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La question de la transparence

On entend par principe de transparence de l'administration le droit de toute personne d'accéder aux documents produits ou détenus par l'ad-mistration sans devoir justifier d'un intérêt quelconque71. Il s'agit donc d'un droit général et inconditionnel à l'accès aux informations détenues par l'administration, en d'autres termes d'un droit à la curiosité".

Bien que certains auteurs insistent davantage sur le fondement libé-ral et démocratique du principe de transparence73, sa contribution au contrôle de l'administration n'en a pas moins été relevée aussi bien par la doctrine74 que par le Conseil fédéral, pour qui «le principe de trans-parence peut-être considéré comme un instrument supplémentaire direct permettant de renforcer le contrôle direct de l'administration par les citoyens ,,75. A vrai dire, on peut être plus tranché que le Conseil fédéral:

le principe de transparence est une condition essentielle du contrôle de l'administration par les citoyens. Il permet d'abord aux citoyens inté-ressés, ou simplement «curieux", de connaître les actions de l'admi-nistration sans dépendre des hasards des procédures administratives publiques ou du bon vouloir des autorités en matière d'information. Il permet surtout de mieux vérifier si les fondements des affirmations des autorités sont exacts, pour le cas échéant ouvrir un débat équilibré au sujet de l'action de l'administration. Peu importe à cet égard que le droit d'accès aux informations administratives soit principalement exercé par des groupements particulièrement concernés - par intérêt particulier ou par pur idéal- ou par la presse76: même dans ces cas, le résultat de la transparence met la population dans une meilleure situation pour juger de l'action de l'administration.

71 FLÜCKIGER (2002) p. 138.

n MAHON (2002) p. 16.

73 Ainsi MAHON (2002) p. 28 ss; voir aussi WlEDERKEHR (2007) p. 526 ss et HANER

(1990) p. 75 ss.

74 MADER (2006) p. 15-16; NUSPLIGER (2006) p. 45; HANER (2003) p. 286.

75 Message du 12 février 2003 relatif à la loi fédérale sur le principe de la trans-parence dans l'administration du 17 décembre 2004 (Loi sur la transtrans-parence, LTrans; RS 152.3), FF 20031807, p. 1817.

76 A propos des expériences à l'étranger sur ce point, MAHON (2002) p. 25.

Le contrôle de l'administration par les citoyens en Suisse

Sur le plan juridique, la situation en Suisse a fortement évolué ces der-nières années en faveur de la transparence. Le principe qui prévaut «par défaut", à savoir celui de l'administration secrète sauf lorsque la pu-blicité est prévue par la 10i77, recule aussi bien sur le plan fédéral que dans les cantons.

Au niveau fédéral, la LTrans a renversé le principe de l'administration secrète en prévoyant que toute personne a le droit de consulter les do-cuments officiels et d'obtenir des renseignements sur leur contenu de la part des autorités (art. 6, al. 1 LTrans)". II s'agit donc bien d'un droit général et inconditionnel, toutefois assorti d'un certain nombre d'excep-tions motivées par l'intérêt public ou la protection de la sphère privée (art. 7 à 9 LTrans).

De nombreux cantons sont allés dans le même sens", certains d'entre eux, comme Berne'·, Genève", Vaud 82, Jura 83, Soleure" et Schaffhouse"

ayant d'ailleurs fait œuvre de pionniers, leur législation étant antérieure à la LTrans. D'autres cantons ont rejoint le mouvement depuis, comme

77 FLOCKIGER (2002) p. 132-133.

" Sur cerre loi, voir FLOCKIGER (2002); MADER (2006); EHRENZELLER (éd.) (2006) en particulier la contribution de MADER, p. 9 ss.

79 Voir le panorama général établi par FLOCKIGER, in: FLÜCKIGER (éd.) (2006), p.7.

80 Art. 17 de la Constitution du canton de Berne du 6 juin 1993 (RS/BE 101.1) et loi sur l'information du public du 2 novembre 1993 (Loi sur l'information, LIn;

RS/BE 107.1).

81 LoÎ sur l'information du public et l'accès aux documents du 5 octobre 2001 (LIPAD; RS/GE A 2 08).

82 Art. 17, al. 2, let. c de la Constitution du canton de Vaud du 14 avril 2003 (RS/VD 101.01) et loi sur l'information du 24 ,eptembre 2002 (Unfo; RSIVD 170.21).

83 Loi sur l'information et l'accès aux documents officiels du 4 décembre 2002 (RS/

JU 170.801).

84 Art. 11, al. 3 de la Constitution du canton de Soleure du 8 juin 1986 (RSISO 111.1) ct Informations- und Datensc.hutzgesetz du 21 février 2001 (InfoDG; RSI

sa

114.1).

85 Art. 47, al. 3 de la Constitution du canton de Schaffouse du 17 juin 2002 (RS/SH 101.000) et art. 8a Gcsetz über die Organisation der Regierungs- und Verwal-tungstiitigkeit du 18 février 1985 (Organisatio1lsgesetz; RS/SH 172.100).

THIERRY TANQuEREL

Neuchâtel", Zurich", Uri" et Argovie", mais certains ne disposent pour l'instant que d'une disposition constitutionnelle de principe en la matière (Fribourg'O et Bâle-Ville").

Il est encore trop tôt pour évaluer les effets concrets de cette specta-culaire avancée juridique du principe de transparence sur le contrôle de l'administration. Les premières réflexions sur la mise en œuvre du principe de transparence ont montré dans l'ensemble une bonne mise en place des autorités de médiation ou de recours prévues en la matière, ainsi que l'absence d'avalanche de demandes d'information de la part de la population92Elles ont aussi mis en évidence l'importance de bonnes conditions matérielles pour l'accès à l'information, comme la mise à disposition de registres des informations détenues par l'administration, ainsi que les diverses voies qui peuvent être suivies par les autorités pour retarder l'avènement d'une véritable transparence administrative93Il est certain qu'à l'instar de ce qui s'est passé pour le contrôle judiciaire - aujourd'hui fort bien accepté, y compris au niveau gouvernemental, mais qui provoquait encore il y a une quinzaine d'années de violentes crises d'urticaire chez ceux qui en étaient victimes - la mise en place d'une véritable culture de la transparence au sein de l'administration"

86 Art. 18 de la Constitution de la République et canton de Neuchâtel du 24 sep-tembre 2000 (RS/NE 101) et loi sur la transparence des activités étatiques du 28 juin 2006 (LTAE; RS/NE 150.50) .

• 7 Art. 17 de la Constitution du canton de Zürich du 27 février 2005 (RS/ZH 101) et Gesetz über die Information und den Datenschutz du 12 février 2007 (IDG;

RS/ZH 170.4).

" Gesetz über die Offent/ichtkeitsprinûp der kantona/en Verwa/tung (Offentlich·

keitsgesetz - RS/UR 2.2711).

89 Art. 72, al. 1 de la Constitution du canton d'Argovie du 25 juin 1980 (RS/AG 110.000) ct Geselz über die Information der Offentlichkeil, detl DatetJsch,~lz und das Archivwesen du 24 octobre 2006 (IDAG; RS/AG 150.700).

90 Art. 19, al. 2 de la ConstÎtution du canton de Fribourg du 16 mai 2004 (RS/FR 10.1).

" Art. 75 de la Constitution du canton de Bâle·Vilie du 23 mars 2005 (RS/BS 111.100).

92 Voir les observations de SAYEGH, d'UBERTJ et COTTIER, in: FLÛCKIGER (2006) p. 64 ss, p. 70-71 et p. 77 ss.

93 Voir les remarques de FOZESSÉRY et la contribution de PASQUIER et VILLENEUVE,

in: FLOCKIGER (2006) p. 93 ss et p. 99 ss.

94 Voir à ce sujet, la contribution de BRUNNER, in: EHRENZELLER (2006), p. 75 ss.

Le contrôle de l'administration par les ciroyens en Suisse

prendra du temps. Mais la direction donnée par le droit est maintenant suffisamment claire pour qu'il n'y pas ait lieu de craindre un blocage complet et encore moins un retour en arrière.

V. Conclusion

Les perspectives assez différentes qui viennent d'être évoquées confir-ment que le contrôle de l'administration par les citoyens est un phéno-mène réel, mais diffus et parfois un peu insaisissable. Trois observations générales ressortent de cet exposé: d'abord, bien sûr, la tendance lourde vers la transparence de l'administration; ensuite une augmentation du rôle du citoyen en tant qu'administré partie à une procédure ou recou-rant, le cas échéant dans le cadre de procédures de plainte formalisée;

enfin, une volonté de réduction des structures participatives et une mise en cause du rôle des associations à but idéal «dans l'intérêt de la loi ".

Si ces deux dernières tendances devaient se confirmer et prévaloir, on se dirigerait vers une individualisation et une judiciarisation du contrôle de l'administration par les citoyens. Il n'est pas du tout certain qu'une telle approche, qui fait la part belle au hasard et qui relève d'une vision très légaliste du contrôle de l'administration par les citoyens, soit oppor-tune. Il est en effet important que ce contrôle puisse conserver un objet large, comprenant non seulement la conformité au droit de l'action de l'administration, mais aussi, l'évaluation de l'efficacité de cette action et de son adéquation aux besoins de la population.

Les perspectives d'évolution restent cependant très ouvertes. Les avancées en matière de transparence favorisent incontestablement une concep-tion large du contrôle populaire de l'administration. Il n'existe certai-nement pas encore de véritable politique publique du contrôle de l'ad-ministration par les citoyens, les réactions à court terme, sur le droit de recours des associations ou sur le coût des commissions consulta-tives prévalant trop souvent. Mais il n'est pas interdit d'espérer qu'une vision d'ensemble cohérente de cet aspect important du fonctionne-ment de l'Etat de droit démocratique finisse par s'imposer, dans l'esprit qui a marqué les travaux du Conseil de l'Europe en matière de bonne administration.

THIERRY TANQUEREL

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