tout entière au travail. Les savoirs qui s’y construisent s’apparentent à des assemblages hétérogènes d’éléments disparates, aux frontières poreuses. Pour Favre (1989), spécialiste de l’histoire des sciences politiques, cette hybridité est générale ; elle est même le plus sûr signe de l’émergence d’une discipline. Bref, à ce titre, la science de l’éducation s’apparente aux autres disciplines émergentes.

Mais le champ de savoir sous la loupe a ceci de particulièrement intrigant qu’il se construit autour d’un champ social, l’éducation, au sein duquel œuvrent déjà préalablement (bien avant que les chaires ne soient créées) nombre d’acteurs individuels et collectifs qui se multiplient et se spécialisent avec l’extension des systèmes de formation. En particulier les enseignants qui eux aussi entendent s’ériger en interlocuteurs dans la définition de leurs fonctions, statuts, qualifi- cations, et plus largement des orientations à privilégier en termes de méthodes et conceptions des systèmes éducatifs. Nombre d’associations enseignantes se constituent dans ce but dès le milieu du xixe siècle, aux USA, en Allemagne, en Suisse, notamment, et se positionnent comme « sociétés pensantes » (Hameline, 2002b, p. 32), inscrivant explicitement dans leurs statuts « le perfectionnement des méthodes, de la science et de l’art pédagogiques » (Statuts fondateurs de la Société des Instituteurs de Suisse romande, 1865).

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Les premières institutionnalisations de la discipline au niveau universitaire en sont marquées, nous l’avons déjà démontré et théorisé dans d’autres de nos pré- cédents travaux. La discipline se déploie à partir d’un ensemble de savoirs exis- tants, élaborés par et pour ces professionnels, autrement dit, dans un processus que l’on peut caractériser à la suite d’autres (par ex. Stichweh, 1994) de disci- plinarisation à dominante secondaire : une profession existe préalablement à la discipline, profession qui a construit des savoirs dont elle revendique la recon- naissance. De fait, profession et discipline se conditionnent mutuellement au sens où elles se co-construisent, s’enrichissent réciproquement, dans un rapport qui n’est évidemment pas dénué de tensions, lesquelles perdureront, marquant durablement la discipline. Ce conditionnement est à double face : il constitue un ressort pour son développement et son institutionnalisation, en exerçant simul- tanément aussi une pression sur sa définition, orientant ses finalités et la nature des savoirs produits. Ces savoirs sont supposés pouvoir conjuguer critères de pertinence scientifique et sociale, qui sont au cœur aujourd’hui encore des ques- tionnements des chercheurs en sciences de l’éducation.

Et cette tension est visible partout où s’institutionnalisent les premières chaires de pédagogie/science de l’éducation pour édifier la nation, en référence à des modèles étrangers. La référence à l’international contient assurément une di- mension rhétorique, par exemple pour justifier une réforme. Mais elle témoigne aussi de la conviction que les théories construites ont et doivent avoir une portée universelle. La référence à l’étranger n’est pas le seul fait d’initiatives ponc- tuelles, individuelles, portées avant tout par les élites intellectuelles : dès le milieu du xixe siècle, on assiste à la démultiplication d’initiatives collectives, progressivement institutionnalisées, via des mouvements sociaux, associations et conférences scientifiques, mais professionnelles aussi. Les Expositions uni- verselles et nationales y contribuent, conférant de larges stands aux innovations scientifiques et éducatives (Fuchs, 2004). Ce que Rasmussen (2001) a surnom- mé le « tournant organisateur » de l’international vaut donc aussi pour ce qui s’esquisse en cette fin de xixe siècle comme une science de l’éducation.

Deuxième strate. Une vague expérimentaliste réformiste, à l’échelle transnationale

Cette strate s’inscrit dans le prolongement de la première, contre laquelle cer- tains de ses porte-bannières s’opposent, parfois radicalement. Schématiquement énoncé, au tournant des xixe et xxe siècles, l’extension des systèmes de forma- tion génère une demande renforcée de théorisation et de qualification, permet- tant une démultiplication des ancrages universitaires de la pédagogie. C’est le cas d’ailleurs d’autres sciences (sociales) naissantes (Berthelot, 2001 ; Carnino, 2015 ; Smith, 1997 ; Pestre, 2015), à l’instar de la psychologie et la sociologie, aspirant à étendre leurs ancrages et champs d’expérimentations (Ben-David et Collins, 1966 ; Mucchielli, 1998 ; Ottavi, 2001 ; Parot, 1994). Mais ce proces- sus s’inscrit aussi dans le contexte d’une critique sans concession à l’encontre de cette vaste entreprise de scolarisation incarnée par l’État enseignant, jugée

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sclérosée et sclérosante, notamment par ceux qui dénoncent ses dimensions discriminantes, lesquelles contredisent les idéaux républicains-démocratiques qui justifiaient son édification (cf. les contributions réunies dans Hofstetter et Schneuwly, 2006). À l’aube du nouveau siècle surtout, on assiste à une véritable vague d’initiatives visant à réformer la pédagogie, via une approche résolument expérimentale des phénomènes éducatifs (Depaepe, 1993), supposée conférer ses lettres de noblesse scientifiques au champ disciplinaire.

Les laboratoires, des « sanctuaires des savoirs psychopédagogiques » Les critiques à l’encontre de l’éducation dite traditionnelle se réfractent dans les approches scientifiques qui prévalent au xixe siècle et auraient contribué à imposer la « forme scolaire » (Seguy, 2018). On l’a signalé pour l’herbartia- nisme ; il en va de même de la science de l’éducation se référant à la philoso- phie, taxée par les réformateurs de dogmatique, doctrinaire et spéculative. Une approche expérimentale est revendiquée, qui saurait mieux tirer parti, elle, des avancées des autres sciences, en s’ancrant aussi plus fermement sur le terrain, en phase avec les besoins locaux et régionaux, pour rénover les pratiques péda- gogiques en prenant davantage en compte les besoins spécifiques, « naturels », de l’enfance (Depaepe, 1993 ; Sutherland, 1984). D’autres sciences sont prises comme référence : en premier lieu la psychologie, mais également la biologie, la médecine, l’anthropologie et la sociologie naissantes, elles aussi en quête de reconnaissance et terrains d’application.

Les indices institutionnels et scientifiques de ce tournant sont innombrables.

Ses principaux emblèmes sont les laboratoires et travaux résolument expéri- mentaux qui les fondent, dont les productions sont diffusées et discutées non plus seulement à travers des dictionnaires et encyclopédies, mais désormais dans une diversité de congrès et revues scientifiques relevant peu à peu spéci- fiquement du champ disciplinaire (cf. les travaux édités dans Drewek, Fuchs et Zimmer-Müller, 2010 ; Hofstetter et Schneuwly, 2004).

On assiste à une véritable vague d’initiatives, comme en témoigne cet inven- taire, non exhaustif, de laboratoires et centres de recherche européens, souvent proches de la formation des enseignants, lesquels soutiennent couramment ces initiatives (voir tableau 2) :

1898 Anvers 1900 Uppsala 1902 Budapest 1902 Londres 1904 Petrograd 1904 Paris 1906 Leipzig 1907 Berlin 1907 Rome

1908 Milan 1908 Moscou 1910 Munich 1910 Tübingen 1912 Hambourg 1912 Bruxelles 1912 Genève 1913 Essen

1915 Bremen 1920 Prague 1920 Varsovie 1922 Vienne 1923 Louvain 1925 Cluj 1927 Gand 1928 Liège

Tableau 2 : Liste de quelques lieux où se créent des laboratoires et centres de recherche en éducation en Europe

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Mais le développement le plus significatif a lieu aux États-Unis vers lesquels tous les regards convergent déjà pour conférer à la recherche éducationnelle ses lettres de noblesse scientifique.4 Se multiplient les pèlerinages au cœur des la- boratoires expérimentaux, ces « sanctuaires des savoirs psychopédagogiques » pour reprendre l’expression de Buyse dans ses notes prises lors du voyage ef- fectué avec Decroly en 1922, fasciné par cet eldorado de la démocratie, au sein d’une civilisation d’acier (Depaepe et D’Hhulst, 2011). Plus de 100 bureaux et laboratoires de recherche en éducation s’y déploient durant les trois premières décennies du nouveau siècle (Lagemann, 2000).

Bureaux de recherche en éducation dans les universités 1913 Université d’Oklahoma

1914 Université d’Indiana & de Iowa 1915 Université de Californie 1916 Université Wisconsin-Madison

Bureaux de recherche en éducation dans les villes 1912 Baltimore

1913 Rochester & New York City

1914 Boston & Kansas City & Missouri & Detroit 1915 Chicago & Lincoln & Nebraska

Bureaux de recherche en éducation dans les États 1916 Wisconsin & Massachusetts

1920 New York 1923 Connecticut

1925 Georgia & Indiana & Louisiana

1926 Carolina & Pennsylvania & West Virginia & Arkansas & California 1927 Alabama & Hawaii

Tableau 3 : Liste des premiers bureaux de recherche créés aux États-Unis d’Amérique

Sciences de l’éducation/educational research : le progressisme éducatif comme aiguillon

L’histoire de l’Americain Educational Research Association (AERA) (Mershon et Schlossman, 2008) exemplifie avec éclat cette étroite intrication entre profes- sion et discipline, science et militance, à l’heure où la discipline s’institutionna- lise à grande échelle désormais, dans un rapport non dépourvu de contradictions avec la sphère politico-administrative et les autres sciences portant leur attention sur l’enfance. Tirant parti d’initiatives plus anciennes, comme la société herbar- tienne devenue société nationale pour la recherche éducationnelle, l’AERA est créée en 1916. Elle produit d’emblée de substantiels surveys lesquels trouvent une double fondation : dans de grandes enquêtes expérimentales assorties d’un arsenal de tests d’une part, dans les mouvements réformistes d’autre part.

4 Drewek démontre que si, jusqu’à la Première Guerre mondiale, les revues américaines se réfèrent souvent à l’Allemagne, les revues allemandes, elles, citent davantage les États-Unis après cette guerre (Drewek, Fuchs et Zimmer-Müller, 2010).

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Pour ces « progressistes », les faits soigneusement récoltés permettraient de connaître la réalité des phénomènes examinés pour proposer des solutions empi- riquement testées, exportables à grande échelle. Sous l’impulsion de ces admi- nistrateurs réformistes, la recherche en éducation connaît un essor prodigieux, quantitatif avant tout. L’association intégrera d’autres courants dans les années 1930, plaidant eux pour des approches qualitatives et qui mettent en cause l’ap- proche essentiellement bureaucratique et administrative de l’éducation. On retrouve donc dans la même association, à l’origine de la notable AERA, des chercheurs pour l’essentiel réformistes, orientés tantôt vers le rendement du sys- tème, tantôt vers de nouvelles conceptions de l’enfance et l’éducation, valorisant spontanéité et créativité. Mais quasi tous se rallient derrière ce militantisme re- gardé comme progressiste. Un militantisme qui a partie liée avec une vocation humaniste, ayant en point de mire les problèmes sociaux et de discriminations – de sexe, race, classe, ethnie –, découlant des vagues migratoires auxquels les États-Unis font alors face, vagues qui d’ailleurs constituent une autre facette du processus d’internationalisation, impactant par en bas sur le champ disciplinaire.

Le Teachers College de l’Université Columbia de New York (Cremin, Shannon et Townsend, 1954) incarne parfaitement cette contradiction, en 1905 déjà : on y trouve, d’une part, Thorndike qui développe les travaux sur la mesure de l’in- telligence et, d’autre part, Dewey, qui promeut lui une approche centrée sur les intérêts de l’élève (Labaree, 2006). Les écoles laboratoires rattachées à l’Uni- versité Columbia testent l’effet de l’enseignement pour des élèves distingués en fonction de leur quotient intellectuel (QI) (outils réajustés de Binet), tandis que d’autres expérimentent parallèlement méthodes et curriculum innovants.

On repère cette même dialectique en d’autres contrées du globe, à Genève par exemple, qui ambitionne, en ce premier xxe siècle, de se positionner comme l’épi- centre de l’internationalisme éducatif. L’Institut Rousseau/École des sciences de l’éducation est conçu d’emblée (1912) comme un centre de ralliement de ceux qui s’attachent à réformer l’éducation à partir des nouvelles connaissances sur l’enfance, se revendiquant de ce pluriel disciplinaire. Fort de leurs vastes réseaux (revues, congrès, associations), ses représentants (Claparède, Bovet, Ferrière, Piaget notamment) déjouent les frontières disciplinaires, institution- nelles, géographiques et culturelles, pour convier éducateurs et chercheurs de toutes les contrées du globe à conjuguer leurs efforts afin de produire, recueillir, discuter et diffuser tous les savoirs susceptibles de nourrir une révolution éduca- tive universalisable. Ils voyagent eux-mêmes à travers le monde pour examiner de nouvelles expériences et faire valoir leurs propres découvertes pédagogiques et de les éprouver, les améliorer et les diffuser. Investissant l’éducation nou- velle d’une puissance rédemptrice, les têtes pensantes de l’Institut Rousseau sont même convaincues, dans les années 1920, que leur institution incarnerait l’« Esprit de Genève » et son internationalisme wilsonien, constituant l’instru- ment privilégié pour pacifier le monde (Hofstetter, 2010).

C’est porté par cette conviction qu’ils créent le Bureau International d’Éduca- tion (BIE) en 1925. Promouvoir l’éducation internationale en « transposant au

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monde éducatif les méthodes de la coopération internationale » afin d’assurer la paix dans le monde, telle est la mission que ses promoteurs confèrent au BIE lorsqu’ils en font une agence intergouvernementale, en 1929, la première dans le champ éducatif. Trois États y apposent alors leur sceau, rejoints aussitôt par trois autres (puis 15 en 1939, 68 en 1968) mais l’on dénombre dans l’entre- deux-guerres des centaines de correspondants dans plus de 70 pays.

Le BIE est conçu comme un « organe technique de documentation, d’infor- mation et de recherche », œuvrant dans un « esprit strictement scientifique et objectif », une scientificité dont le nouveau directeur, Jean Piaget, secondé par Pedro Rosselló, seraient les garants. Leur ambition : en faire le premier centre mondial d’éducation comparée documentant les réformes éducatives pour construire une « charte des aspirations mondiales de l’instruction publique » via des conférences internationales réunissant parfois plus d’une centaine de ministres et d’experts. Piaget s’y distingue comme un diplomate de l’interna- tional. Avec Rosselló et leurs collaborateurs, ils y expérimentent, à une échelle intergouvernementale et internationale, les méthodes mêmes de la coopération et du self-government que Piaget a par ailleurs théorisées, démontrant qu’elles permettent le passage de l’égocentrisme à la réciprocité, autrement dit au ju- gement moral à son stade le plus élevé, qui conditionne l’accès à la rationalité et à la vérité, au fondement de la construction de l’intelligence.

Les milliers de pages rédigées par Rosselló (dans les enquêtes et annuaires, comme ses correspondances) contiennent, elles, des éléments fondant concrè- tement, théoriquement et méthodologiquement, l’éducation comparée : il oc- cupera d’ailleurs l’une des premières chaires en Europe dans le domaine. Les leaders du BIE conçoivent l’éducation comparée comme outil aussi bien de la recherche scientifique que des collaborations intergouvernementales : l’instru- ment pour permettre aux petites comme aux grandes puissances de tirer parti des expériences éprouvées par d’autres, pour élaborer ensemble – à l’appui de données objectives – des solutions aux problèmes éducatifs dans le monde. Le BIE contribue ce faisant à la diffusion et l’imposition mondiale de la forme école moderne, postulant l’exigence d’une recherche scientifique elle aussi glo- balisée, à laquelle il apporte leur contribution. C’est à ce titre que le BIE fut reconnu comme l’un des premiers centres mondiaux d’éducation comparée, précurseur en quelque sorte de l’UNESCO avec lequel il collabore dès 1946.

Une collaboration alors non dénuée de rivalité, même si les deux agences sont bien portées par des missions pacifistes et universalistes.

Synthèse intermédiaire. Objets et terrains convoités, disciplinarités contrariées

Les décennies encadrant le tournant du siècle puis l’entre-deux-guerres peuvent être regardées comme les années folles de la pédagogie (surnommée mo- mentanément pédologie). À la faveur des pressions réformistes d’une époque toujours tenaillée par la « question sociale », d’États-nations soucieux du ren- dement des systèmes éducatifs en pleine expansion, de professionnels en quête

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de reconnaissance et qualification, à la faveur aussi des reconfigurations du monde académique où de nouvelles disciplines s’efforcent de conquérir leur légitimité, l’éducation se profile comme objet et terrain d’investigations convoi- tés. Nombre d’intellectuels, de savants, de professionnels de l’enfance, incluant les instances politico-administratives, s’investissent de la mission de construire collectivement – via des congrès, associations, revues, institutions –, de nou- veaux savoirs pour une approche scientifique et expérimentale de l’éducation, inspirée d’autres sciences, des sciences naturelles également.

La discipline conquiert de nouveaux territoires institutionnels, scientifiques, méthodologiques qui font apparaître ou renforcent quatre contradictions im- briquées. Ces dernières fonctionnent toujours comme ressorts du processus de disciplinarisation. Si elles suscitent déjà controverses à l’époque, elles n’ap- paraissent pas nécessairement comme contradictoires pour les contemporains.

Revendication expérimentaliste, portée par une vision naturaliste, non dénuée de romantisme. Se conjugue ici une aspiration scientiste, qui prend pour credo la Science, surtout les sciences naturelles et leurs méthodes, quantitatives aussi, avec une aspiration romantique, qui postule l’intangibilité des lois de la Nature dans le développement de l’enfant. Le recours à des méthodes scientifiques résolument expérimentales permettrait d’observer, analyser, mesurer, tester, classifier l’enfant en tant que tel pour élucider les lois de son développement naturel afin d’ajuster les méthodes éducatives à ses besoins propres, ce qui est supposé favoriser son épanouissement et donc celui de l’humanité entière, tout en contribuant aussi au rendement social et économique.

Revendications positivistes et ferveurs réformistes. Des convictions indénia- blement positivistes, plaidant pour des laboratoires sur le modèle des sciences exactes, s’articulent couramment à une ferveur réformiste. Ce sont souvent les mêmes qui ont pour référence les sciences naturelles et qui militent pour de subs- tantielles réformes. Diabolisant la rigidité des systèmes étatiques, ils plaident pour des pédagogies alternatives et des écoles nouvelles qu’ils considèrent même comme les laboratoires pour réformer l’ensemble du système éducatif. Des al- liances entre enseignants, administrations scolaires et savants en témoignent.

Cette ferveur réformiste peut aussi s’interpréter comme une posture critique, celle attendue de toute discipline, mettant en cause des idées préconçues, les systèmes établis, et leurs lots de soumissions, d’incohérences et injustices.

Plaidoyers pour une science unifiée et pluridisciplinaire. S’inscrivant en intri- cation étroite avec d’autres sciences qui elles aussi portent leur attention sur l’éducation, les représentants du nouveau champ disciplinaire revendiquent construire une discipline considérée simultanément parfois comme autonome et pluridisciplinaire. Un singulier pluriel, certes, puisque durablement ce sont bien certains paradigmes et certaines sciences, la psychologie en particulier à cette époque, qui imprègnent le champ. Les dénominations différentes de la discipline dans les contrées germanophones, francophones et anglophones témoignent de la prévalence d’autres paradigmes, comme l’ont démontré les œuvres des histo- riens Depaepe, Keiner, Ottavi, Schriewer, notamment. Après le prodigieux mais

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évanescent paradigme pédologique, s’imposent la psychopédagogie, la pédago- gie expérimentale, la psychologie de l’éducation, d’ailleurs même là où, comme à Genève, le pluriel des sciences de l’éducation est très tôt revendiqué, connais- sant une indéniable fortune dans plusieurs pays francophones et latins.

Une dynamique internationaliste non dénuée de rivalités. Après le tournant or- ganisateur, on assiste, dans le champ éducatif aussi, à une première « institu- tionnalisation de l’international » (Rasmussen, 2001). Au niveau des réseaux scientifiques, et même sur la scène intergouvernementale, incluant le politique, comme en témoignent les initiatives du BIE. Certes, les logiques de légitima- tion dans cette dynamique internationaliste se nourrissent de coopération et d’émulation, autant que de compétition et d’opposition. Pas plus qu’une « em- prise nationaliste » n’implique une « déprise internationaliste », l’investisse- ment inter na tio na liste ne présuppose la mise en veille de l’ambition nationaliste (p. 30). On repère au contraire des rivalités entre disciplines, figures, agences, entre capitales aussi (par exemple, pour ce qui concerne la coopération intellec- tuelle et éducative, entre Bruxelles, Genève, La Haye, Paris, New York).

Troisième strate. Une discipline aux ramifications plurielles, sous l’emprise de standards internationaux

L’« explosion scolaire » de l’après-guerre, résultant de l’expansion économique des « Trente Glorieuses », génère de nouvelles demandes de connaissances en éducation, sous les maîtres-mots de « capital humain » et de « démocratisa- tion ». On assiste à un développement significatif de la recherche éducationnelle en Occident, où se déploient de nouvelles instances internationales. Les disci- plines de référence – psychologie et sociologie, relayées par l’économie – sont largement convoquées, tandis que se reconfigurent, pour cette discipline comme pour d’autres (Leresche, Benninghoff, Crettaz von Roten et Merz, 2006 ; Pestre, 2015), les rapports avec les champs professionnels, les milieux politiques et économiques, à la fois sur les scènes nationales et internationales.

Grâce aussi aux échanges transnationaux, l’infrastructure de la recherche édu- cationnelle se densifie, d’abord au niveau national et suivant des configurations contrastées (Laot et Rogers, 2015). Depuis les années 1990 surtout, des ins- tances internationales vont s’instaurer comme cadre structurant la recherche.

Un mouvement international à travers des structures nationales

Le Tableau 4 documente le développement de la recherche éducationnelle dans cinq pays européens, montrant la diversité des ressorts de cette expansion (pour plus de détails et les références aux rapports voir Hofstetter et Schneuwly, 2000).

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Allemagne - intégration de la formation des enseignants à l’université impliquant le développement de la Erziehungswissenschaft (passage de 196 à 1 100 professeurs)

- forte augmentation d’institutions extra-universitaires (de 9 à 35 institutions ; en moyenne 35 personnes par institution)

Pays-Bas - création, à partir de 1970, 6 grands instituts de recherche en éducation comprenant entre 25 et 100 chercheurs ; en plus une vingtaine de centres plus spécialisés et plus petits

- constitution de 5 départements universitaires d’éducation avec 3 professeurs en moyenne

Portugal - multiplication des chaires de sciences de l’éducation par la transformation des institutions de formation des maîtres en institutions d’enseignement supérieur (après 1975) – plus de 150 enseignants dans les universités Suède - subventionnement soutenu d’agences étatiques de recherche en éducation

sous forme de contrats de recherche (jusqu’à 0,36 % des dépenses d’éducation)

- évolution modeste du nombre de chaires (de 10 à 20 de 1967 à 1977) Suisse - expansion importante des institutions de recherche (+50 %, soit création de

38 institutions)

- faible augmentation des postes universitaires

Tableau 4 : Éléments saillants concernant l’évolution de la recherche en sciences de l’éducation, fournis dans cinq rapports nationaux pour la période 1960-1980 Deux configurations prototypiques se dégagent s’agissant des demandes fonctionnant comme ressorts du développement de la recherche :

- la demande d’une qualification et professionnalisation accrue des ensei- gnants – primaires surtout –, voire des cadres liés aux établissements sco- laires (notamment Allemagne et Portugal) ;

- la demande d’enrichissement du stock de connaissances dans lequel les gestionnaires et les praticiens puissent puiser pour définir leurs politiques éducatives et garantir l’efficacité de la gestion des systèmes scolaires ou pour améliorer les pratiques dans les classes (notamment Suède, Pays- Bas, Suisse et Allemagne).

Cette évolution s’accompagne d’une mise en place systématique de cursus et départements/facultés, délivrant progressivement tous les titres acadé- miques, dont le doctorat, décisif pour la reconnaissance et le devenir d’une discipline. Initié dès les années 1960, en Angleterre et aux États-Unis, le processus se généralise ensuite (Whitty et Furlong, 2017). En témoigne l’exemple de la France : si l’arrêté de 1967 peut être regardé en soi comme un épiphénomène, il marque de fait un tournant décisif, grâce à la mul- tiplication des filières et des postes universitaires, favorisant à terme une professionnalisation de la recherche et sa reconnaissance à l’échelle natio- nale puis internationale (Laot et Rogers, 2015). Ce processus va de pair avec une extension des champs professionnels de référence à ceux proches de

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On assiste simultanément à un renforcement des réseaux de communications, ici aussi d’abord aux niveaux national et régional. Nombre d’associations se créent dès les années 1960, organisent des congrès, souvent annuels, et fondent des revues.

1967 Finlande Finnish Educational Research Association (FERA) 1969 Allemagne Deutsche Gesellschaft für Erziehungswissenschaft (DGfE)

1971 France Association des enseignants et chercheurs en sciences de l’éducation (AECSE) 1972 Pays nordiques (Suède, Norvège, Danemark, Islande) Nordic Educational Research

Association (NERA)

1973 Grande-Bretagne British Educational Research Association (BERA) 1974 Ecosse Scottish Educational Research Association (SERA)

1975 Pays-Bas et Belgique/Flandres Vereniging voor Onderwijs Research (VOR) 1975 Suisse Société Suisse pour la recherche en éducation/Schweizerische Gesellschaft für

Bildungsforschung (SSRE/SGBF)

1976 Irlande Educational Studies Association of Ireland (ESAI)

1981 Grèce Παιδαγωγική Εταιρεία Ελλάδος Hellenic Educational Society (Π.Ε.Ε., 1981 Pologne Polskie Towarzystwo Pedagogiczne (PTP)HES)

1987 Espagne Asociación Interuniversitaria de Investigación en Pedagogía (AIDIPE) 1989 Italie Società Italiana di Pedagogia (SIPED)

1989 Estonie Eexti Akademiline Pedagogika Selts (EAPS)

1990 Portugal Sociedade Portuguesa de Ciências da Educação (SPCE) Tableau 5 : Date de fondation des associations européennes de sciences de l’éducation (1967-1990)

Des associations de didactiques sont également créées dès les années 1970, en Europe continentale, organisées elles aussi d’abord au niveau national : en mathématiques, langue première, sciences de la nature, sciences humaines et sociales, éducation physique et sportive.

Les années 1960-1990 se caractérisent ainsi par une structuration nationale du champ disciplinaire, en lien étroit avec l’expansion des systèmes scolaires natio- naux. Les échanges internationaux se densifient et favorisent cette convergence.

Parallèlement, de premières instances internationales cadrent la recherche édu- cationnelle, comme en témoignent notamment des associations sectorielles : son approche comparative « prédestinerait » la World Council of Comparative Education Societies à inaugurer le mouvement en 1970 ; évoquons, par ailleurs l’Association for Teacher Education in Europe (ATEE, 1975), l’International Standing Conference for the History of Education (Ische, 1978), l’Association internationale de pédagogie universitaire (AIPU, 1980), l’Association pour le Développement des Méthodologies d’Évaluation en Éducation (ADMEE- Europe, 1988). Tout se passe comme si l’internationalisation se concrétisait plus aisément pour des entrées thématiques, moins intrinsèquement reliées aux structures nationales, et pour des approches privilégiant des sciences sœurs (psychologie, sociologie, histoire, par ex.), leurs représentants pouvant s’ins- crire de fait dans ces réseaux qui s’organisent aussi au niveau international.

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3.2. L’internationalisation institutionnalisée de la discipline

Dans la dernière décennie du xxe siècle, l’internationalisation de la recherche par la définition de standards de recherche et de grands projets d’évaluation à large échelle se renforce. Trois éléments en témoignent.5

1. Se multiplient les sociétés scientifiques internationales généralistes, no- tamment au niveau européen : l’European Educational Research Association (EERA, 1994), une fédération d’association regroupant 10 000 membres6 et la European Association for Research in Learning and Instruction (EARLI, 1985). Au niveau intercontinental, si l’Association Mondiale des Sciences de l’Éducation (AMSE, 1961), fondée par un cercle restreint à Oslo, a vu le jour durant la première vague d’expansion, sans cependant prendre de l’ampleur à ce moment, la World Education Research Association (WERA, 2009), initiée à San Diego, fédère, quant à elle, des associations nationales et continentales à une vaste échelle.

2. Les rapports de l’OCDE du milieu des années 1990 peuvent être considérés comme points de départ d’une surdétermination internationale, politiquement explicite et volontariste, des évolutions nationales de la recherche éducation- nelle. L’internationalisation s’accompagne d’une standardisation des démarches et d’une montée de l’expertise. Le rapport final du projet CERI sur les bases de connaissances pour soutenir les politiques éducatives conclut sur la nécessité de mécanismes de régulation qui soient contractuels et fonctionnent par incitation financière selon des principes de quasi-marché (OCDE, 1995, p. 100). Le rôle et l’influence de cette organisation, comme de l’UNESCO et de la Banque mon- diale, dans l’orientation de la recherche ne cessent de s’accentuer, établissent Zapp, Marques et Powell dans leur récent bilan international (2018, p. 199).

3. Les grandes enquêtes de type PISA, réalisées sous l’égide de l’OCDE jus- tement, témoignent de l’influence de cette dernière : une immense entreprise internationale à laquelle participent des milliers de chercheurs dans le monde entier, favorisant des comparaisons internationales à une échelle jamais vue.

Entreprise en même temps non dénuée de contradictions que discutent Bart et Daunay (2016), inhérentes aux finalités poursuivies, à la fois humanistes et utilitaristes, et aux moyens mis en œuvre : on y décèle notamment une forte orientation psychologisante, que confirment des analyses dédiées aux publica- tions internationales. Botte (2007) par exemple relève que parmi les 153 revues

« éducationnelles », rares sont celles qui se consacrent aux aspects sociologiques ou politiques de l’éducation ; parmi les 20 premières revues du classement se- lon l’impact factor, quatre seulement ne sont pas dédiées à la psychologie et à la médecine. À cela s’ajoute le biais langagier et culturel, par l’hégémonie de fait anglo-saxonne.

5 Zapp, Marques et Powell (2018) démontrent que l’emprise de la gouvernance internatio- nale transforme en profondeur les sciences de l’éducation du point de vue des contenus, des méthodes et du comportement des chercheurs.

6 Voir les documents historiques : http://www.eerahistory.eu

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Synthèse intermédiaire : structures internationalisées et injonctions paradoxales

La troisième strate se développe sous l’effet des mêmes contradictions que celles pointées dans les précédentes. L’intrication discipline-profession déploie toujours ses effets, en phase aussi avec les besoins de qualification et de gestion des systèmes éducatifs. Ceux-ci étant pensés à des échelles régionales et surtout nationales, l’expertise et la recherche éducationnelles le sont également, codé- terminant les structures, les contenus et les finalités de celles-ci. Les critères d’évaluation et de reconnaissance de la recherche, eux, s’internationalisent pro- gressivement, tandis que la recherche en sciences de l’éducation se profession- nalise, dans des échanges pluridisciplinaires et intercontinentaux se densifiant.

Ces tendances ont pour effet un renforcement indéniable de l’assise institution- nelle des sciences de l’éducation, de leur diversification, différenciation, voire fragmentation, en même temps que leur vocation professionnalisante continue de déterminer leur orientation, au risque de les voir réduites à leurs dimensions pédagogiques et prescriptives. Les controverses autour de leur légitimité aca- démique – au même titre que d’autres sciences sociales de fait aussi traversées de mêmes débats – et de leur critère de pertinence (sociale versus scientifique) sont remises sur le métier.

Ce qui caractérise aussi cette strate, c’est l’institutionnalisation et l’emprise de l’international, renforçant ces contradictions. En témoigne l’augmentation de grandes enquêtes qui ont une valeur paradigmatique et définissent ten dan- ciel lement des standards d’éducation internationaux. Les systèmes d’éducation sont soumis à des mécanismes de régulation par l’output, via ces surveys trans- nationaux. La production de ces outils d’évaluation, leur traitement et leur inter- prétation à tous les échelons du système nécessitent la création d’institutions et de réseaux de chercheurs bénéficiant d’une certaine stabilité et d’une envergure internationale. Ce qui ne va pas sans créer des tensions entre des besoins, et donc pressions et critères de reconnaissance, locaux ou nationaux et des normes standardisées internationales, qui définissent les standards d’éducation et ont de fait valeur de paradigmes pour la recherche.

La sophistication méthodologique, imprégnée de démarches individualisantes psychologiques, se fait ainsi essentiellement en fonction de la dynamique de demandes administrativo-politiques liées à la gestion du système éducatif, no- tamment aussi à travers les comparaisons internationales. Ces demandes sont souvent régulées par des mécanismes de type quasi-marché, mécanismes qui s’impriment par capillarité, à travers des processus divers de sélection pour des carrières, jusque dans le comportement des chercheurs. L’autre ressort du dé- veloppement des sciences de l’éducation, la formation des enseignants, fonc- tionne, lui, à un tout autre niveau, davantage local et national, et implique des méthodologies différentes, plus liées à l’intervention directe, à la collaboration avec la profession ; ce qui n’exclut nullement, là aussi, des développements mé- thodologiques importants. Il est indéniable cependant que les deux forces mo- trices n’agissent pas dans le même sens. L’hégémonie de certaines conceptions

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de l’éducation, avant tout anglo-saxonnes, est soulignée par moult auteurs (voir par exemple le débat initié par Herzog, 2008). Certes, l’européanisation de la recherche, notent Zapp, Marques et Powell (2018) constitue un rempart poten- tiel. Mais n’est-ce pas au prix d’un déséquilibre entre le Nord du continent et ses autres régions, se demandent ces mêmes auteurs, problématisant les rapports de pouvoir (centre, périphérie) dans les réseaux paneuropéen.

Pourtant, l’internationalisation constitue la condition de possibilité d’un dé- centrement et d’un affranchissement des particularités locales, caractéristique constitutive de savoirs disciplinaires. Elle renforce donc l’autre contradiction qui agit sur les chercheurs dans leur travail quotidien, et par réfraction sur le champ disciplinaire : les sciences de l’éducation sont conviées, comme toutes autres sciences, à dépasser leurs traditions locales-nationales pour œuvrer au renouvellement des connaissances et se positionner comme interlocutrices légi- times des autres disciplines ; elles ont simultanément à assumer leurs fonctions et influences sur les réalités régionales, aux pratiques culturelles différenciées, voire contrastées, qui conditionnent pour l’essentiel l’octroi des ressources hu- maines et financières. Paradoxalement, la soumission à des exigences de recon- naissance internationale, qui constitue aussi la condition de la construction de connaissances plus générales, impose des standards disciplinaires et culturels qui éludent partiellement les dimensions langagières et culturelles, qui peuvent spécifier des microcontextes et rattachements locaux. Ces évolutions posent avec une nouvelle acuité le problème du rapport entre les dimensions régionales et nationales des sciences de l’éducation, auxquelles convient leur objet, et leurs dimensions internationales, en lien avec l’élaboration de connaissances ayant une validité potentiellement universelle.

Conclusion

Cette rétrospective processuelle, intentionnellement centrée sur des sites et en- jeux emblématiques, démontre que les sciences de l’éducation se développent comme d’autres champs de savoirs, par fission, fusion et extension, à la croisée d’autres champs professionnels et sociaux et d’autres champs disciplinaires.

En phase avec les pulsations du monde social, à l’interface de champs profes- sionnels et champs disciplinaires, dans un jeu d’échelles entrelaçant les scènes locales, nationales et internationales, les sciences de l’éducation, peut-être, ré- vèlent un degré d’hétéronomie plus important que d’autres champs discipli- naires. Ce qui semble dès lors les caractériser, c’est qu’elles exhibent avec une acuité particulière les contradictions évoquées, même si elles n’en ont donc pas l’exclusivité. Chacune des trois strates révèle avec une intensité particu- lière des contradictions de fait interdépendantes qui, d’une strate à l’autre, se reconfigurent :

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• Contradictions entre ajustement sur les demandes sociales-professionnali- santes rapportées aux terrains éducatifs et de la formation7 et quête d’une reconnaissance scientifique, présupposant justement une suspension momen- tanée des dimensions praxéologiques. Cette contradiction découle du rapport qui s’instaure dès les premières formes d’approches scientifiques de l’édu- cation au xixe siècle. Elle prend aussi la forme d’une tension entre science et militance, qui sera particulièrement manifeste avec l’essor des mouvements réformistes au tournant des xixe et xxe siècles, creuset également de nouvelles approches scientifiques des phénomènes éducatifs.

• Contradiction entre le mouvement d’« autonomisation » des disciplines de référence et le déploiement pluridisciplinaire des sciences de l’éducation, non sans un rapport ambivalent entretenu par ses représentants eux-mêmes à ces disciplines dites mères, que nous considérons plutôt comme sœurs.

Une contradiction qui s’intensifie au fil du xxe siècle, tandis que se déploient concomitamment nombre d’autres sciences ayant elles aussi l’éducation comme objet d’investigation et terrain d’application.

• Contradictions entre implication locale et plus globale, à visée universelle. Si une forme d’internationalité est perceptible depuis les premières approches scientifiques des phénomènes éducatifs, ces contradictions se renforcent du- rant le xxe siècle. Plus encore aujourd’hui, sous l’effet conjugué de standardi- sations croissantes, qui s’accompagnent d’une forme d’hégémonie culturelle anglo-saxone, et de logiques marchandes qui s’imposent aussi dans l’univers scientifique, cette fabrique globalisée de la science.

D’une certaine manière, ces contradictions forment un seul tout. Elles dé- coulent de l’articulation étroite de la discipline avec les terrains éducatifs et champs professionnels s’y rapportant, qui lui préexistent et fournissent son premier environnement. L’ajustement sur les demandes socioprofessionnelles, voire politico-administratives, implique des ancrages locaux et nationaux ; la multidimensionnalité des terrains éducatifs incite aux approches pluri- et trans-disciplinaires ; l’insertion dans le local requiert l’innovation, voire une forme de militance. Inversement, l’exigence de scientificité présuppose une forme d’internationalité-universalité ; cette dernière incite à une distanciation d’avec le terrain, l’application de normes scientifiques exigeant une aptitude à la suspension, même momentanée, des logiques praxéologiques. Marquant pro fon dément chacune des strates, ces contradictions, loin de s’estomper, se renforcent, se diversifient, se superposent, fonctionnant comme ressorts du pro- cessus de disciplinarisation. Ces contradictions conditionnent donc les sciences de l’éducation dans le double sens du terme, puisqu’elles déterminent leur émergence et déploiement en orientant, voire cadrant aussi, leurs évolutions aussi bien institutionnelles que cognitives.

7 À noter de surcroît que ces demandes sociales-professionnalisantes s’élargissent d’em- blée à d’autres terrains que l’école et l’éducation et la formation au sens restreint, in- cluant la santé, le travail social, l’animation socio-culturelle notamment.

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