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Oncologie : Article pp.207-215 du Vol.4 n°3 (2010)

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Texte intégral

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SYNTHÈSE /REVIEW ARTICLE

Traumatisme de l ’ énonciation d ’ un cancer touchant au thorax : le ternaire réel, symbolique, imaginaire est-il transposable ?

Trauma linked with enunciation of a chest cancer:

Is ternary

“real –

symbolism

imagination” transferable?

J.-L. Pujol

Reçu le 28 octobre 2009 ; accepté le 26 avril 2010

© Springer-Verlag France 2010

RésuméLes cancers touchant le thorax sont porteurs para- digmatiques de toutes les peurs archaïques élicitées par le mot

« cancer ». Or, le lien épidémiologique fort avec le tabagisme, bien que le tabac ne puisse à lui seul rendre compte de la complexité de la cancérogenèse bronchique, a provoqué une stigmatisation forte des patients qui sont atteints de cette loca- lisation cancéreuse particulière, les rendant responsables d’une maladie grave et auto-infligée. Partant de l’affect provoqué par l’irruption du réel du corps, cet article expose pourquoi ce réel du symptôme ne peut s’articuler complète- ment à une symbolisation par des mots. Or, ce travail du patient sur l’affect est fondamental, car il contient une part incompressible, une part non représentée qui relance l’imagi- naire, lequel en retour aura tendance à déplacer l’affect en l’intensifiant. L’auteur montre ensuite que la construction imaginaire est renforcée par la vision sociale des cancers attei- gnant le thorax et par une vision ontologique de la maladie.

Mots clésCancer du thorax · Énonciation · Symbolisation · Imaginaire · Réel

AbstractCancers affecting the chest evoke all archaic fears elicited by the word“cancer”. However, the strong epide- miological link with smoking, even if tobacco cannot alone account for the complexity of lung carcinogenesis, is respon- sible for the stigma of patients who are suffering from this particular cancer, and they are socially“blamed” for their serious illness, considered as self-inflicted. Based on the affect caused by the intrusion of the reality of the body, this article explains why the actual symptoms might not

fully articulated with a symbolization by words. However, the patient’s thinking about his/her own affect is essential because it contains an irreducible part, which is not repre- sented by words. The symbolization deficiency could be res- ponsible for rekindle imagination, which in turn will tend to move in intensification of affect. The author then shows that the imaginary construction is reinforced by the social repre- sentations of cancers as ontological diseases.

Keywords Cancer of the chest · Announcement · Symbolization · Imaginary · Reality

«…la figure ravageuse de l’intrus. Étranger à moi-même et moi-même m’étrangeant »

Jean-Luc Nancy

Introduction

Les cancers affectant le thorax sont fréquents et graves.

Première cause mondiale de mortalité par cancer, le cancer bronchique est porteur paradigmatique de toutes les peurs archaïques élicitées par le mot « cancer », lui-même para- digme de la maladie absolue, en cela qu’il réfère à l’imagi- naire collectif, celui de la maladie inexorable ; il renvoie ainsi à l’une des trois origines de la souffrance humaine selon Freud : la caducité du corps [14]. Or, le lien épidémio- logique fort avec le tabagisme, bien que le tabac ne puisse à lui seul rendre compte de la complexité de la cancérogenèse bronchique dans tous ses aspects génétiques et épigénéti- ques, a provoqué une stigmatisation forte des patients qui sont atteints de cette localisation cancéreuse particulière (au sens de locus), les rendant responsables d’une maladie grave etauto-infligée. Deux caractéristiques fondamentales de ces cancers, leur poids épidémiologique de morbimor- talité, d’une part, et leur fort lien avec un comportement humain, d’autre part, ont conduit la collectivité à forger un imaginaire particulier du cancer bronchique lequel déborde

J.-L. Pujol (*)

Faculté de médecine, 1, rue École de médecine, F-34000 Montpellier, France

e-mail : jl_pujol@orange.fr

Unité de psycho-oncologie, CHRU de Montpellier, F-34295 Montpellier, France

DOI 10.1007/s11839-010-0263-5

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largement les seuls cancers bronchiques pour concerner tout cancer affectant l’un des organes thoraciques. Ces deux caractéristiques expliquent par ailleurs que les cancers « tou- chant au thorax » soient l’objet de retards diagnostiques très sensibles, en comparaison avec d’autres localisations comme le cancer du sein, et qu’un certain nombre de facteurs psychosociaux soient à l’origine d’un effet dilatoire [24].

Parler de cancer affectant le thorax n’est pas synonyme de parler de cancer en général, non qu’ils aient des caractéris- tiques distinctes, mais parce que la représentation sociale qui leur est rattachée relance particulièrement l’imaginaire.

Cet imaginaire fait appel, comme pour toutes maladies de mauvais pronostic, à des représentations usuelles (populaires) de l’ordre de l’archaïque et du surnaturel. Ces représentations excluent par là un lien apparent avec une dérive de la physio- logie humaine faisant du cancer non plus une anomalie d’une fonction telle que décrite par Canguilhem [3] mais l’anormal par essence. Nous verrons que dans le cas des cancers affec- tant le thorax, cet imaginaire est doublé d’une recherche de causalité, partie intégrante de la connaissance naïve ; l’article étudiera ensuite à l’échelle de la personne qui en est atteinte, la construction de représentations traduisant une subjectiva- tion visant à affaiblir le poids du pronostic de la maladie et du stigmate social dont il est dorénavant porteur.

Expérience du cancer, traces mnésiques et question du corps

Quel que soit l’âge du sujet, il a un inconscient, et cet incons- cient est ce qui est infantile en lui [12,13]. Chez l’enfant, les toutes premières expériences psychiques résultent d’une activité qui conjoint de l’agréable comme du désagréable, les deux soumis à une compulsion de répétition. Ces événe- ments vont persister sous la forme de traces mnésiques. Le sujet adulte, particulièrement celui qui fait l’expérience du cancer, se comporte en cette occasion d’une manière infan- tile et nous montre ainsi que les traces mnésiques refoulées, se rattachent à ses toutes premières expériences psychiques, celles-là mêmes qui généralement s’articulent à la question du corps, puisque les premiers représentants inconscients sont des représentations de choses en lien avec l’affect.

Elles obéissent à la même compulsion de répétition, la même oserais-je dire, qui fait qu’il continue, de fumer d’une main, tenant son pied à perfusion de chimiothérapie de l’autre.

C’est bien un événement désagréable que le patient cherche sans cesse à reconvoquer en s’opposant à tout ce qui ne serait pas de caractère cyclique, fusse au prix de se maintenir dans le cycle des chimiothérapies. Mieux vaut, pour lui, maîtriser une réalité cyclique douloureuse plutôt qu’aller vers l’inconnu du nouveau surtout que ce futur probable, les autres se chargent de le lui rappeler : c’est le réel de la mort.

Représentation usuelle (culturelle) du cancer comme substitut imposé face à l

indicible de l

irruption du réel

La survenue d’une maladie et particulièrement celle d’une maladie telle que le cancer bronchique produira une interaction à deux niveaux :

une interaction entre le patient et son environnement direct : il est affecté dans son corps malade, puisqu’il fait l’expérience intime et singulière de la maladie, mais il est également affecté dans sa relation à ses proches et à son environnement usuel ;

une interaction entre le patient et le médecin.

Or, les représentions de la maladie, comme toutes les représentations se sont construites parce que nous y mettons des mots. Ce qui arrive au corps d’un patient, symptôme comme syndrome, c’est l’irruption du réel pris dans le sym- bolique ; c’est pourquoi Lacan [20] soulignait que le symp- tôme est, chez le malade, ce qui le rattache le plus au réel.

Freud, au sujet de la névrose [8], soulignait qu’il y avait là l’impossibilité d’un dire. C’est une forclusion du symbo- lique tout à fait similaire qui peut s’observer chez le patient confronté à l’indicible du réel de la maladie. Pour compren- dre la demande que le patient exprime par sa plainte, il fau- drait que le médecin abandonne les principes d’objectivation sémiologique pure qui fondent l’interrogatoire médical, pour tenter l’expérience dialectique d’un travail de la plainte, dans un échange qui prend place dans le champ de la parole [2].

Elle nécessite des mots, avec lesquels le patient peut penser son corps, mais il s’agit toujours de mots qui lui ont été prêtés comme à tout humain. Ce qui fait référence à la maladie est donc du champ du réel, mais ce réel est lu à travers des mots prêtés. C’est là qu’interviennent les représentations du cancer bronchique culturellement imposées, car le patient va alors se trouver convoqué, voire sommé, de subjectiver ces représen- tations pour les faire siennes. C’est donc un travail de subjec- tivation du patient entravé par cette sommation (l’entretien médical), et le patient s’appuie alors sur les représentations usuelles passées et actuelles du cancer pour les articuler à sa propre réalité (le corps malade) ; en cela, le cancer bron- chique, et la nécessaire subjectivation qui devrait s’opérer lors de l’entretien médical, exemplifie la difficulté qu’il y a à établir un lien entre le réel et le symbolique, la fuite pouvant se faire dans une construction imaginaire refuge.

Relation symbolique entre le mot et la chose « cancer »

La vie sociale passant nécessairement par la parole et le lan- gage, chaque mot utilisé a pour lui-même un sens imaginaire

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plus ou moins relié à un sens collectif et une valeur signi- fiante propre à chaque individu. La valeur linguistique d’un mot (ou d’une entité linguistique en général), considérée dans son sens conceptuel, est la propriété qu’a ce mot d’exprimer une idée : cette propriété, c’est le lien qui unit le concept (la pensée, le signifié) à l’image sonore de la pen- sée (signifiant). Le rapport du signifié et du signifiant est ce qui définit le signe, lequel peut prendre une valeur propre à chaque situation donnée [4]. En matière de cancer, il est rare que l’individu et la collectivité attribuent à ce signifié, discours manifeste, le mêmesignifiant, contenu latent. Freud [7] considérait à ce sujet que « la représentation de mot est reliée à la représentation d’objet uniquement par l’image sonore…[] la représentation d’objet est quant à elle un com- plexe associatif hétérogène constitué des représentations les plus diverses, visuelles, tactiles, etc. ». Dans ce même texte, Freud explique que la relation entre la représentation incons- ciente de mot et la représentation inconsciente de chose est celle qui mérite le qualificatif de relation symbolique. C’est cette liaison particulière du mot et de l’objet, du « mot cancer » et de la représentation usuelle, de « la chose can- cer », que cette section tentera d’analyser. Les représentions de choses articulées aux affects ont pour propriété de se déplacer : c’est là une des principales propriétés de ces repré- sentations. La relation médecin–malade ne peut considérer les mots comme les affects. L’affect doit avant tout être vérifié et ne peut être confondu avec l’émotion, qui est déjà une forme de représentation consciente de l’affect. En effet, l’émotion elle-même ne touche pas la racine incons- ciente de l’affect. Or l’émotion relève du préconscient–cons- cient et tient à l’empreinte sonore déconnectée de son objet.

Cancer bronchique :

« un dire » qui fait événement

Ce travail se fixe pour objectif d’étayer le concept suivant : le diagnostic d’un cancer est prototypique d’une irruption dans le réel d’un événement susceptible d’être subjectiver et de faire ensuite avènement. Pour le représenter, il y a deux types d’outils :

laffect et les mots : le quantum d’affect est la manière la plus brutale, le signal fait au corps par le réel de la mala- die. L’affect qui ne trompe pas en l’occurrence, c’est l’angoisse [19] ; il est le seul qui soit intransmissible par des mots et qui dise : « le réel est là » ;

les mots et leurs empreintes sonores sont, quant à eux, dans le champ du préconscient–conscient et de l’incons- cient du fait des refoulements secondaires. L’affect lui, même passant par les mots qui ne peuvent jamais tout dire, passe par le corps, ce qui a fait dire à Lacan [16]

« l’affect est ce qui du corps pâtit du signifiant ». Quels

que soient les mots utilisés pour représenter l’avènement, il y aura toujours un manque, un défaut de congruence de la représentation inconsciente de chose et la représen- tation inconsciente de mot, laquelle congruence aurait permis un « dire » qui ferait, dès lors, avènement.

Selon Lacan [17], c’est Freud qui a pris, le premier, la responsabilité de considérer « qu’il y a des maladies qui parlent » et qu’il est de notre responsabilité d’entendre la vérité de ce qu’elles disent [17]. Encore nous faut-il sortir de la simple structure objectivante d’un interrogatoire médi- cal mené aux fins d’un diagnostic et en vue d’un traitement, pour aborder un questionnement de la plainte du patient sur le versant de l’énigme qu’elle contient ; c’est, entre autres, dans la vérification de l’affect que l’on peut atteindre la vérité de la subjectivation [18]. « Son unique champ est celui de la parole et du langage et son expérience est dialectique » [2].

Imaginaire populaire comme substitut de la représentation

Le mot « cancer » dans l’imaginaire collectif est très forte- ment associé à trois autres substantifs qui sont par ordre de covalence décroissante : la souffrance, la peur et la mort (enquête INCa–Ipsos, 2006, ref. 6). Or, le réel de la mort n’a pas de représentation dans l’inconscient : « la représen- tation de la mort est quelque chose qui a été accepté tardive- ment et seulement avec hésitation, elle est d’ailleurs, pour nous aussi, encore vide de contenu et impossible à remplir » [9]. C’est pourquoi la prévalence de l’imaginaire dans la construction de la représentation fait que le cancer bron- chique, porteur d’un stigmate d’incurabilité, soit ressenti comme une malédiction. Dans l’étymologie du mot, il y a la notion d’un dire erroné (par opposition à bénédiction), c’est-à-dire d’une parole attirant la colère divine sur quel- qu’un. Cette sentence surnaturelle, appelée sur un mal-dire, fait référence à un acte dont le sujet se serait rendu coupable.

De nombreuses références de ce type suggèrent qu’en matière de faute, la pensée vaut l’acte. La pensée indisso- ciable de l’action est ici stigmatisée par cette croyance à une malédiction et renvoie à un mécanisme proche de celui des addictions, au premier rang desquelles figure le tabac dès lors que le cancer bronchique est évoqué. Nous avons ici la trace populaire d’une maladie inventée par un dieu et qui s’avance en silence sur les hommes [17], une représentation vieille de 26 siècles puisqu’elle est présente chez les méde- cins de l’antiquité grecque (cf. plus bas).

La représentation usuelle du cancer assimilé à un fléau, qualificatif autrefois réservée à des maladies infectieuses incurables (comme la peste, la lèpre ou la tuberculose), est une résurgence d’une croyance assimilant la maladie à une punition divine (on pourrait citer à l’appui de cela, le rôle

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joué par les pères pénitents chargés d’expier en lieu des habitants des villages pestiférés pendant la peste noire au

XIXesiècle). Il y a donc un lien entre le réel et le divin, le deuxième permettant de penser le premier, ce que Lacan résumait à sa manière par « les dieux sont de l’ordre du Réel » [19]. Nous sommes là dans l’approche ontologique du dieu, celle qui procède d’une interrogation de l’homme sur la mort, d’un questionnement sur l’Être en tant qu’Être ; cette définition ontologique a précédé une mise en forme théologique qui s’est construite sur le logos et s’est diversi- fiée en plusieurs religions distinctes.

La conception du cancer comme punition divine s’appa- rente à toutes pensées archaïques : elle fait appel au surnatu- rel et à une intuition magicoreligieuse de la maladie et de la mort. Il y a là une croyance dans la présence réelle d’une cause divine.

Épistémologie du langage et advenue d

un « dire »

Il faut donc parler de la charge symbolique du mot, ce qui renvoie à l’épistémologie du langage. Bergson, parlant du mot en général, disait de lui qu’il était imparfait mais qu’il n’y avait rien de plus efficace pour communiquer. Cepen- dant, en le communicant il perd le lien avec le sujet qui le communique « Le mot aux contours bien arrêtés, le mot brutal, qui emmagasine ce qu’il y a de stable, de commun et par conséquent d’impersonnel…» [1]. Si nous prenons le cas du mot « cancer » et que nous considérions le caractère impersonnel et la charge des représentations usuelles du mot qui en limite son acceptabilité par le sujet (contour bien arrêté), il nous faudrait encore tenir compte de la résistance que le sujet va lui opposer, une résistance inconsciente. Cela fait écho à ce que Lacan considérait du langage : qu’il s’agit d’un dire qui fait événement. L’homme est porteur mortel d’une substance immortelle [11]. Certes, Freud parlait ici de la substance germinale, celle que l’homme mortel trans- met en vue d’une perpétuation de l’espèce. Cependant, il est possible de dépasser le simple appareil physiologique en considérant que l’homme transmet aussi la parole et le lan- gage, au même titre que la substance germinale. Il est permis de voir ici une réminiscence de ce que Pascal disait de l’homme, lorsqu’il considérait que l’humanité tout entière se comporte comme un seul individu qui rechercherait et apprendrait indéfiniment. Si le « dire » fait événement, il s’agit selon la conception lacanienne de faire advenir ce dire par la dialectique. C’est le manque structural de la rela- tion symbolique du mot et de l’affect qui est le principal obstacle à une communication idéale : « On essaie de dire la vérité, mais ça n’est pas facile, parce qu’il y a de grands obstacles à ce qu’on dise la vérité, ne serait-ce que parce qu’on se trompe dans le choix des mots. La vérité a à faire

avec le réel, et le réel est doublé, si on peut dire, par le symbolique » [22]. L’affect insiste, mais l’absence de représentation par les mots le renforce, particulièrement si c’est de l’affect d’angoisse qu’il s’agit. Même si, à un moment donné, la congruence de l’affect et du langage est obtenue au plus proche (parce que la dialectique lors de l’énonciation du diagnostic aura réussi à mettre des mots sur les choses), cette congruence asymptotique n’est jamais définitive, et l’affect peut être réactivé par la dynamique propre de la maladie. C’est ce qui est observé lors de chaque rechute (métastases) ; dans ces situations tragiques, le retour imposé du réel dans le corps, un retour en force tel un intrus, fait resurgir les affects du sujet. Ces affects s’imposeront et feront « pâtir » violemment tant que la subjectivation de l’événement n’a pas été possible à l’aide des signifiants propres au patient dans leur concaténation en une série de dires.

Le patient est donc absorbé par l’effort de compréhension de ce que son corps veut lui dire (serait-ce celle de la connaissance de soi socratique ?) ; l’accès à cette connais- sance n’est d’ailleurs pas plus aisé pour un sujet sain que pour un sujet malade, car le primat de l’affect et de l’insu (au sens d’inconscient) dans la vie de l’âme a été mis en évidence par Freud qui soulignait « toute la part insoupçon- née que prennent le trouble affectif et l’aveuglement de l’intellect chez l’être normal non moins que chez le malade » [10] ; cette connaissance, les autres se chargeraient volon- tiers de lui expliquer au moyen des mots et des représenta- tions usuels de la maladie.

Il nous faut donc revenir aux origines du mot pour comprendre quelle est sa charge symbolique. La relation médecin–patient, dans ce cas précis, consisterait alors à aider le patient en vue de la meilleure congruence possible entre l’affect et le mot, cela impose au médecin d’écouter l’affect et de ne parler que pour relancer la dialectique :

« Le malade dans l’énoncé de sa plainte, il nous faut le croire, mais il ne faut pas y croire » [2].

Pensée magique, mythologie du cancer et conception surnaturelle

Les phénomènes inexplicables ont, de tout temps, généré des explications surnaturelles. En matière de cancer, c’est la fonction du mythe d’Héraclès dont la représentation est retrouvée sur des vases de l’antiquité grecque datant du

VIIe siècle avant J.C. Héraclès, luttant contre l’hydre, avait commis une faute en piétinant KarkinoV venu l’importuner au cours de son combat. KarkinoV (dont il est possible de retrouver l’empreinte sonore dans « carcinome ») lui aurait pincé une jambe en plein combat. Heda, consciente de la faute et donc de la dette (la dette est consubstantielle à la faute, si bien qu’elle est désignée par le seul mot allemand :

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Schuld), transforma KarkinoV en une constellation d’étoiles : la constellation du Cancer. Depuis, KarkinoV revient du ciel se venger des humains.

La notion de représentation usuelle aboutit selon Durkheim à la création de production collective, de concep- tion du monde qui s’impose aux individus [5]. Pour lui, le fondement de la représentation collective tient à la communi- cation entre les hommes, de leurs idées et de leurs réactions en présence d’un même objet. Cette confirmation mutuelle s’érige alors, en termes de représentation collective, par un mécanisme de cristallisation des impressions individuelles en une « condensation sociale ». Le point d’achoppement de cette théorie résulte de la foi inébranlable en laquelle Durkheim tenait la puissance créatrice d’une pensée sociale ; celle-ci procéderait, selon lui, par objectivation pure « source d’une vie intellectuelle sui generis qui s’ajoute à celle de l’individu » et elle serait ainsi la source du progrès puisqu’elle englobe la science comme épiphénomène de la vie sociale :

« la conscience moyenne est médiocre, tant au point de vue intellectuel que moral ; la conscience collective, au contraire, est infiniment riche puisqu’elle est riche de toute la civilisation » [5].

Nous serions en droit d’objecter que, même si l’on admet l’existence d’une intelligence collective, il faut alors égale- ment admettre qu’il y a aussi une ignorance collective et pourquoi pas, un insu collectif, car les interrogations des individus face aux phénomènes, dont l’explication leur échappe, se communiquent et cristallisent elles aussi dans les mythes et les croyances. Le mythe est une représentation collective dont la fonction est d’expliquer et donner sens à un déficit de connaissance permettant une fonction prescrip- tive. Le mythe d’Héraclès tombe dans un vide de la connais- sance et renforce une conception ontologique du cancer, sous la triple apparence d’une représentation archaïque, infantile et surnaturelle. Cette conception ontologique est comparable à celle que l’homme de la nuit des temps s’est faite de la vie lorsque, érigeant des sépultures, il a ainsi laissé la première trace d’une subjectivation de la mort : s’il y a un après la mort il y a donc aussi un avant, et la divinité qui en est la cause est de l’ordre du Réel [19]. Ce sont les religions qui ont ensuite fait passer la représentation divine du côté de la parole. La représentation usuelle du cancer est d’un niveau culturel des plus élevé qui soit, en cela qu’elle fait référence à l’angoisse existentielle de l’homme face à l’incompréhen- sible et face au réel d’un risque vital indicible.

Ce mythe d’Héraclès est prototypique de la symbolisation autour d’un vide de la connaissance. Le cancer est non seulement d’ordre divin (malédiction–punition, comme défini plus haut), mais il est aussi l’intrus, un intrus qu’il faut nommer. Nancy qualifiait le lymphome qui l’affectait de : «…figure ravageuse de l’intrus » [23]. Cela renvoie à la notion de l’intrus persécuteur qu’il lui faut nommer et qu’il lui faut représenter en lui donnant une figure imagi-

naire. La figure ravageuse est une représentation possible du persécuteur. Il n’est pas exclu qu’il y ait là une réminis- cence du premier intrus, la mère, et un retour à la position schizoparanoïde décrite par Klein [15]. L’introjection de l’objet total (la mère) par l’infans (enfant avant qu’il ne s’exprime par le langage) est encore hors de portée d’un

« moi » en cours d’élaboration. Le clivage de l’objet est alors un mécanisme de défense résultant de l’impossibilité de se figurer la mère comme l’origine simultanée de plaisir et de déplaisir. La position schizoparanoïde qui en résulte, et qui tente de dissocier l’objet en un objet idéal (le sein nour- ricier) de l’objet persécuteur (le mauvais sein) n’est qu’une étape dans les acquisitions de fonctions qui formeront le

« moi ». Il n’en demeure pas moins vrai que, dans des états pathologiques au cours desquels le réel fait intrusion dans le corps, le sujet puisse retrouver cette position paranoïde.

L’une de ses situations d’intrusion, considérée comme objet éminemment dangereux et persécuteur, c’est le cancer en tant que maladie dans sa définition médicale.

Chez Jean-Luc Nancy, la maladie médicale n’est plus seulement un simple dérèglement physiologique induit ici par les médicaments immunosuppresseurs ; elle tient lieu d’intrus, c’est-à-dire d’étranger, communiquant cette étran- geté au corps à son tour non reconnu « étranger à moi-même et moi-même m’étrangeant » où l’on peut retrouver la confu- sion du dehors et du dedans décrite par Winnicott [26]. Il faut donner une représentation à l’impensable. La raison est pour ainsi dire anesthésiée dans cet impossible, en ce sens que la situation ne peut être contrôlée par la pensée.

Cette situation fait alors naître une représentation qui fait appel à l’imaginaire.

Vignette clinique

J’aimerais ici évoquer l’observation de P.L., peintre et dessi- nateur connu, avancé dans l’âge, lorsqu’il apprend qu’il est atteint d’un cancer. Nous souhaiterions illustrer le concept énoncé plus haut selon lequel le diagnostic d’un cancer est prototypique d’une irruption dans le Réel de quelque chose qui laissera trace et qui fera avènement en évoquant (avec l’autorisation de la famille) un des fragments très riches de cette observation. Je me réserve la possibilité d’évoquer plus largement celle-ci dans un autre travail. Il s’agit en effet, de l’observation privilégiée de l’inflexion de l’œuvre d’un artiste, résultant des affects entraînés par deux atteintes successives et distinctes de maladies cancéreuses.

S’agissant d’un artiste connu, il est difficile de préserver totalement son anonymat, c’est pourquoi il ne sera pas fait mention de la pathologie exacte dont il était atteint. Il est cependant possible d’indiquer qu’il s’agissait d’affections cancéreuses atteignant le thorax, mais qu’il ne s’agissait pas d’affections cancéreuses du poumon. Certes, nous ne

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pouvons parler ici de cancer bronchique stricto sensu.

Cependant, l’expérience nous a montré que, quelle que soit la nature histologique de la maladie, une fois le vocable

« cancer » énoncé par celui qui procède à l’énonciation, les effets sont stéréotypés en termes de représentation pour l’individu qui en est affecté et pour l’entourage. L’assimila- tion des cancers touchant le thorax à une maladie auto- infligée est telle que, même des patients atteints de cancer du thorax sans lien avec le tabagisme, sont convoqués à se défendre de toute addiction tabagique du fait de présupposés sociaux. Les détails cliniques n’éclaireraient en rien l’appré- hension possible des affects de P.L. au travers de l’inflexion de sonœuvre sous l’effet du diagnostic de cancer. P.L. était un dessinateur de presse estimé, particulièrement engagé et humaniste, et l’ensemble de son œuvre est marqué par une constante projection vers les autres. Elle résonnait à de nombreuses reprises comme des mises en garde envers de possibles dangers. L’intrusion de la maladie chez P.L. n’a été que peu verbalisée auprès de ses proches, bien que ceux-ci l’aient toujours accompagné dans les étapes les plus insignifiantes comme les plus difficiles de sa maladie, et qu’ils aient pu échanger avec lui autour d’un grand nom- bre de sujets, deux notions semblent être restées forcloses : l’angoisse et la mort. Dans un texte écrit par P.L. bien avant sa maladie, texte d’introduction à un livre de dessin intitulé :

« corps pour le dire », P.L. écrivait : « Je ne dessine pas pour décrire mais pour comprendre ». Nous pouvons retenir de

l’œuvre de P.L. antérieure à l’apparition d’une maladie que les autres étaient une vraie préoccupation, qu’il est souvent pessimiste et conscient des dangers, que le corps avait une importance majeure dans sonœuvre (sa technique graphique atteste d’une connaissance approfondie de l’anatomie). Mais le point essentiel reste la fonction heuristique que revêt le dessin dans une tentative d’appréhender la vie. Il aurait dit à son fils « je ne prétends pas dessiner pour expliquer ce que je sais, je dessine pour donner un sens à ce que je vis et ce que je ressens » ; l’affect d’angoisse perçu par la famille, bien que rarement symbolisé par les mots, restera commu- niqué par des dessins. L’un de ceux-ci que je soumets aux lecteurs fut dessiné lors d’une des premières cures de chimiothérapie (Fig.1). La fourche utilisée pour maîtriser l’animal représentant la maladie (donc extérieur, tentant une invasion) est connectée à son site implantable (la voie veineuse) et représente la partie iatrique du traitement, la

Fig. 1 Dessin P.L., avec autorisation de la famille

Fig. 2 Représentations allégoriques de lange exterminateur (église de Grand Bourg 97112)

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chimiothérapie. Il est à noter qu’il n’y a pas de médiateur humain entre la représentation que le patient fait de lui et l’intrus, seulement un médiateur technique. Or, il apparaît que ce patient a essentiellement reçu du secours psychique de ses proches, de ceux autour de lui, famille et amis, en capacité de lui apporter une aide significative, sans pour autant qu’il ait nié les compétences techniques de ses soi- gnants. Cependant, du point de vue symbolique, la fourche peut être également assimilée à la partie diabolique de l’acte médical en lui-même : la chimiothérapie, et son écho tragique dans le champ social. L’ambivalence de la représen- tation est plus forte qu’il n’y paraît : d’abord parce qu’il y a un vécu douloureux dans ce dessin qui rappelle l’ange exter- minateur (la comparaison avec une statue allégorique retrou- vée dans une église de village est assez frappante (Fig.2) ; or, le patient était croyant). Ensuite parce que la représentation va glisser vers une autre (Fig.3) dessinée plus tard dans le courant de la maladie. Dans cet ultime autoportrait, le patient ne se voit plus que comme contenant du traitement qu’il reçoit. Il y a peut-être une angoisse de castration sur laquelle nous ne voulons spéculer plus avant.

Ce cas illustre le thème de ce travail à la fois dans le détail et sur un plan général. Le travail intellectuel ou l’art (litté- raire ou plastique), en cela qu’il est en lien avec l’action, vient ici combler le vide créé par cette partie du symptôme (sens freudien) qui ne peut trouver une articulation à la

parole et au langage, qui n’est pas stricto sensu symbolisable et, de ce fait, revient sous une forme métaphorique de l’inconscient.

Commentaires

Il paraît tout d’abord nécessaire de revenir à la conception freudienne de l’affect. L’affect d’angoisse est fortement lié aux pulsions fondamentales de la vie psychique, ne fusse que du fait que l’angoisse ici générée par l’énonciation n’est qu’une répétition de sensations déterminées par la série plaisir–déplaisir, et que leur décharge constitue le pré- cipité d’un événement ayant laissé une même trace d’affect.

Pour Freud, c’est le traumatisme de la naissance qui se rejoue à chaque réactivation [13], ce qui explique que l’af- fect d’angoisse, inexprimable, est toxique, reproduisant selon Lacan le froid des téguments et le malaise cardiorespi- ratoire accompagnant le traumatisme de la naissance [16].

L’affect d’angoisse qui surgit lors de l’énonciation et qui suit très régulièrement l’attente anxieuse séparant le moment de l’irruption des symptômes (dans l’acception médicale du mot symptôme en tant que signe clinique) de la confirmation par l’énonciation reconnaît une connexion avec une écono- mie de la libido. Il peut surgir des réactivations de phobies de petit enfant, telles que celles entraînées par l’angoisse devant des personnes étrangères, l’angoisse d’être seul, celle qui éveille le désir intense d’une mère familière. L’autre méca- nisme de l’affect d’angoisse est lié au refoulement–retour du refoulé, car le quantum de libido qui lui est inhérent est sys- tématiquement restitué en quantum d’affect, lui-même trans- formé en angoisse. Lors de l’énonciation d’un cancer, la fragilisation du moi, sa régression à un stade infantile facilite l’émergence des deux mécanismes du retour du refoulé sous la forme d’un quantum d’affect : restauration de phobies infantiles, libération d’un quantum d’affect en réponse à un refoulement libidinal [12].

Les symptômes auxquels nous faisions allusion dans notre travail ne doivent pas être compris comme l’enchaîne- ment des signes regroupés en syndrome au vu d’un diagnos- tic, mais bien dans l’acception freudienne de la formation du symptôme, qui est relié étroitement au développement de l’angoisse. Lors de l’énonciation d’un cancer, la genèse de l’affect est, selon notre hypothèse d’une ontogenèse présup- posée distincte de la maladie, reliée au vécu du cancer comme d’un danger extérieur. La différence avec les dangers extérieurs usuels est que toute tentative de fuite s’agissant d’un danger qui est bel et bien interne (le cancer) est une entreprise très difficile ; la seule réponse possible sera une limitation de la fonction du moi, permettant de limiter l’affect d’angoisse. Nous partons donc de la conception freudienne que le symptôme est créé pour éviter l’irruption d’angoisse et nous y reconnaissons un mécanisme très Fig. 3 Dessin P.L., avec autorisation de la famille

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proche de celui de la formation des névroses, car comme pour tout affect, ce dont le patient a peur est de sa propre libido. L’angoisse est donc en tant que telle, un état d’affect qui reproduit un événement ancien vécu comme une menace. Cet affect est au service de l’autoconservation, et il est le signal d’un nouveau danger, ce qui correspondrait à la conception lacanienne de l’irruption du Réel dans le corps. Nous retrouvons alors l’affect d’angoisse comme un signal fait au moi par une des trois sources principales qui contribuent à la genèse de l’affect : l’angoisse réelle dépen- dant d’un événement extérieur (l’énonciation du cancer), l’angoisse névrotique résultant du refoulement–retour du refoulé à savoir l’investissement libidinal de l’objet maternel provenant du complexe d’Œdipe, enfin l’angoisse morale dépendant du surmoi, lequel s’est construit en partie sur l’étayage des représentations sociales. C’est ici que nous oserions placer les représentations terrifiantes de maladies inexorables et de maladies auto-infligées du cancer, tel qu’il a été érigé en maladie absolue par la civilisation occidentale, et ce depuis l’antiquité grecque. La relation entre l’angoisse névrotique et l’angoisse réelle au cours de l’énonciation d’un cancer affectant le thorax n’est pas une pure construction intellectuelle. Freud a démontré que l’angoisse névrotique résultant du refoulement d’une reven- dication de la libido (l’amour ressenti pour la mère) fait écho à un danger supposé réel résultant de l’angoisse de castra- tion. Si l’on considère que le tabagisme constitue un résidu de la vie pulsionnelle infantile, on peut alors supposer que l’énonciation du cancer prenne ici la place de la menace réelle amplifiant l’affect d’angoisse névrotique. À ce point, nous pouvons avancer l’hypothèse que l’angoisse constitue le moteur du renforcement du refoulement et que le quantum d’affect qui en résulte soit lié au retour du refoulé. Dans la situation même de l’énonciation d’un cancer, il y a une répé- tition de l’angoisse originaire de la naissance qui signifiait bien, elle aussi, une séparation d’avec la mère. Il faut donc en venir ici à la notion même de traumatisme, pour le définir comme un état de danger tel qu’il provoque dans le vécu psychique, excitation et tension ressenties comme déplaisir, dont le moi ne peut se rendre maître. Cet état d’échec du principe de plaisir peut être appelé selon Freud facteur traumatique, faisant de ce qui est redouté, ici l’énonciation en tant qu’objet d’angoisse, un facteur traumatique ne pouvant être liquidé selon la norme du principe de plaisir.

Ce qui paralyse l’action du principe de plaisir est donc le seul quantum d’excitation résultant du facteur traumatique, d’où l’on peut déduire que l’angoisse qui s’est réveillée est le signal d’une ancienne situation de danger, d’un refoulement originaire constitué de la rencontre du moi et d’une revendi- cation libidinale refoulée.

Cela nous conduit à la discussion de l’aptitude à la symbolisation et de son intrication dans le système RSI lacanien. Le point essentiel qui permet d’articuler le RSI

avec la pensée de Freud est que l’angoisse est signal dans le moi. Lacan donne une piste importante en suggérant que l’angoisse signal du moi est un phénomène de bord dans le champ imaginaire [20]. C’est de l’Autre que leaprend son isolement et qu’il se constitue comme reste. Il y a donc deux registres, d’une part celui des représentations sociales, l’endroit, pourrait-on dire, où le Réel se presse, et d’autre part la scène de l’Autre, où l’individu comme sujet a à se constituer. L’affect d’angoisse étant le seul qui ne trompe pas, cet objetaque l’on n’a plus, éclat de jouissance perdue, on le retrouve par voie régressive dans l’identification. Cela rejoint la conception freudienne de l’objet partiel. C’est l’identification qui intervient ici dans le mécanisme de deuil. Le deuil dont-il est question dans notre travail est celui de la santé du sujet.

Dans la conception de l’inconscient structuré comme un langage, l’ordre symbolique intervient pour régler le prob- lème du sujet, celui dont la souffrance est liée à son rapport à la vérité [25]. Le symbolique qui n’est pas nécessairement verbal se définit de façon homologue au signifiant linguis- tique sans toutefois pouvoir être réduit à lui seul. Le symbo- lique est donc un mode spécifique d’organisation du signifiant en chaîne métonymique et métaphorique. L’une des principales métaphores est celle du symptôme et rejoint la problématique du refoulement–retour du refoulé. Le symbolique ne connaît pas de grammaire, dans la mesure où l’inconscient n’a pas de syntaxe productrice de signification grammaticale(c’estlalangue,qui n’est pas un langage [25]).

La deuxième dimension, l’imaginaire, qui n’est pas noué au symbolique mais qui reste induit par la métaphore, se définit comme signification. Il est non subordonné au symbolique et fait référence à ce corps à la fois abhorré et adoré. C’est lui qui, dans notre observation, est colonisé par des représentations « hors sens ».

La troisième dimension, celle du Réel hors symbolique et du côté du vivant c’est le reste a inconnu, impossible à réduire dans le langage, ce qui fait dire à Lacan que le dire vient de là où le Réel commande à la vérité. Mais la vérité articulée est impuissante à dire le Réel qui la commande, ce qui fait que l’on doit dans le colloque singulier avec le patient se contenter du mi-dire. C’est là le point le plus sensible du colloque singulier du clinicien et du patient.

Conclusion

Partant de l’affect provoqué par l’irruption du Réel du corps, cet article a tenté d’exposer pourquoi ce réel du symptôme ne peut s’articuler complètement à une symbolisation par des mots. Il y a lieu de conclure de ces deux observations (celle de J.-L. Nancy comme celle de P.L.) que l’on ne peut dire le tout du tout, la pensée étant toujours à reprendre dans un vide médian, le manque de connaissance structurante faisant

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que ce qui survient n’est ni tout à fait vrai ni tout à fait faux.

C’est, en un mot, l’inconnu ou l’intrus. Lorsque la raison est prise en défaut, le symbolique tourne fol et comblera le vide créé par de l’étrange. Il prend volontiers un caractère effrayant et rappelle le tableau de Goya « le sommeil de la raison engendre des monstres ».

RemerciementsRemerciements au Pr Claude-Guy Bruère- Dawson pour une discussion très enrichissante.

Conflit d’intérêt : l’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt.

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