86 | La Lettre de l'Infectiologue • Tome XXXI - n° 3 - mai-juin 2016
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Les poupées russes
Russian dolls
L’infectiologie est une toute petite spécialité. Minuscule, même.
Quand l’Insee (1) compte les médecins spécialistes en France, c’est sans nous. Quant What’s Up Doc ?, la revue “tendance”
− quoique légèrement machiste − des jeunes médecins classe les sites attractifs pour les internes, c’est sans les maladies infectieuses.
Avec, ou sans, point virgule. Quand l’Europe tente d’échanger ses infectiologues, c’est la France qui est à la traîne. Mais, à l’instar des Mignons, ou des micromachines, ce n’est pas la taille qui fait la visibilité. Notre spécialité, engoncée entre DES et triDES, qui fête, avec cette troisième livraison de l’année de La Lettre de l’Infectiologue, son regroupement annuel en terre ch’ti, est l’une des plus importantes en termes scientifiques, mais aussi politiques, médiatiques, associatifs, humanitaires. Bref, en santé publique. Comme le répète souvent l’une d’entre nous, habituée des cabinets ministériels de la Santé :
“La cause infectieuse, c’est 50 % des actions d’un cabinet”. En attestent, pour les désabonnés de la presse écrite et de la TNT, l’affaire dite
“du sang contaminé”, la vaccination VHB, H1N1, la “vache folle”, le SRAS, les coronavirus, Ebola, Zika, etc. Ce n’est donc pas un hasard si l’infectiologie n’est plus simplement cantonnée à PubMed, mais se lit aussi dans la presse, sur les réseaux sociaux et les moteurs de recherche.
Et il nous faut vivre avec.
Prenons cette information : dans certaines régions de Sierra Leone, les grossesses chez les adolescentes auraient augmenté de 65 % durant l’épidémie d’Ebola, selon un rapport du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Même si les données sont difficiles à colliger, tant les victimes sont rares à déclarer leur agression.
Une autre étude, menée conjointement par l’Unicef et des ONG, Plan International, Save the Children et World Vision, estime que le nombre de grossesses chez les adolescentes a quasiment doublé dans les régions touchées par Ebola. Sauf omission, ces données sont encore absentes de PubMed. Donc difficiles à vérifier. Mais bien présentes sur le site Slate, qui les a révélées (2).
Pr Gilles Pialoux
Service des maladies infectieuses et tropicales, hôpital Tenon, AP-HP, Paris.
APARTÉ
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La Lettre de l'Infectiologue • Tome XXXI - n° 3 - mai-juin 2016 | 87
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1. www.insee.fr/fr/themes/tableau.
asp?reg_id=0&ref_id=NATTEF06102 2. www.slate.fr/story/117047/
ebola-epidemie-viols F. Pialoux déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.
Pourtant, on sait, depuis l’émergence du VIH, combien les épidémies accroissent la vulnérabilité des femmes et des jeunes filles face
aux violences, qu’elles soient ou non sexuelles, à l’intérieur ou à l’extérieur de la cellule familiale. La faute au chaos lié à l’instabilité civile
que les épidémies laissent dans leur sillage, aux lacunes de gouvernance, à l’explosion de la cellule familiale et au confinement, à la mort de l’un ou des deux parents, parfois, qui fait du sexe tarifé un des rares moyens de survie pour le foyer. Autant de facteurs qui fragilisent un peu plus les femmes face à la violence sexospécifique. Les quarantaines, les couvre-feux et les fermetures d’écoles ont contribué à augmenter le risque, pour les femmes et les filles, d’être des victimes. Au plus fort de l’épidémie, les matchs de foot ont été annulés et les bars fermés.
Les hommes qui, d’habitude, menaient une vie sociale plutôt à l’extérieur, étaient assignés à résidence, avec femmes et enfants. Selon une étude menée en Sierra Leone par l’ONG Save the Children auprès de 617 jeunes filles rapportant des agressions violentes et des viols, la plupart des victimes le sont devenues en quarantaine. Avec ce cercle vicieux que, au Nigeria et en Sierra Leone, une adolescente enceinte est interdite de scolarité.
L’infectiologie est sans doute une discipline du type poupées russes.
La plus médiatique et la plus importante des épidémies d’Ebola depuis 1976 l’illustre en renfermant en son sein plusieurs niveaux concentriques
de crises. On a beaucoup parlé des retombées (positives) sur la recherche thérapeutique et vaccinale, ou de l’abrasion des infrastructures sanitaires post-Ebola. Mais ces Nigériennes de 13 ans incestueusement enceintes, qui en parle ?
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