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Sur le point de Fermat d’un triangle
Pascal GAMBLIN et Daniel PERRIN
Introduction
Dans ce texte, on se propose de d´ eterminer les points M du plan qui r´ ealisent le minimum de la somme des distances M A + M B + M C aux trois sommets d’un triangle donn´ e. C’est un probl` eme c´ el` ebre qui a ´ et´ e pos´ e pour la premi` ere fois par Fermat en 1636 et dont des solutions ont ´ et´ e propos´ ees par de nombreux math´ ematiciens (Torricelli, Cavalieri, Viviani, Simpson, Heinen, Steiner, etc.) Le lecteur trouvera plusieurs approches, toutes plus s´ eduisantes les unes que les autres, dans le livre de Berger [1] et sur de tr` es nombreux sites Internet, notamment :
http://www.ai.univ-paris8.fr/~audibert/tra/TORRICELLI.pdf
http://villemin.gerard.free.fr/GeomLAV/Triangle/Particul/Torricel.
htm
Ce sujet a ´ et´ e propos´ e durant l’ann´ ee 2015-2016 comme th` eme d’ex- pos´ e dans le module de M2 pour futurs professeurs que nous encadrons ` a l’universit´ e Paris-Sud et en r´ efl´ echissant sur ce probl` eme nous avons pro- duit une preuve
1tr` es simple qui n’est pas – nous semble-t-il – aussi connue que les autres. Elle consiste pour l’essentiel ` a se ramener au cas du triangle
´
equilat´ eral. Son int´ erˆ et essentiel est qu’elle peut ˆ etre d´ eclin´ ee ` a plusieurs niveaux du coll` ege et du lyc´ ee.
Dans ce qui suit, lorsqu’on parle d’un triangle, il est suppos´ e non aplati et quand on parle de ses points il s’agit des points du triangle plein (cˆ ot´ es compris). Nous utiliserons plusieurs fois le r´ esultat suivant :
0.1 Lemme. Dans un triangle ABC, si l’angle A b est obtus ou droit, le cˆ ot´ e BC est plus grand que AB et AC.
D´ emonstration. On peut soit invoquer Pythagore (si A b est obtus en utilisant les hauteurs issues de B et C), soit le vieux r´ esultat d’Euclide qui affirme que dans un triangle le plus grand angle fait face au plus grand cˆ ot´ e.
1 Le cas ´ equilat´ eral
On va commencer par montrer le r´ esultat suivant :
1. Avec plusieurs variantes.
1.1 Th´ eor` eme. Soit ABC un triangle ´ equilat´ eral, G son centre de gravit´ e, M un point du triangle. On a M A + M B + M C ≥ GA + GB + GC avec
´
egalit´ e si et seulement si M = G.
On conjecture facilement la propri´ et´ e avec un logiciel de g´ eom´ etrie en faisant afficher la somme M A + M B + M C . D’ailleurs, si l’on pense qu’il y a un unique point qui r´ ealise le minimum, il est clair qu’il est sur les trois axes de sym´ etrie du triangle, donc en G (sinon ses sym´ etriques r´ ealisent aussi le minimum). Le paragraphe suivant montre qu’en tous cas le minimum est n´ ecessairement sur les hauteurs.
1.1 La somme est plus courte sur les hauteurs
Pr´ ecis´ ement on montre :
1.2 Proposition. Soit M un point du triangle ´ equilat´ eral ABC . On appelle H le pied de la hauteur issue de A. Soit N l’intersection de (AH) avec la parall` ele ` a (BC) passant par M . Alors, on a M A + M B + M C ≥ N A + N B + N C avec ´ egalit´ e si et seulement si M = N .
D´ emonstration. On a d’abord M A ≥ N A car M A est l’hypot´ enuse du tri- angle rectangle AM N dont N A est un cˆ ot´ e de l’angle droit.
A
B C
H G M N
C'
Figure 1 – Le minimum ne peut ˆ etre que sur la hauteur
A
B C
G
M N
P R Q S
Figure 2 – Mais peut-on l’at- teindre ?
Montrons ensuite qu’on a M B + M C ≥ N B + N C . Bien sˆ ur, c’est
clair quand on connaˆıt les ellipses
2, mais voici une preuve ´ el´ ementaire. On consid` ere le point C
0sym´ etrique de C par rapport ` a (M N). On a donc M C
0= M C et N C
0= N C. De plus, B, N, C
0sont align´ es (par exemple parce que N , qui est l’intersection de deux des m´ ediatrices du triangle rectangle BCC
0, se trouve au milieu de l’hypot´ enuse [BC
0]). On a donc N B +N C = N B+N C
0= BC
0et cette longueur est plus petite que M B + M C
0= M B + M C par l’in´ egalit´ e triangulaire.
1.3 Remarque. Attention, cette proposition ne prouve pas l’existence d’un point qui r´ ealise le minimum de M A + M B + M C mˆ eme si l’on voit bien qu’on va pouvoir s’en approcher en recommen¸cant l’op´ eration avec une autre hauteur, voir figure 2. Cette remarque est ´ evidemment un point d´ elicat ` a faire comprendre ` a des lyc´ eens
3.
1.2 Le cas o` u M est sur la hauteur
Le point G est encore le centre de gravit´ e du triangle et H le pied de la hauteur issue de A. Pour un point M de [AH], il s’agit de montrer qu’on a M A + M B + M C ≥ GA + GB + GC. On en propose quatre preuves, pouvant se d´ ecliner ` a diff´ erents niveaux du lyc´ ee ou du coll` ege.
1.2.1 Par l’´ etude de fonctions, terminale S
On choisit un rep` ere orthonorm´ e adapt´ e ` a la situation : H = (0, 0), B = (−a, 0), C = (a, 0), A = (0, a √
3). Le fait que G est au tiers des m´ edianes donne aussitˆ ot GA + GB + GC = 2a √
3. Soit M = (0, y) un point de la hauteur. On calcule M A + M B + M C = a √
3 − y + 2 p
a
2+ y
2et il n’y a plus qu’` a ´ etudier la fonction correspondante. Elle admet un minimum pour y = a/ √
3 et ce minimum vaut 2a √
3, d’o` u le r´ esultat.
1.2.2 Les outils des preuves g´ eom´ etriques
D’abord on note qu’on connaˆıt tous les angles de la figure : 60˚en A, B, C, 30˚ en ces mˆ emes points de part et d’autre des hauteurs-bissectrices et donc 120˚ en G pour \ BGC, CGA [ et AGB. [
2. Si l’on consid` ere l’ellipse E de foyers B, C qui passe par N , la droite (M N ) est tangente ` a E, donc M est ` a l’ext´ erieur de E et la somme des distances ` a B, C est plus grande en M qu’en N.
3. Dans ce genre de situation, personne ne doute de l’existence d’un minimum. Cela
montre que la propri´ et´ e de compacit´ e du triangle est bien naturelle !
30°
120°
A
B C
H G
M
Figure 3 – La figure de base
On sait aussi que G, qui est le point de concours des m´ edianes, est au tiers de [AH]. En particulier, on a GB = GA = 2GH .
Par la sym´ etrie d’axe (AH), on est ramen´ e ` a voir M A
2 +M B ≥ GA 2 +GB.
Il y a deux cas selon que M est dans [AG] ou dans [GH ]. Dans le premier cas il faut montrer M B ≥ GB +
12M G, dans le second M B ≥ GB −
12M G.
1.2.3 Par la g´ eom´ etrie, premi` ere S
En premi` ere S on dispose du produit scalaire, donc de la formule d’Al- Kashi
4. On l’applique dans BM G : BM
2= BG
2+ M G
2− 2BG × GM × cos BGM \ . L’angle BGM \ vaut 120˚dans le premier cas et 60˚dans le second donc son cosinus vaut −1/2 ou 1/2 et on a BM
2= BG
2+ M G
2+ BG × GM ou BM
2= BG
2+ M G
2− BG × GM . Il faut montrer que cette quantit´ e est
≥ GB
2+
14M G
2+ GB × GM ou ≥ GB
2+
14M G
2− GB × GM selon les cas, mais c’est ´ evident car on a M G
2≥
14M G
2, avec ´ egalit´ e si et seulement si M est en G.
1.2.4 Par la g´ eom´ etrie, coll` ege 1
Une variante de la preuve pr´ ec´ edente consiste ` a utiliser le th´ eor` eme de Pythagore. L` a encore il est n´ ecessaire de distinguer selon la position du point M par rapport ` a G. Traitons le cas o` u M est dans [AG]. On calcule M B
2=
4. Que l’on peut d´ emontrer aussi avec des arguments de coll` ege, bien entendu.
M H
2+HB
2= (M G+GH )
2+HB
2= M G
2+GH
2+2×M G×GH +HB
2. Il faut voir que cette quantit´ e est ≥ (GB +
12M G)
2= GH
2+HB
2+GB ×M G+
1
4
M G
2. En divisant par M G, on est ramen´ e ` a montrer
34M G + 2GH ≥ GB.
Mais, comme on a GB = 2GH , c’est ´ evident.
Le cas o` u M est dans [GH ] est tout ` a fait analogue.
1.2.5 Par la g´ eom´ etrie, coll` ege 2
α = 120°
M
G
B
I K
N J L
C A
H
Figure 4 – La preuve g´ eom´ etrique Premier cas : M ∈ [AG[
Comme il s’agit de montrer M B ≥ GB +
12M G on introduit le milieu I de [M G] (voir figure 4) et il faut prouver M B ≥ GB + GI. Cela incite ` a prolonger [GB] de la longueur GI et l’on obtient ainsi le point K. Comme l’angle BGM \ = BGA [ vaut 120 degr´ es, l’angle IGK [ vaut 60 degr´ es et le triangle isoc` ele IGK est ´ equilat´ eral. Mais alors, le point K est sur le cercle de diam` etre [GM], de sorte que M KG est rectangle en K, donc aussi M KB.
On en d´ eduit bien BK = BG + GK = BG + GI ≤ BM puisque le cˆ ot´ e de l’angle droit est plus court que l’hypot´ enuse.
Deuxi` eme cas : N ∈ [GH ]
Le raisonnement est identique en consid´ erant le milieu J de [N G].
2 L’´ enonc´ e g´ en´ eral
On a vu que, dans le cas ´ equilat´ eral, le minimum de M A + M B + M C est atteint en le centre de gravit´ e G. L’exp´ erience avec un logiciel montre clairement que ce n’est plus le cas pour un triangle quelconque
5. Cependant, dans le cas ´ equilat´ eral, le point G est tel que les angles \ BGC, CGA [ et AGB, [ angles sous lesquels on voit les cˆ ot´ es depuis G, sont tous trois ´ egaux ` a 120˚
et c’est cette condition angulaire qui va se g´ en´ eraliser. On d´ efinit donc : 2.1 D´ efinition. Soit ABC un triangle. On appelle point de Fermat du triangle un point F tel que les angles \ BF C, CF A [ et AF B [ soient tous trois
´
egaux ` a 120 degr´ es.
On a alors le r´ esultat suivant :
2.2 Th´ eor` eme. Soit ABC un triangle dont les angles sont tous plus petits que 120 degr´ es. Il existe un unique point de Fermat F du triangle. Si M est un point du triangle distinct de F on a M A + M B + M C > F A + F B + F C .
2.1 Existence et unicit´ e du point de Fermat
2.1.1 Condition n´ ecessaire
On note d’abord que, si le point de Fermat existe, les angles du triangle sont plus petits que 120 degr´ es. En effet, si AF B [ et AF C [ valent tous deux 120˚, les angles BAF [ et CAF [ qui sont avec eux dans les triangles AF B et AF C sont < 60˚, donc l’angle en A, BAC [ = BAF [ + CAF [ est < 120˚.
2.1.2 Unicit´ e
Notons ensuite que si le point de Fermat existe, il est unique. En effet, si on a un point de Fermat F et si G est un point du triangle, distinct de F , il est par exemple dans le triangle F BC. Mais alors, on a \ GBC ≤ \ F BC et \ GCB ≤ \ F CB et l’un au moins des in´ egalit´ es est stricte. La somme des angles dans les triangles GBC et F BC montre qu’on a BGC > \ \ BF C = 120˚
et G n’est pas un point de Fermat.
5. En utilisant la preuve de 2.3, le lecteur montrera que le point de Fermat n’est ´ egal
au centre de gravit´ e que dans le cas ´ equilat´ eral.
2.1.3 Existence
Il y a plusieurs mani` eres de montrer l’existence du point de Fermat, mais aucune n’est tout ` a fait ´ evidente, surtout si l’on veut rester dans le cadre des programmes du secondaire. La plus simple
6est la suivante :
2.3 Proposition. Soit ABC un triangle dont tous les angles sont < 120 ˚. On construit deux triangles ´ equilat´ eraux ABD et ACE ` a l’ext´ erieur du triangle ABC . Soit F le point d’intersection
7de (CD) et (BE ). Alors F est le point de Fermat du triangle ABC.
60°
60°
A
B
C D
E
F
G
Figure 5 – Construction du point de Fermat
D´ emonstration. Voir figure 5. Les triangles CAD et EAB sont isom´ etriques
8. En effet on a AC = AE, AD = AB et les angles en A sont tous deux ´ egaux
`
a BAC [ + 60˚. On en d´ eduit que les angles en E et C de ces triangles sont
´
egaux. Soit G le point d’intersection de (BE) et AC). Les triangles AGE et F GC sont semblables (outre les angles en E et C, ils ont les angles en G oppos´ es par le sommet). On en d´ eduit d’abord
9que les angles EAG [ et CF G [
6. On a choisi ici une preuve dans l’esprit des programmes de coll` ege 2016, c’est-` a-dire avec les triangles isom´ etriques et semblables, mais sans l’angle inscrit.
7. Il est int´ erieur au triangle parce que A b est < 120˚.
8. Si l’on connaˆıt les rotations, on peut noter qu’on passe de l’un ` a l’autre par la rotation de centre A et d’angle π/3.
9. Ici, on peut se contenter d’invoquer la somme des angles de ces triangles.
sont ´ egaux, donc ce dernier angle vaut 60˚, ce qui donne \ BF C = 120˚. De plus, la similitude des triangles donne AG
F G = GE
GC donc aussi GA
GE = GF GC . Avec en plus l’´ egalit´ e des angles AGF [ et EGC [ , cela montre que les triangles AGF et EGC sont semblables, de sorte qu’on a
10AF G [ = ECG [ = 60˚.
On a donc AF C [ = AF G [ + GF C [ = 120˚et le troisi` eme angle en F , AF B [ vaut aussi 120˚.
2.2 Le point de Fermat r´ ealise le minimum
A
B
C F
A'
B'
M
Figure 6 – R´ eduction au cas ´ equilat´ eral
Soit F le point de Fermat de ABC et montrons qu’on a M A + M B + M C ≥ F A + F B + F C pour tout point M du triangle. On se ram` ene au cas
´
equilat´ eral. Pour cela on choisit le sommet le plus ´ eloign´ e de F , disons C, et on prolonge les segments [F A] et [F B] en [F A
0] et [F B
0] avec F A
0= F B
0= F C, voir figure 6. Le triangle A
0B
0C est ´ equilat´ eral. En effet, F A
0C, par exemple, est isoc` ele en F avec un angle de 120˚, donc ses angles ` a la base valent 30˚. Il
10. Si l’on dispose du th´ eor` eme de l’angle inscrit et de sa r´ eciproque, on voit que
E, A, F, C sont cocycliques grˆ ace ` a l’´ egalit´ e AEF [ = ACF [ et on en d´ eduit l’´ egalit´ e des
autres angles ` a 60˚.
en r´ esulte que les angles de A
0B
0C valent tous 60˚. Si M est un point de ABC distinct de F , on a M A ≥ M A
0− AA
0et M B ≥ M B
0− BB
0par l’in´ egalit´ e triangulaire, donc M A + M B + M C ≥ M A
0+ M B
0+ M C − AA
0− BB
0>
F A
0+ F B
0+ F C − AA
0− BB
0en vertu du cas ´ equilat´ eral et on conclut en utilisant F A = F A
0− AA
0et F B = F B
0− BB
0.
3 Compl´ ements
3.1 Les points ext´ erieurs
La proposition suivante montre qu’on peut se limiter aux points du tri- angle pour chercher le minimum.
3.1 Proposition. Soit ABC un triangle. Si M est un point ext´ erieur au triangle, il existe N dans le triangle tel que N A + N B + N C ≤ M A + M B + M C .
D´ emonstration. Il faut distinguer deux cas de figure.
Le point M est dans une bande
On suppose que M est, par exemple, dans la (demi)-bande limit´ ee par le segment [BC] et les demi-droites perpendiculaires ` a (BC) en B et C, de l’autre cˆ ot´ e de A par rapport ` a (BC), voir figure 6. Soit N le projet´ e orthogonal de M sur (BC). L’hypoth` ese assure que N est dans [BC]. Alors, on a N A + N B + N C ≤ M A + M B + M C . En effet, on a N B ≤ M B car le triangle M N B est rectangle en N et de mˆ eme N C ≤ M C . On a aussi N A ≤ M A. En effet, dans le triangle M N A, comme A et M sont de part et d’autre de (BC) et que BN M \ est droit, l’angle en N est obtus. Le cˆ ot´ e M A qui fait face ` a cet angle est donc plus grand que N A par 0.1.
Le point M est dans un coin
On suppose que M est, par exemple, dans le secteur d´ efini par les deux demi-droites d’origine B, perpendiculaires ` a (BA) et (BC), ` a l’ext´ erieur du triangle, voir figure 7. Alors, on a M A + M B + M C ≥ BA + BB + BC. En effet, l’hypoth` ese montre que le triangle AM B a un angle obtus en B, donc que l’on a M A ≥ BA, toujours par 0.1. De mˆ eme, on a M C ≥ BC et on en d´ eduit le r´ esultat.
3.2 Corollaire. Dans le cas d’un triangle dont les angles sont tous < 120 ˚,
le minimum de la fonction M 7→ M A + M B + M C pour M variant dans le
plan, est atteint au point de Fermat du triangle.
A
B
C M
N
Figure 7 – Le cas de la bande
A
B
C M