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Sciences de l'éducation: un processus de disciplinarisation secondaire. Le développement d'un champ disciplinaire de référence articulé sur des champs professionnels

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Sciences de l'éducation: un processus de disciplinarisation secondaire. Le développement d'un champ disciplinaire de référence

articulé sur des champs professionnels

HOFSTETTER, Rita, SCHNEUWLY, Bernard

HOFSTETTER, Rita, SCHNEUWLY, Bernard. Sciences de l'éducation: un processus de disciplinarisation secondaire. Le développement d'un champ disciplinaire de référence articulé sur des champs professionnels. In: Actes du Congrès 2000 de la Société suisse pour la recherche en éducation. Genève : 2000.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:34311

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SCIENCES DE L’EDUCATION: UN PROCESSUS DE DISCIPLINARISATION SECONDAIRE.

LE DEVELOPPEMENT D’UN CHAMP DISCIPLINAIRE DE REFERENCE

ARTICULE SUR DES CHAMPS PROFESSIONNELS

Rita Hofstetter et Bernard Schneuwly Université de Genève

Introduction

L’enjeu de notre intervention1 est de tenter de mieux comprendre comment s’opère concrètement le processus de disciplinarisation des sciences de l’éducation; autrement dit d’accéder à une meilleure intelligibilité du processus qui voit se développer un champ

disciplinaire ayant pour objet les phénomènes éducatifs (terme générique incluant éducation, formation, enseignement). Ce champ a des noms différents selon les périodes et les lieux. Nous le désignerons ici, pour simplifier, par son nom actuel en français: sciences de l’éducation.

A la suite d’autres historiens et sociologues des sciences (Becher, 1989; Blankaert, Blondiaux, Loty, Renneville & Richard, 1999; Wagner & Wittrock, 1993) et d’autres chercheurs ayant comme nous pour objet l’étude de ce processus de disciplinarisation (Mucchielli, 1998;

Stichweh, 1987) et plus particulièrement celui des sciences de l’éducation (Depaepe, 1993;

Drewek, 1998; Gautherin, 1991; Hameline, 1995; Oelkers, 2000; Schriewer et Keiner, 1993;

Schubeius, 1990), nous postulons, comme l’indique le titre de notre intervention, que les sciences de l’éducation sont issues d’un processus de disciplinarisation secondaire et que ce processus particulier a des incidences sur la manière dont le champ disciplinaire se déploie.

Disciplinarisation secondaire – qu’entendons-nous par là? Comme nous le précisons ailleurs (Hofstetter et Schneuwly, 1998; 2000a), il nous semble possible de distinguer

schématiquement deux types contrastés de processus de disciplinarisation, selon que la constitution de la discipline ou champ disciplinaire précède ou suit la constitution d’une profession. On parlera dans le premier cas de figure, de disciplinarisation première (la

constitution d’une discipline précède voire débouche sur la constitution d’une profession, par exemple pour la sociologie), dans le second, de disciplinarisation secondaire, termes que nous empruntons à Stichweh. Il s’agit évidemment d’une typologie schématique, qui souligne une tendance dominante.

Par disciplinarisation secondaire, nous entendons un processus social à travers lequel des savoirs professionnels élaborés à même les terrains dits pratiques sont progressivement pris en charge et transformés par le système scientifique, soit, par des institutions sociales

spécialisées dans la construction de connaissances scientifiques (institutions sociales: chaires, institutions de recherche et de formation/socialisation, réseaux de communication). Les sciences de l’éducation nous semblent relever de ce cas de figure, puisque le champ disciplinaire s’institue en référence aux savoirs théoriques et pratiques élaborés par les professionnels de l’enseignement et de l’éducation, des professionnels qui préexistent à

l’émergence de chercheurs spécialisés dans la construction de connaissance sur les phénomènes d’enseignement et d’éducation et à l’institutionnalisation académique du champ disciplinaire.

Le travail que nous menons dans le cadre de notre équipe financée par le Fonds national de recherche scientifique (FNRS) est d’observer aussi minutieusement que possible ce processus en privilégiant une étude de cas, celle de Genève dans la première moitié du 20e siècle, tout en

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nous basant sur les théories contemporaines d’histoire et de sociologie des sciences (sociales), un cadre théorique susceptible de capter les phénomènes essentiels du processus.

La présente intervention est divisée en deux grandes parties. La première s’attache à illustrer quelques éléments du processus de disciplinarisation, en présentant synthétiquement des résultats de nos investigations empiriques sur l’histoire genevoise des sciences de l’éducation.

La seconde a pour but de développer le cadre théorique en avançant quelques réflexions, discutant quelques concepts, énonçant quelques questions, dont nous souhaiterions débattre avec vous.

I. Processus de disciplinarisation secondaire:

quelques données empiriques en guise d’illustration

Premier exemple: quelques repères chronologiques liés à l’institutionnalisation des sciences de l’éducation

Par ce premier exemple, nous nous proposons de retracer schématiquement l’histoire de l’institutionnalisation des sciences de l’éducation à Genève, focalisant notre attention sur deux points: le rapport du champ disciplinaire d’une part à la formation des enseignants et d’autre part aux autres disciplines constituées ou en cours de constitution. En effet, nos recherches historiennes nous ont conduits à avancer la thèse suivante, qui nous semble découler du fait que les sciences de l’éducation sont issues d’un processus de disciplinarisation secondaire:

1. Le développement des sciences de l’éducation est étroitement imbriqué aux champs pratiques de référence et aux demandes sociales s’y rapportant, qui fonctionnent comme condition de l’avènement du champ disciplinaire, tout en conditionnant son

développement. Par exemple la formation des enseignants, pour prendre une problématique actuellement très discutée.

2 Ce développement est étroitement imbriqué à celui d’autres disciplines qui, elles aussi, s’attachent à l’analyse des phénomènes d’enseignement et d’éducation, qu’ils revendiquent comme terrain d’application. Une pluridisciplinarité constitutive caractérise ainsi les sciences de l’éducation, dont les incidences sur la constitution du champ disciplinaire restent encore à mieux comprendre.

Le tableau 1, volontairement schématique, se propose de fournir quelques repères

chronologiques importants de l’institutionnalisation des sciences de l’éducation (première colonne); en vertu de la thèse présentée ci-dessus, nous mettons en parallèle, voire discutons ou interprétons, ces évolutions institutionnelles d’une part avec les besoins liés à la formation des professions éducatives (2e colonne), d’autre part avec les questions liées aux champs disciplinaires de référence (3e colonne). Ce tableau appelle trois ensembles de considérations, qui font office de commentaire.

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Institutionnalisation des sciences de l’éducation Formation des professions éducatives Champs disciplinaires de référence 1890

1906-1907

1906-1910

Première chaire (extraordinaire) de pédagogie. La “science éducation” comme science morale confiée à Duproix (ordinaire en 1896)

Séminaire de pédagogie expérimentale donné par Claparède Plusieurs propositions de séminaire ou institut pédagogique au sein de l’Uni. (échoue)

Plusieurs propositions de séminaire ou institut pédagogique au sin de l’université (échoué)

Fonction directrice pour la formation des enseignants (Genève n’a pas d’école normale). Duproix enseigne dans filières pédagogiques du secondaire.

Ouvert sur la demande d’enseignantes des classes spéciales en quête de formation Cours spéciaux (1906) de psychologie pédagogique

Visent formation des professions éducatives

Certificat d’aptitude en sciences (inclut pédagogie) (dès 1907)

Insérée dans la Faculté des Lettres Assumée par un philosophe

Références: philosophie et psychologie (

Intégré dans le Laboratoire de psychologie expérimentale de Flournoy, donné par

Dimensions empiriques renforcées Initiatives: philosophes surtout,

Références: histoire, pédologie, psychologie expérimentale, philosophie

1912

1912

1915-16

1918 1919 1920

1922-1928

Remplacement de Duproix (décédé) par Malche. Tentative avortée de création d’une 6e Faculté: sciences sociales, incluant chaire pédagogie

Création de l’Institut Jean-Jacques Rousseau (IJJR) ou Ecole DES sciences de l’éducation. Privé et non inséré dans l’université;

Direction: Bovet

Création nouvelle Faculté des sciences économiques & sociales.

Chaire de pédagogie toujours rattachée à Faculté des Lettres Projet du Département de l’instruction publique : Institut pédagogique universitaire (échoue)

Proposition pour rattachement IJJR à l’Uni versité(échoue) 2e chaire de pédagogie (expérimentale cette fois) créée pour le directeur de l’IJJR Bovet

Création du Certificat de pédagogie Faculté des lettres.

Reconnaissance par le DIP des apports théoriques IJJR

Malche nommé Directeur de l’enseignement primaire pour une plus grande utilité sociale de la recherche et école primaire conçue comme laboratoire d’expérimentation

IJJR crée Maison des petits (1913), (puis Maison des grands (1918 éphémère) = Ecoles application. Contributions ponctuelles aux cours spéciaux de la formation des enseignants

Certificat de pédagogie complémentaire = diplôme enseignement seccondaire. Nouveaux programmes cours spéciaux

Pour formation des enseignants, mais en concurrence avec l’IJJR Pour formation des enseignants par l’IJJR

Syndicat confie rédaction Educateur à Bovet, soutien IJJR Fusion Educateur et Intermédiaire (1921-1932)

Etatisation de la Maison des petits = école d’application de l’IJJR et du DIP (formation des enseignants) / DIP crée Ecole expérimentale du Mail (1928)

Choix d’une pédagogie plus expérimentale, conçue comme une science sociale

Références dominantes: psychologie, sociologie

Postulat pluridisciplinarité: biologie, psychologie, sociologie, mais aussi philosophie, médecine, droit, histoire, économie,

psychanalyse, anthropologie etc

1e intégration pédagogie dans cursus de licences (lettres, sciences .morales) psychologie pédagogique, hygiène, pédagogie pratique Dimensions empiriques – références premières à

Renforcement dimensions formatives/expérimentales

Renforcement dimensions formatives/expérimentales

1929

1933

1948

1975

Rattachement de l’IJJR à l’Université: Ecole des sciences de l’éducation. Certificat de pédagogie complémentaire – Faculté des lettres

Direction tricéphale de l’ESE : Direction tricéphale de l’ESE

ESE devient Institut, accède plein statut universitaire Peut délivrer des diplômes universitaires, dont doctorat

Création de la 7e Faculté: Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation (FPSE)

ISE assure formation théorique des enseignants primaires et secondaires

Création Etudes pédagogiques primaire (EPEP) 2e année théorique sous direction de l’ISE

ESE assume tjs formation théorique candidats 2e EPEP

ESE assume tjs formation théorique candidats 2e EPEP

Progressive dissociation pédagogie/psychologie

Distinction entérinée pédagogie/psychologie laquelle devient 1e référence & progressive ascendance des recherches scientifiques ISE devient Institut

pédagogie/psychologie qui “s’

de l’éducation)

Différenciation interne ScienceS de l’éducation “Autonomisation“

institutionnelle de la psychologie Tableau 1 : Processus de disciplinarisation des sciences de l’éducation : quelques repères chronologiques liés à l’instituionalisations

des sciences de l’éducation

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1. Le premier ensemble de considérations se fait en référence à la première colonne

“Institutionnalisation des sciences de l’éducation” et porte sur l’intégration progressive des sciences de l’éducation dans le système disciplinaire. Cette colonne montre d’abord comment la pédagogie acquiert une assise institutionnelle, lui permettant de développer des activités de recherche/formation et de s’apparenter de plus en plus à celle d’autres disciplines scientifiques:

• Une première chaire de pédagogie est créée en 1890/96, une deuxième de pédagogie expérimentale en 1920.

• Une institution spécialisée dans la recherche et la formation à la recherche est créée en 1912, sous le nom d’’Institut Jean-Jacques Rousseau (IJJR) ou Ecole des sciences de l’éducation (ESE): une institution d’abord privée, fondée sur la mise en synergie ponctuelle d’autres disciplines ou domaines, lesquels progressivement se transforment et “se disciplinarisent” par leur intégration dans le système disciplinaire plus global (dès 1929).

• Cette intégration a des répercussions sur l’organisation disciplinaire interne de l’Ecole des sciences de l’éducation: une Ecole qui s’“autonomise” progressivement d’une obédience étroite à une Faculté (des lettres) à partir de 1948, pour être finalement reconnue, en 1975, comme une Faculté autonome.

• Ses cursus académiques débouchent progressivement sur des diplômes et sur le doctorat universitaires en sciences de l’éducation. En 1929, elles contribuent à d’autres diplômes par une mention “pédagogie”, en 1948 puis 1975, elles délivrent elles-mêmes des diplômes universitaires de licence et doctorat.

2. Le deuxième ensemble de commentaires, portant sur la colonne “Formation des professions éducatives”, a trait au rapport entre le champ disciplinaire et les professions éducatives (enseignement, formation et éducation). Le mouvement de disciplinarisation que nous venons de décrire schématiquement s’opère en articulation étroite avec les professions éducatives de référence, et plus particulièrement, la formation des enseignants. Ce rapport, étudié en détail ailleurs (Hofstetter & Schneuwly, 1998, 2000b; voir aussi les contributions in Criblez et Hofstetter, 2000), montre que toutes les initiatives prises en faveur d’une plus large assise institutionnelle de la pédagogie ou sciences de l’éducation, prennent en compte et se fondent sur les besoins liés aux terrains professionnels, notamment en faveur d’une meilleure qualification et reconnaissance professionnelle. Ces demandes sociales constituent visiblement une condition du déploiement des sciences de l’éducation, mais vont également le conditionner, au sens où elles vont donner une orientation particulière aux investissements et travaux conduits par exemple dans l’IJJR puis l’Institut des sciences de l’éducation.

Voici trois exemples particulièrement éclairants:

• C’est pour assumer une fonction directrice à la formation des enseignants et faire office d’Ecole normale (qui n’existe pas à Genève) que l’on fonde en 1890/96 une chaire de pédagogie.

• En 1912, c’est pour articuler les recherches aux terrains professionnels que l’on nomme Malche, directeur de l’enseignement primaire, comme suppléant de Duproix décédé au poste de professeur de pédagogie.

• Et c’est au moment où le Département de l’instruction publique (DIP) confie la formation théorique des enseignants primaires et secondaires à l’IJJR, en 1929, que l’Institut est enfin rattaché à l’Université.

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Dans les trois cas, ces transformations vont orienter ou réorienter partiellement le contenu même des cours donnés et recherches conduites autour de la chaire ou de l’Institut des sciences de l’éducation.

3. Le troisième ensemble de commentaires, relatifs à la troisième colonne “Champs disciplinaire des référence”, pointe quelques faits saillants du rapport des sciences de l’éducation avec d’autres disciplines. C’est essentiellement en référence à la philosophie que la pédagogie s’installe à l’Université, en Faculté des lettres. C’est le cas un peu partout en Europe, en ce dernier tiers de 19e siècle, où se multiplient alors les chaires de pédagogie, lesquelles sont quasiment toutes confiées à des philosophes et insérées en Faculté des lettres.

La pédagogie ou LA science de l’éducation, termes interchangeables, est alors considérée comme une science morale. Mais c’est à la psychologie qu’elle emprunte concepts et théories, une psychologie encore d’obédience philosophique et qui lui sert de “caution” scientifique.

C’est à la même époque, en 1891 plus précisément, que la psychologie acquiert une chaire au sein de la Faculté des sciences, une psychologie à laquelle la pédagogie commence à se référer au tournant du siècle et qui deviendra le point de départ d’une réorientation du champ.

Déjà esquissée en 1906 avec les initiatives en faveur d’un séminaire de psychologie

pédagogique intégré dans le laboratoire de psychologie, une rupture s’opère en 1912 avec la fondation de l’IJJR, qui met en synergie des représentants de disciplines les plus diverses.

Si le discours qui accompagne cette création (Bovet, 1912; Claparède, 1912) met surtout en valeur trois disciplines, la psychologie –première–, la biologie, et la sociologie, dans les faits, les personnes sollicitées pour des cours et conférences, les plans d’études, les recherches conduites montrent la contribution d’une palette beaucoup plus large, qui semble justifier à elle seule le pluriel de scienceS de l’éducation (bien que ce pluriel ne soit quasiment pas problématisé): la psychologie, la philosophie, la pédagogie pratique et/ou expérimentale et/ou philosophique, l’histoire, la biologie, la médecine, la sociologie, la physiologie, l’eugénisme, le droit, l’anthropologie, l’économie, la psychanalyse.

On assiste dès le début, à une bipolarisation en deux champs disciplinaires,

psychologie/pédagogie, un mouvement qui se renforcera dès les années 20, avec l’arrivée de Piaget. Tandis que la pédagogie se développe en articulation avec les besoins des terrains professionnels, dans une logique avant tout d’intervention et de service, la psychologie, elle, acquiert une reconnaissance scientifique internationale grâce notamment aux travaux scientifiques conduits sur le développement de l’enfant. Cette bi-polarisation est reconnue officiellement en 1933, avec une direction tricéphale de l’institution, qui, elle, existe

toujours sous l’intitulé “sciences de l’éducation”; elle est progressivement renforcée avec une division de l’Institut des sciences de l’éducation en deux sections. L’institut se dégage dans le même temps de son obédience à la Faculté des lettres et marque sa

pluridisciplinarité en devenant “interfacultaire” en 1948. Ce mouvement d’autonomisation et de distinction psychologie et sciences de l’éducation se voit pleinement entériné en 1975, avec la création de la Faculté de psychologie ET des sciences de l’éducation.

Deuxième exemple: les disciplines à l’Institut des sciences de l’éducation vues à travers les enseignements donnés

Le tableau 2 présente l’évolution des intitulés des enseignements des programmes de l’IJJR.

Nous avons choisi 3 moments qui se situent deux ou trois ans après les césures importantes dans le développement de l’institut: après sa fondation; après l’année 20 marquant une reconnaissance officielle par la création d’une chaire pour le directeur de l’IJJR, Pierre Bovet;

et après 1929, année de l’entrée de l’Institut à l’Université. Sur la base d’autres travaux

(Kiciman et Muller, 2000) et d’une première analyse des cours et séminaires, nous distinguons

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5 catégories de contenus: psychologie; psychologie appliquée; pédagogie; pratiques d’enseignement; autres disciplines et domaines.

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Psychologie Psychologie appliquée Pédagogie Pratiques d’enseignement Autres disciplines et domaines 1914- Psychologie expérimentale - Techniques psychologiques - Psychologie et pédagogie des

enfants anormaux

- L’éducation des tout petits - Questions générales (hérédité, eugénique, Freud,)

- Psychologie de l’enfant - La psychologie appliquée à l’éducation

- Histoire de la pédagogie - L’éducation artistique de l’enfant - Pathologie et clinique des enfants normaux

- Psychologie animale (dressage) - Pédagogie expérimentale - Questions scolaires - La protection de l’enfance

- Education morale - Enseignement des mathématiques - La croissance - L’enseignement primaire français - Le dessin au service de

l’enseignement

- Questions de physiologie appliquée à l’éducation

- Tolstoï éducateur - Composition ornementale

- Bibliographie - Les travaux manuels au

service de l’enseignement - Les grands principes de l’art

d’enseigner

1922- Psychologie expérimentale - Technique psychologique - Histoire de l’éducation - Education des petits - Eugénique et caractérologie - La pensée de l’enfant - Technopsychologie et orientation

professionnelle

- L’éducation des enfants et la psychologie génétique

- Gymnastique rythmique - Eléments d’anatomie et de physiologie

- Psychologie et pédagogie des sentiments moraux

- Le travail personnel du maître - Hygiène scolaire - Psychologie et pédagogie des

enfants anormaux

- L’histoire de la suisse à l’école primaire

- La croissance pendant l’âge scolaire

- Pédagogie expérimentale - L’activité manuelle au service de l’éducation

- Pathologie et clinique des enfants anormaux

- Didactique - Le dessein et la culture de l’esprit - Questions sociales relatives à l’enfant

- Bibliographie pédagogique - Composition ornementale - Sociologie de l’enfance - Instruction et éducation musicale - Suggestion et force morale

- Technique de la volonté - Psychanalyse éducative 1932- Psychologie expérimentale - Psychométrie - Science de l’éducation - Histoire

de l’éducation nouvelle

- L’éducation civique en Suisse - Histoire de la pensée scientifique - Chapitres choisis de psychologie

génétique

- La psychologie du travail industriel - Education morale - L’éducation des petits - Le maître d’école, problèmes de sociologie et d’éducation - Conférence sur l’intelligence des

singes

- Technique psychologique - Education des adolescents - L’éducation des enfants anormaux - Anthropologie Psychologie de l’enfant - Orientation professionnelle - L’organisation scolaire et le milieu

social

- Dessin - Composition ornementale - Introduction aux méthodes statistiques

- Représentation du monde chez l’enfant

- Psychologie ouvrière - Documentation pédagogique - Jeux et exercices rythmés - Questions de protection de l’enfant

- Recherches psychologiques - Education et philanthropie - L’activité manuelle au service de

l’enseignement

- Anatomie et physiologie élémentaire du système nerveux

- Introduction à la psychologie - Didactique générale - Rythmique - Maladies des enfants et hygiène

mentale - Bibliographie

Tableau 2 : Enseignements donnés à l’Institut Jean Jacques des sciences de l’éducation à Genève en 1914, 1922 et 1932

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Voici quelques constats qui se dégagent du tableau 2:

• La pédagogie joue un rôle capital dans l’enseignement proposé. Les intitulés laissent penser qu’il s’agit surtout d’une réflexion sur les principes de l’éducation et de

l’enseignement, menée d’un point de vue historique et normatif, dans la tradition de la science morale, proche de la philosophie. On notera toutefois d’une part la présence d’éléments de psychologie, et d’autre part l’apparition, certes timide, de la pédagogie expérimentale.

• Appliquée ou “pure”, la psychologie joue un rôle très important au démarrage de l’institut.

Elle supplante même la pédagogie dans la troisième phase. On peut se demander si l’on assiste ici à un déplacement de sa fonction dans le dispositif d’ensemble, à savoir une progressive autonomisation de la psychologie par rapport aux questions de l’enseignement et de l’éducation.

• La rubrique “Autres disciplines et domaines” montre la réalité pluridisciplinaire d’Institut.

La médecine (pathologie, physiologie, hygiène et maladies) est présente dès le début. Des questions d’eugénique, d’hérédité et d’anthropométrie (croissance) représentent certains aspects de la biologie de l’homme. La sociologie et l’anthropologie sont abordées, aussi à travers des enseignements sur les questions sociales ou sur la protection de l’enfant. Plus ponctuellement on voit apparaître la psychanalyse et la statistique et des enseignements liés à la formation de la personne: technique de la volonté, suggestion et force morale.

• La rubrique “pratiques d’enseignement” montre d’une part une remarquable continuité par la présence de certains enseignements (éducation des petits, composition ornementale, dessin, activité manuelle, rythmique) auxquels s’ajoutent, ponctuellement, des cours sur l’enseignement des mathématiques, de l’histoire et de l’éducation civique. Liste étonnante qui dénote une préoccupation pour des activités marginales de l’école, fortement valorisées par le mouvement de l’école active.

Cette brève excursion dans les contenus enseignés à l’Institut permet les constats suivants:

• réalité du pluriel des sciences de l’éducation créant une synergie entre disciplines par l’unité de lieu et de formation

• dominance de deux piliers: pédagogie et psychologie

• probables changements de frontières disciplinaires, notamment entre psychologie et pédagogie, la psychologie se renforçant et s’autonomisant.

II. Questionnement théorique

Nous nous proposons, dans cette deuxième partie, de reprendre, d’analyser et de discuter quelques éléments du processus que nous appelons, à la suite de Stichweh (1987),

“disciplinarisation secondaire”. Cette tentative d’abstraction et de généralisation est basée d’une part sur les travaux menés depuis quelques années sur l’histoire des sciences de l’éducation et d’autre part sur nos investigations empiriques concernant l’histoire de l’institutionnalisation académique des sciences de l’éducation entre 1890 et 1948 environ. Il nous intéresse de savoir si les présupposés, thèses et questions liées à ce contexte particulier lui sont spécifiques ou s’il est possible d’esquisser des parallèles d’une part avec d’autres contextes (d’autres universités en Suisse et dans d’autres pays), mais aussi avec d’autres disciplines.

Notre réflexion se structure en trois volets, qui font écho aux trois colonnes présentées dans

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• la constitution de ce qu’on pourrait dénommer un “champ disciplinaire” par son intégration dans le système disciplinaire plus général des sciences/disciplines constituées;

• le rapport à la profession de référence;

• le rapport aux champs disciplinaires de référence et au mouvement de différenciation externe et interne.

Nous présenterons pour chaque volet des considérations théoriques générales que nous discuterons à partir de nos exemples.

1. Progressive constitution d’un “champ disciplinaire” par son intégration dans le “système disciplinaire” plus général des sciences/disciplines constituées

Le concept de disciplinarisation désigne le mouvement qui conduit tendanciellement à quelque chose de l’ordre d’une discipline, ou pour prendre un concept qui évoque des réalités institutionnelles plus souples et moins homogènes, d’un “champ disciplinaire”; autrement dit, qui mène à la progressive distinction de domaines de recherche, spécialisés dans la production de connaissances sur des problématiques communes qui sont définies par des réseaux de chercheurs se constituant dans le processus même de disciplinarisation au niveau international. La spécialisation en la production de connaissance sur des problématiques communes présuppose et engendre une assise institutionnelle qui permet la mise en réseaux (supports scientifiques), prévoit des démarches de socialisation dans la discipline, propose des cursus et diplômes garantissant une socialisation et formation d’une relève. Assise institutionnelle, mise en synergie, professionnalisation et spécialisation sont l’objet d’une lente construction et ne cessent de se conquérir, transformer, restructurer. Ils visent le renouvellement constant et une mise en question incessantes des connaissances existantes à travers des méthodes diversifiées, reconnues comme légitimes par la communauté respective.

Cette disciplinarisation s’accomplit en référence au système disciplinaire plus général, regroupant l’ensemble des disciplines constituées ou en cours de constitution –qui inclut les sciences morales–, toutes spécialisées dans la production de connaissances scientifiques. Un système qui se définit par des institutions permettant la mise en synergie de chercheurs spécialisés qui se reconnaissent dans ce système et ses règles. Processus continu, la disciplinarisation redéfinit sans cesse les frontières disciplinaires établies, toute discipline une fois constituée et relativement stable étant soumise à une continuelle redéfinition.

Trois commentaires à ce propos.

• Dans une telle perspective, le découpage des disciplines est le résultat d’un processus historique dépendant autant des acteurs impliqués dans le processus de disciplinarisation que de la réalité qui est l’objet de la connaissance. Autrement dit, le système disciplinaire comme sa différenciation interne en disciplines ou champs disciplinaires spécifiques n’est pas le seul reflet d’une réalité, comme pourrait le laisser entendre une approche essentiellement épistémologique du système disciplinaire qui déduirait celui-ci d’une conception de la réalité. Il est tout autant le résultat toujours provisoire du processus même de la connaissance du monde qui se fait dans des conditions sociales toujours particulières et en lien avec des pratiques sociales multiples.

• Les configurations prises par des disciplines et champs disciplinaires sont très variées; il n’existe pas un prototype de discipline qui serait le terminus ad quem des disciplines.

C’est l’histoire même des disciplines qui définit leur forme et les modes de leur évolution aucunement une fin prédéfinie.

• Cette conception n’implique nullement que seul le système disciplinaire aie la capacité de produire des connaissances. Ce système a néanmoins dans nos sociétés une certaine prééminence du fait que la production de connaissance est sa spécialité, qu’on peut donc

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supposer une certaine efficacité de ce système, qu’il est en outre hautement valorisé, ce qui a des effets sur les autres systèmes sociaux, dont les champs professionnels.

Discussion à partir de notre exemple: s’agissant des sciences de l’éducation, dans le contexte genevois, on constate qu’un facteur puissant de développement du champ disciplinaire semble être la mise en synergie des disciplines par des institutions extra- ou para- universitaire, qui entretiennent néanmoins avec l’Université un lien assez étroit (l’IJJR par exemple). Le champ disciplinaire prend forme dans une sorte d’exterritorialité par rapport aux lieux classiques et nécessaires des disciplines, à savoir l’université et les autres institutions officielles de production de connaissance (académies, hautes écoles). Ceci permet à la fois de mieux articuler le champ naissant avec les milieux professionnels qui n’ont pas nécessairement accès à ces institutions, étant donné précisément leur forme de socialisation qui les en exclut (notamment les enseignants primaires; mais aussi d’autres profession de l’éducation), et de laisser s’évoluer dans un cadre relativement libre le découpage disciplinaire, sans la contrainte trop étroite de l’organisation facultaire, tout en intégrant ses potentialités.

De nombreuses institutions de même type que l’Institut Jean-Jacques Rousseau semblent avoir émergé ailleurs dans le premier quart du 20e siècle, attestant ainsi de la dimension internationale du processus de disciplinarisation en cours. Et il nous semble qu’il serait particulièrement intéressant de mieux comprendre leur rôle dans le développement du champ disciplinaire, voire de conduire des recherches comparatives à ce propos pour mieux connaître à la fois l’unité relative et la diversité du processus dans le cadre de l’émergence d’autres sciences sociales. Il nous intéresse également de savoir si c’est le cas d’autres disciplines, par exemples d’autres sciences sociales ou d’autres disciplines de disciplinarisation plutôt secondaire. Ont-elles aussi dû recourir à des institutions intermédiaires entre les institutions universitaires et les milieux professionnels, qui fonctionnent pour ainsi dire comme

laboratoires pour définir les contours de nouveaux champs disciplinaires?

Autre point que nous soumettons à discussion, à propos de l’intégration des sciences de l’éducation dans le système disciplinaire. Si cette intégration est bien effective, comme en atteste le développement des chaires, cursus académiques, centres de recherche, revues spécialisées…, il est néanmoins tardif, par rapport à d’autres, et semble s’accomplir un peu dans la marge. Les sciences de l’éducation et leurs représentants peinent à être reconnus comme véritables interlocuteurs des autres disciplines, dont certaines partagent d’ailleurs leur objet –l’analyse des phénomènes d’enseignement et d’éducation. Les représentants des sciences de l’éducation ne se reconnaissent pas nécessairement dans les conventions sociales et scientifiques, qui régissent l’univers académique et ont une faible conscience disciplinaire.

La socialisation sous forme de relève, n’est guère développée et s’accomplit dans une large mesure à l’extérieur de la discipline.

2. Le rapport aux professions de référence

Comme nous l’avons évoqué en introduction, le processus de disciplinarisation secondaire se caractérise par l’existence, préalable à l’institutionnalisation disciplinaire, de professions dont l’exercice implique l’existence et la connaissance de savoirs théoriques, sur la base desquels et en référence auxquels un champ disciplinaire se constitue; ce champ disciplinaire va progressivement se spécialiser dans l’élaboration, le développement et la transmission des savoirs de la profession, à l’instar des sciences médicales (Stichweh, 1987), d’ingénierie (Torstendahl, 1993) ou politiques/économiques (Beillerot, 1987; Tribe, 1991; Voutat,

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professionnalisations croissantes, qui en appellent à une qualification accrue et certifiée, en vue d’une meilleure reconnaissance sociale de la profession.

La mise en rapport entre profession et discipline est tout autant le résultat de facteurs objectifs d’amélioration des connaissances permettant une plus grande efficacité de la pratique professionnelle que d’une quête pour la reconnaissance sociale de la profession comme du champ disciplinaire, de leur statut, de leur légitimité, notamment dans la production et transmission des savoirs professionnels.

L’interrelation profession/discipline est l’un des facteurs de la transformation du système disciplinaire, preuve s’il en fallait du fait que ce dernier ne peut être que le reflet de la réalité à connaître, mais tout autant le résultat de demandes sociales auxquelles il doit et a intérêt à répondre. Profession et discipline se trouvent donc dans un rapport de renforcement objectif mutuel, même si cette interrelation est aussi le produit de forces contradictoires, de concurrence réciproque, qui tantôt impulse tantôt retient le mouvement de disciplinarisation.

Discussion à partir de notre exemple: les professions liées à l’enseignement et l’éducation reposent sur des savoirs complexes; elles exigent un large cadre théorique et suivent un mouvement de professionnalisation de qualification croissantes. Ces professions sont donc candidates à un processus de disciplinarisation secondaire suite à leur établissement comme véritables professions au courant du 19e siècle qui voit l’apparition de l’Etat enseignant.

Pourtant ce processus de disciplinarisation semble extrêmement lent et n’aboutit guère à une discipline de référence clairement établie et reconnue qui assurerait à la fois un développement systématique des connaissances nécessaires à la profession et la formation à cette profession. Et le rapport des professionnels de l’enseignement et de l’éducation au système disciplinaire est plus qu’ambivalent, comme l’exemplifie le fameux et séculaire couple antagonique théoriciens/praticiens, qui de tout temps et en toutes contrées hantent les dits pédagogues.

Nos investigations empiriques sur l’exemple genevois entre 1890 et 1948 nous ont conduits à avancer l’hypothèse suivante, qu’il nous semble intéressant d’éprouver en fonction d’autres contextes géographiques et temporels, et peut-être même pour d’autres disciplines, notamment de disciplinarisation secondaire. Profession et discipline ne peuvent être dissociées dans leurs évolutions réciproques: la nécessité de former des professionnels de l’enseignement et de l’éducation est à l’origine de l’émergence de la discipline universitaire et cette dernière transforme la nature de la formation du corps enseignant. Et pourtant, les exigences de l’une (la formation professionnelle privilégiant les dimensions praxéologiques) semblent contradictoires, voire incompatibles, avec les exigences de l’autre (la constitution d’une discipline universitaire, scientifique, présupposant une distance d’avec une logique praxéologique).

Serait-ce en raison de cette incompatibilité que les très nombreuses initiatives en faveur d’une universitarisation de la formation des enseignants dans les premières décennies du 20e siècle européen n’ont alors pas abouti? Pourquoi à Genève, une semi-universitarisation a-t-elle été possible, permettant précisément un renforcement du processus de disciplinarisation des sciences de l’éducation?

Nos recherches antérieures nous permettent d’avancer quelques hypothèses, qu’il nous semble intéressant de discuter également. L’aspiration de la profession à une meilleure reconnaissance sociale, la complexification du système de formation impliquant une plus haute qualification des professionnels, un mouvement réformiste concernant l’ensemble du système de formation (du primaire au supérieur), l’existence même d’une offre crédible du côté du système disciplinaire grâce à la constitution d’un champ disciplinaire spécialisé dans ces problématiques, sont quelques-uns des facteurs généraux qui se sont révélés importants dans le renforcement du processus de disciplinarisation secondaire. Les facteurs inverses

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inhibent parallèlement ce processus. Nous avons ainsi pu montrer que la configuration particulière genevoise d’une poussée réformatrice, de l’existence d’une offre disciplinaire relativement avancée et d’une aspiration (même ambivalente) des professionnels à l’élévation de leur formation, aboutit à un rapport original entre profession et discipline à Genève dans les années 30, permettant de se poser la question d’une exception genevoise, soit une universitarisation partielle en 1929 tant de l’Institut que de la formation des enseignants primaires. Des recherches comparatives permettront de vérifier plus en détail ces hypothèses (pour une première exploration dans ce sens, voir Späni, 2000).

De manière plus générale, et dans une visée de comparaison entre disciplines, il serait intéressant de s’interroger sur la manière dont ce rapport discipline/profession s’est réalisé et a évolué pour la médecine. Celle-ci semble en effet avoir su imposer à la fois un champ disciplinaire de très haut prestige et une profession non moins reconnue dont la formation se fait à travers un long processus de socialisation essentiellement à l’intérieur du cadre disciplinaire. Pourquoi les professions éducatives, elles aussi socialement fondamentales, ne se sont-elles pas aussi constituée en référence avec une discipline de référence? Quels sont les facteurs qui, au niveau international, ont empêché qu’advienne ce que Genève pratique en petit et qui constitue une évidence pour d’autres professions?

3. Le rapport aux champs disciplinaires de référence et au mouvement de différenciation externe et interne

La disciplinarisation est un processus en constante transformation. Le système disciplinaire évolue sans cesse par une redéfinition continuelle des frontières entre disciplines les unes par rapport aux autres et à l’intérieur de chacune d’elles. Ces transformations ont des effets importants de répartition de ressources et sont donc l’objet de conflits parfois vifs qui aboutissent à des fissions, des fusions, des définitions de nouveaux domaines de recherche, dans un mouvement incessant que désigne précisément le terme de disciplinarisation. Ceci concerne tout le système disciplinaire, nous postulons en outre que ce mouvement suit une dynamique pour partie différente selon qu’il se produit dans un mouvement de disciplinarisation à dominante primaire ou à dominante secondaire. Un processus de disciplinarisation secondaire pourrait être caractérisé par une pluridisciplinarité constitutive et par un mouvement de disciplinarisation plus lent, plus souple ou plus chaotique selon le point de vue, notamment du fait qu’il est articulé et pour partie conditionné par les champs professionnels de référence. C’est en tous les cas ce que nous déduisons de l’exemple genevois.

Discussion à partir de notre exemple: Nos observations empiriques montrent que le processus de disciplinarisation secondaire n’aboutit pas directement et sans autre à une discipline de référence, reconnue comme telle. Tout se passe un peu comme si des disciplines diverses “se bousculaient au portillon” comme candidates potentielles pour devenir cette discipline, ou tout au moins lui servir de caution scientifique. Des acteurs provenant de disciplines différentes à la fois se profilent et sont sollicités dans ce processus: s’agissant de notre exemple, on peut inventorier philosophie, médecine, psychologie, sociologie, la science de l’éducation–pédagogie ou pédologie, pour ne citer que les plus importantes. Elles ne s’excluent d’ailleurs pas nécessairement les unes les autres, mais proposent pour ainsi dire leurs services. L’évolution se complique encore du fait que ces disciplines, dans le processus réel de disciplinarisation tel qu’il se développe par rapport aux professions de l’enseignement et de l’éducation, sont en quelque sorte en voie de constitution. On assiste ainsi à une double différenciation des disciplines les unes par rapport aux autres et par rapport à la profession

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Pour mieux désigner ces processus fortement intriqués, il paraît judicieux d’introduire le terme de champ disciplinaire de référence, champ comprenant des disciplines diverses s’instaurant comme disciplines de référence qui, dans le processus de disciplinarisation, ne sont pas encore nécessairement clairement distinctes les unes des autres. Parler de champ disciplinaire de référence a ainsi une double signification: le terme permet de dire par rapport à la profession qu’il y a un ensemble de disciplines potentiellement intéressées qui se mettent dans un rapport de référence; par rapport à l’intérieur du champ, il signifie que les rapports entre les disciplines elles-mêmes sont en constante évolution, les appartenances, la légitimité de chacune, les problématiques définies, les attributions, les objets de connaissances étant sans cesse négociés, redéfinis, voire découverts. Autrement dit: le processus de disciplinarisation secondaire ne présuppose pas nécessairement UNE discipline de référence, mais peut aussi se réaliser sous forme de champ disciplinaire de référence, dont les dimensions pluridisciplinaires semblent plus importantes que pour d’autres disciplines. C’est tout au moins le cas des sciences de l’éducation, dont la dénomination francophone “revendique” à la fois la dimension disciplinaire-scientifique et le pluriel.

Il nous semble intéressant à ce propos de mieux analyser cette question d’appellation, puisque le singulier est parfois privilégié, par exemple dans les pays germanophones

(Erziehungswissenschaft), tandis que d’autres dénominations ne mettent pas en avant la dimension disciplinaire (par exemple: recherche en éducation; educational research). Il nous semble également intéressant d’étayer notre réflexion par des mises en parallèles avec d’autres disciplines, pour interroger l’évolution de leurs dénominations et des frontières disciplinaires externes et internes, par exemple pour les sciences médicales, les sciences politiques, les sciences de la communication.

Éléments de conclusion

En guise de conclusion, nous nous proposons de nous arrêter quelques instants sur l’un des aspects centraux du processus de disciplinarisation des sciences de l’éducation, le rapport entre celles-ci et la psychologie, voire la médecine, un rapport qui soulève la question des frontières disciplinaires et nous semble ainsi susceptible de faire écho aux deux autres interventions de cet atelier portant sur l’émergence des sciences sociales et les frontières mouvantes entre disciplines.

L’émergence universitaire de la pédagogie comme science morale, avec sa chaire de référence, débouche, dès l’aube du 20e siècle, sur une mise en synergie de deux pôles principaux, la psychologie et la pédagogie, épaulés notamment par la médecine, puis, dans une moindre mesure la sociologie. Il vaut la peine de s’arrêter sur cette configuration qui a l’apparence d’une évidence qu’il s’agit précisément d’interroger. On peut en effet constater, en exagérant sans doute un peu le trait, que se crée alors un premier champ disciplinaire de référence avec en son centre:

• d’une part une pédagogie qui, pour l’essentiel, continue la tradition de science morale, même si l’on peut voir aussi une volonté de transformation de la pédagogie en science sociale (voir les débats entre 1908 et 1915 en faveur du déplacement de la pédagogie dans la Faculté des sciences sociales; et le travail empirique mené sous la bannière de pédagogie expérimentale);

• et d’autre part une psychologie qui représente l’essentiel de l’acquis empirique

(observation systématique, expérimentation, mesure), mais dont l’acte fondateur consiste dans le fait de constituer en objet de recherche le sujet isolé, l’enfant, se développant selon des lois génétiques, en dehors de tout acte formatif et éducatif.

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On assiste autrement dit au paradoxe que l’une des disciplines centrales du champ disciplinaire de référence des professions de l’enseignement et de l’éducation fait abstraction de l’acte d’enseignement et de formation; un peu à l’image de la physiologie ou de l’anatomie, conçue indépendamment de l’acte médical; avec cette différence énorme néanmoins, non théorisée, mais que le modèle médical souvent utilisé tend précisément à conforter, que le psychique, contrairement à l’anatomie humaine, est toujours déjà le résultat d’actes formatifs. On peut faire l’hypothèse que la place centrale occupée par la psychologie va lui profiter

particulièrement dans la dynamique de l’évolution des rapports de forces des disciplines et lui permettre de s’“autonomiser” progressivement; c’est-à-dire que, tout en restant proche du champ disciplinaire de référence, elle conquiert suffisamment de puissance pour se constituer en discipline “autonome”, ce d’autant plus qu’elle s’est aussi instaurée à travers un processus de disciplinarisation essentiellement primaire.

Notons à ce propos que l’on pourrait considérer la psychologie comme une discipline oscillant entre les deux processus de disciplinarisation, premier et secondaire. La définition des

frontières entre disciplines est à cet égard particulièrement intéressante à observer dans la mesure où des domaines intermédiaires, fortement liés au champ professionnel de

l’enseignement et de l’éducation (par exemple orientation professionnelle, psychologie différentielle, etc.), sont subsumés à la discipline psychologie, à Genève, mais également dans d’autres pays, ce qui n’est pas le cas dans tous les systèmes académiques et universitaires.

En même temps, cette autonomisation laisse le champ libre à d’autres développements, notamment celui de la pédagogie expérimentale, de la psychopédagogie, puis, plus tard de la didactique, permettant la formation d’un autre champ, qui comprend la psychologie comme une composante parmi d’autres dans une synergie nouvelle qui, elle, se développe vers une discipline pluridisciplinaire. C’est peut-être ce mouvement qui s’amplifie avec la distinction institutionnelle de la psychologie et sciences de l’éducation en deux sections, au sein d’un même institut puis d’une même Faculté.

Notes

1. La communication est élaborée dans le cadre du travail de l’équipe FNRS de l’Université de Genève

“Emergence et premiers développements des sciences de l’éducation comme champ disciplinaire. L’exemple de Genève 1890-1948” (Projet N° 1114-057097-99). Collaborateurs: Valérie Kiciman, Valérie Lussi, Christian Muller et Martina Späni.

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