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Géographie Économie Société : Article pp.313-322 du Vol.15 n°3 (2013)

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Géographie, économie, Société 15 (2013) 313-322

géographie économie société géographie économie société

Comptes Rendus

Pierre Veltz, 2012, Paris, France, Monde : repenser l’économie par le territoire, Paris, Éditions de l’aube, 238 p.

Auteur le plus cité après Bernard Pecqueur sur les questions entourant le développe- ment territorial, Pierre Veltz ne manquera pas d’attirer à nouveau l’attention avec son plus récent ouvrage comme il l’a fait plus particulièrement avec ses livres parus en 1996 et 2008. Il y parviendra à partir du tableau offert de ce qu’est Paris et de ce que la capitale pourrait, et surtout, devrait être. Pour ce faire, il faut en finir une fois pour toutes avec Gravier et son trop célèbre désert, cet ouvrage mythique qui répond-on ne peut mieux à la définition d’un classique : que l’on cite sans l’avoir lu. Admettons avec l’auteur qu’au sortir de la guerre, un tel titre suffisait pour stimuler une onde de choc. Mais, en ce début de XXIe siècle, il s’avère davantage opportun de parler de « Paris et le concert français » en recourant à l’image du pays-métropole considéré dans ce volume comme un état de fait émergent que son auteur s’est donné pour objectif d’expliquer et de valoriser.

Pour ce faire, il importe comme il l’écrit de considérer l’économie politique comme étant encastrée dans une géographie qui se veut le reflet de l’histoire des espaces et des sociétés. Étant donné que le territoire sert d’assise à sa réflexion, Veltz ambitionne de montrer comment se présente la force agissante de la structure territoriale sur la base de la relation particulière entre Paris et le reste de l’Hexagone. À ses yeux, ce qu’il cherche à démontrer n’aurait rien de bien compliqué (sic), qu’on en juge : les graves défauts de l’organisation territoriale actuelle se verraient corrigés à la faveur de la construction de la métropole en réseau (au singulier) vu comme le pilier du développement des prochaines années. On l’aura deviné, avant d’en faire la démonstration, il importe de se débarrasser de vieilles images. Exemple : la France un pays trop centralisé ? Que les jacobins de tout acabit aillent se rhabiller, pour l’auteur, c’est le paradoxe français, la France serait aujourd’hui très décentralisée. Mais, c’est là où le bât blesse, parce que terriblement frag- mentés, les pouvoirs locaux sont faibles et en concurrence les uns avec les autres. Place aux réformes (encore une fois !).

Faut-il parler d’aménagement du territoire ? Pour l’auteur de La grande transition, ce concept, qu’il estime singulier à la France (effectivement quel auteur suisse ou wallon parle d’aménagement du territoire ?), est avec la création de la DATAR à l’origine de la réduction de Paris dans l’ensemble français. Le lecteur de ma génération (alors en 1er cycle en sciences économiques) se rappellera toutes les allusions reliées aux suppo-

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sées déséconomies externes de tout investissement en région parisienne. C’était vingt ans avant que l’on redécouvre le principe marshallien des économies externes suscitées par la concentration d’activités en un même lieu. Obligation donc de délocaliser la sidérurgie vers Fos, pour ne prendre que cet exemple. Ne parlait-on pas alors de développement harmonieux, principe qu’il fallait mettre en pratique également dans les pays en voie de développement qui se devaient d’éviter les « erreurs » des pays industrialisés ? En fait, le Québec « sous-développé » de l’époque a, de toute évidence, été un des seuls autres États à tenter de mettre en pratique le concept d’aménagement du territoire importé par de futurs titulaires de poste d’enseignement en sciences humaines frais émoulus de la Sorbonne. Alors que faire ?

Veltz imagine deux scénarii, le premier étant celui d’un Paris au devenir étroitement lié à l’ensemble du pays donnant lieu à une ville qualifiée de « semi-globale » à la diffé- rence de Londres dont le destin apparaît distancié du reste de l’Albion (perfide ou pas). Le second, qui bien sûr, n’est pas celui que favorise ici l’auteur, se rapporte à une dissocia- tion entre Paris ou encore la France métropolisée et l’autre France, (peut-on parler de…

reste ?) celle des victimes de la mondialisation. Pour qu’émerge de la meilleure façon le premier scénario, il serait impérieux de se défaire de deux maux : l’anti-parisianisme et l’urbaphobie. Veltz juge à propos de citer Rousseau qui estimait que les hommes ne sont pas faits pour vivre en fourmilière (prélude à Metropolis de Fritz Lang ?), car plus ils se rassemblent, plus ils se corrompent. Ce qui rappellera aux Québécois que certains bons curés durant la Grande Crise voyaient dans le retour à la terre pour les chômeurs un moyen de sauver leur âme que la ville ne pouvait que corrompre. L’argumentation pro- urbaine de Veltz, consistant à ne pas craindre de mettre plusieurs œufs, sinon tous dans le même panier (Paris) au bénéfice de la nation, rappelle cette fois aux Québécois un souve- nir plus récent, soit un fameux rapport publié en 1970 voulant que Montréal soit l’unique et principal pôle de développement du Québec. Une vision qu’a fortement combattue, entre autres, Mario Polèse, au prétexte que ce qui est bon pour les régions peut l’être pour Montréal, ce avec quoi, il me semble, que Veltz serait d’accord malgré son plaidoyer fortement pro grand-parisien.

Sait-on que Paris se situe selon l’auteur parmi les cinq villes les plus influentes du monde à savoir, New York, Londres et Tokyo (quelle est la 5e ?) et qu’elle n’est rien de moins que la première ville universitaire du monde ? On comprend ainsi son désir que Paris et les villes importantes qui constituent les territoires français puissent for- mer un ensemble intégré susceptible de fonctionner largement comme une métropole unique, renforçant ainsi ses divers pôles et ses divers espaces constituants. Emporté par son enthousiasme, avant de conclure, Veltz se permet de voir en l’Afrique subsaharienne la grande puissance de demain. Ceci est un autre débat, disons que pour ce faire il faudra que les Africains se mettent au travail1.

Pour revenir à l’essentiel, la France, l’auteur, sans vouloir tracer un programme d’action, veut avant tout offrir une vision à partir de quelques pistes dont celle qui consiste à réformer l’architecture institutionnelle. Décentraliser plus ? Pas nécessaire- ment, mais décentraliser mieux en se défaisant d’une bureaucratie jugée kafkaïenne qui

1 À l’époque de Mao, de retour d’un voyage « d’études », un haut fonctionnaire africain affirma que c’était impossible pour un Africain de travailler autant que les Chinois. Heureux hommes ?

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renvoie à Paris des problèmes dont les solutions pourraient être trouvées localement.

La fragmentation de chaque niveau administratif pose davantage de problèmes que leur multiplicité. Il est suggéré ici de réorganiser l’administration autour de deux structures primaires : de grandes agglomérations dotées de pouvoirs mieux définis et des régions renforcées et dotées d’instances exécutives réelles telles que déjà suggérées dans un ouvrage précédent.

Pour soutenir ses propositions, l’auteur prend son appui sur de nombreuses lectures, en français comme en anglais. Un livre fait à partir de livres ? Non, pas vraiment, car Veltz connaît trop bien son pays pour évoquer ses forces et ses faiblesses sans l’aide d’autres auteurs. Les références servent avant tout à montrer qu’il n’a pas le monopole des idées mises ici de l’avant tout en offrant au lecteur la possibilité d’approfondir davan- tage concepts et idées. Je pense en particulier aux études « hors les murs » se rapportant à l’ensemble du monde dans lequel le Grand Paris doit s’insérer ou trouver la place qui lui revient. Notre collègue L. Davezies du CNAM et de Créteil appréciera, à n’en pas douter, les quelques références à ses travaux. Souhaitons que le pouvoir en place jusqu’en 2017 trouve le temps de prendre en considération et de mettre en pratique certaines idées ici

offertes en pâture. André Joyal

Université du Québec à Trois-Rivières

© 2013 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Abdelillah Hamdouch, Marc-Hubert Depret et Corinne Tanguy (dir.), 2012, Mondialisation et résilience des territoires. Trajectoires, dynamiques d’acteurs et expéri- ences, Presses Universitaires du Québec, Québec, 292 p.

Un ouvrage récent a attiré notre attention sur un sujet émergent. Il s’agit d’une réflexion collective sur la capacité des territoires à vaincre la fatalité du non-développement et à se relever des situations les plus compromises. L’exemple récent de la mise en faillite de la ville de Detroit aux États-Unis vient nous rappeler l’actualité d’un tel sujet.

La question de la résilience a été formulée notamment par Boris Cyrulnik, il y a une dizaine d’années, concernant les individus, leur personne et leur capacité à se recons- truire après des chocs et des drames personnels. Les auteurs de l’ouvrage s’emploient à appliquer la notion aux territoires et aux régions. Ceux-ci ont connu la violence des crises, mais aussi celle plus profonde de la mondialisation et du rabotage systématique des niches ou des mises à l’abri de la concurrence généralisée. Il s’agit là de dépasser la

« dépendance du sentier » comme seul guide des traces d’une trajectoire territoriale.

On pourrait s’interroger sur la pertinence de la translation d’un concept de psychologie individuelle à une entité comme le territoire. Le territoire n’est pas un acteur en tant que tel doté d’une rationalité qui lui serait propre et encore moins d’une psychologie collec- tive. Le premier texte de Christine Liefhooge nous y invite en proposant de revenir à la notion même de territoire. Elle pose bien la question de fond : « le concept de résilience s’applique-t-il au territoire ? ». Il semble bien que la possibilité pour les territoires, de développer une « capacité de résistance, d’adaptation, d’ajustement, voire d’anticipation aux chocs (endogènes ou exogènes) qui peuvent les toucher (changement technologique ; crise économique ; concurrence internationale ; catastrophe naturelle ou écologique ;

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guerre ou révolution ; changement climatique ; etc.) » (cf. introduction, page 3) constitue un phénomène réel qui mérite attention et analyse.

La capacité de résilience territoriale constituerait alors le pouvoir d’autonomisation d’entités méso-économiques dégageant des marges de manœuvre et donc capables de légitimer des politiques publiques qui leur sont propres. Dès lors les enjeux de la réflexion développée dans cet ouvrage sont importants et très actuels. Le territoire n’est donc pas une entité rationnelle en soi mais une construction socio-spatiale qui permet au collectif concerné de produire des trajectoires de développement (au sens de l’économie indus- trielle), de bifurquer, de réagir.

La première partie, en s’appuyant sur des cas concrets, illustre bien les principales dimensions (notamment à Nantes et dans les territoires industriels en reconversion autour de Dunkerque). Elle plante le décor. La seconde partie s’interroge sur le processus de l’in- novation. Dans quelle mesure cette résilience territoriale peut-elle devenir l’expression d’une innovation « post-schumpeterienne » qui reposerait sur des mécanismes endogènes à la société territoriale ? On signale au lecteur la très intéressante relecture du cas gre- noblois. Les autres cas s’appliquent à des réalités différentes mais concordantes (micro- techniques, pratiques du Web ou AOC dans l’agroalimentaire). Cette partie confirme, sans insister explicitement, l’importance cruciale de la spécificité dans le processus de création de ressources territoriales, clé de la résilience.

La troisième partie s’attache à faire le lien avec la mondialisation assurant ainsi le continuum entre le local et le global. En effet, une grande partie de la dépendance dont les territoires cherchent l’issue vient de problèmes globalisés que ce soit à propos des marchés ou de la santé de la planète. Les chapitres sont tous pertinents, tout au plus aurions-nous pu souhaiter un approfondissement de la question des nouvelles mobilités des facteurs, des entreprises et des hommes, qui vient renouveler en profondeur la ques- tion de la globalisation et donc de la résilience territoriale.

Enfin, la dernière partie reprend le problème de fond des politiques publiques appli- quées à la possible résilience des territoires. On aborde ici, à la fois les politiques de développement durable, celles d’innovation sociale et celles des mutations urbaines. Les chapitres sont bien complémentaires. Peut-être manque-t-il une véritable synthèse sur la question des politiques publiques territoriale de résilience tant la question est à la fois nouvelle et critique. En France, la troisième vague des lois de décentralisation est lourde de ces interrogations.

Au final, un ouvrage qui se lit aisément et qui donne véritablement à penser. À coup sûr, cette contribution qui réunit pas moins de vingt-sept auteurs géographes, aménageurs ou économistes, constitue un apport décisif à la construction d’une théorie du développe- ment territorial en géographie économique. Bernard Pecqueur UPMF

© 2013 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

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Guillaume Leturcq, Frédéric Louault et Teresa Cristina Schneider Marques (dir.), 2013, Le Brésil : un laboratoire pour les sciences sociales, L’Harmattan, Collection

« Recherches Amériques Latines », Paris, 216 p.

Comme on le devine avec un tel titre, cet ouvrage ne se destine pas à ceux qui veulent découvrir ce pays qui fait parler de lui régulièrement pour le meilleur comme pour le pire, que ce soit, par exemple en relation avec le triomphe du pape François sur la plage de Copacabana ou à propos du million de manifestants qui, peu avant sa venue, un soir de juillet, se sont emparés du centre des grandes villes du pays. Non, rien pour inspirer ceux qui seraient tentés d’assister in situ à quelques rencontres de la prochaine Coupe du Monde ou encore aux JO de Rio deux ans plus tard. Ce livre n’intéressera que les spécialistes en sciences humaines et sociales. Ici, pas de fausse représentation de la part des responsables de ce collectif auquel ont contribué pas moins de vingt chercheurs, en majorité géographes et sociologues - plutôt jeunes - français et brésiliens ayant décidé de mettre en commun leurs expériences de recherche. En fait, au lieu du Brésil, on aurait la Bolivie, la Colombie et autre Argentine et l’intérêt serait le même, puisque le tout porte sur la façon dont les différentes recherches furent réalisées. Car, comme on peut lire en conclusion de l’ouvrage, après s’être interrogé sur la pertinence de comparer les études de terrains conduites par un historien, un géographe ou un anthropologue, on peut se questionner sur la spécificité des « terrains brésiliens » qui, à mon avis n’exigent pas le recours à des stratégies de recherche particulières.

L’ouvrage comprend trois parties, intitulées respectivement Accès au terrain et condi- tion d’enquête, Pratiques d’enquêtes qualitatives, et Échelles d’analyse et territoires.

C’est sans surprise, surtout avec la maison d’édition choisie, que l’ouvrage tire son ori- gine d’un colloque, ici en l’occurrence, une journée d’étude tenue en 2009 sous l’égide de la Maison de l’Amérique latine de Paris à l’instigation du Groupe de Recherche Interdisciplinaire sur le Brésil (une plate-forme créée en 2007 en réaction à l’éclatement de la recherche francophone sur le Brésil2). Le lecteur ne se surprendra pas davantage de consta- ter que plusieurs contributions sont tirées de la thèse de leurs auteurs. Ainsi G. Leturcq, dans le cadre de sa thèse de géographie, a travaillé sur les migrations de gens forcés à se délocaliser suite à l’aménagement d’un bassin hydraulique dans le sud du Brésil. Pour sa part, F. Louault tire profit d’une recherche doctorale en science politique portant sur les défaites (y aurait-il plus à dire que sur les victoires ?) du Parti des Travailleurs de l’État du Rio Grande do Sul qui a donné lieu à une thèse soutenue en 2011.Quant à leur collègue (et néanmoins amie, j’imagine) T.C.S. Marques, à travers sa thèse, défendue elle aussi en 2011, elle a étudié la trajectoire politique des exilés brésiliens en France et au Chili à l’époque de la dictature militaire. Et, puisqu’il est question de contribution de jeunes chercheurs, je poursuis avec S. Bleil, née au Brésil et maître de conférences à l’Université du Havre qui a présenté, en 2009, une thèse de sociologie à l’EHESS portant sur les Sem Terra du sud du Brésil. Cette dernière auteure, comme l’ont fait d’autres collaborateurs à l’ouvrage, présente ici la méthode ayant guidé la collecte des données. Ce type de présentation serait une contri- bution importante de ce volume aux dires de ses responsables.

En effet, selon eux, on ouvrirait ici un chantier jugé aussi immense que prioritaire en prenant en compte que les procédures de recherches sont globalement négligées par les

2 www.gribresil.org

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sociologues3 brésiliens. À leurs yeux, s’il y a beaucoup de recherche qualitative au Brésil, on trouverait peu de réflexions sur les limites et les portées des formules de recherche utilisées. Si lacune il y a vraiment, à mon avis cet ouvrage ne fait qu’ouvrir une voie : les auteurs étant jeunes, ils auront l’occasion de chercher à pallier les défauts identifiés, ce qu’ils ne font pas ici.

Étant moi-même un chaud partisan de l’approche qualitative, je ne peux que me réjouir de l’intérêt que lui portent les contributions retenues dans cet ouvrage. Mais, force est de reconnaître que les chercheurs désireux de connaître davantage la « métho » favorisée afin d’y recourir à leur tour risquent de demeurer sur leur faim. Ce sont plutôt des récits anecdotiques entourant les défis rencontrés pour recueillir les données que l’on trouve ici. Mieux vaut avoir lu au préalable quelques guides méthodologiques pour bien saisir la portée des récits présentés.

Mais alors, que fait donc parmi ce jeune aréopage, mon collègue et ami J. P. Carrère, professeur émérite de l’université François Rabelais de Tours ? Seul économiste et cher- cheur d’un « certain âge », il fait bande à part avec un chapitre sur le développement durable au Brésil qui, il faut le reconnaître, ne correspond pas vraiment aux objectifs annoncés dans l’introduction de l’ouvrage. Mais comme l’auteur a participé au colloque, il fallait lui faire une place. Oui, on pourra dire avec raison : encore le développement durable ! Comment ne pas songer ici à paraphraser Mme Roland4: développement durable ! Que d’articles et de livres on publie en ton nom ! Ceci étant admis, je ne nie pas l’intérêt de cette recherche qui compare des pommes et des oranges en prenant des exemples d’initiatives locales d’un État riche du Sud et un État parmi les plus pauvres du Nordeste. Il s’agit d’une recherche mettant en présence des équipes de chercheurs des deux pays et qui s’est déroulée sur une période de quatre ans qui a donné lieu à trois col- loques internationaux (dont un à Rimouski au Québec auquel il m’a été donné d’assister) et à quatre thèses de doctorat (oui, place aux jeunes !). En ce qui regarde l’implication des acteurs locaux, dont il est surtout question dans ce chapitre, je ne peux qu’exprimer mon accord avec ce que qui a été observé dans l’État de Paraíba (Nordeste) : « L’idée même du développement endogène, basée sur la mise en valeur des ressources locales par des acteurs locaux, suscite parfois des réserves liées aux insuffisances de la démocra- tie locale, et à la persistance de conflits d’intérêts majeurs ».

En terminant son introduction, C. Brochier, sociologue et maître de conférences à Paris VIII, précise que ce livre vise à montrer comment les brésilianistes peuvent fournir des suggestions aux méthodologues. Bien sûr, suggestions n’est pas leçons, ce n’est pas l’ambition d’un ouvrage dont la principale utilité est de montrer comment de jeunes cher- cheurs ont abordé les questions touchant, entre autres, les migrations et les populations

indigènes. Leurs travaux vont suivre. André Joyal

Université du Québec à Trois-Rivières

© 2013 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

3 Souligné par moi, car je n’ai pas constaté cette lacune dans les nombreuses thèses sous la plume d’économistes ou de gestionnaires brésiliens qu’il m’a été donné de lire.

4 Victime de la Terreur.

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Marion Carrel, 2013, Faire participer les habitants ? Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires (préface de Nina Eliasoph), Lyon, ENS Éditions, Collection

« Gouvernement en question(s) », 274 p.

S’il est des questions qui paraissent rebattues au point qu’on doute parfois qu’un nou- vel ouvrage puisse en renouveler l’approche, celle de la participation des habitants des quartiers populaires aux politiques de la ville en est assurément une. Le dernier livre de Marion Carrel vient pourtant nous rappeler que, lorsqu’une connaissance affûtée de la littérature sur le sujet sert à l’interprétation d’un solide travail de terrain, il ne faut jamais désespérer de la capacité de la sociologie à rafraîchir son propos. À partir de sa thèse de doctorat dont l’enquête s’est poursuivie après sa soutenance en 2004, elle propose une lecture aussi originale que réussie de l’ensemble de ses matériaux à la lumière des débats classiques et de travaux récents sur la participation politique et la citoyenneté des rési- dents des zones d’habitat social. Son ambition est de la sorte d’examiner les projets et les pratiques concrètes en la matière, en échappant à l’opposition qui met en scène en France ceux qui érigent les dispositifs participatifs en vecteurs de la citoyenneté démocratique et ceux qui n’y voient qu’une injonction venue d’en haut qui en dénature l’esprit. Forte des résultats obtenus sur plusieurs terrains d’enquête et en mobilisant différents cou- rants théoriques, elle annonce clairement dès les premières pages que « la thèse [qu’elle défend] est que l’apathie des habitants n’est qu’apparente, ou plutôt qu’elle se développe dans des contextes particuliers, qui les montrent sous l’angle d’individus incapables de se hisser à la hauteur de l’intérêt général » (p. 15).

On se tromperait pourtant si l’on pensait qu’il s’agit là d’une thèse simple ou, plus précisément, d’un constat banal acquis à moindres frais, tant le raisonnement qui y mène emprunte un chemin ardu sur lequel Marion Carrel a su prendre le soin de guider son lecteur avec patience et précision. Dans ce dessein, son argumentation commence par une introduction dense qui précise de façon didactique ses choix de problémati- sation et la méthodologie adoptée. Elle revient d’abord sur le vocabulaire analytique choisi et, notamment, les difficultés posées par les notions, à la fois normatives et empi- riques, d’espace public, de participation et de citoyenneté. Elle justifie ensuite l’utili- sation d’une approche ethnographique pour articuler empiriquement la prise en compte des trajectoires des dispositifs participatifs et de leurs acteurs avec l’étude spécifique du contexte d’interaction. L’enjeu est de taille, puisqu’en ouvrant l’étude de ces pratiques au problème de la délibération, cette opération entend échapper à l’opposition entre ceux qui considèrent la participation des habitants comme un moyen des institutions pour mieux les contrôler et leurs partisans qui, inversement, les contemplent comme des formes d’autogouvernement. L’ethnographie de dispositifs participatifs permet en effet de mettre à l’épreuve de l’enquête la contribution des théories de la délibération à l’analyse de la participation et, en particulier, à la question des inégalités sociales fré- quemment observées dans les pratiques délibératives au sein d’assemblées. En recou- rant à la théorie pragmatiste du public, Marion Carrel se donne ainsi pour objectif de comprendre quels sont les contextes d’interaction qui favorisent ou, au contraire, freinent la publicisation des problèmes et la formation de publics actifs dans les quar- tiers d’habitat social. Puis, une fois ce cadre théorique posé, elle décrit ses terrains à Grenoble et en région parisienne, ainsi que la façon dont elle a enquêté (une annexe fournit de surcroît d’importantes informations complémentaires à ce sujet).

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En examinant dans le détail la référence à la participation des habitants dans la politique de la ville française, le premier des quatre chapitres que compte l’ouvrage fournit les indispensables éléments de contexte nécessaires à la compréhension du propos général. La conception qui s’est progressivement imposée dans le prolonge- ment des luttes urbaines des années 1970 se présente sous la forme d’une « injonc- tion participative » qui impute aux habitants la responsabilité de s’impliquer dans la vie publique. Elle ne vise cependant pas tant à donner du pouvoir à ces derniers qu’à encadrer leurs demandes, en leur imposant de se conformer à un modèle de citoyen dont ils paraissent éloignés aux yeux des responsables de l’action publique. L’aide au montage de projets et les formations à la citoyenneté se donnent pour objectif dans ce cadre de pallier ce qui apparaît être un « handicap » socioculturel plutôt que de favoriser une action collective autonome.

Dans son prolongement, le chapitre suivant montre finement comment ce type de pro- cédures peut empêcher la participation à partir de l’ethnographie d’une procédure de concertation dans le quartier Teisseire à Grenoble. Son échec a conforté les pouvoirs publics qui en sont à l’origine dans leur certitude de l’incapacité foncière des habitants de comprendre l’intérêt général. Loin de voir que l’absence de discussions entre ces derniers et les acteurs institutionnels constitue un problème public qu’il convient d’in- terroger, ils ont contribué ce faisant à l’accomplissement d’une prophétie auto-réalisa- trice qui confirme le diagnostic d’apathie préalablement porté sur cette population. Or, en la matière, constate Marion Carrel faisant ici sienne l’analyse de Nina Eliasoph sur les mécanismes d’« évitement du politique », « l’apathie politique n’est pas une attitude individuelle ou collective, mais un fonctionnement social, une construction » (p. 120).

Le troisième chapitre porte, à l’inverse, sur le renversement des obstacles à l’action collective et à la prise de parole dans des groupes de qualification mutuelle. Ces disposi- tifs participatifs expérimentés en France depuis une quinzaine d’années font se rencontrer des habitants de quartiers d’habitat social avec des agents des services publics. Il résulte de ces rencontres parfois conflictuelles, outre l’établissement d’un respect mutuel et un accroissement de la confiance, la formation de publics au sens de John Dewey. L’activité de délibération à laquelle ces groupes donnent lieu favorise de surcroît la transformation des troubles ressentis par les habitants en problèmes susceptibles de faire l’objet d’une réponse institutionnelle conjointement élaborée. Carrel se garde bien pourtant de tout angélisme. Les trois cas de qualification mutuelle qu’elle analyse illustrent la diversité des résultats selon le contexte, ainsi que la volonté manifeste des pouvoirs publics de garder la maîtrise du processus.

Le dernier chapitre, enfin, est consacré aux artisans de la participation, un groupe de professionnels qui promeuvent un ensemble de démarches relativement rares en France, en ce qu’il s’apparente à une forme d’empowerment des populations défavorisées. Au moyen d’actions ponctuelles à la demande des pouvoirs publics ou d’associations, ils interviennent dans des institutions ou sur des territoires précis afin de permettre aux habi- tants d’interpeller les pouvoirs publics. Leur objectif n’est pas tant, comme dans d’autres dispositifs participatifs, la coproduction d’une décision publique que la mise en place d’une confrontation démocratique au cours de laquelle les habitants cessent d’être stig- matisés sous les traits d’individus passifs pour agir dans une position de sujets pourvus de droits. La qualité de la délibération facilitée par les mécanismes auxquels recourent les

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artisans de la participation s’effectue néanmoins souvent au détriment de l’obtention d’un accord sur une mesure concrète à mettre en œuvre par les pouvoirs publics. Si les théories de la délibération ont jusqu’ici accordé une moindre place à la question de l’empower- ment que celles de l’action collective, cela ne signifie pas pour autant, observe Marion Carrel, que l’articulation entre délibération et décision soit impossible. Car, quelles que soient les limites des actions promues par les artisans de la participation (risque de récu- pération par les commanditaires, démobilisation des participants au terme de ces inter- ventions), celles-ci, comme le montre l’enquête, introduisent des transformations dis- crètes des représentations et des pratiques de ceux qui y ont participé.

La conclusion prolonge ce dernier chapitre autant qu’il dresse le bilan de la recherche.

Après avoir rappelé l’injonction participative qui prévaut en France dans la politique de la ville, l’auteure insiste sur le fait que la participation et la délibération ne sont pas plus des obstacles l’une à l’autre que ne s’opposent la pauvreté et la citoyenneté. Car si aucun dispositif participatif ne garantit en lui-même que les pauvres des villes s’en saisissent pour faire usage de leur statut de citoyen, c’est en réalité avant tout le manque de pro- fessionnels qualifiés dans ce domaine qui caractérise la situation française. Son enquête, au travers notamment de l’exemple des artisans de la participation, montre ainsi que les plus démunis peuvent pleinement participer au processus démocratique quand, au travers d’une démarche appropriée, émergent des espaces publics qui relient l’individuel et le collectif. Et si ces expériences restent encore trop peu nombreuses pour que l’on puisse généraliser, Marion Carrel veut y voir les vecteurs possibles de ce que pourrait être l’exer- cice de la citoyenneté par les citadins des quartiers défavorisés.

En plus d’inviter à l’optimisme dans une période qui ne s’y prête guère, Faire par- ticiper les habitants ? a pour grand mérite, comme le remarque justement Nina Eliasoph dans sa préface, de proposer une analyse pondérée, argumentée et vivante qui examine empiriquement des idées que Dewey a abstraitement formulées en son temps. L’heureuse rencontre de la philosophie politique avec une sociologie d’enquête – un exercice qui reste loin de tenir toujours ses promesses – suggère en effet une des démarches possibles pour interroger la figure concrète des sociétés qui se réclament de la démocratie. Et ce d’autant que la qualité de la restitution de l’enquête dans une langue claire sert remarqua- blement la profondeur de l’argumentation.

L’intérêt du livre de Marion Carrel aurait cependant été encore plus grand si elle ne nous laissait pas sur notre faim à plusieurs reprises. L’approche par le bas qu’elle pro- pose n’en reste pas moins, d’une part, fortement centrée sur les dispositifs. Du coup, d’autres dimensions centrales des quartiers populaires ne sont souvent qu’effleurées. On en apprend ainsi finalement peu sur la place du genre, de la religion et de l’ethnicité dans les processus étudiés, ainsi que sur les différences de niveaux de vie des habitants.

Peut-être s’agit-il de facteurs secondaires dans les formes de participation et de délibéra- tion, mais il aurait été alors utile d’aborder de front ces questions. On peut, d’autre part, regretter que le rapport à la théorie politique des praticiens des dispositifs participatifs – lapidairement évoqué à propos de l’influence de Rancière et Ricœur sur les artisans de la participation (p. 213) – n’ait pas fait l’objet d’un développement à part. Il est en effet toujours appréciable de savoir comment des acteurs s’approprient la philosophie et les sciences sociales et, à cet égard, une discussion à l’appel à la sociologie publique lancé par Michael Burawoy aurait sans doute pu faire mieux ressortir l’originalité de l’analyse.

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Cela dit, Faire participer les habitants ? on l’aura compris, est par sa richesse et les perspectives novatrices qu’il ouvre, un ouvrage destiné à servir de référence aussi bien dans les études sur la participation que dans les domaines plus vastes de la sociologie

urbaine et de la sociologie politique. Dominique Vidal

Urmis – Université Paris Diderot

© 2013 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

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