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Le contrôle de l'administration par les citoyens en Suisse

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Le contrôle de l'administration par les citoyens en Suisse

TANQUEREL, Thierry

TANQUEREL, Thierry. Le contrôle de l'administration par les citoyens en Suisse. In: Bellanger, François et Tanquerel, Thierry. Surveillance et contrôles de l'administration. Genève : Schulthess, 2008. p. 169-196

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:13175

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Le contrôle de l'administration par les citoyens en Suisse

THIERRY TANQUEREL Professeur à l'Université de Genève

I.

Introduction

Il n'est guère difficile de trouver, en examinant les institutions politiques et juridiques helvétiques, des éléments de contrôle de l'administration par les citoyens. Ce contrôle est partout et donc, paradoxalement, nulle part. Je veux dire par là qu'on ne peut en circonscrire les modalités à quelques procédures bien définies assignées à ce seul but. L'exposé qui suit sera donc inévitablement plus impressioniste, moins riche en infor- mations techniques que ceux qui ont traité de modes de surveillance spécifiques.

Pour cadrer mon sujet, trois précisions terminologiques s'imposent.

Premièrement, la notion de «citoyens» utilisée dans cet exposé est à la fois large et fluctuante. Il faut en effet comprendre dans cette notion non seulement ceux qui ont les droits civiques, les citoyens au sens du droit électoral, mais plus largement le public, la population, ou, vu dans une autre perspective, ceux qui ont affaire à l'administration. Mais adopter

d'emblée cette acception large de la citoyenneté ne doit pas empêcher

d'examiner les mécanismes de contrôle qui appartiennent à certains groupes plus limités d'acteurs ou qui, simplement, sont utilisés plus effi- cacement par ceux-ci. Parmi ces acteurs privilégiés, on mentionnera les associations à but idéal, les personnes plus particulièrement intéressées par des procédures déterminées, la presse. Sous l'a ngle du contrôle de l'administration, leur intervention relève bien, pour utiliser un nouvel adjectif à la mode, de l'action «citoyenne ».

Quant à l'administration, à l'instar des autres intervenants de ce coUoque, je la comprends comme équivalant à l'ensemble de l'appareil d'Etat:

non seulement l'administration centrale, mais aussi les établissements

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THIERRY TANQUEREL

publics autonomes, les entités analogues et, d'une manière générale, tous les organismes chargés de fournir un service public.

Car en effet, et c'est la troisième précision, lorsque les citoyens sur- veillent l'administration, leur contrôle va bien au-delà de celui de la conformité aux règles: il touche essentiellement à la qualité des pres- tations, du service public fourni. C'est donc une acception très large du contrôle qui est en cause ici. Il s'agit d'apprécier l'action de l'admi- nistration selon divers critères, qui peuvent relever de la conformité, de l'efficacité, de l'efficience ou même de l'opportunité. Ce contrôle peut être direct ou indirect'. On peut ainsi déceler des éléments de contrôle dans des pouvoirs et des droits des citoyens qui ne sont pas a priori conçus pour cette fonction. A l'inverse, les mécanismes définis comme moyens de contrôle ont souvent également une dimension et une portée dépassant cette seule fonction.

J'évoquerai donc d'abord, brièvement, les droits des citoyens qui peuvent servir au contrôle de l'administration sans avoir été développés priori- tairement à cette fin. Je m'étendrai ensuite un peu plus longuement sur les institutions qui sont généralement considérées COmme des moyens spécifiques de ce contrôle, à disposition de la population. Enfin, j'abor- derai la question de la transparence de l'administration, tant l'existence ou non de celle-ci conditionne la possibilité effective d'un contrôle de l'administration par les citoyens.

II. Les moyens de contrôle généraux et indirects

A. Le contrôle politique

On peut distinguer deux types de contrôle politique exercé par les ci- toyens sur l'administration. Le premier, indirect, est le contrôle parle- mentaire, dont il est traité en détail dans une autre contribution 2 et qui peut parfois être déclenché par la pétition, que j'évoquerai plus loin. Le second, dont il est question ici, est le contrôle par le biais des élections et des votations.

Cf. SMITH, dans cet ouvrage, l, C.

1 Voir ZIMMERLl. dans cet ouvrage.

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Le contrôle de l'administration par les cicoyens en Suisse

Il n'y a pas de tradition, en Suisse, de démission ou de sanction élec-

tor~le consacrant une responsabilité politique des ministres pour des défaillances de l'administration, telle qu'on la rencontre dans des ré- gimes parlementaires, comme par exemple au Royaume-Uni. Tout au plus, peut-on relever que, dans des cas isolés au niveau cantonal ou communal, des magistrats exécutifs n'ont pas été réélus en raison de carences dans le fonctionnement de leurs services dont ils ont été tenus pour responsables par les électeurs. Le lien entre performance des en- tités étatiques et élections parlementaires est encore plus ténu, du fait de la généralisation du système proportionnel à tous les niveaux des institutions suisses: si l'administration ne donne pas satisfaction, il est difficile d'en attribuer la responsabilité à un parti déterminé, dès lors qu'il est très rare qu'un seul parti ou une coalition claire détienne une majorité parlementaire3

Il faut cependant souligner ici qu'une forme de contrôle politique de l'administration peut aussi résulter, en Suisse, des instruments de démo- cratie directe. Pour éviter l'échec d'un projet de loi qui lui est cher, en cas de référendum, ou l'adoption d'une initiative populaire qu'elle juge trop contraignante, l'administration a tout intérêt à pouvoir démontrer aux élecreurs sa crédibilité sur le sujet en cause. A défaut, elle ne parviendra pas à les persuader d'approuver les nouvelles normes qu'elle propose ou à les dissuader d'accepter les solutions trop radicales auxquelles elle s'op- pose. On peut ainsi probablement tracer un lien entre la crédibilité d'un contreprojet indirect ou direct à une initiative populaire et la confiance dont bénéficie l'administration qui sera chargée en mettre en œuvre ce contreprojet. Il en résulte un certain effet d'autodiscipline de l'adminis- tration. Sous cet angle, la démocratie directe renforce le contrôle poli- tique, par les citoyens, de l'activité de l'administration, alors que, par ailleurs, le fait qu'elle favorise les gouvernements de concordance, qu'ils soit élus par le parlement ou directement par le peuple, tend plutôt à diluer ce contrôle en ce qui concerne la tête de l'administration.

Quoi qu'il en soit, le contrôle politique «populaire» de l'administra- tion est davantage l'affaire de groupes et d'institutions que celle des

Dans les quelques cas où cette configuration existe, on se trouve en présence d'un parti ulrra dominant, ce qui exclut ou atténue en rout cas, d'une autre manière, le risque de sanction politique pour les éventuels manques de l'administration.

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citoyens pris individuellement. Les partis, les associations à but idéal, la presse sont ici en première ligne. Les organes institutionnels de contrôle peuvent aussi jouer un rôle dans ce contexte, mais uniquement dans la mesure où leurs conclusions et leurs rapports sont publics et ainsi sus- ceptibles d'orienter le jugement que les citoyens portent sur l'action des autorités dans la conduite de l'administration. Tel est le cas, à Genève, des rapports de la Cour des comptes4 et de la Commission d'évaluation des politiques publiques" mais pas de ceux de l'Inspection cantonale des finances 6. On remarquera au passage que certains de ces organes de contrôle sont eux-mêmes soumis à un contrôle politique des citoyens:

c'est évident pour les organes du contrôle parlementaire, mais cela vaut aussi, par exemple, pour la Cour des comptes dans le canton de Genève, qui est soumise à une élection populaire tous les six ans '.

B. Les droits de participation aux procédures administratives Les droits de participation aux procédures administratives dont béné- ficient les personnes qui peuvent prétendre à la qualité de partie à la procédure visent avant tout à protéger les intérêts de ces personnes, en leur garantissant une certaine protection juridique (Rechstschutz) 8.

On rappellera que, sur le plan fédéral comme dans la plupart des can- tons suisses, la qualité de partie revient en définitive, par référence à la qualité pour interjeter un recours ordinaire contre une décision administrative', à quiconque est spécialement (ou «particulièrement,,) atteint par la décision attaquée et a un intérêt digne de protection à

4 Art. 141, al. 1 de la Constitution de la République et canton de Genève du 24 mai 1847 (Cst.lGE; RS/GE A 2 00) et art. 9 de la loi instituant une Cour des comptes du 10 juin 2005 (LICC; RS/GE D 112); cf. HANGARTNER (2006) p. 463-464.

5 Les rapports de cette commission sont en effet transmis au parlement cantonal, sans clause de confidentialité (art. 40, al. 1 de la loi sur la surveillance des la ges- tion administrative et financière et l'évaluation des politiques publiques du 19 jan- vier 1995 [LSGAF; RS/GE D 1 10]).

Art. 18, al. 3 LSGAF; cf. SERMlER/VARONE, dans cet ouvrage, III, D.

7 Art. 141 Cst./GE; voir aussi SERMIER/VARONE dans cet ouvrage, ]11, D.

8 HAFELIN/MüLLER/UHLMANN (2006) n° 1612.

Voir, en droit fédéral,l'art. 6 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 (PA; RS 172.021); pour une étude approfondie de la définition de la qualité de partie en procédure administrative, voir BELLANGER (2004).

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son annulation ou sa modificationlOLa jurisprudence a interprété cette notion comme exigeant que le recourant soit touché dans une mesure et avec une intensité plus grande que la généralité des administrés. L'in- térêt invoqué - qui n'est pas nécessairement un intérêt juridiquement protégé, mais peut être un intérêt de fait - doit se trouver avec l'objet de la contestation, dans un rapport étroit spécial et digne d'être pris en considération Il. Toujours par induction de la qualité pour recourir, la qualité de partie appartient aussi à toutes les personnes, organisations ou autorités auxquelles elle est spécialement conférée par la loi 12, ainsi que, à certaines conditions, aux associations qui défendent les intérêts de leurs membresJ3On voit donc bien que le cercle des personnes qui bénéficient de droits de participation aux procédures administratives ne se confond pas avec celui des citoyens et encore moins avec la popula- tion dans son ensemble. Il n'existe à ce principe que quelques exceptions isolées: il arrive, notamment en matière d'aménagement et de construc- tion, que le droit d'obtenir des informations ou celui de formuler des ob- servations lors d'enquêtes publiques soit ouvert à tout un chacun, sans obligation de démontrer l'existence d'un intérêt spécifique". C'est le cas à Genève en matière d'autorisations de construire et lors de la première enquête publique relative aux plans d'affectation".

Pourtant, la portée des droits de participation à la procédure admi- nistrative dépasse, en pratique, la simple défense des intérêts des par- ties au sens juridique du terme, même lorsqu'on ne se trouve pas en

10 Voir, en droit fédéral~ les art. 4~, al. 1 PA et 89, al. 1 de la loi fédérale sur le Tribu- nal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110).

11 ATF 133/200711 468, 470,

x.;

131/200511 587, 589 ss, B,,,,desamt für Privatver- sicherungen; 124/1998 Il 499, 504, Engel.

12 Cf. art. 48, al. 2 PA ec 89, al. 2 LTF.

Il Il faut que l'association ait pour but statutaire la défense des imérêts dignes de proteçtion de ses membres, que <.:es intérêts soient communs à la majorité ou au moins à un grand nombre d'entre eux et, enfin, que çhacun de <.:eux-ci ait qualité pour s'en prévaloir à titre individuel (ATF 13312007 V 239, 243, Société M. de pharmacie; 124/199811293,307, Politjsche Gemejnde Glattfe/den).

14 Voir les exemples donnés par HANER (2000) n° 796 en ce qui concerne le droit fédéral.

IS Voir l'art. 3, al. 2 de la loi sur les çonstructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI; RS/GE L 5 05) et l'art. 16, al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLATj RS/GE LI 30).

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THIERRY TANQUEREL

présence d'éléments de procédure conçus expressément pour favoriser une participation démocratique au processus décisionnel". Le code de bonne administration du Conseil de l'Europe17, dans l'élaboration du- quel la Suisse a joué un rôle éminent, comporte beaucoup de droits de participation 18. Or, ce code s'insère dans une recommandation qui repose fondamentalement sur deux piliers: d'une part, la garantie des droits individuels, dont elle opère une large synthèse, et, d'autre part, la mise en œuvre correcte des choix démocratiques en accordant une place importante à la qualité, à l'efficacité et à l'efficience de l'action de l'ad- ministration. Cette approche de la bonne administration montre qu'il n'y a pas opposition mais complémentarité entre droits de participation individuels et contrôle de l'action générale de l'administration.

Un des droits de participation essentiels des parties est celui de l'accès au dossier1'. Comme, en principe, aucune obligation de secret n'est impo- sée aux parties, l'information dont elles disposent est susceptible d'être diffusée. Un mécanisme analogue s'observe quant à la possibilité de participer aux actes de la procédure non contentieuse, comme les éven- tuelles auditions de témoins, les transports sur place, les expertises 20.

Les droits de participation des parties représentent donc un moyen d'ouverture des procédures administratives et de diffusion potentielle des informations qui sont collectées ou utilisées dans le cadre de ces procédures. Il en résulte un contrôle indirect de l'administration, qui ne peut agir à sa guise, en toute discrétion.

16 Sur cette notion, cf. Hi\NER (2000) n° 794 ss.

17 Ce code constitue l'annexe à la Recommandation CN/Rec(2007)7 sur la bonne ad- ministration adoptée par le Conseil des ministres du Conseil de l'Europe le 20 juin 2007 (www.coe.int/t/f/affaires_iuridiques/coop%E9ration_juridique/droit_et_

iustice_administratifsltextes_ % 2 6 _documen tslConv _ Rec_ Res /Rec (2 0 0 7) 7_

fr.pdf). Voir à ce sujet SMITH, dans cet ouvrage, III, A.

18 Voir les art. 8, 10, 12 à 15 et 18 du code de bonne administration.

19 Voir l'art. 26 PA. Les lois de procédure administrative cantonales comportent des dispositions similaires.

20 Voir l'art. 18, al. 1 PA, pour l'audition des témoins en droit fédéral; le droit d'accès au dossier et de participation à l'administration des preuves fait plus généralement partie du droit d'être entendu garanti par l'art, 29, al. 2 de la Constitution fédé- rale de la Confédération Suisse du 18 avril 1999 (Cst.; RS 101). (ATF 129 II 497, 504-505, Entreprises Electriques Fribourgeoises).

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le contrôle de J'administration par les citoyens en Suisse

Bien sûr, ce contrôle indirect dépend de la volonté des parties. Dans cer- tains cas, celles-ci peuvent avoir tout intérêt à rester très discrètes, voire à contribuer à ce qu'une action administrative qui leur est favorable échappe à tout contrôle du public. En pratique, la transparence obtenue à travers les droits de participation des parties est non négligeable. Un grand nombre des informations sur l'activité des l'administration qui parviennent aux associations à but idéal, aux partis et groupes poli- tiques, ainsi qu'à la presse résultent de l'exercice de ces droits.

C. Les voies de droit

Il ne s'agit pas ici d'examiner le contrôle judiciaire de l'administration en tant que tel, à savoir la manière dont les tribunaux jugent les décisions de l'administration ou, en d'autres termes, la jurisprudence en matière de droit administratif et son effet direct sur les décisions administra- tives. Mais il n'est pas inutile d'évoquer brièvement la contribution que les droits de recours dont bénéficient les administrés peuvent apporter au contrôle de l'administration par les citoyens.

On notera, en premier lieu, que les procédures de recours sont suscep- tibles de donner une publicité à des dysfonctionnements administratifs.

Si une décision est annulée en raison d'un établissement arbitraire des faits, des questions vont inévitablement se poser sur la manière de tra- vailler du service qui a instruit la cause. Il en ira de même si les décisions d'un service sont systématiquement censurées par les tribunaux. Une réaction de la presse, du public ou des autorités politiques responsables peut en résulter.

Mais les droits de recours des parties induisent également une forme d'autocontrôle de l'administration. La possibilité d'une censure ju- diciaire a un effet préventif sur l'action de l'administration, qui sera poussée à instruire correctement et à évaluer soigneusement les enjeux concrets et juridiques pour éviter une telle issue. Cet élément a été parti- culièrement mis en évidence à propos du droit de recours des organisa- tions de protection de l'environnement". Cela étant, indépendamment du résultat des recours, l'existence d'un contentieux important devrait

11 FLÜCKIGERI MORANO/TANQUEREL (2000) p. 164 ss.

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amener l'administration concernée à s'interroger sur cette mauvaise ac- ceptation de ses décisions 22.

On peut donc considérer que l'extension du contrôle judiciaire de l'ad- ministration, dont la dernière étape découle, pour les cantons, des exi- gences de la LTF, entraîne une extension du contrôle de l'administration par les citoyens.

Théoriquement, des conclusions similaires devraient pouvoir.être tirées de la possibilité de mettre en cause la responsabilité de l'Etat, que cela soit par une demande ouvrant une procédure administrative ou par une action en justice. En pratique, il faut bien admettre que ces procédures sont relativement peu nombreuses et peu médiatisées. Si l'effet préventif de la responsabilité de l'Etat reste présent, notamment dans le domaine des activités médicales ou dans celui de la prise en charge des mineurs dans un cadre scolaire, éducatif ou de loisirs, la relative discrétion qui entoure les cas de responsabilité ne permet guère de faire un lien, ici, avec le contrôle de l'administration par les citoyens.

D. Remarques générales sur la participation à la procédure et les voies de droit

Dans la mesure où l'on examine les droits de participation aux procé- dures administratives et les voies de droit sous l'angle du contrôle de l'administration par les citoyens, on se focalise inévitablement sur le contentieux «de principe» mené par des particuliers faisant office de

«testeurs» ou, lorsque cela est possible, par des associations à but idéal.

Par ailleurs, l'effet de contrôle porte en définitive moins sur les causes individuelles dans lesquelles s'exercent les droits de participation ou de recours, que sur l'attidude générale de l'administration à travers un effet préventif diffus.

Cette perspective ne va pas de soi en Suisse, comme le montre la polé- mique récurrente sur le droit de recours - qui induit d'ailleurs un droit de participation aux procédures - des organisations de protection de l'environnement23Dans ce contexte, l'argument selon lequel seules

22 Cf. TANQUEREL (2007) p. 219.

23 Pour un point sur le sujet, voir TANQUEREL (2005), GRIFFEL (2006), HANER (2007).

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Le contrôle de l'administration pa[ les ciroyens en Suisse

des entités étatiques sont légitimées à défendre l'intérêt public, donc, le cas échéant à contrôler si les administrations compétentes poursuivent correctement et efficacement cet intérêt, revient régulièrement 24. On peut dès lors se demander s'il faut se contenter de récolter les effets bénéfiques, en termes de contrôle de l'administration, qui résultent du hasard de l'implication ct de la combativité d'administrés personnelle- ment concernés par certaines actions de celle-ci. Ou bien si l'on peut, dépassant l'idée d'un monopole étatique de la défense de l'intérêt public, pratiquer une politique de prévention et d'orientation de l'action admi- nistrative en utilisant pleinement les leviers de contrôle que représentent les droits de participation procéduraux et les voies de droit. J'ai eu l'oc- casion de me prononcer clairement pour cette dernière approche en ce qui concerne la protection de l'environnementH. Mais, il n'y a aucune raison pour cette approche du contrôle de l'activité administrative uti- lisant pleinement les ressources de la société civile, qui est à la fois effi·

cace et économique pour l'Etat, se limite à un seul domaine.

Une autre limite à l'effet de contrôle de l'administration qui peut être déduit des droits de participation aux procédures administratives et des voies de recours réside dans le fait que ces deux éléments interviennent essentiellement dans des cas où l'administration décide d'agir de son propre chef ou sur requête d'un administré disposant d'un intérêt per- sonnel à obtenir une décision. Ils ne permettent guère de forcer à agir une administration qui ne remplit pas des devoirs généraux qui lui impose la loi 26. L'introduction du nouvel article 25a PA, qui ouvre un contrôle des actes matériels illicites seulement lorsque ceux-ci touchent des droits ou des obligations, ne devrait pas modifier cette situation. Pour simplifier, on peut dire que la participation aux procédures administratives et les voies de droit contribuent au contrôle l'administration qui agit à tort

ou qui refuse de reconnaître des droits subjectifs, mais qu'elles sont peu pertinentes lorsque l'administration ne remplit pas ou pas bien ses mis- sions sans que cela porte atteinte à des droits indivituels.

2-4 Voir, par exemple, LENor (2004) p. 33; pour un exposé de la question HANER (2000) 404 ss.

25 TANQUEREL (1996) nO 345 ss.

26 TANQUEREL (1996) nO 390. Sur la problématique, dans ce contexte, de l'action (de droit administratif) en prestation, en comparaison avec la situation allemande, cf. FLÜCKIGER (1998).

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THIERRY TANQUEREL

III.

Les moyens de contrôle spécifiques

A. La pétition

En raison de sa souplesse et de son absence de formalisme, la pétition apparaît comme un des moyens de base à disposition des citoyens sou- haitant mettre en évidence des dysfonctionnements de l'administration.

Si elle peut certes aussi poursuivre d'autres buts, comme demander aux autorités d'agir face à un problème qu'elles n'ont pas encore reconnu ou créer une pression politique dans le cours de travaux parlementaires, elle peut néanmoins, sous l'angle qui vient d'être évoqué, être rangée parmi les moyens de contrôle spécifiques de l'administration. Cet aspect du droit de pétition n'est toutefois que peu traité par la doctrine, qui insiste plutôt sur l'élément de dialogue entre les citoyens et les autorités que ce droit favorise".

Le droit de pétition est consacré constitutionnellement au niveau fédé- ral (art. 33 Cst.) et dans la plupart des cantons (pour Genève, art. 11 Cst.lGE). L'article 33 Cst. prévoit que" toute personne a le droit, sans qu'elle en subisse un préjudice, d'adresser des pétitions aux autorités ».

La notion de pétition en tant que telle n'est pas définie dans cette dis- position. La jurisprudence en a donné une définition considérée comme classique 28: le droit de pétition garantit à chacun la possibilité d'adresser en tout temps aux autorités des requêtes, des propositions, des critiques ou des réclamations dans des affaires de leur compétence, sans avoir à craindre pour cela des désagréments ou des conséquences juridiques préjudiciables de quelque nature que ce soit2'.

L'élément constitutionnel essentiel est donc l'interdiction de tout mesure de rétorsion vis-à-vis d'un pétitionnaire. La jurisprudence considère tra- ditionnellement que le droit de pétition est une liberté qui ne confère pas de droit à une prestation positive de l'Etat 30. L'article 33, alinéa 2 Cst. précise cependant que les autorités doivent prendre connaissance des pétitions, ce qui ne constitue sans doute qu'une formulation expli-

27 STEINMANN (2008) n"' 2 et 3; HOTZ (2001) n° 38.

28 MAHON (2003) 4.

29 ATF 119/1993 la 53, 55, St.; 104/1978 la 434, 437, Yolande Stauffacher.

30 Ibid.

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Le comrôle de l'administration. par les citoyens en Suisse

cite d'une obligation qui existait déjà sous l'empire de la Constitution fédérale de la Confédération Suisse du 29 mai 1874 (aCst.) 31. La doc- trine est divisée quant à la question de savoir s'il ne conviendrait pas de déduire de l'article 33 Cst. au moins un droit à une réponse de l'autorité compétente", le Tribunal fédéral considérant pour sa part que c'est au législateur de prévoir, le cas échéant, une obligation de l'autorité allant plus loin que la simple prise de connaissance de la pétition·B

De fait, les dispositions réglant le traitement des pétitions adressées aux parlements ne se limitent pas à la simple prise de connaissance de celles- ci et imposent un minimum de prise en considération, comportant no- tamment une information des pétitionnaires sur la suite donnée à leur requête". Lorsque la pétition donne lieu à un rapport parlementaire, voire à un débat, il en résulte en outre une certaine publicité pour son objet. Plus généralement, les obligations incombant aux autorités saisies de pétitions sont précisées dans la constitution 35 ou la législation de nombreux cantons. Ainsi, à Genève, la loi sur l'exercice du droit de péti- tion du 14 septembre 1979 (LPétition)36 prévoit que l'autorité qui reçoit une pétition doit l'étudier (art. 3, al. 1), puis décider d'y donner suite, de la renvoyer à l'autorité compétente ou de la classer, en consignant ses conclusions dans un rapport (art. 4, al. 1), lequel doit être communiqué au pétitionnaire ou à son représentant (art. 5, al. 1). Contrairement à ce qui est le cas dans d'autres cantons3', aucun délai n'est toutefois prévu

31 L'art. 57 aCst. se contentait d'indiquer que .. le droit de pétition est garanti ,,; cf.

MAHON (2003) nœ 8 et 9; STEINMANN (2008) n° 10.

n HOTZ (2001) n° 13 considère qu'un droit d'obtenir une réponse ayant été expres- sément rejeté lors des travaux préparatoires, on ne peut l'admettre par voie d'in- terprétation, tout en doutant du bien fondé de la motivation avancée pour ce re- jet (n° 16). STEIN MANN (2008) n° 11 prone pour sa part une interprétation large s'écartant de l'interprétation historique. En faveur également d'une obligation de répondre, AUER/MALINVERNI/HoTTELIE.R (2006) n° 1487.

33 ATF 119/1993 la 53, 55-56, St., et la jurisprudence citée.

34 Voir, sur le plan fédéral, les art. 126 à 129~ notamment 128, de la loi sur l'As- semblée fédérale du 13 décembre 2002 (Loi sur le Parlement, LParl; RS 171.10) et, sur le plan genevois, les art. 171 et 172 de la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève du 13 septembre 1985 (LRGCj RS/GE BIOl).

J5 Voir les exemples donnés par MAHON (2003) n° 9 note 20.

" RS/GE A 5 10.

37 Cf. MAHON (2003) n" 9 note 20.

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THIERRY TANQuEREL

pour ce traitement. Cela étant, il est clair que la pétition ne donne pas droit à un traitement particulier sur le fond, ni à la mise en œuvre de mesures d'instruction. Elle ne donne pas non plus une quelconque qua- lité de partie aux pétitonnaires.

Malgré ses limites incontestables, parfois exagérément soulignées dans les travaux préparatoires de l'article 33 Cst. 38, la pétition, par sa sou- plesse et son absence de formalisme, possède des avantages certains sous l'angle du contrôle de l'administration par les citoyens. Elle n'est d'abord soumise à aucune exigence de forme ou de délai, ce qui peut permettre de soulever des problèmes réels de fonctionnement adminis- tratif alors même que les voies de recours ordinaires ne seraient pas ou plus ouvertes. Elle est à disposition de chacun, sans aucune consi- dération de nationalité, d'âge ou d'intérêt particulier". Elle constitue donc, dans certains cas, la seule voie d'expression d'administrés qui ne disposent ni des droits populaires ni de moyens de droit formels. Enfin, elle peut viser toute forme d'activité administrative, indépendamment de l'existence d'un acte juridique, norme ou décision. Elle est donc l'ins- trument privilégié de celles et ceux qui entendent contester de simples mesures d'organisation du service public, des activités purement maté- rielles d'entités étatiques ou encore l'inaction coupable d'une autorité.

La pratique genevoise récente offre quelques exemples illustrant cet état de fait. On trouve ainsi, parmi les pétitions traitées en 2007 par le Grand Conseil, une pétition «contre le démantèlement du Centre d'animation pour retraités », qui touchait au fonctionnement de l'Hospice général'o, une pétition s'opposant à la «privatisation de la cafétéria du Centre de Lullier» 41 et une pétition «pour la démolition du mur en construc- tion sur la terrasse du Centre d'enregistrement des requérants d'asile (CERA)>> 42. Ces pétitions ont en commun qu'elles mettent en cause des

38 HOTZ (2001) 37.

39 STEINMANN (2008) 4; MAHON (2003) 3; HoTZ (2001) 23; AUER/MALIN- VERNI/HoTTELIER (2006) 1488.

40 Voir!e rapport de la commission des pétitions du Grand Conseil: www.geneve.

chlgrandconseilldataltexteIP01622A.pdf·

41 Voir le rapport de la commission des pétitions du Grand Conseil: www.geneve.

chlgrandconseilldataltexteIP01613A.pdf.

42 Voir le rapport du Conseil d'Etat suite en renvoi de la pétition parle Grand Conseil:

www.geneve.chlgrandconseilldataltexteIP01164 B .pdf

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Le contrôle de l'administration par les citoyens en Suisse

actions concrètes d'entités administratives dont on voit mal comment elles pourraient être contestées dans le cadre de procédures administra- tives formelles. Elles portent aussi sur des enjeux réels mais limités pour lesquels le recours aux droits politiques ne paraît pas réaliste.

B. La dénonciation

On entendra ici par dénonciation le fait pour un administré de signaler à l'autorité compétente le comportement contraire au droit d'une per- sonne privée, d'un agent étatique ou d'une autorité, sans pour autant réclamer la prise d'une décision protégeant ses propres intérêts. Dans ce dernier cas, on se trouverait en effet en présence d'une requête de décision administrative, avec les contraintes et les droits spécifiques qui découlent de la procédure administrative.

La dénonciation peut émaner d'une personne qui s'estime victime des agissements dénoncés, d'un lésé, que l'on qualifiera en général de

«plaignant»43. Elle peut aussi être faite purement dans l'intérêt public, ce qui sera le plus souvent le cas lorsqu'elle émane d'organisations à but idéal.

La dénonciation peut viser une personne privée soumise à surveillance étatique - avocat, notaire, médecin, banque, etc. - ou se trouvant simplement en violation de prescriptions de droit public - en matière douanière ou de construction, par exemple. Elle peut aussi être dirigée contre un agent de l'Etat ou une autorité en tant que telle. On parlera, dans ce dernier cas, de plainte à l'autorité de surveillance (Aufsichtbe- schwerde)". Dans le contexte du contrôle de l'administration par les ci- toyens, c'est cette dernière forme de dénonciation qui est pertinente".

La dénonciation, qu'elle vise un particulier ou une autorité, n'est pas un moyen de droit, mais un mode d'interpellation informel de l'autorité, qui n'est soumis à aucune exigence de forme, de délai ou de qualité

., MooR (2002) p. 52!.

44 Cette distinction est opérée parKNAPP (1991) n°S 1785 et 1795 j mais Mo OR (2002) p. 520 ss ne traite de la dénonciation que sous l'angle de la plainte à l'autorité de surveillance, de même que HAFELIN/MOLLER/UHLMANN (2006) nO 1835 5S.

45 Même si l'on peut imaginer que la dénonciation d'un particulier à une autorité de surveillance a aussi pour but de pousser cette dernière à agir et que le dénonciateur cherchera à vérifier si tel est le cas.

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THIERRY TANQuEREL

pour agir". Elle est possible même sans base légale particulière, dès lors qu'elle constitue en définitive une variante de la pétition et peut, dans cette mesure, se fonder sur l'article 33 Cst.".

La dénonciation est évoquée de manière différenciée dans la PA et dans la loi genevoise sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA/GE)". L'article 71 PA consacre le droit de «chacun» à dénoncer en tout temps à l'autorité de surveillance les faits qui appellent dans l'intérêt public une intervention d'office contre une autorité. Seules des autorités peuvent être visées dans la perspective de cette disposi- tion. Quant à «l'intervention» de l'autorité de surveillance, elle peut prendre n'importe quelle forme et ne se limite pas à celle de la décision.

L'article 10A LPA/GE prévoit pour sa part que «toute personne peut porter à la connaissance des autorités des faits susceptibles d'entraîner l'ouverture d'une procédure administrative» en précisant que «toute- fois, l'autorité ne donne aucune suite aux dénonciations anonymes ».

L'article lOA LPA/GE est plus large que l'article 71 PA en ce sens qu'il ne se limite pas aux dénonciations qui visent des autorités. Mais il est ausssi plus étroit dans la mesure où il ne vise que l'ouverture de procédures administratives, donc, en définitive, la prise de décisions.

Cela étant, on ne saurait à l'évidence interpréter l'article 10A LPAIGE comme interdisant à l'autorité saisie de réagir à une dénonciation par une autre mesure que l'ouverture d'une procédure administrative, par exemple, une réorganisation de service ou une action matérielle. Deux remarques doivent encore être faites concernant l'interdiction de donner suite à des dénonciations anonymes: premièrement, cela ne signifie bien sûr nullement que l'autorité aurait a contrario une obligation d'entrer en matière sur les dénonciations signées; deuxièmement, même en cas de dénonciation anonyme, l'autorité devra agir, y compris si nécessaire en ouvrant une procédure administrative, si un intérêt public prépondérant l'exige, par exemple en cas de danger pour la sécurité des personnes ou la santé publique.

" HAFELlNiMOUERiUHLMANN (2006) n~ 1835, 1845 et 1846; MOOR (2002) p. 521; c'est à tort que KNAPP (1991) n° 1796 limite la plainte à l'autorité de sur- veillance au comportement de l'autorité envers le plaignant lui-même et semble exiger un intérêt personnel du plaignant (n° 1798), sauf à admettre que cet intérêt peut-être purement idéal ou intellectuel.

47 MOOR (2002) p. 521; KNAPP (1991) n" 1786.

" RS/GE E 510.

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Le contrôle de l'administration par les citoyens en Suisse

La possibilité que des organes spécifiques de contrôle soient saisis par un dénonciateur se retrouve dans les législations spéciales. Ainsi, à Ge- nève, l'article 2 LICC prévoit que «toute personne peut communiquer à la Cour des comptes des faits ou des pratiques dont elle a connais- sance et qui pourraient être utiles à l'accomplissement de ses tâches ", la Cour des comptes décidant librement si elle entend donner suite aux dé- marches dont elle a fait l'objet. Cette disposition est reprise à l'article 19 du projet de loi sur le contrôle interne et la surveillance de la gestion ad- ministrative et financière de l'Etat, pendant devant le Grand Conseil".

Plusieurs rapports de la Cour des comptes SOnt d'ailleurs le résultat de dénonciations: par exemple le rapport sur les charges de promotion et de publicité de l'Aéroport international de Genève, sur dénonciation de la formation politique «A Gauche toute" ou le rapport sur la Fondation de valorisation de la BCGE résultant d'une «autosaisine» suite à la dé- nonciation d'un citoyen 50.

Selon une jurisprudence bien établie, le dénonciateur n'a pas la qualité de partie à la procédure", ni la qualité pour recourirS2Plus exactement, le fait d'être dénonciateur ne confère pas la qualité de partie à l'éventuelle procédure administrative qui pourra être engagée suite à la dénoncia- tion, ni celle pour recourir contre la décision issue de cette procédure5J

l'article 71, alinéa 2 PA le confirme en droit fédéral. Si la dénonciation ne débouche par sur une procédure décisionnaire, la question ne se pose tout simplement pas faute d'objet 54. A Genève, l'article 2, alinéa 2 LICC fait écho à cette considération en évoquant cependant, maladroitement, le fait que la procédure devant la Cour des comptes serait «non conten- tieuse", alors qu'elle est «non décisionnaire". Lorsque la dénonciation provoque une procédure décisionnaire, il faut retenir que le dénoncia- teur n'est, en raison de cette seule qualité, pas susceptible d'être touché

49 PL 10126 (www.ge.chlgrandconseilldataltexteIPLl0126.pdfl.

50 Ces rapports sont disponibles sur le site Internet de la Cour des comptes: www.

geneve.ch/cdclrapports.asp.

51 ATF du 16 mai 2006 en la cause 2P.34112005 cons. 3.3., Association des Pharma- cies du Callion de Genève.

52 ATF 133/200711468, 470 ss, X.; 132/2006 Il 250, 255, X.

53 ATF 133/200711 468, 471, X.; TANQUEREL (2004) p. 107-110.

s< Cf. MOOR (2002) p. 523.

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THIERRY TANQUEREL

directement plus que quiconque, d'être "particulièrement atteint", pour reprendre la formule de l'article 89, alinéa 1, lettre b LTF, par la décision qui sera prise".

Il en résulte que le dénonciateur n'a pas un droit à ce sa démarche soit suivie d'effet, ni à intervenir dans la procédure qui sera éventuellement ouverte, ni encore à se voir notifier la décision ou les mesures que l'auto- rité jugera bon de prendre.

Si l'on suit l'avis de la doctrine la plus récente en matière de pétition"

- dont la dénonciation est, rappelons-le, une variante - il faut cepen- dant admettre un droit général du dénonciateur à être informé non de la mesure précise qui a été prise suite à sa démarche, mais du fait que celle-ci a été prise en considération ou non 57, sous réserve des cas où la dénonciation est constitutive de harcèlement ou de volonté de nuire.

On ajoutera que, dans certains cas, la législation spéciale aménage des droits particuliers au dénonciateur. On mentionnera à cet égard - pour citer un exemple" où ce sont des membres d'autorités, à savoir les ma- gistrats du pouvoir judiciaire, qui sont visés - que l'article 5, alinéa 3 de la loi genevoise instituant un Conseil supérieur de la magistrature du 25 septembre 1997 (LCSM/GE)" confère au dénonciateur, qualifié de

"plaignant» sans qu'il soit exigé qu'il soit personnellement lésé, le droit à ce que cette autorité statue en plénum sur sa dénonciation s'il persiste après que celle-ci a été classée par décision présidentielle. D'une manière générale, les décisions du Conseil doivent d'ailleurs être communiquées au plaignant (art. 8, al. 3 LCSM/GE). Il peut aussi arriver que la loi confère expréssément la qualité de partie à certains dénonciateurs. On doit alors assimiler ce cas à celui d'une procédure de plainte formalisée dont il sera question plus loin.

A l'instar de la pétition, avec laquelle elle n'a, on l'aura compris, pas de différence de nature, la dénonciation représente un instrument précieux de contrôle de l'administration par les citoyens. Certes, elle n'aucun ef-

55 ATF 133/2007 Il 468, 472, X.

56 Cf. supra note 32 in {ine.

57 Mo OR (2002) p. 522.

58 Pour d'autres exemples, voir TANQUEREL (2004) p. 115 ss.

" RS/GE E 2 20.

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Le contrôle de l'administration par les citoyens en Suisse

fet obligatoire. Mais sa souplesse et surtout le fait qu'elle peut viser non seulement des cas dont le traitement passe par des décisions, mais également des situations de fait, des omissions, des mesures organisa- tionnelles, des actes matériels des autorités, en font bien souvent le seul moyen pour les citoyens de mettre en évidence des dysfonctionnements administratifs auprès de l'autorité apte à y remédier.

C. La plainte formalisée

Certains modèles de surveillance - qui peuvent viser aussi bien des par- ticuliers que des agents ou des entités étatiques - prévoient des méca- nismes qui permettent de formuler des plaintes auprès d'un organe insti- tué pour en traiter. Si la plainte est recevable, une décision doit être prise.

Dans la mesure où la décision à prendre statue, de manière formatrice ou constatatoire, sur la violation de droits du plaignant, celui-ci aura la qualité de partie à la procédure en vertu des dispositions générales en la matière. Tel sera aussi le cas si le plaignant est susceptible d'être sim- plement «particulièrement touché» dans un intérêt digne de protection par cette décision. Au surplus, comme on le verra, la loi décrète parfois que certains plaignants auront la qualité de partie, sans référence aux critères généraux habituels. On se trouve ainsi dans un contexte diffé- rent de celui de la dénonciation, laquelle laisse la plus grande marge de manœuvre à l'autorité saisie. On peut donc véritablement parler de pro- cédure de plainte formalisée", les règles de la procédure administrative s'appliquant pleinement. Cette réglementation, qui déroge au régime général de la dénonciation et institue un mécanisme de décisions de surveillance dans des cas où l'action administrative en cause ne prend pas nécessairement la forme de la décision, nécessite bien entendu une base légale spéciale".

Lorsqu'elles sont ouvertes contre des actions d'agents ou d'autorités éta- tiques, les procédures de plainte formalisée renforcent considérablement le contrôle de l'administration par les citoyens. Elles permettent en effet de provoquer des décisions relatives à des actions ou omissions maté- rielles de l'administration et donnent d'importants droits procéduraux

60 TANQUER EL (2004) p. 101 SS.

61 Id. p. 102.

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aux plaignants, y compris, le cas échéant, celui de recourir contre la décision de l'organe statuant sur la plainte. La qualité de «plaignant- partie" est le plus souvent liée à celle de lésé par l'action mise en cause, mais ce n'est pas une règle absolue et la loi spéciale peut être plus large.

La procédure de plainte formalisée a ainsi un double but: elle vise à protéger plus efficacement les droits de ceux à qui la qualité de partie est reconnue; mais elle est aussi instituée dans l'intérêt public qui justifie fondamentalement le régime de surveillance. En raison de son caractère sensiblement plus incisif que la dénonciation ou la pétition, la plainte formalisée a non seulement un effet direct dans les cas où elle est utilisée avec succès, mais elle a aussi un effet préventif incontestable. Les entités visées doivent compter avec le risque d'être traduites contre leur gré devant l'organe de surveillance.

On évoquera ici deux exemples typiques de plainte formalisée, l'un en droit fédéral, l'autre en droit genevois.

Sur le plan fédéral, la surveillance du contenu des émissions de radio et télévision offre - dans la mesure où elle concerne, avec la SSR, un opérateur de service public - un système très complet de surveillance de l'administration par les citoyens. En effet, la loi fédérale sur la radio et la télévision du 24 mars 2006 (LRTV)62 prévoit comme premier éche- lon une procédure de réclamation ouverte à «toute personne" auprès de l'organe de médiation du diffuseur (art. 92 LRTV). Cette procédure n'est pas décisionnaire. Mais si elle n'a pas satisfait le réclamant, elle peut se poursuivre par une plainte auprès d'une autorité indépendante (art. 82 LRTV), qui peut être saisie par quiconque prouve que l'objet de l'émission mise en cause le touche de près (art. 94, al. 1, let. b LRTV) ou par quiconque ne remplissant pas cette condition mais dont la plainte est co-signée par 20 personnes au moins (art. 94, al. 2 LRTV).

L'autorité valablement saisie devra rendre une décision établissant si les dispositions relatives au contenu des émissions rédactionnelles ont été violées ou non (art. 97, al. 2 LRTV). La procédure devant l'autorité indépendante d'examen des plaintes est donc une procédure décision- naire dans le cadre de laquelle ceux qui sont touchés de près par une émission ont la qualité de partie et pour laquelle existe en outre un droit

62 RS 784.40.

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Le contrôle de l'administration par les cÎtoyens en Suisse

de plainte collective "populaire., qui n'exige aucun intérêt particulier et qui donne à ses auteurs le droit à une décision (mais pas la qualité de partie)63. Cette procédure de plainte formalisée est complétée par une procédure subsidiaire de dénonciation, dès lors que l'autorité in- dépendante peut entrer en matière sur des plaintes qui ne remplissent pas toutes les conditions formelles s'il appert qu'une décision d'intérêt public doit être prise (art. 96 al. 1 LRTV).

A Genève, un système de plainte formalisée existe dans le domaine des droits des patients. Il concerne la surveillance de l'ensemble des profes- sionnels de la santé, mais relève du contrôle de l'administration lorsque les professionnels en cause travaillent au sein des établissements publics médicaux. Selon l'article 41, alinéa 1 de la loi sur la santé du 7 avril 2006 (LS)", toute personne qui allègue une violation d'un droit que cette loi reconnaît aux patients peut saisir en tout temps par le biais d'une plainte ou d'une dénonciation la commission de surveillance. Cette der- nière est régie par la loi sur la commission de surveillance des profes- sions de la santé et des droits des patients du 7 avril 2006 (LComPS)".

L'article 8 LComPS prévoit que la commission peut se saisir d'office, sur plainte du patient concerné, de son représentant thérapeutique ou de son représentant légal (al. 1) ou sur dénonciation du département compé- tent, des professionnels de la santé, des institutions de la santé ou de particuliers (al. 2). L'article 9 LComPS donne notamment la qualité de partie au patient qui saisit la commission de surveillance, sans faire de différence entre le cas où le patient invoque la violation de ses droits au sens de l'article 41 alinéa 1 LS et celui où il allègue qu'un professionnel de la santé a commis un agissement professionnel incorrect susceptible de sanction displinaire selon la loi et où il serait donc, selon les règles générales, simple dénonciateur. Lorsqu'elle est déclenchée par le patient concerné, la procédure devant la commission est donc une procédure de plainte formalisée, qui doit aboutir à une décision et dont l'initiateur à la qualité de partie.

" TANQUEREL (2004) p, 113-114,

" RSIGE K 1 03.

" RSIGE K 3 03.

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THIERRY TANQUEREL

D. Les structures participatives

Deux types de structures participatives, très fréquentes en Suisse, peuvent être considérés comme relevant, en partie du moins, du contrôle de l'administration par les citoyens. Il s'agit, d'une part, des nombreuses commissions consultatives extraparlementaires que l'on rencontre aussi bien sur le plan fédéral qu'au niveau cantonal, et, d'autre part, des organes dirigeants des entités décentralisées chargées de missions de service public.

Certes, dans les deux cas, le contrôle de l'administration n'est pas né- cessairement la seule, ni même la principale préoccupation de ces struc- tures. Les commissions consultatives sont souvent chargées de préavi- ser des projets législatifs ou réglementaires et d'élaborer des stratégies prospectives. Mais il n'est pas rare non plus qu'elles aient à examiner la manière dont l'administration accomplit ses missions, ne fut-ce que pour mieux recommander les réformes nécessaires. Quant aux organes dirigeants des entreprises de service public, ils doivent bien sûr définir les orientations stratégiques et la politique de l'entreprise, mais ils ne sauraient pour autant éluder leur responsabilité quant au contrôle du fonctionnement de ladite entreprise.

Certes également, ces structures n'ont pas toutes la même nature parti- cipative, par quoi il faut entendre la présence en leur sein de représen- tants des «citoyens» au sens large et évolutif évoqué en introduction de cet exposé. La sélection d'experts et de représentants des groupes d'intérêts les plus puissants peut conduire à la constitution d'une cer- taine oligarchie" qui ne correspond pas vraiment à l'idée d'un contrôle

«populaire» de l'administration. L'idée d'une représentation équitable des divers intérêts en jeu est toutefois bien implantée dans les mœurs helvétiques et d'ailleurs juridiquement reconnue: l'article 9 de l'ordon- nance sur les commissions extraparlementaires, les organes de direction et les représentants de la Confédération du 3 juin 1996 (Ordonnance sur les commissions) 67 prévoit que «les groupes d'intérêts, les deux sexes, les langues, les régions et les groupes d'âge doivent être représentés équitablement au sein des commissions ». Dans la mesure où les com-

66 Cf. HAN ER (2000) n" 819.

67 RS 172.3l.

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Le contrôle de l'administration par les citoyens en Suisse

missions consultatives et les organes des entreprises de service public comprennent, notamment des personnes issues d'organisations à but idéal, d'associations d'usagers ou, pour les entreprises de service public, des représentants du personnel, elles jouent un rôle de relais entre de larges secteurs de la population et l'administration qu'elles conseillent ou qu'elles dirigent. Elles participent ainsi au contrôle des citoyens sur l'administration.

Un double mouvement de recul s'observe toutefois à cet égard. Premiè- rement, tant au niveau fédéral" qu'au niveau cantonal", s'affirme une volonté de réduire considérablement le nombre des commissions extra- parlementaires, essentiellement pour des raisons d'économie. Quant aux organes des entreprises publiques, la mode est à leur resserrement et à leur «professionnalisation .. au nom d'une meilleure efficacité. Si la volonté d'opérer des économies et d'atteindre une meilleure effica- cité n'est en elle-même pas critiquable, force est de constater que les réformes menées ou proposées dans cette perspective ne sont pas suf- fisamment corroborées par des études empiriques sérieuses sur le coût réel des commissions consultatives ou sur le mauvais fonctionnement des organes dirigeants des entreprises de service public. La réduction qui en résulte de la fonction de contrôle de l'administration par les ci- toyens qu'exercent les structures en cause n'est pas non plus adéquate- ment prise en considération, avec le cas échéant, des propositions de compensation. Ces lacunes peuvent sans doute expliquer l'échec devant le peuple de certains de ces projets?o.

68 Voir le communiqué de la Chancellerie fédérale du 12 septembre 2007 (www.news.

admin.chldokumentation/00002f00015/index.htm/?/ang=fr&msg·id=14510).

69 A Genève, la mesure n° 32 du «plan de mesures d'efficience» publié en 2006 par le Conseil d'Etat ptévoit la diminution de 25% des commissions officielles et de observatoires au sein de l'Etat de Genève {lUww.geneve.ch/conseiJ_etat/

2005 ·2009Idoclce061129· 2 .pdn.

70 Le t("t juin 2008, les électeurs genevois ont ainsi rejeté trois projets de loi modifiant la composition du conseil d'administration respectivement des Service industriels de Genève, des Hopitaux universitaires de Genève er des Transports publics ge- nevois; voir la brochure explicative concernant cette votation (www.geneve.ch/

votationsI20080601Idoclexplicative_Ol_juin_08.pdf) et les résultats du scrutin (www.ge.ch/votations/20080601Icant.asp).

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THIERRY TANQUEREL

IV. La question de la transparence

On entend par principe de transparence de l'administration le droit de toute personne d'accéder aux documents produits ou détenus par l'ad- mistration sans devoir justifier d'un intérêt quelconque71. Il s'agit donc d'un droit général et inconditionnel à l'accès aux informations détenues par l'administration, en d'autres termes d'un droit à la curiosité".

Bien que certains auteurs insistent davantage sur le fondement libé- ral et démocratique du principe de transparence73, sa contribution au contrôle de l'administration n'en a pas moins été relevée aussi bien par la doctrine74 que par le Conseil fédéral, pour qui «le principe de trans- parence peut-être considéré comme un instrument supplémentaire direct permettant de renforcer le contrôle direct de l'administration par les citoyens ,,75. A vrai dire, on peut être plus tranché que le Conseil fédéral:

le principe de transparence est une condition essentielle du contrôle de l'administration par les citoyens. Il permet d'abord aux citoyens inté- ressés, ou simplement «curieux", de connaître les actions de l'admi- nistration sans dépendre des hasards des procédures administratives publiques ou du bon vouloir des autorités en matière d'information. Il permet surtout de mieux vérifier si les fondements des affirmations des autorités sont exacts, pour le cas échéant ouvrir un débat équilibré au sujet de l'action de l'administration. Peu importe à cet égard que le droit d'accès aux informations administratives soit principalement exercé par des groupements particulièrement concernés - par intérêt particulier ou par pur idéal- ou par la presse76: même dans ces cas, le résultat de la transparence met la population dans une meilleure situation pour juger de l'action de l'administration.

71 FLÜCKIGER (2002) p. 138.

n MAHON (2002) p. 16.

73 Ainsi MAHON (2002) p. 28 ss; voir aussi WlEDERKEHR (2007) p. 526 ss et HANER

(1990) p. 75 ss.

74 MADER (2006) p. 15-16; NUSPLIGER (2006) p. 45; HANER (2003) p. 286.

75 Message du 12 février 2003 relatif à la loi fédérale sur le principe de la trans- parence dans l'administration du 17 décembre 2004 (Loi sur la transparence, LTrans; RS 152.3), FF 20031807, p. 1817.

76 A propos des expériences à l'étranger sur ce point, MAHON (2002) p. 25.

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