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Le projet de loi fédérale sur la transparence : transparence de l'administration ou des citoyens

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Le projet de loi fédérale sur la transparence : transparence de l'administration ou des citoyens

FLÜCKIGER, Alexandre

FLÜCKIGER, Alexandre. Le projet de loi fédérale sur la transparence : transparence de l'administration ou des citoyens. In: T. Tanquerel et F. Bellanger. L'administration

transparente : actes de la IVe Journée de droit administratif, organisée à Genève le 7 mars 2001 . Bâle : Helbing & Lichtenhahn, 2002. p. 131-160

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:5630

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Le projet de loi fédérale sur la transparence:

transparence de l'administration ou des citoyens?

par ALEXANDRE FLÜCKlGER

Professeur à l'Université de Genève

I. Introduction

L'exercice des tâches publiques implique un échange constant d'infonna- tions entre l'administration et les administrés. La collectivité publique détient à ce titre une masse de données concernant tant les personnes phy- siques que les entreprises. Ne court-on dès lors pas le risque, en ouvrant l'administration, de rendre par contrecoup les citoyens également trans- parents? Pourtant, lever le principe du secret de l'administration ne doit pas conduire à violer l'intimité des citoyens. Inversement, la protection de la sphère privée ne doit pas constituer un prétexte pour empêcher le public d'accéder aux documents détenus par l'administration en faisant perdurer une culture du secret, propice à couvrir d'éventuels dysfonctionnements, rendant l'Etat plus sensible au clientélisme, voire à la corruption. Un déli- cat équilibre reste à construire afin que la protection de la sphère privée ne soit pas détournée de son but légitime et que la transparence de l'Etat ne se résume pas à un changement d'étiquette. Sur ce fondement, des mécanis- mes de protection juridique prenant équitablement en considération les divers intérêts en présence doivent être élaborés.

L'avant-projet de loi fédérale sur la transparence de l'administration nous servira de cicérone pour l'analyse de la tension entre ces pôles a priori antagonistes. Dans un premier temps (ch. II), nous examinerons la situation prévalant actuellement dans l'administration fédérale puis nous décrirons le projet d'instituer un droit d'accès aux documents que celle-ci détient.

Dans un second temps (ch. III), nous analyserons l'opposition entre le principe de transparence et la protection de la sphère privée en détaillant les divers mécanismes pennettant de rendre public ou de garder secret un document contenant des données personnelles. •

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ALEXANDRE FLÜCKlGER

II. L'institution d'un droit d'accès aux documents détenus par l'administration fédérale

A. Le secret de l'administration 1. La jurisprudence du Tribunal fédéral

Aujourd'hui encore, l'activité de l'administration fédérale est par principe secrète. S'il est vrai que les autorités fédérales ont un droit, voire une obligation d'informer de manière active à certaines conditions', il n'existe au niveau fédéral aucun droit subjectif général des particuliers à être informé de l'activité des autorités. Le Tribunal fédéral l'a précisé une première fois en 1978: un particulier ne peut se prévaloir de la liberté d'information pour en déduire un droit d'obtenir des informations, car l'administration n'appartient en principe pas aux sources d'information généralement accessibles'. Malgré les critiques de la doctrine', le Tribunal fédéral a confirmé et précisé en 1981 sa jurisprudence «d'après laquelle il n'existe aucun droit général et étendu du citoyen et de la presse à obtenir des informations sur l'ensemble de l'activité de l'administratioll»', princi- palement pour quatre motifs.

Tout d'abord pour une raison fonctionnelle: si la phase législative justifie une publicité étendue, il n'en va pas de même de l'étape administrative;

l'administration étant définie comme <<l'application concrète de la loi au cas particuliem'. Le Tribunal fédéral se fonde en second lieu sur les dispositions relatives au secret de fonction (art. 320 du Code pénal' et 27 du statut des fonctionnaires du 30 juin 1927')'. En troisième lieu, reprochant aux auteurs critiques leur perspective étroitement juridique, le Tribunal fédéral argumente sur la base de considérations d'ordre pratique qu'il est utile de détailler dans l'optique de notre exposé. Il affirme en effet que la reconnaissance d'un droit constitutionnel non écrit à l'information concernant toutes les activités administratives qui ne sont pas qualifiées de

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Voir à ce propos MAHON (1999) p. 230 ss.

ATF 104/1978 la 88, 102, Bürgin.

Références citées in: ATF 107/1981 la 304, 306, Fuchs.

ATF 10711981 la 304 (chapeau), Fuchs.

ATF 10711981 la 304,307 s, Fuchs.

RS 31!.

Abrogé par l'art. 39 de la loi sur le personnel de la Confédération du 24 mars 2000 (LPers; RS 172.220.1; RO 2001894).

ATF 10711981 la 304,308, Fuchs.

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Le projet de loi sur la transparence

secrètes pour des motifs particuliers présupposerait que ce droit se laisse concrétiser sans grandes difficultés; une décision de principe en ce sens resterait dans le cas contraire lettre morte'. La doctrine méconnaîtrait le fait que les affaires à traiter confidentiellement ne constituent pas l'exception si l'on se réfere à l'expérience quotidienne; l'administration gérant en grande partie dans tous les domaines des données que des particuliers - volontairement ou forcés - lui ont confiées à la condition que seuls les fonctionnaires ou les membres des autorités responsables du traitement de leur affaire en prennent connaissance. Le Tribunal fédéral craint, autrement dit, que la reconnaissance d'un droit subjectif des particuliers à obtenir des informations conduise à une transparence des citoyens plutôt qu'à celle de l'administration. Les juges fédéraux illustrent leur propos en énumérant des exemples en matière policière, fiscale, de construction, de santé et de sécurité sociale" et déduisent l'existence d'un droit des particuliers à un traitement confidentiel de leurs communications avec l'administration:

<<Es geht hier nur darum, darzutulI, dass - jedenfalls nach in der Schweiz herrschender AujJassung - die Beziehungen des Privaten zur Verwaltung grundsiitzlich zwar vielleicht nicht ais "geheim" im strengsten Sinne des Worles, wohl aber ols vertrau/ich be/rachtet werden, und dass der Private Anspruch darauf hat, in seinem Vertrauen auf Nichtweitergabe seiner Mitteilungen an Drille geschützt zu werden.»"

Enfin, quatrième argument, le Tribunal fédéral craint que la qualité du processus de décision ne soit affaiblie par la divulgation des opinions des collaborateurs spécialisés ou des membres des cOmnUssions adminis- tratives internes dans la mesure où une telle publicité les empêcherait de s'exprimer avec toute la latitude possiblel'. Le Tribunal fédéral n'envisage d'exceptions à son jugement que dans certains domaines limités à J'instar de la <<planification ouverte» en aménagement du territoire ou des travaux préparatoires relatifs à une initiative populaireD

10 11 12 13

ATF \07/1981 la 304, 309, Fl'cru.

ATF 107/1981 la 304, 309, Fucru.

ATF 107/1981 la 304, 310, Fuchs.

ATF 107/1981 la 304, 310 s, Fuchs.

ATF \0711981 la 304, 31 l,Fuchs.

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ALEXANDRE FLÜCKIGER

2. Les critiques

Cette jurisprudence a été, à juste titre, fermement critiquée en doctrinel'.

Tout d'abord la distinction entre législation et administration revêt un caractère artificiel, scotomisant l'implication essentielle de l'adminis- tration dans le processus législatif". Deuxièmement, l'interprétation des normes relatives au secret de fonction est inexacte: la lettre même de ces dispositions mène à la conclusion opposée, à savoir qu'en principe toutes les activités administratives ne sont en principe pas secrètes mais que seules le sont les affaires dont la nature le commande ou qu'une norme spéciale a qualifiées de secrètes l'. En troisième lieu, l'information des citoyens revêt une importance particulière dans un régime de démocratie directel'. Enfin, dans l'optique de notre exposé, il nous paraît utile de relativiser l'argument «pratique» évoqué par le Tribunal fédéral d'après lequel reconnaître un droit subjectif à l'information aurait une portée limitée, et risquerait de rester lettre morte en raison des abondantes exceptions imposées par la confidentialité des relations des particuliers avec l'administration.

Les exemples inventoriés par le Tribunal fédéral concernant ce dernier argument doivent être lus en relation avec les contre-exemples qui ne sont pas recensés dans l'arrêt: or, le principe du secret souffre de nombreuses exceptions, si bien d'ailleurs qu'une partie de la doctrine juge qu'il est trop catégorique de prétendre que le principe du secret prévaudrait dans l'administrationl'. Le droit positif accorde soit un droit général d'accès, limité à une catégorie de documents (par exemple le résultat de certaines

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AUERIMALINVERNIiHOTIELlER (2000) p. 269; MÜLLER (1999) p. 283; MAHON (1999) p. 275 ss; BARRELET (1998) p. 26" s, nO 88 ss et p. 265, nO 937;

BREITENMOSERIUEBERSAX (1997) p. 315 et 350 ss; BARlllE (1993) p. 60 ss;

SElLER (1992) p. 415 ss; MOOR (1991) ch. 2.2.5.7, p. 169; ROSSINEllI (1987) p. 190 ss; MÜLLER (1986) 38 ss; COTIIER (1982) p. 187 s; SALADIN (1982) p. XXVII s et 137 ss; BARRELET (1979) p. 69.

MAHON (1999) p. 277; KETIIGER (1996) p. 50; SElLER (1992) p. 418 ss.

MAHON (1999) p. 276 et les références citées.

MAHON (1999) p. 277 et les références citées.

SCHWEIZERIBuRKERT (1996) p. 20, n° 49; KETIIGER (1996) p.48; SElLER (1992) p. 427; COTIIER (1982) p. 187 s, note 46.

POUT MAHON (1999) p. 311, «cette co,\ception contient une (bonne) part de vérité:

la théorie du secret a sans doute été "forcée" en ce sens qu'elle a pris une dimension nettement supérieure à la place que lui fait le droit positif.)) Voir également MAHON (1999) p. 260.

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Le projet de loi sur la transparence

expertises en vertu de l'art. 47 de la loi fédérale sur la protection de l'environnement du 7 octobre 1983" ou les appels d'offres et les adjudica- tions en droit des marchés publics conformement à l'art. 24, al. 2, de la loi fédérale sur les marchés publics du 16 décembre 199420), soit des droits d'accès limités à un contexte précis et/ou à une catégorie de personnes (par exemple la consultation du registre foncier limitée à qui justifie d'un intérêt d'après l'art. 970, al. 2, du Code civil suisse du 10 décembre 1907'1, le droit de consulter le dossier même en dehors d'une procédure pendante pour autant que le requérant fasse valoir un intérêt digne de protection et qu'aucun intérêt public ou privé n'exige le maintien du secret" ou le droit de consulter à certaines conditions les archives avant l'échéance du délai de protection en vertu de l'art. 13 de la loi fédérale sur l'archivage du 26 juin 1998").

A la décharge du Tribunal fédéral, on peut invoquer le fait que la réduction des normes de secret a été amorcée depuis une décennie seulement". A son passif cependant, les exemples montrent qu'il est possible de concevoir de tels droits tout en préservant dans une certaine mesure la sphère privée des individus. Les législations étrangères prévoient dans cette optique des règles destinées à protéger la sphère privée des particuliers", même lorsqu'elles appartiennent aux plus libérales comme la loi suédoise". La loi fédérale sur la protection des données du 19 juin 1992 (LPD)27, entrée en vigueur en 1993, réglemente quant à elle de manière générale la

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RS 814.01.

RS 172.056.1. Pour d'autres exemples, voir infra Ill, C in fine, ainsi que DFJP (2000) p. 8. Voir également MAHON (1999) p. 279 SS, 307 s; SCHWEIZER (1995) p. 80 s.

RS 210. Pour d'autres exemples, voir DFJP (2000) p. 8. Voir également MAHON (1999) p. 279 SS, 306 s; SCHWEIZER (1995) p. 80 s.

MOOR{l991) p. 193; MAHON (1999) p. 280 ss; ALBERTrN! (2000) p. 225 ss.

RSI52.1.

SCHWElZER (1995) p. 80; MAHON (1999) p. 276 s.

Pour les pays membres de l'Union européenne, voir COMMISSION EUROPEENNE (2000) p. 5.

En droit suédois, une grande partie des règles de la loi sur le sedret concerne des situations relatives à la protection de la sphère privée (COTTIER [1982] p. 54). De plus, les normes de secret destinées à protéger l'intérêt public sont définies dans la loi sur le secret avec sensiblement moins de précision que celles qui touchent les intérêts privés (ibidem p. 56 note 17).

RS 235.1.

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ALEXANDRE FLÜCKIGER

communication de données personnelles par l'administration en posant des garde-fous plutôt stricts (art. 19 LPD).

3. Les perspectives

Sur la base des précédentes critiques, on peut se demander si l'évolution du contexte depuis lors ne devrait pas conduire le Tribunal fédéral à réviser sa jurisprudence. Cette option lui est toutefois fermée depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle Constitution fédérale du 18 avril 1999 (Cst.), du moins dans le sens d'une reconnaissance d'un droit général à l'information". L'article 16, alinéa 3, Cst., qui garantit désormais la liberté d'information, ne renverse en effet pas le principe du secret de l'administration au profit du principe de transparence. Il se borne à prévoir un standard minimal selon lequel toute personne a le droit de se procurer des informations aux sources généralement accessibles et de les diffuser.

Le Conseil fédéral n'a pas retenu la variante incluse dans le projet de 1995 soumis à consultation qui prévoyait un droit d'accès aux actes de l'administration fédérale (art. 154 variante). Les tentatives de le réinsérer au parlement et de l'étendre à l'ensemble des collectivités publiques suisses ont échoué". L'article 16, alinéa 3, Cst. n'empêche toutefois pas de déduire un droit ponctuel à l'informationJO et n'interdit ni à la Confé- dération ni aux cantons d'instituer par voie législative un droit général d'accès aux informations détenues par l'administration". Lors de la discussion devant le Conseil national sur les variantes dans le cadre de la mise à jour de la Constitution fédérale, le chef du Département fédéral de justice et police d'alors a clairement affirmé qu'il avait l'intention de réaliser le principe de transparence au niveau législatif, une base constitutionnelle ne s'avérant selon lui pas nécessaire:

«[D]as OjJentlichlœitsprinzip wol/en wir auf Gesetzesstufe realisieren, weil keine Veifassungsgrundlage n6tig ist.)}32

La Commission des institutions politiques du Conseil national a cependant proposé d'introduire le principe de transparence - pour les autorités fédérales seulement - dans l'avant-projet du 2 juillet 1999 d'arrêté fédéral

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BARRELET (2001) p. 726; MAHON (1999) p. 266.

BO/CN 1998 199 ss.

MÜLLER (1999) p. 298 ss.

Pour MÜLLER (1999) p. 283 s, une mention expresse dans la Constitution n'est pas nécessaire. Du même avis: BARRELET (2001) p. 726,

BO/CN 1998 2554, séance du 9 décembre 1998.

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Le projet de loi sur la transparence

sur les médias et les mesures à prendre dans le domaine de la politique de la presse. Contrairement au droit actuel, le législateur n'aurait alors plus le choix de maintenir le principe du secret dans l'administration fédérale.

Cette proposition est actuellement en suspens".

B. Le renversement du principe du secret 1. Un rappel historique

Sur le plan fédéral, la Confédération a mis en consultation publique le 19 avril 2000 un avant-projet de loi fédérale sur la transparence de l'administration (LTrans/AP) instituant un droit d'accès de principe aux documents officiels détenus par l'administration fédérale. L'avant-projet se fonde sur deux motions et deux postulats (motion du conseiller national PETER HESS du II mars 1997"; motion du conseiller national PETER VOLLMER du 19 mars 1997"; motion du conseiller national PETER HESS du 19 septembre 1991 transmise sous forme de postulat"'; motion de la commission de gestion du Conseil national du 29 mai 1997 transmise sous forme de postulat"). Il s'inscrit en continuité de diverses interventions parlementaires déposées dès les années 1980". La consultation s'est ache·

vée le Il août 2000. Le Conseil fédéral a pris connaissance des résultats de la procédure de consultation le 9 mars 200 1" et a chargé le Département fédéral de justice et police d'élaborer, avant la rédaction du message, une note de discussion à l'intention du Conseil fédéral relative aux implications financières du projet et de son champ d'application notamment. Dans l'ensemble, l'avant-projet a été favorablement accueilli.

En particulier cependant, le mécanisme de protection des intérêts privés a été jugé trop peu efficace dans la mesure où les tiers concernés n'étaient

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Etat au 15 mai 2002.

97.3083 Régime de la transparence et réserve du secret au sein de l'administra- tion.

97.3110 Inscription du principe de la transparence dans une future loi sur l'infor- mation.

91.3303 Régime de la transparence et réserve du secret au sein de l'admi- nistration.

97.3384 Régime de Ja transparence au sein de l'administration.

Sur J'historique du principe de transparence dans l'administratÎon fédérale, voir DFJP (2000) p. 13 ss, ch. 112.

Ces textes sont disponibles sur le site Internet de l'Office fédéral de la justice (www.ofj.admin.ch sous le lien «(})rincipe de transparence» dans la rubrique «Etat et Constitutiom».

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ALEXANDRE FLÛCKJGER

pas suffisamment associés à la procédure d'octroi de l'accès. Le Conseil fédéral a décidé le 5 octobre 2001 de différer en 2002 la discussion relative à différentes questions laissées encore ouvertes avant la publication du message dans la Feuille fédérale. Le motif invoqué à cet effet est à notre avis peu convaincant: le gouvernement a invoqué le danger potentiel que pourrait représenter une société démocratique connaissant le principe de transparence dans la perpétration d'attentats terroristes". Les exceptions à l'accès aux informations en matière de sécurité que l'avant-projet prévoit sont à notre avis amplement suffisantes pour éviter que le droit à l'information ne soit détourné à des fins terroristes.

2. L'avant-projet de loi fédérale sur la transparence de l'administra- tion

Le principe de transparence qu'introduit l'avant-projet de loi mis en consultation confère à toute personne un droit d'accès généralisé aux documents officiels produits ou détenus par l'administration, ainsi qu'un droit d'obtenir des renseignements sur leur contenu, sans devoir justifier un intérêt particulier (art. 4 L Transi AP); la simple curiosité suffit'I. Ce texte fonde un véritable droit subjectif à l'accès aux documents officiels, que toute personne peut faire valoir en justice. Le principe s'applique non seulement à l'administration fédérale mais également aux organismes extérieurs désignés par le Conseil fédéral dans la mesure où une tâche publique de la Confédération leur a été confiée (art. 2, al. l, LTrans/AP).

Le principe de transparence repose sur le sysÎème selon lequel l'accès accordé à une personne implique qu'il doit l'être en règle générale à toutes (access ta one, access ta al!)". L'exercice du principe de transparence présuppose une demande préalable dans un cas concret; cette demande peut être informelle (art. 7 LTrans/AP). L'avant-projet consacre le principe de l'information sur demande.

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Voir la prise de position du Conseil fédéral du 14 novembre 2001 cn réponse à la motion ZYSlAOIS du 1" octobre 2001 (01.3492) demandant la creation urgente du médiateur fédéral: ,<lors de sa séance du 5 octobre 2001, le Conseil fédéral a décidé de repousser le projet de loi sur la transparence en 2002, car les effets du principe de transparence sur le problème de la sécurité nécessitent des éclaircissements supplémentaires en raison de la situation de menace accrue au niveau mondial.))

DFJP (2000) p. 36.

DFJP (2000) p. 39.

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Le projet de loi sur la transparence

Le principe de transparence n'est pas absolu. Il est tempéré par une série d'exceptions (art. 5 LTrans/AP) prenant en considération les intérêts publics et privés susceptibles de l'emporter sur l'intérêt public à la transparence de l'activité étatique (au chapitre des intérêts publics prépondérants: intérêt à la libre formation de l'opinion et de la volonté d'une autorité, sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse, intérêt de la politique extérieure, intérêt à la sauvegarde de bonnes relations confédé- rales, intérêt de la politique économique ou monétaire nationale; au chapitre des intérêts privés prépondérants: atteinte à la sphère privée, divulgation de secrets professionnels, de fabrication ou d'affaires, révélation d'informations fournies librement par un tiers à une autorité qui en a garanti le secret). Certaines catégories de documents sont exclues du principe de transparence, à l'instar des documents relatifs à la procédure de co-rapport (voir, en droit positif, l'art. 15 de la loi fédérale sur l'organisation du gouvernement et de l'administration du 21 mars 199743) ou des documents relatifs aux positions de négociation concernant les négociations en cours ou futures notamment (art. 6, al. 1 et 2, LTranslAP).

D'autres sont au contraire toujours accessibles à l'instar des rapports d'évaluation des performances et de l'efficacité de l'administration fédérale (art. 6, al. 3, LTrans/AP). L'accès aux documents juridictionnels continue à être régi par les lois spéciales (art. 2, al. 3, LTrans/AP); seules les procédures administratives de première instance conduisant à une décision, les processus menant à l'adoption d'actes matériels ou à la conclusion de contrats, ainsi que les procédures de planification demeurent visés par le principe de transparence".

La procédure est en principe gratuite. Un émolument peut être perçu dans certains cas (art. 13 LTrans/AP). En cas de litige, l'éventuelle décision de l'administration (art. 11 LTrans/AP) est précédée d'nne procédure de médiation (art. 9 LTranslAP) s'achevant par une recommandation du médiateur en cas d'échec de la médiation (art. \0 LTrans/AP). Le conflit peut ensuite être porté devant une commission de recours (Commission fédérale de la protection des données) puis devant le Tribunal fédéral (art. 12 LTrans/AP).

L'avant-projet de loi sur la transparence n'aborde en revanche ni les stratégies d'information d'office des autorités ni la publi~ité de leurs séances puisque celles-ci font déjà l'objet d'une réglementation en droit

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RS 172.0iO.

DFJP (2000) p. 25.

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ALEXANDRE FLOCKIGER

positif. La publicité du Conseil fédéral en tant qu'autorité collégiale, celle du Tribunal fédéral, des autorités de justice militaire et du Parlement (y compris ses commissions) ainsi que leurs administrations respectives de même que la publicité des commissions de recours et d'arbitrage et des administrations cantonales n'est pas réglementée par l'avant-projet".

L'avant-projet de loi sur la transparence, en renversant le principe du secret de l'administration fédérale, apporte donc une contribution décisive à la transparence de l'Etat. Même si de nombreuses lois spéciales statuant soit sur le caractère secret de certains documents soit sur leur caractère public demeurent inchangées, l'avant-projet de LTrans est conçu de telle sorte qu'un certain nombre de documents aujourd'hui secrets deviennent par la suite effectivement publics. Sur ce point, la doctrine est générale- ment d'avis que l'autorité ne saurait, pour les documents déclarés généralement accessibles, «faire brusquement machine arrière, du moins sans respecter les principes régissant les restrictions des libertés indivi- duelles»; la publicité de certains documents officiels ne saurait être soudainement restreinte ou supprimée'"'.

III. Le champ de tension entre le principe de transparence et la protection de la sphère privée

A. Le droit constitutionnel à la protection de la sphère privée s'oppose-t-i1 au principe de transparence?

J. Le caractère non absolu du droit à la protection de la sphère privée Le Tribunal fédéral a justifié le maintien d'une activité administrative secrète en se référant notamment au droit des citoyens à la confidentialité des relations que ceux-ci entretiennent avec l'administration". Ce droit, que le Tribunal fédéral paraît déduire en généralisant une série de cas particuliers, est-il inconditionnel, comme la motivation de l'arrêt pourrait le laisser croire, ou peut-il être relativisé? Le Tribunal fédéral a répondu lui-même à cette question en 1998, mais dans un autre contexte: celui d'une affaire concernant le droit de consulter les registres fiscaux. Les juges fédéraux ont à cette occasion nié l'existence d'un droit constitution-

nel de la personne concernée à s'opposer à la consultation, d'en être

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DFJP (2000) p. 19.

BARRELET (1998) p. 27, nO 92; MAHON (1999) p. 271.

Voir supra II. A. 1.

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Le projet de loi sur la transparence

informée et de pouvoir donner son consentement lorsque la loi prévoit la publicité d'un registre fiscal". Le législateur a, dans ce cas, procédé de lui- même, de manière abstraite et définitive, à la pesée des intérêts entre celui d'accéder à l'information contenant des données personnelles et l'intérêt au secret". On en conclut que le législateur est autorisé à relativiser, à certaines conditions, le droit des citoyens au maintien de relations confi- dentielles avec les autorités". Il s'ensuit que, si le législateur opte pour la transparence de documents officiels, toutes les données personnelles pourront ne plus être secrètes sans autre, que la volonté des particuliers de maintenir de telles données confidentielles pourra être relativisée et que l'audition et l'accord préalable des personnes concernées ne seront plus nécessairement des conditions sine qua non". De telles mesures constituent incontestablement des restrictions à la protection de la sphère privée, garantie par l'article 13 Cst. A ce titre, elles sont admissibles aux conditions générales prévalant pour la restriction des droits fondamentaux conformément à l'article 36 Cst. (base légale, intérêt public, proportion- nalité, protection du noyau dur). On ne saurait prendre prétexte du fait que le principe de transparence, au sens d'un droit général d'accès aux docu- ments détenus par l'administration fédérale, n'a pas été formellement érigé au niveau constitutionnel sur le plan fédéral pour affirmer que le droit à la protection de la sphère privée - et plus particulièrement le droit d'être pro- tégé contre l'emploi abusif des données personnelles" - s'opposerait à l'in- troduction du principe de transparence dans l'administration fédérale.

2. L'intérêt public à la transparence

L'intérêt public, indispensable pour restreindre un droit fondamental, sera concrétisé par le législateur fédéral: l'avant-projet de loi sur la transparence a pour but de «favoriser l'accès du public aux documents officiels» et «promouvoir ainsi la transparence de l'administratiofi» (art. 1 L Transi AP). En réalité, le principe de transparence, sans constituer formellement un droit fondamental comme nous l'avons montré, représente plus qu'un simple intérêt public, à notre avis. De manière sous-jacente, en effet, la transparence est un élément indissociable du principe

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ATF 124/19981176, 183 s, Minelli . ATF 124/19981176, 183, Minelli.

MAHON (1999) p. 336 s.

MAHON (1999) p. 337.

Selon la fonnulation du constituant (art. 13, al. 2, Cst.) que SCHWElZER (2001) p. 704, qualifie de «grossièrement ratée)) (<<gr6blich missglückt}).

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ALEXANDRE FLûCKlGER

démocratique et de l'Etat de droit, prévenant notamment des dysfonction- nements et assurant au citoyen une libre formation de sa volonté politique". Le principe de transparence offre en particulier un rempart au clientélisme et à la corruption: il ne serait pas compréhensible de s'abriter dogmatiquement derrière la logique de fermeture qui prévaut en droit de la protection des données pour permettre par exemple de cacher des avantages indûment consentis à des administrés ou à des fonctionnaires.

Comme COTIIER l'affirme à juste titre, «la protection des données n'a pas pour objectif de servir de paravent à des dysfonctionnements de l'administration»". En ce sens, pour certains, le principe de transparence de l'administration, sans constituer à proprement parler un droit fondamental, peut être compris comme un «verfassungsmiissiges Gebo/»".

On pourrait toutefois franchir un pas supplémentaire si l'on poursuivait la logique du Tribunal fédéral relative à sa définition - pourtant contestable - de la notion de <(Sources généralement accessibles» dans le cadre de la liberté d'information (art. 16, al. 3, Cst.). Les juges fédéraux se contentent d'affirmer qu'il revient à l'ordre juridique en cause (fédéral ou cantonal) de déterminer ce qui constitue ou non une information «généralement accessible»". Si l'on devait suivre ce raisonnement, le législateur fédéral, en proclamant le principe de transparence de l'administration, étendrait par là automatiquement la notion de «source généralement accessible» à l'ensemble des documents tombant dans le champ d'application de la loi sur la transparence. Le principe de transparence acquerrait par ce biais le statut de droit fondamental au titre de la liberté d'information, consé- quence de l'extension par la loi du champ d'application de celle-ci.

Corollaire logique qui démontre à l'évidence le caractère qualifié, à juste titre, de tautologique par la doctrine; il ne peut en effet incomber à la loi de définir le champ d'application d'un droit fondamental".

Le Tribunal fédéral a néanmoins amorcé une approche autonome en cernant de manière négative la notion problématique, c'est-à-dire en définissant les informations qui, de manière générale, ne constituent pas des sources généralement disponibles: les informations relevant de la

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DFJP (2000) p. 16. Sur cet argument en droit constitutionnel suisse, voir HÀNER (1990) p. 95 55; en droit allemand, voir SCHERZBERG (2000) p. 291.

COITIER (2000) p. 192.

EHRENZELLER (1993) p. 46.

Références citées in: MAHON (1999) p. 267.

MAHON (1999) p. 268; EHRENZELLER (1993) p. 38 s.

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Le projet de loi sur la transparence

sphère pnvee en font partie; celles-ci ne sont donc pas généralement accessibles et sont en principe exclues du champ d'application de la liberté d'information". Ainsi, même si cetle dernière liberté impliquait l'acces- sibilité de principe aux informations relatives à l'activité administrative, elle ne comprendrait en principe pas celles qui relèvent de la sphère privée.

3. La proportionnalité des restrictions à la protection de la sphère privée en faveur du principe de transparence

Les restrictions à la protection de la sphère privée ne doivent pas seulement être dictées par un intérêt public à la transparence; elles ont aussi à respecter le principe de proportionnalité". Certaines données personnelles exigent de ce point de vue une protection renforcée. Il s'agit des données personnelles sensibles et des profils de la personnalité. Les premières sont définies en droit suisse dans la loi fédérale sur la protection des données comme les données sur (des opinions ou activités religieuses, philosophiques, politiques ou syndicales» (art. 3, let. c, ch. l, LPD), «la santé, la sphère intime ou l'appartenance à une race» (art. 3, let. c, ch. 2, LPD), «des mesures d'aide sociale» (art. 3, let. c, ch. 3, LPD), «des pour- suites ou sanctions pénales et administratives» (art. 3, let. c, ch. 4, LPD).

Les profils de la personnalité sont définis quant à eux comme (mn assemblage de données qui permet d'apprécier les caractéristiques essen- tielles de la personnalité d'une personne physique» (art. 3, let. d, LPD).

L'avant-projet de loi fédérale sur la transparence, en taisant cette problématique, ne prend à notre avis pas suffisamment en considération le principe de proportionnalité. A l'opposé, le droit bernois, par exemple, en exigeant l'accord exprès de la personne concernée lorsqu'il s'agit de consulter des dossiers contenant des données personnelles (<particulière- ment dignes de protection» (art. 28 de la loi sur l'information du public du 2 novembre 199360), pose à notre avis une exigence excessive, car elle revient à conférer un droit de veto à tout tiers concerné, même - et surtout - dans les cas où l'intérêt public commanderait la publicité (dans les cas de clientélisme ou dans les affaires de corruption par exemple). A notre avis, une mesure proportionnée consisterait à prévoir de consulter d'office la personne concernée par la divulgation de documents contenant des données personnelles sensibles ou des profils de la personnalité et de lui

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60

MAHON (1999) p. 269; ATF 12411998134, 36, B.

Voir supra ID, A, 1.

RSiBE 107.1.

(15)

ALEXANDRE FLÛCKlGER

conférer la qualité de partie à la procédure d'accès au même titre que le demandeur'i.

4. La complémentarité des pôles

En considérant la polarité entre la transparence de l'administration et l'intérêt des citoyens à la protection de leur sphère privée, nous aboutissons à la conclusion qu'il ne convient pas de protéger le secret en soi mais qu'il importe plutôt de trouver un équilibre dans ce champ de tension. Comme le souligne justement MAHON, «il n'y a donc pas antinomie, mais complémentarité entre la protection des données et le droit à l'information, qui constituent les deux éléments de l'équilibre, perpétuel, à trouver entre le droit du public à l'information et le droit des particuliers à la protection de la sphère privée»". 1\ est dès lors exclu dans un tel contexte soit d'ignorer simplement le conflit, à l'instar de la solution législative en vigueur dans certains pays", soit de donner une priorité absolue à l'un des principes en conflit comme dans d'autres nations".

Nous analyserons cet équilibre délicat en examinant successivement chacun des pôles en jeu. Tout d'abord l'examen des cas légitimant une limitation de la transparence en faveur du droit à la protection de la sphère privée (B), puis, à l'opposé, l'exposé des mécanismes conférant un accès aux documents contenant des données personnelles (C).

B. Les mécanismes de limitation de la transparence en faveur de la protection de la sphère privée

1. Un idéal delransparence

Aucune administration n'est devenue totalement cristalline avec la reconnaissance d'un droit général à l'information. Nulle part la transpa-

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62

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Voir infra ru, B, 4, b.

MAHON (1999) p. 337. Voir également KETTIGER (1996) p. 55 s et les références citées.

Exemples cités in: COTTIER (2000) p. 193 s.

Exemples cités in: COrnER (2000) p. 194 s. COrnER a montré dans cette étude que les pays qui ont opté d'abord pour la transparence se sont montrés les moins enclins à la restreindre pour des motifs liés à la protection des données, alors que les pays dans lesquels le secret de la protection des données est venu se greffer sur le système du secret de J'activité administrative (cas de la Suisse) accordent un poids plus grand à la protection des données dans la solution du conflit entre ces deux intérêts opposés lors de l'introduction du principe de transparence (p. 193).

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Le projet de loi sur la transparence

rence de l'activité administrative est illimitée": elle demeure un idéal.

Derrière les façades de verre se trouvent toujours des pièces opaques afin de préserver la sphère privée des particuliers, ou pour tenir compte d'autres intérêts. L'activité de l'administration est simplement présumée transpa- rente, jusqu'à preuve du contraire. Différents mécanismes de renversement de la présomption existent. Ils reposent tous d'une manière ou d'une autre sur le dispositif central de la pesée des intérêts". Limiter la transparence se justifie pour autant qu'il existe un ou plusieurs intérêts en faveur du secret à mettre en balance sur le plateau opposé. Ce mécanisme peut être analysé en distinguant deux cas de figure: le législateur accorde une marge discré- tionnaire plus ou moins large à l'administration (ch, 2); l'administration est liée dans l'application du droit par des concepts juridiques déterminés (ch. 3), Nous examinerons à la suite les mécanismes procéduraux de mise en œuvre (ch, 4).

2, La marge discrétionnaire de l'administration

Le législateur peut accorder à l'administration une certaine marge discrétionnaire pour décider de cas en cas du caractère secret ou public d'un document. Dans ce cas, il importe de distinguer plus finement deux catégories en fonction de la nature de la compétence attribuée à l'admi- nistration: pesée préalable des intérêts par le législateur, suivie d'une interprétation de concepts juridiques indéterminés par l'administration (a) ou pesée des intérêts effectuée directement par l'administration à l'instigation du législateur (b),

Dans la première catégorie, le législateur prévoit une série d'intérêts qu'il qualifie lui-même de prépondérants et dont l'atteinte constitue un motif de refuser la communication d'une information puis charge l'administration de vérifier dans chaque cas d'espèce l'existence ou non d'une atteinte;

l'administration se linùte donc à interpréter des concepts juridiques indéterminés. Dans la seconde catégorie, le législateur délègue à l'admini- stration la compétence de procéder dans chaque cas d'espèce à une pesée des intérêts en présence pour conférer ou non l'accès à un document précis,

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66

COITIER(2000) p, 191.

Sur la pesée des intérêts en matière constitutionnelle, voir MORAND (1996).

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ALEXANDRE FLOCKIGER

a. Le test du préjudice

La doctrine, en droit communautaire, qualifie la première méthode de «test de préjudice» (harm test)67. Ce test est pratiqué lorsque l'administration souhaite juger du dommage potentiel ou du préjudice susceptible d'être occasionné à un intérêt spécifique protégé par la loi. Sa traduction normative est la suivante: «l'accès est refusé si sa divulgation porte atteinte aux intérêts X», par exemple les intérêts relatifs à la sphère privée. Il suffit dans ce cas à l'administration de montrer qu'il est porté préjudice à l'intérêt X pour que la divulgation du document soit refusée. Le législateur limite ici dans une certaine mesure la liberté discrétionnaire de l'administration en procédant à une présélection de différents intérêts qui, s'ils sont contrariés, s'opposent à la transparence directement sur la base de la loi. En d'autres termes, le législateur «pré»-pèse les intérêts en présence en les qualifiant de jure de prépondérants. La seule marge de manœuvre restant pour l'administration - relativement étendue en réalité- consiste à interpréter la notion juridique indéterminée de l' «atteinte à l'intérêt X». L'avant-projet de loi fédérale sur la transparence de l'administration mis en consultation repose sur cette conception, puisqu'il qualifie de prépondérants une série d'intérêts publics (art. 5, al. 2, LTrans/AP) et d'intérêts privés (art. 5, al. 3, LTrans/AP), dont en particulier, parmi ces derniers, l'atteinte notable à la sphère privée (art. 5, al. 3, let. a, LTrans/AP), la révélation de secrets professic;mnels, de fabrication ou d'affaires (art. 5, al. 3, let. b, LTrans/AP) ainsi que la divulgation d'informations fournies librement par un tiers à une autorité qui en a garanti le secret (art. 5, al. 3, let. c, LTrans/AP). Le pouvoir discrétionnaire de l'administration ne réside ici pas dans la pesée des intérêts en présence, mais dans la qualification juridique de l'atteinte à un intérêt déterminé indiqué dans la loi.

b. La balance des intérêts par l'administration

Le second test, dit de «mise en balance des intérêts»", consiste à laisser à l'administration le soin de peser elle-même deux valeurs contraires (l'intérêt d'une communication contre l'intérêt d'une non-communication).

Les législations spéciales, que l'avant-projet laisse subsister, prévoient parfois un tel mécanisme, à l'instar de la loi fédérale sur la protection des

67

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COMMISSION EUROPEENNE (2000) p. 6.

COMMISSION EUROPEENNE (2000) p. 6.

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Le projet de loi sur la transparence

eaux du 24 janvier 1991", qui précise que les résultats des contrôles et des relevés effectués sur la base de la loi peuvent être communiqués sur demande, «à moins que des intérêts prépondérants ne s'y opposenb>

(art. 52, al. 3). Ou à l'instar de la loi sur les télécommunications du 30 avril 199770 qui ordonne à l'administration de fournir sur demande le nom et l'adresse du concessionnaire notamment «pour autant qu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose» (art. 13, al. 1).

En pratique, cette solution est rarement adoptée seule dans les lois sur la transparence. Elle se greffe le plus souvent sur le test du préjudice afin de l'assouplir, augmentant ainsi le pouvoir discrétionnaire de l'administra- tion. Contrairement au test du préjudice, même lorsque l'administration est parvenue à la conclusion que la divulgation portait atteinte à un intérêt défini, elle peut mettre sa solution en balance avec un intérêt public prépondérant qui n'est pas déterminé précisément. A titre d'exemple, on peut citer l'article 4, alinéa 2, du règlement (CE) nO 1049/2001 du Parle- ment européen et du Conseil du 30 mai 2001 relatif à l'accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission:

«Les institutions refusent l'accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection [ ... J des intérêts commerciaux

[ ... J,

à moins qu'un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.»

3. L'administration liée

Les exemples précédents visent les hypothèses dans lesquelles le législateur accorde une marge discrétionnaire plus ou moins large à l'administration. Un second cas de figure doit encore être examiné: lorsque le législateur procède lui-même à la pesée des intérêts de manière défini- tive empêchant l'administration de divulguer un document déterminé. Les documents secrets sont très précisément décrits et l'administration ne peut effectuer une quelconque pesée d'intérêt, car le degré et les modalités de protection sont définis exactement par le législateur. L'administration est dans ce cas liée par des concepts juridiques déterminés. Le législateur ne laisse qu'une marge de manœuvre très étroite, dans les limites du pouvoir de subsomption échéant à l'administration. On trouve en droit fédéral quelques exemples de règles précises de secret dans les lois spéaiales:

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70 RS 814.20.

RS 784.10.

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ALEXANDRE FLÜCKlGER

Dispositions instituant le secret des signatures récoltées dans le cadre de référendums ou d'initiatives populaires: «Une fois déposées, les listes de signamres ne peuvent être ni restimées ni consultées» (art. 64, al. 2, et 71, al. 2, de la loi fédérale sur les droits politiques du 17 décembre 1976, LDP").

«Le diffuseur et le rediffuseur - de même que leurs mandataires - qui, par les sondages qu'ils effectuent et les abonnements qu'ils gèrent, obtiennent des données relatives aux goûts des auditeurs ou des téléspectateurs doivent les mettre hors de la portée de tiers. Elles ne peuvent être commu- niquées à des tiers que sous une forme garantissant l'anonymat» (art. 54 de la loi fédérale sur la radio et la télévision du 21 juin 199172).

En pratique, une législation sur la transparence peut comprendre ces deux types de mécanismes (compétence discrétionnaire de l'administration et compétence liée). L'avant-projet de loi fédérale sur la transparence, en plus d'énumérer une liste d'intérêts qu'il qualifie de prépondérants, prévoit des cas particuliers exclus de iure du droit d'accès, comme les documents officiels relatifs à des positions de négociation (art. 6, al. l, let. b, L TransI AP). Le droit suédois a systématisé cette approche en distinguant toutefois soigneusement le niveau constitutionnel de l'échelon légal. La loi fondamentale sur la presse prévoit ainsi un test de préjudice (restriction au droit d'accès admissible si la divulgation d'informations porte atteinte à une série d'intérêts énumérés exhaustivement) qui s'adresse au législateur uniquement et non à l'administration directement. Le législateur a ensuite l'obligation de concrétiser ces clauses dans une loi Spéciale qui lie l'administration (loi sur le secret) et qui contient des normes de secret très détaillées, cernant chaque type de document précisément".

4. Les mécanismes procéduraux en faveur de la protection de la sphère privée

a. Introduction

L'acte d'informer (renseigner, envoyer une copie d'un document ou mettre un document à disposition d'un lecteur) est un acte matériel, en principe soustrait au contrôle juridictionnel à défaut de constituer une décision au sens de l'article 5 PA". En instituant un droit subjectif à la consultation

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RS 161. 1.

RS 784.40.

CornER (1982) p. 50 ss.

FLÜCKlGER (1998) p. 150, à propos du renseignement donné par une autorité.

(20)

Le projet de loi sur la transparence

des documents ou à l'obtention de renseignements sur leur contenu (art. 4, al. l, LTrans/AP), le législateur juridicise l'information des autorités.

Alliant la souplesse inhérente à ce type d'acte matériel à la nécessité d'une procédure formalisée, l'avant-projet de loi sur la transparence prévoit une demande d'accès informelle (art. 7 LTrans/AP) suivie d'une réponse de l'autorité. En cas de conflit, une procédure préalable de médiation est conduite par le préposé fédéral à la transparence (art. 9 LTranslAP), '<lutorité nommée par le Conseil fédéral (art. 14 LTrans/AP). En cas d'échec, une recommandation (art. 10 L Transi AP) précède la décision de l'autorité si celle-ci ne veut pas respecter la recommandation ou si le demandeur requiert une décision parce qu'il n'est pas satisfait de la recommandation. Cette décision es! susceptible de recours auprès d'une commission de recours réunissant les domaines de la protection des données et de la transparence (Commission fédérale de la protection des données et de la transparence; art. 12 et 18 L TranslAP). En droit futur, à la suite de la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale", le Tribunal administratif fédéral prévu devrait remplacer cette conunission.

b. La position des tiers dans la procédure

L'avant-projet soumis en consultation ne prévoit pas la partIcIpation d'office des tiers dans la procédure'·. Il renvoie simplement au droit de la responsabilité lorsque l'accès a été donné à tortn Cette solution est dictée par l'intérêt d'obtenir une décision sur l'accès aux documents dans les meilleurs délais. Pour CornER, si l'on accordait au bénéficiaire du secret la qualité de partie, «la procédure serait ralentie de façon inacceptable»; en procédure de recours, l'effet suspensif «mettrait en péril le principe de l'accès rapide aux documents»". HANER, tenant compte du droit des tiers à la liberté personnelle, mais tout en étant consciente de la nécessité d'éviter de ralentir la procédure d'accès, estime que l'administration doit informer les tiers concernés de la communication du document". S'il est indubitable qu'une consultation généralisée et obligatoire des tiers compliquerait l'efficacité du principe de transparence, il faut être au contraire conscient que, si les tiers n'ont aucun droit à faire valoir au cours de la procédure

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Conseil fédéral, Message concernant la révision totale de l'organisj;tion judiciaire fédérale du 28 février 2001, FF 20014000 (4046 ss).

Voir de manière très condensée en droit comparé: BURlŒRT (1999) p. 218.

DF IP (2000) p. 37.

COTTIER (1982) p. 216.

HÂNER(1990)p.41I ot413.

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ALEXANDRE fLÜCKlGER

d'accès, l'administration risque d'adopter d'emblée une pratique restrictive pour éviter de communiquer par erreur des secrets privés, comme l'a souligné le Tribunal administratif suprême de Suède il y a un quart de siècle: «Si les bénéficiaires du secret disposaient d'une voie de recours, les fonctionnaires redouteraient beaucoup moins les conséquences de l'admis- sion d'une requête, puisqu'une telle décision ne déboucherait plus sur une situation sans issue» résume à ce propos COTTIER".

Le Tribunal fédéral distingue pour sa part deux situations selon la liberté d'appréciation laissée à l'autorité. Lorsque - premier cas -le législateur ne laisse à l'administration aucune marge de manœuvre, par exemple en statuant qu'un type de document déterminé est généralement accessible même contre la volonté des tiers concernés (en l'espèce un registre fiscal), il procède à une pesée des intérêts de manière abstraite et définitive, qui ne confere aucun droit à un particulier d'exiger le déroulement d'une procédure particulière au cours de laquelle il pourrait être entendu".

Lorsque - second cas - le législateur institue une procédure spécifique autorisant l'accès sous certaines conditions et laissant la place à une balance d'intérêt dans chaque cas d'espèce, le Tribunal fédéral n'a pas tranché la question de savoir si le tiers concerné a le droit de s'exprimer ou non sur la demande d'accès"; les juges fédéraux précisent simplement que la personne concernée doit évidemment être entendue si la loi fait dépendre l'accès à une information de son consentement".

A notre avis, dans la mesure où nous avons montré que la protection de la sphère privée ne saurait valoir de manière absolue", l'exigence du consentement du tiers concerné - l'équivalent d'un droit de veto - ne serait pas capable de garantir le but de transparence, notamment dans les situations où prévalent des risques de corruption, de trafic d'influence ou de clientélisme. L'autorité doit donc être en mesure de se passer du consentement de la personne concernée dans ces hypothèses. En droit communautaire, le groupe de travail sur la protection des personnes à l'égard du traitement des données à caractère personnel partage le même avis et énumère les conditions qu'il importerait de respecter pour rendre publique une information nonobstant le défaut de consentement de la

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,.

ISO

CornER (1982) p. 44.

ATF 124119981176,1835, Minelli.

ATF 124/19981176,184, Minelli.

ATF 124/19981176, 184,Minelli.

Voir supra li, A, 1.

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Le projet de loi sur la transparence

personne concernée". Il est d'avis qu'il faut procéder à une pesée des intérêts au cas par cas en tenant compte de toutes les circonstances lorsque les personnes concernées refusent la divulgation; les données à caractère personnel devant être divulguées si l'autorité aboutit à la conclusion que le droit d'accès prévaut".

En contrepartie, des garallties procédurales doivent être offertes. Il n'est en effet pas envisageable à notre avis de renvoyer simplement les tiers concernés au seul droit de la responsabilité, car, sinon, les garanties procédurales conférées par la loi sur la protection des données (art. 20 [opposition] et 25 [voies de droit]) devraient être fortement restreintes, voire supprimées, lorsque les données personnelles sont contenues dans des documents officiels au sens de la loi sur la transparence. Cette limitation serait d'autant plus délicate que le constituant a délibérément refusé d'ériger en droit fondamental le principe de transparence", contrai- rement au droit à la protection de la sphère privée.

On distinguera deux types de garanties procédurales: la consultation des tiers concernés avant l'octroi de l'accès aux informations et les moyens de droit à leur disposition. Ces deux instruments sont en vérité étroitement liés. Consulter un tiers implique de lui reconnaître la qualité de partie dans la procédure en cours sans quoi la consultation risquerait d'être reléguée à un acte purement formel et conduirait à attiser la frustration des tiers concernés dont l'avis n'aurait pas été retenu. Inversement, le droit de recours déploie son efficacité maximale lorsque le tiers est informé d'une procédure d'accès à un document. Compte tenu de ces circonstances, imposer à l'autorité un devoir de consulter les tiers concernés avant de conférer l'accès ou non à un document contenant des informations suscep- tibles de porter atteinte à leur sphère privée peut notablement compliquer la tâche de l'autorité et ralentir la procédure en conséquence. Or l'information est une denrée rapidement obsolète, justifiant un accès aussi rapide que la situation d'espèce l'exige, supposé que l'on veuille que le

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Groupe de travait sur la protection des personnes à l'égard du traitement des données à caractère personnel (2001) .

Groupe de travail sur la protection des personnes à l'égard du traitement des données à caractère personnel (200]) p. 7 s. Précisons toutefois queJa situation en droit européen diffère dans une certaine mesure du droit suisse fédéral en ce sens qu'en droit communautaire, la protection des données personnelles et l'accès aux documents sont incontestablement de même nature, de même importance et de même degré (ibidem p. 3).

Voir supra U, A in fine.

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ALEXANDRE FLOCKIGER

principe de transparence déploie toute son efficacité. Par conséquent, afin de ne pas vider le principe de transparence de sa substance tout en tenant compte des impératifs de la protection de la sphère privée, une solution raisonnable consisterait, à notre avis, à distinguer selon l'intensité de l'atteinte potentielle. Un bon marqueur à cet égard est la présence de données personnelles au sens de la loi sur la protection des données, qu'il s'agit de différencier selon la nature sensible ou non de celles-ci (données personnelles sensibles et profils de personnalité au sens de l'art. 3, let. c et d, LPD vs autres données personnelles) afin de tenir compte du principe de proportionnalité".

Sur cette base, la loi sur la transparence pourrait prévoir une consultation d'office des personnes concernées par la divulgation de données person- nelles sensibles et de profils de la personnalité. Pour les autres données personnelles, l'autorité ne devrait consulter les tiers concernés qu'en cas de doute - voire d'office, mais alors seulement en procédure contentieuse dans le cas où le demandeur recourrait contre une décision de refus de communiquer un document officiel contenant les données personnelles litigieuses.

Au sujet des moyens de droit, la distinction entre données sensibles et non sensibles ne s'impose pas. Le recours devrait être ouvert dans les deux cas, puisque, comme nous venons de le mentionner, les voies de droit dont les tiers concernés disposent déjà en droit positif en vertu de la loi sur la protection des données ne sauraient en principe être retreintes par la loi sur la transparence. La loi sur la protection des données offre en effet plusieurs moyens chaque fois que la communication de données personnelles est demandée.

En premier lieu, conformément à l'article 25, alinéa l, lettre a, LPD, une procédure en abstention est prévue tant que l'autorité n'a pas donné effectivement l'accès aux données convoitées: «quiconque a un intérêt légitime peut exiger de l'organe fédéral responsable qu'il [a.] s'abstienne de procéder à un traitement illicite.» Cette prétention en abstention peut se rapporter à la communication de données personnelles à des tiers". En second lieu, lorsqu'un document contenant des données personnelles a effectivement été communiqué au demandeur sans que la personne concer- née en ait eu connaissance, la loi sur la protection des données offre à

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152

Voir supra

m.

A,3.

BÂTnG (1995) p. 323, nO t5.

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