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Article pp.181-199 du Vol.4 n°2 (2006)

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Apprendre, construire des instruments et se construire

Exploration des effets de l’usage des TIC

sur la dynamique identitaire d’adultes en formation

Bernadette Charlier* — Jean Nizet** — Denise Van Dam***

* Centre de didactique Universitaire Pérolles II, Boulevard de Pérolles CH-1700 Fribourg, Suisse Bernadette.charlier@unifr.ch

** Professeur à l’UCL et aux FUNDP - Belgique Jean.nizet@fundp.ac.be

*** Maître de Conférence aux FUNDP - Belgique Denise.vandam@fundp.ac.be

RÉSUMÉ. Les relations entre la dynamique identitaire de l’adulte et son parcours de formation ont fait l’objet de nombreuses recherches. Dans cet article, nous focalisons notre attention sur l’une des composantes d’un dispositif de formation : l’environnement informatique pour l’apprentissage humain (EIAH) : dans quelles conditions, dans le cadre d’un dispositif de formation, les interactions entre le sujet et un EIAH exercent-elles un effet sur sa dynamique identitaire ? Pour répondre à cette question, dans une perspective exploratoire, un cadre d’analyse est élaboré et appliqué à deux cas contrastés d’adultes impliqués dans deux dispositifs de formation.

ABSTRACT. The implication of adults in long terms training projects has been related with a need to reduce self-discrepancies. In this framework, this paper focused on one dimension of the training system: the computer supported learning environment. In which conditions does the interactions learner–computer supported learning environment has an effect on his or her self-discrepencies? This question is addressed in an exploratory research, building a theoretical framework applied to two case analyses.

MOTS-CLÉS : dispositifs de formation, dynamique identitaire, EIAH, construction instrumentale, analyses de cas.

KEYWORDS: training system, self discrepancies, computer supported learning environment, instrumental mediation, case analysis.

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Introduction

Les relations entre la dynamique identitaire de l’adulte et son parcours de formation ont fait l’objet de nombreuses recherches. L’engagement, la participation ou l’abandon y sont compris comme autant de moyens choisis par le sujet pour réduire une tension identitaire (Barbier, 1996 ; Kaddouri, 1996 ; Bourgeois, 2003).

Dans ce cadre, notre recherche (Charlier et al., 2006) tente notamment de comprendre comment les étudiants interagissent avec le dispositif de formation et comment en retour cette interaction peut avoir un effet sur leur dynamique identitaire. Si notre démarche nous a conduit à envisager plus largement le rôle du dispositif de formation mais aussi de l’environnement social des étudiants et de leurs caractéristiques individuelles, nous avons choisi, dans cet article, de focaliser notre attention sur l’une des composantes d’un dispositif de formation : l’environnement informatique pour l’apprentissage humain1 (EIAH) : dans quelles conditions, dans le cadre d’un dispositif de formation, les interactions entre le sujet et un EIAH exercent-elles un effet sur sa dynamique identitaire ?

Les interactions entre les objets technologiques, nommés artefacts technologiques, et les sujets ont été particulièrement étudiées par Rabardel (1995) qui a décrit le processus par lequel un sujet transforme un objet technologique – par exemple : un ordinateur et les logiciels qui l’accompagnent – en un instrument, forme de capitalisation de l’expérience ou de connaissance, institué par le sujet comme moyen pour atteindre son but. Il s’agit d’un processus interactif et situé, dans lequel le sujet exploite des schèmes d’utilisation construits par lui ou résultant de l’appropriation de schèmes sociaux préexistants en interagissant avec un artefact matériel ou symbolique – un environnement informatique par exemple – pour construire un instrument.

Explicitons quelque peu chacun des termes de cette interaction. Rabardel (1995), partant du concept de schème défini par Piaget, le précise en parlant de « schème d’utilisation ». L’exemple suivant illustre bien sa proposition : « L’exemple banal de la multiplicité des utilisations réelles d’un objet aussi théoriquement spécifique qu’un sèche-cheveux suffit à le montrer : sécher un vêtement, dégivrer une serrure, voire chauffer une pièce… Cependant, derrière cette diversité, il est possible de retrouver des éléments relativement stables et structurés dans l’activité et les actions de l’utilisateur. Nous avons proposé de les caractériser comme des schèmes d’utilisation » (Rabardel, 1995, p. 94).

Quant à l’artefact, il peut être considéré comme matériel et symbolique. Il s’agit d’un outil cognitif : « On retrouve là une idée importante, bien que fort ancienne : tout instrument, outil, machine effectue un travail, opère au profit de celui qui le met en œuvre (mais dans un contexte de travail, en général pas à son seul profit). Cette

1 L’expression environnements informatiques pour l’apprentissage humain (EIAH) désigne les environnements informatiques dont la finalité explicite est de susciter et d’accompagner l’apprentissage humain (source : http://archiveseiah.univ-lemans.fr/index.php).

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prise en charge d’une partie de l’activité cognitive implique souvent une transformation des représentations initiales des sujets relatives aux objets de leur activité. » (Rabardel, 1995 ; p. 89).

Ainsi, Rabardel définit l’instrument comme une entité composite qui comprend une composante artefact et une composante schème (Rabardel, 1995 ; p. 118). Les instruments seraient ainsi des intermédiaires, des médiateurs tenant à la fois de l’objet matériel (artefact) et du sujet (schème). Béguin et Rabardel (2000 ; 2001) et Rabardel et Samurcay (2001), analysant une activité instrumentée telle que la conception assistée par ordinateur (CAO), distinguent plusieurs types de médiations instrumentales : la médiation pragmatique et la médiation épistémique orientées vers l’objet de l’activité : l’action et la connaissance de l’objet ; la médiation heuristique ou réflexive orientée vers le sujet lui-même et sa gestion de l’activité. Lorsque des situations de travail collectif sont en jeu, les auteurs y ajoutent une médiation interpersonnelle vécue entre les sujets. Les auteurs explicitent ces distinctions comme suit : « Dans les phases de production (génératives), l’instrument permet au concepteur de produire des évolutions du système électrique. L’instrument permet une “médiation pragmatique” à l’objet de l’activité. C’est principalement sur cette médiation pragmatique que portent les contraintes nouvelles introduites par les logiciels. En effet, le concepteur doit produire des objets dont le niveau de certitude est incompatible avec les exigences de fluidité de l’activité. Dans les phases d’analyse du schéma logique ou de la minute produite, l’instrument permet une

“médiation épistémique” à l’objet de l’activité, au sens où il permet au sujet de prendre connaissance des caractéristiques de l’objet. Les médiations épistémiques et pragmatiques se situent dans le rapport du sujet à l’objet. On peut, en outre, distinguer une troisième forme de médiation qui permet au sujet de gérer sa propre activité. C’est par exemple le cas dans les phases où le sujet reporte des annotations sur le schéma logique. Nous parlerons alors de “médiation heuristique”: le sujet se met en rapport avec lui-même pour orienter et contrôler son activité future en fonction du développement de son activité présente. » (Béguin et Rabardel, 2001).

Dans cette contribution, nous poursuivons la proposition de Rabardel et de ses collaborateurs pour, dans une perspective exploratoire, suggérer la construction par le sujet d’une médiation réflexive particulière : la médiation identitaire.

L’instrument, nouvelle connaissance ou nouvelle conception du monde, peut également, dans certaines conditions, être vécu par le sujet comme un moyen de réalisation de sa quête identitaire ou, encore, participer à l’émergence d’une nouvelle quête.

Objectif et contexte

Pour comprendre la complexité à l’œuvre dans l’interaction entre un dispositif de formation utilisant un EIAH et la dynamique identitaire chez l’adulte, nous proposons d’interpréter le processus comme une construction instrumentale. En

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particulier, nous cherchons à préciser dans quelles conditions un adulte en formation réalise un processus de construction instrumentale pouvant exercer un effet sur sa dynamique identitaire : autrement dit, une médiation identitaire.

Cette interrogation particulière s’inscrit dans le cadre d’une recherche plus vaste.

Il s’agissait, selon une approche longitudinale, d’analyser sur la base d’un cadre d’analyse multiréférencé – combinant les apports des recherches2 en Psychologie (Higgins, 1987), en Sociologie (Boltanski et Chiapello, 1999) et en Sciences de l’Éducation (Bourgeois, 2003) – d’analyser les dynamiques identitaires et les trajectoires sociales d’adultes impliqués dans trois dispositifs de formations longues en Économie et ce dans trois continents : l’Amérique, l’Europe et l’Afrique.

Dans la suite de cet article, nous proposons tout d’abord de construire le cadre théorique nous permettant de décrire et d’analyser ce processus particulier de construction instrumentale. Ensuite, après avoir brièvement décrit notre approche méthodologique, nous analyserons deux cas situés dans deux dispositifs de formation contrastés. Nous terminerons par la suggestion de conditions dans lesquelles une médiation identitaire peut se construire et la proposition d’implications pour la recherche et la pratique.

Cadre d’analyse

Notre cadre d’analyse fournit un modèle heuristique du processus de médiation identitaire pouvant se construire ou cours de l’interaction d’un étudiant adulte avec un EIAH dans le contexte d’une formation longue. Pour ce faire, il fournit des points de repères théoriques permettant de décrire la dynamique identitaire, d’une part, et l’interaction du sujet avec un EIAH, dans un contexte de formation, d’autre part.

Décrire la dynamique identitaire

Pour décrire la dynamique identitaire, nous mobilisons le cadre théorique qu’Higgins (1987) a développé à propos des représentations de soi en tension. De quoi s’agit-il ? En anticipant quelque peu sur nos données empiriques, citons le propos de Marc : « par rapport à l’image que j’ai de moi-même, j’étais resté sur une note d’échec, car j’avais échoué lors d’études précédentes. J’ai commencé la formation, peut être aussi pour enlever ce problème. J’ai surtout cherché aussi une autre vision des choses ». Cet extrait fait état d’une tension, chez Marc, entre deux représentations de lui-même, qu’on appellera ci-dessous le soi actuel (le constat qu’il fait qu’il est resté sur un échec) et le soi idéal (le souhait qu’il formule de réussir des études et de changer de vision des choses). Dans le cas de Marc, il s’agit notamment

2 Pour n’en citer que les principales.

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de s’éloigner de l’image de lui-même comme quelqu’un qui échoue3. Plus particulièrement, Higgins établit d’abord une distinction concernant les domaines du soi. Ceux-ci sont au nombre de trois : le soi actuel, à savoir la représentation du sujet, tel qu’il est actuellement ; le soi idéal, à savoir la représentation du sujet, tel qu’il serait idéalement et, enfin, le soi normatif, à savoir la représentation du sujet, tel qu’il devrait être. La théorie développée par Higgins considère ensuite qu’il peut y avoir deux points de vue sur le soi. Ces points de vue indiquent, en quelque sorte, de qui viennent les représentations. Dans le propos de Marc cité ci-dessus, on notera que les représentations proviennent de lui-même : c’est lui-même qui parle de ce qu’il est et de ce qu’il souhaiterait être. Cependant, ces représentations peuvent également venir d’une personne qui compte pour le sujet : un autre significatif. En croisant les trois domaines et les deux points de vue, on obtient six représentations possibles du sujet : le soi actuel perçu par le sujet lui-même, le soi actuel perçu par autrui, le soi idéal perçu par le sujet lui-même, le soi idéal perçu par autrui, etc. Ces six représentations, parfois très anciennes, sont potentiellement en tension. La dynamique identitaire est un incessant mouvement de réduction de tensions identitaires et de création de nouvelles tensions. Lorsque des tensions dans un domaine particulier diminuent en intensité, des tensions dans d’autres domaines, restées latentes jusqu’à présent, peuvent se manifester. Ainsi, Bourgeois (2005) suggère qu’une tension identitaire deviendra d’autant plus saillante, à un moment donné, pour un sujet, qu’elle est associée à des enjeux existentiels immédiats et concrets : des enjeux liés à des pratiques, des enjeux interpersonnels ou des enjeux liés à la participation à des communautés de pratique4. Or, ces enjeux pourraient être associés à l’usage d’environnements informatiques. Ainsi, l’interaction avec un environnement informatique pourrait agir sur une tension identitaire vécue par le sujet – la rendre plus saillante, la réduire ou la créer – si elle se conjugue avec la réalisation d’enjeux existentiels immédiats et concrets : participer à une communauté ou à un réseau, maintenir une relation, réussir une action. Au cours de cette dynamique, le sujet pourrait construire une médiation instrumentale – pragmatique, épistémique, réflexive ou interpersonnelle – pour réaliser un enjeu existentiel. Parmi les médiations réflexives, la médiation identitaire pourra conduire à la réduction d’une tension existante ou à la création d’une tension nouvelle.

3Selon CarverGV Scheier (1998), il existe ainsi deux types de buts, à savoir des buts que le sujet veut atteindre et des buts que le sujet veut éviter, qui sont en quelque sorte des anti-buts.

4 Selon nous, les enjeux liés à l’engagement et à la participation à une communauté de pratiques se différencient des enjeux interpersonnels dans la mesure où ils intègrent également des enjeux cognitifs (construction d’un répertoire de pratiques et d’un répertoire de règles communs aux membres de la communauté) et des enjeux socio-affectifs (participation à l’activité de la communauté (Daele, Charlier, 2006 ; Wenger, 2005).

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Décrire l’interaction sujet-EIAH

Les théories de l’action, ainsi nommées par Linard (2001) parce qu’elle y inclut les apports des théories de l’activité, auxquelles se rattachent les travaux de Rabardel, et d’autres travaux sur le rôle de l’action et de l’interaction physique et sociale dans l’apprentissage, en particulier ceux de (Propp, 1970) et de (Greimas, 1966) en sémiotique narrative, servent de structure à notre cadre d’analyse pour comprendre l’interaction « sujet-EIAH » et ses effets sur la dynamique identitaire.

« Le modèle actantiel de Greimas est entièrement construit sur le déséquilibre initial et sur l’action de restauration qui s’ensuit. Dans le scénario narratif standard, la poursuite des objets par les sujet (actants) se déroule en trois grandes phases : décision ou injonction initiale de restaurer l’ordre ou l’équilibre perdu ; engagement effectif du sujet dans l’action et réalisation de la performance demandée après qualification au travers d’épreuves variées ; sanction finale des résultats de l’action et reconnaissance par l’autorité morale et/ou sociale. L’intention des sujets n’est pas fixée, ni donnée d’avance. Elle dépend de leur attitude envers l’objet recherché et se définit par quatre verbes modaux : vouloir, devoir, savoir et pouvoir. Les modalités d’attitude déterminent ainsi l’intention qui oriente l’action dont les résultats modifient en retour l’intention. L’ « être » du sujet pilote son « faire » et le résultat de son « faire » modifie son « être ». Le sujet actantiel ne sort pas indemne de son activité. Il se retrouve dans un état final plus ou moins imprévisible, toujours différent de l’état initial » (Linard, 2001 ; p. 218).

Ainsi, le modèle actantiel de Greimas5 permet de saisir l’interaction entre les trois niveaux de l’activité décrits par Léontiev (1976) : l’intention orientée vers ce qu’il nomme les motifs (liés à un besoin d’objet matériel ou idéel à satisfaire) ; l’action : le niveau des stratégies et des plans d’actions, orientés vers des buts et des sous-buts opératoires, et le niveau élémentaire des opérations constituées des savoirs et opérations élémentaires automatisés en routines (que Rabardel nomme les schémes d’utilisation) nécessaires à la réalisation pratique de l’action.Il permet, en particulier, de comprendre comment l’action et les opérations vécues au cours des relations du sujet avec les objets et d’autres sujets peuvent interagir avec son intention. Dans le cadre de cet article, nous nous intéressons seulement aux niveaux des intentions et des opérations. En conclusion, nous proposerons quelques pistes pour poursuivre l’investigation.

Au niveau intentionnel : décrire les conditions de départ

Au niveau intentionnel, ce sont les conditions de départ, que Linard (2001) nomme les « modalités d’attitude » qui nous paraissent déterminantes. Si le vouloir et le devoir renvoient au « soi idéal » et au « soi normatif » que le sujet cherche à

5 Sur cette base, M. Linard construit un modèle descriptif de l’activité, le modèle HELICES permettant de concevoir des environnements pour apprendre.

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réaliser, le savoir et le pouvoir concernent des caractéristiques du sujet qui le rendent plus ou moins prêt à construire une médiation identitaire.

Dans le cadre de cet article, outre la quête identitaire poursuivie par le sujet, nous nous intéressons particulièrement à l’une des conditions d’entrée : le savoir6. A cet égard, notre matériau empirique met en évidence l’importance des pratiques de référence7 du sujet et, notamment, de leur congruence avec les pratiques imposées par l’EIAH. Selon nous, la pratique de référence désigne la représentation qu’a le sujet des articulations possibles avec sa propre pratique professionnelle ou privée, présente, passée ou future (Charlier, 1998) Lorsque l’adulte se représente sa participation au dispositif de formation comme un moyen efficace pour atteindre le but qu’il se fixe et qu’il peut établir des relations significatives avec une pratique de référence, alors, il maintient son engagement en formation et vit une expérience d’apprentissage significative. Les pratiques concernées ici sont les expériences d’apprentissage vécues comme positives par le sujet, le plus souvent, antérieurement à la formation. Lorsque le sujet a vécu positivement par le passé des expériences d’apprentissage proches de l’approche pédagogique adoptée par l’EIAH, il aura davantage tendance à considérer l’EIAH comme un moyen efficace pour atteindre son but et, en conséquence, à construire une médiation identitaire. Enfin, il pourrait éventuellement construire une nouvelle pratique de référence intégrant la mémorisation de son activité avec l’EIAH.

Au niveau des opérations : saisir les enjeux existentiels

Au niveau des opérations, c’est-à-dire au niveau concret des stratégies développées et des buts opérationnels, ce sont les enjeux existentiels décrits par Bourgeois (2005) qui nous paraissent déterminant pour comprendre la construction par le sujet d’une médiation identitaire. En effet, comme nous l’avons déjà souligné, ces enjeux existentiels – pratiques, interpersonnels ou de participation à une communauté de pratique – peuvent être suscités ou renforcés par l’EIAH. Ainsi, par exemple, l’apprenant, pourra considérer comme essentiel de réaliser tels exercices, d’interagir avec son formateur ou encore de participer à une communauté d’apprentissage. Lorsque ces enjeux existentiels – qu’ils soient suscités ou non par

6 En ce qui concerne le pouvoir, l’habileté d’autodirection et le sentiment d’efficacité personnelle (Bandura, 2003) qui y est associé peuvent rendre le sujet plus ou moins prêt à reconnaître les ressources offertes par l’EIAH comme des ressources au service de son projet et à construire une médiation instrumentale.

7 Nous utilisons le concept de pratique de référence au sens individuel : la pratique virtuelle ou réelle à laquelle le sujet se réfère lorsqu’il apprend. Ce concept est proche de celui de pratique sociale de référence proposée par les didacticiens pour désigner la mise en relation des « buts et contenus pédagogiques, en particulier les activités didactiques, avec les situations, les tâches et les qualifications d’une pratique donnée » (Martinand, 1986). Il s’en distingue dans la mesure où nous considérons la pratique construite par un sujet individuellement dans son histoire ou ses projets plutôt qu’une référence commune à un groupe.

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l’EIAH – peuvent être rencontrés par les usages de l’EIAH proposés dans le cadre de la formation, le sujet construira ses usages comme autant d’instruments au service de ses enjeux et aura davantage tendance à construire des médiations instrumentales et parmi celles-ci une médiation identitaire.

En synthèse : construction d’une hypothèse

Notre cadre d’analyse nous suggère à grands traits les moments essentiels d’un processus pouvant conduire à la construction d’une médiation identitaire. Il s’agit bien entendu d’un cadre interprétatif hypothétique qui est proposé et illustré ici.

D’autres recherches devront suivre pour le mettre à l’épreuve.

Un sujet s’engage en formation afin de réduire une tension identitaire. Le dispositif de formation qui lui est proposé intègre un EIAH susceptible de rendre plus saillants ou de créer chez le sujet certains enjeux existentiels : pragmatiques, interpersonnels ou de participation à une communauté de pratique. Lorsque le sujet, en relation avec sa pratique de référence, considère l’EIAH comme un moyen efficace pour réaliser ces enjeux, il aura davantage tendance à construire des médiations pratiques, épistémiques, interpersonnelles ou réflexives et, in fine, à construire une médiation identitaire : c’est-à-dire un instrument – à la fois schème d’utilisation et EIAH – au service de sa quête identitaire.

Enfin, dans le cadre de cette recherche, nous considérerons que la construction d’une médiation identitaire apparaît chez l’adulte en formation si dans son discours, il est possible de mettre en relation les usages de l’EIAH avec la réduction d’une tension identitaire ou l’émergence d’un nouveau but identitaire. Cette mise en relation peut être explicitement réalisée par le sujet ou encore être suggérée par le chercheur, suite à l’analyse qu’il fait du discours du sujet.

Approche méthodologique

Nous proposons d’examiner la pertinence de ce cadre d’analyse en analysant deux cas d’étudiants impliqués dans deux dispositifs de formation différents.

L’analyse est longitudinale et se fonde sur trois entretiens semi structurés menés avec chaque étudiant à trois moments de la formation – au début, à la mi-temps et à la fin – à six moins d’intervalle. Les données sont complétées par une description du dispositif de formation par les concepteurs et les formateurs. L’analyse des discours des étudiants a été réalisée par la méthode de « théorisation ancrée » (Glaser et Srauss, 1967). Ainsi les entretiens retranscrits ont-ils fait l’objet de plusieurs lectures par l’équipe de recherche interdisciplinaire8. Après les premiers et deuxièmes 8Bernadette Charlier est spécialiste en sciences de l’Education, Jean Nizet est sociologue et Denise Van Dam est psychologue.

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entretiens, de premières interprétations ont été proposées et validées auprès des répondants. Ensuite, les expériences vécues par les adultes en formation rencontrés ont été théorisées et formalisées autour de thématiques centrales induites des discours des sujets. Au cours de cette démarche, la construction d’une médiation instrumentale nous a d’abord été suggérée par les analyses que nous faisions de l’expérience du premier de nos deux cas. Si cette approche est particulièrement riche au plan heuristique, elle a ses propres limites. Ainsi, au moment du recueil des données nous n’avions pas élaboré le cadre d’analyse présenté plus haut. En conséquence, des données manquent quant aux médiations instrumentales construites. Ainsi, nous ne pouvons exploiter aucune observation des pratiques d’interaction des sujets avec un EIAH. Nous reviendrons sur ces pistes méthodologiques dans la partie conclusive de cet article.

Analyses de cas

Dans la suite, afin d’éprouver notre cadre d’analyse, nous analysons deux cas contrastés : celui d’Augustin et celui de Marc. Augustin est engagé dans le dispositif Microdé situé en Afrique de l’Ouest. Marc est engagé dans le dispositif Gestéco situé en Europe occidentale. Chaque cas est introduit par un bref portrait de l’étudiant et par une description du dispositif de formation. Nous montrons ensuite, en nous basant sur l’analyse de leurs discours fondée sur notre cadre d’analyse, dans quelles conditions Augustin et Marc construisent, au fil de leur formation, une médiation identitaire. Concrètement, pour chacun d’eux, nous inférons de l’analyse de leurs discours produits au cours des trois rencontres effectuées les tensions identitaires, les pratiques de référence associées aux usages de l’EIAH, les enjeux existentiels suscités ou rencontrés par celui-ci et les éventuelles médiations instrumentales construites.

Augustin Portrait

Augustin, 42 ans, spécialiste en droit, travaille dans un bureau d’étude, en Afrique de l’Ouest et il est en même temps enseignant dans une école d’administration. Parlant de sa motivation à s’engager dans la formation offerte par Microdé, il nous dit : « Je suis en même temps formateur et je travaille. Pour ne pas tomber dans la sclérose, il faut de temps en temps que je me remette dans les cours pour me former et pour être sûr de ce que je dispense. » Ainsi, venir en formation de manière régulière lui permet d’éviter un anti-but « ne plus être performant, tomber dans la sclérose ». En outre le sujet traité, la micro-entreprise, rejoint un enjeu existentiel pratique : « J’ai envie de mettre en place une institution de micro-finance.

(..) Une institution viable et pérenne, c’est le projet que je voudrais pour construire ma vie. »

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Microdé désigne un programme de troisième cycle, d’une durée d’un an et demi, centré sur la gestion des micro-entreprises. Développé à distance par une entreprise privée occidentale, il dépend de subsides et de frais d’inscription payés par les étudiants africains. Cette situation lui octroie une certaine instabilité. Ainsi, la formation doit à certains moments être interrompue faute de ressources financières.

Au début de la recherche, le programme en est à sa deuxième année de fonctionnement. Les étudiants, au nombre d’une vingtaine, sont recrutés dans un pays d’Afrique de l’ouest et fréquentent, aux moments qui leur conviennent, un centre équipé de postes de travail informatisés, que nous appellerons microdé1. La plupart d’entre eux investissent financièrement dans leur formation. Le dispositif est conçu pour que l’étudiant ait accès à l’ensemble des ressources sur son poste de travail dans le centre microdé ou à distance s’il se déplace à l’étranger. Ainsi, chaque étudiant a accès à un courrier électronique et à l’ensemble des ressources des cours. Il est également suivi par un tuteur. Chaque cours est composé de notes de cours, de séries d’exercices et d’un forum. Ces cours sont également complétés par des analyses de cas ouvrant à des pratiques vécues dans des continents différents. Il est également régulièrement fait appel à des experts qui offrent des vidéoconférences, associées à un forum de discussion, auxquelles les étudiants sont tenus de participer. L’objectif de formation est centré sur la pratique : en fin de formation, la capacité d’action des étudiants doit avoir été augmentée. Les cours sont assurés, à distance, par une dizaine d’enseignants situés dans divers pays et coordonnés par une petite équipe de quatre personnes, localisée dans un pays du nord ; nous appellerons cette seconde petite entité microdé2. Le projet de départ était, dans le cadre d’une université virtuelle africaine ayant pour but l’aide au développement, d’offrir des formations à distance, au moyen de vidéoconférences et d’Internet, à des cadres africains en leur évitant de longs déplacements. Revenons au centre microdé1 pour dire encore qu’il est composé de huit personnes et qu’il offre de nombreuses autres formations, souvent de courte durée, totalisant plusieurs centaines d’étudiants par an.

Première rencontre

Lorsqu’Augustin nous parle, au cours de la première interview, de la manière dont il utilisait les TIC avant la formation, il nous dit : « L’ordinateur était géré par ma secrétaire, j’y allais très peu. Avant, je relevais ma boîte de courrier électronique une fois semaine. » Cependant, avec le début de la formation, il souligne que, très rapidement, il a perçu que l’acquisition et l’usage d’un ordinateur constituaient une obligation : « J’étais obligé, comme j’avais les moyens de m’acheter un petit ordinateur, j’étais obligé d’acquérir d’avoir un portable. ». Et qu’avec le temps, il utilise de plus en plus l’ordinateur « maintenant, j’y suis deux à trois heures par jour» et considère qu’il s’agit d’une nécessité « si, pendant une journée, je n’y vais pas, il manque quelque chose ». Il ressent cette obligation comme importante pour sa formation mais également pour son projet de mise en

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place d’une entreprise de micro-finance : « C’est important pour la formation, mais aussi par rapport au réseau que j’ai pu monter sur internet. » Il se construit une image de lui-même comme un accro d’internet : « C’est devenu une drogue pour moi et quand je vais sur ordinateur, je dis : ne m’attendez plus » et comme membre d’un réseau très large : « Aujourd’hui, je suis devant l’ordinateur deux à trois heures par jour, cela me permet d’aller lire mes cours, de faire des recherches, d’avoir un monde de réseau d’aller dans le monde des réseaux à travers lequel je change les points de vue. Non seulement, je discute avec des étudiants béninois, mais aussi je discute avec des étudiants ivoiriens, avec des étudiants marocains, cela permet un grand brassage. Il en est de même pour les professeurs (..) On y va parce qu’il y a une contrainte pédagogique, on y reste parce qu’il y un réseau relationnel. »

Ainsi, dés le départ de la formation, l’usage intensif d’un EIAH imposé par Microdé mobilise chez Augustin trois enjeux existentiels : un enjeu pratique, répondre aux exigences du dispositif, un enjeu interpersonnel, interagir avec des étudiants et des professeurs dans le monde ainsi qu’un enjeu de communauté de pratique, faire partie du monde des réseaux. Ces enjeux concourent à la construction d’une médiation pragmatique – cela me permet de lire les cours, faire des recherches etc. –, d’une médiation épistémique – je change de point de vue –, d’une médiation interpersonnelle – je discute avec des étudiants et des professeurs – et, enfin, d’une médiation réflexive – si je n’y vais pas, il me manque quelque chose.

Ces médiations instrumentales construites par Augustin paraissent cohérentes avec sa pratique de référence antérieure. Il nous dit : « moi-même, j’ai construit à partir de mon réseau d’amis » et par rapport à une pratique de développement professionnel qu’il envisage pour son avenir : « Je suis en train de comprendre que dans le monde d’aujourd’hui, on ne peut plus vivre dans un vase clos. On est dans un monde de réseau. Il faut avoir des partenaires, des partenaires, certaines informations, des échanges. A travers les TIC, on peut apprendre cela. »

Deuxième rencontre

Au cours de la deuxième interview, après six mois, on observe de manière plus évidente la construction d’une médiation identitaire. A ce moment, il exprime comment son usage de l’Internet lui permet d’éloigner une vision de lui-même comme quelqu’un qui ne serait pas suffisamment à la hauteur : « Je ne suis plus angoissé face à quelque chose que je ne connais pas. Je sais que si je veux connaître, il suffit d’un clic pour trouver des réponses ou du moins des essais de réponse. La formation m’a aidé à dépasser cette angoisse. » L’usage de l’Internet devient de plus en plus important : « Avant la formation, j’y allais une fois par semaine. Aujourd’hui, ça continue à progresser de façon extraordinaire. Je ne peux plus vivre sans. J’y passe cinq heures par jour au bureau et à la maison ».

L’internet est également utilisé de plus en plus comme médiateur interpersonnel pour construire des connaissances dans l’interaction avec les formateurs et les autres étudiants : « Dans les cyberconférences, je suis très actif. On peut échanger, discuter, découvrir les autres », épistémique et pragmatique : « Si je veux être

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performant, cela ne dépend que de moi. Je peux entrer en contact avec le monde.

Cela ne m’intéresse plus d’aller étudier dans un pays du nord. » Troisième rencontre

Au cours de la troisième interview, une année plus tard, le témoignage que nous livre Augustin montre non seulement qu’il a pu réaliser son projet « actuellement, au moment où je vous parle, les avocats sont en train de mettre en place les statuts de mon institution de micro-finance » mais également qu’il instancie alors l’Internet comme instrument à plusieurs niveaux : épistémique, pragmatique et interpersonnel.

Il déclare poursuivre son usage intensif des TIC pour s’informer : « C’est une mine, je continue toujours de m’exercer, de découvrir. Maintenant, je ne peux plus vivre sans ça, parce que je suis toujours avec mon petit portable ». Il souligne combien les informations accessibles peuvent l’aider dans son projet de micro-finance et pour son travail. « Dans le domaine de la micro-finance, je parcours beaucoup de sites pour voir comment mettre en place des produits... ». Il en va de même pour son apprentissage : « Sur ce site, il y a de la documentation et il y a une partie de forum ou vous pouvez poser toutes les questions et on va vous répondre. On apprend vite, on apprend en direct. » Et il le situe toujours comme essentiel pour construire des relations sociales : « J’utilise Internet pour connaître mes collègues africains, parce que pendant les forums, il y a des collègues qui réagissent. Ensuite, on se met en contact. Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? Comment vois-tu telle chose ? » Ainsi, l’Internet comme instrument s’est généralisé à plusieurs actions ou dimensions de la vie d’Augustin. Il a construit des médiations pragmatiques, épistémiques, interpersonnelles et réflexives. En particulier, une médiation identitaire s’est élaborée. Ses usages d’Internet ont permis à Augustin de réaliser son but identitaire.

En effet, Il nous dit qu’il se réalise, à présent, comme quelqu’un de compétent, d’autonome, capable de réagir très rapidement aux questions de ses collègues : « Je dis souvent aux gens. Il n’y a plus de question incompréhensible. Si vous me posez une question aujourd’hui. Je peux ne pas pouvoir vous donner la réponse immédiatement, mais si je fais un tour dans mon bureau, sur Internet, je reviens dans une heure ou deux et je vous donne la réponse. »

Marc Portrait

Depuis quelques années déjà, Marc, 50 ans, a envie de reprendre une formation à horaire décalé. Faisant le bilan de sa carrière professionnelle, il a envie de changer car il en a « ras-le-bol ». S’il n’a pas repris une formation, c’est à cause de la trop grande distance qui, de son point de vue, sépare son lieu de domicile des centres de formation. Cette distance, qui ne dépasse toutefois pas un rayon d’une quarantaine de kilomètres, est de son point de vue, inconciliable avec ses contraintes familiales.

En effet, sa femme ne sachant pas conduire, lui seul doit prendre en charge le

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transport de ses deux enfants à leurs diverses activités. Le projet est donc resté en veilleuse pendant quelques années, jusqu’au moment où Marc apprend l’existence de Gestéco, près de son domicile. Malgré les faibles encouragements de sa famille, il décide de s’y inscrire. L’inscription dans cette université en particulier revêt une grande importance, car sa future réussite lui permettra de résoudre une tension identitaire liée au passé. En effet, il y a 30 ans, Marc avait commencé des études universitaires en mathématiques qu’il avait abandonnées suite à un échec. Ajoutons à ce désir de résoudre une ancienne tension identitaire, le souhait de décrocher un emploi dans un niveau supérieur de l’enseignement et ainsi d’améliorer sa situation financière, ainsi que l’envie de Marc de se retrouver, par le biais de la formation, en contact avec des personnes plus jeunes que lui. A ce sujet, Marc parle d’une autre vision des choses, d’une ouverture d’esprit. Il s’agit ici d’un fil conducteur relativement fort qui traverse les trois entretiens. Dès le départ, il manifeste le désir de « rencontrer d’autres personnes » et de « voir d’autres horizons », « de redevenir jeune ». Il est clair qu’à côté des motivations qu’il qualifie lui-même de

« matérialistes », telle que l’obtention d’une meilleure pension, il y a ici des motivations qui vont plutôt dans le sens de son épanouissement. Sa volonté de sortir des divers carcans relationnels dans lesquels il se sent prisonnier va de pair avec un désir de s’ouvrir vers d’autres, de découvrir de nouvelles façons d’appréhender la réalité et de se découvrir un nouveau dynamisme. Ce désir se concrétisera notamment dans l’intérêt qu’il construira pour l’usage des TIC.

Gestéco, situé dans un pays francophone européen, est une institution qui forme des adultes dans les domaines de l’économie et de la gestion. La formation est d’une durée de trois ans. L’institution recrute environ 60 étudiants en première année (celle où sont conduites nos observations). Elle a démarré il y a quinze ans et est insérée dans une Faculté universitaire dont l’essentiel de la clientèle suit des cours dans les mêmes domaines de l’économie et de la gestion, mais en formation initiale. Les cours du programme Gestéco sont donnés en salle de classe, à raison généralement de deux soirées par semaine et de la matinée du samedi. Ils sont assurés par une vingtaine d’enseignants, aidés par une demi-douzaine d’assistants. L’équipe pédagogique de l’institution comporte encore, outre un directeur et une secrétaire, une conseillère à la formation qui organise les horaires, qui gère les évaluations des cours réalisées régulièrement par les étudiants, etc. Au moment de la recherche, Gestéco cherche depuis près de deux années des moyens d’intégrer les méthodes et techniques de l’enseignement à distance dans son dispositif, dans le but notamment d’éviter trop de déplacements à ses étudiants et d’ouvrir un accès à la formation à des étudiants plus éloignés. Ainsi un site Web propose un descriptif de l’ensemble des cours, certaines activités de groupe en présence sont remplacées par des activités de groupes, dans des forums, une enseignante présente l’ensemble de son cours sous la forme de présentations multimédias sonorisées, etc.

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Première rencontre

Dans le premier entretien, Marc déclare à propos de l’EIAH : « Je n’y vais pas souvent..., de temps en temps mais pour les informations de dernière minute. » Son appréciation de l’EIAH se limite au gain de temps : « c’est intéressant, car finalement ça va plus vite ». Il associe l’usage de l’EIAH de Gestéco essentiellement à un enjeu pragmatique. En ce qui concerne l’apprentissage avec ce type d’environnement informatique, il nous dit « L’apprentissage, je ne l’ai jamais vécu, je suis sceptique à tous les nouveaux mots qu’on sort. Bon, je suis peut-être de la vieille génération. (..) dans les situations d’apprentissage, la parole et la présence de l’enseignant, ne seront pas remplacé par quelque chose. (..). Disons que là, c’est mon point de vue d’enseignant. » Dans le cas de Marc, au début de la formation, on constate que peu de conditions sont présentes pour qu’une médiation identitaire se construise. Marc n’a pas vécu de pratiques positives d’enseignement et d’apprentissage avec les TIC. Au contraire, il se déclare sceptique par rapport à leurs usages dans l’enseignement. En outre, Il associe l’usage de l’EIAH dans le cadre de Gestéco à un enjeu pragmatique relativement mineur : « aller plus vite » ne conditionnant guère la réalisation de son projet. En conséquence, on pourrait dire que Marc construit essentiellement une médiation pragmatique.

Deuxième rencontre

Lors de la deuxième interview, Marc nous fait part de situations plus nombreuses dans lesquelles les usages de l’EIAH sont utiles, permettent d’aller plus vite, de communiquer plus rapidement. Il associe toujours ces usages à un enjeu pratique

« c’est utile pour ne pas devoir se déplacer pour avoir un renseignement, un corrigé d’exercice » et construit une médiation pragmatique. Cependant, au cours de cette rencontre, il compare l’EIAH proposé par Gestéco à d’autres environnements proposés par des universités de sa région, et notamment, celle fréquentée par son fils : « Je crois qu’il y d’autres universités qui sont plus à la pointe (..). J’ai vu quelque chose dans l’université fréquentée par mon fils, merveilleux ! (..) Vous pouvez utiliser chez vous tous les programmes de la salle informatique. L’étudiant peut déposer ses travaux dans un espace personnel. (..) Parce que j’ai un ordinateur chez moi et l’accès à internet ; pouvoir copier les fichiers sur le serveur de l’Uni, cela peut être très intéressant. Pour un étudiant qui se déplace beaucoup, cela peut- être intéressant. » Parallèlement, il nous fait part de sa satisfaction d’avoir mené positivement son année à terme et d’avoir le sentiment de construire une image positive de lui même. Il nous dit également qu’il développe « l’envie de redevenir jeune », de participer à la vie étudiante. Ainsi au cours de cette deuxième rencontre, on peut observer la construction de pratiques d’usages d’un EIAH plus positives, l’observation d’autres pratiques, celles de son fils, répondant bien aux modes de vie des étudiants et l’émergence d’un nouveau but identitaire « redevenir jeune ». Ces conditions pourraient accompagner, par la suite, la construction d’une médiation identitaire.

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Troisième rencontre

Au cours de la troisième interview, Marc exprime bien quelle médiation identitaire il pourrait construire dans le cadre de Gestéco si l’EIAH proposé correspondait davantage aux enjeux pratiques de rapidité et d’utilité et à la représentation qu’il s’est faite au travers de l’expérience de son fils d’une pratique utile. Il nous dit : « Avec le site de Gestéco, je n’ai pas plus d’expériences d’apprentissage que l’année passée (..) Par contre, mon fils m’a impliqué un peu plus cette année dans les choses et je suis de plus en plus enthousiasmé par les services offerts par son université. (..) Je termine la correction, je prends mon fichier, je vais le poster sur le serveur, pas sur l’e-mail, sur le serveur et hop pas de problème, c’est terminé. »

Ainsi, dans le cas de Marc, plusieurs conditions sont également présentes pour qu’il construise une médiation identitaire. Cependant, l’EIAH proposé par Gestéco ne répond pas suffisamment à son enjeu pratique. Il n’est pas non plus congruent avec la pratique de référence qu’il s’est construite en participant aux activités de son fils.

Discussion des résultats

Les cas d’Augustin et de Marc confèrent une certaine plausibilité à la proposition issue de notre cadre d’analyse. Un adulte interagissant avec un EIAH dans le cadre d’une formation construira une médiation identitaire lorsqu’il dispose de pratiques d’apprentissage de référence – antérieures, actuelles ou futures – congruentes avec les pratiques proposées par l’EIAH et lorsque le sujet considère l’EIAH comme un moyen essentiel pour réaliser des enjeux existentiels. A cet égard, le cas d’Augustin est sans doute le plus illustratif. Cependant, le cas de Marc, s’il ne contredît pas la proposition de départ, attire l’attention sur les caractéristiques spécifiques à l’EIAH et met davantage en évidence les étapes du processus étudié.

Revenons un instant sur ces deux cas, pour les comparer au regard de notre cadre d’analyse. Chez Augustin, l’expression d’une quête identitaire apparaît clairement :

« rester à la hauteur ». Plusieurs enjeux existentiels pragmatiques, interpersonnels et de communautés de pratique paraissent suscités par l’EIAH. Ses pratiques de référence passées, présentes ou futures sont cohérentes avec celles proposées par l’EIAH conçu par Microdé. Enfin, Augustin exprime combien l’usage de l’Internet lui a permis de réaliser sa quête identitaire. Ainsi, le cas d’Augustin paraît exemplaire et confère une certaine pertinence à notre cadre d’analyse. Cependant, ce cas met un évidence un aspect non encore évoqué, il s’agit de la concomitance des différentes médiations construites. Y a t-il un lien entre les différentes médiations construites ? Faut-il que le sujet construise des médiations pratiques, épistémiques et interpersonnelles pour qu’une médiation identitaire apparaisse ? Autrement dit, faut- il que l’instrument permette de réaliser plusieurs enjeux existentiels afin qu’il participe également à un niveau supérieur à la quête identitaire du sujet ? Ce sont, bien entendu, des questions à investiguer en contexte. Elles constituent des pistes de

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recherche intéressantes pour l’avenir. Leurs réponses pourraient orienter les pratiques de conception des EIAH.

Le cas de Marc, par contraste paraît infirmer la nécessité d’une concomitance entre plusieurs médiations. Il met plutôt l’accent sur la dynamique du processus vécu. En effet, chez Marc, on observe au cours de la formation, l’émergence de nouvelles pratiques de référence construites de manière vicariante par l’observation de son fils. Ces nouvelles pratiques de référence pourraient favoriser l’interprétation par Marc d’un EIAH comme un moyen efficace pour réaliser un soi idéal « redevenir jeune ». En outre, l’expérience de Marc souligne un aspect essentiel non encore considéré jusqu’à présent : les caractéristiques médiatiques de l’EIAH utilisé dans le cadre du dispositif de formation.

A ce sujet, la contribution de Marquet (2005) ouvre quelques pistes à explorer.

En effet, l’auteur attire l’attention sur la nécessité de caractériser davantage l’artéfact en différenciant l’artéfact didactique, des artéfacts pédagogique et technique : « il est intéressant d’étendre le concept d’instrument (Rabardel, 95) aux objets présents dans les situations d’enseignement-apprentissage. En effet, rien n’empêche de considérer tout contenu disciplinaire comme un artefact symbolique, qui ne deviendra un instrument que pour le sujet qui l’aura convenablement instrumentalisé, c’est-à-dire qui lui aura attribué les bonnes fonctions, et convenablement instrumenté, à savoir qu’il lui aura bien adapté ses connaissances en actes. Ces objets didactiques, dont la maîtrise constitue le but d’innombrables apprentissages scolaires, sont associés à des artefacts pédagogiques que sont les scénarios et les formalismes par lesquels ils sont présentés. Ces artefacts de nature pédagogique nécessitent aux aussi d’être instrumentalisés et instrumentés par l’apprenant pour devenir des instruments opérationnels. (...) Les choses se compliquent un peu lorsque des artefacts didactiques et des artefacts pédagogiques sont associés avec des artefacts techniques. » (Marquet, 2005, p. 384 et 385). L’auteur analyse les cohérences ou à l’inverse les conflits pouvant exister entre ces différents objets : « Ce n’est pas forcément le système technique qui est le suspect idéal lorsque la situation d’enseignement-apprentissage n’est pas optimale, mais parfois aussi le contenu disciplinaire ou encore sa mise en scène. » (Marquet, 2005).

Ainsi, on peut formuler l’hypothèse qu’un EIAH rencontrera (ou suscitera) un enjeu existentiel chez un apprenant si les trois niveaux de médiatisation sont cohérents entre eux et bien compris par l’utilisateur : « même si les artefacts techniques sont des instruments maîtrisés par les apprenants, il n’est pas rare que des scénarios spécifiques à l’EAD soient méconnus des apprenants. » (Marquet, 2005).

Dans le cas de Marc, on peut considérer que, si un scénario pédagogique est prévu par les concepteurs de l’EIAH, il n’est pas compris de Marc et exploité comme tel pour son projet de formation, alors que c’est le cas dans l’interprétation qu’il fait de l’expérience de son fils. Au contraire, Augustin comprend l’intérêt des usages de l’EIAH proposés par Microdé et il les exploite pleinement pour sa formation.

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En outre, on peut également interroger l’option pédagogique valorisée par le dispositif de formation et mise en œuvre par l’EIAH. Ainsi, dans une publication antérieure (Charlier et al., 2003), nous distinguions trois approches pédagogiques pour l’EAD : transmissive, individualiste et collaborative. On peut supposer que l’approche pédagogique adoptée suscitera ou rencontrera des enjeux différents chez l’apprenant menant ou non à la construction d’une médiation identitaire.

En synthèse, c’est bien dans l’interaction entre le sujet et les artefacts que se construit une activité – analysée aux niveaux intentionnel, des opérations et des actions – conduisant éventuellement à une médiation identitaire.

Dans le cadre de cet article, les conditions de construction de cette médiation suggérées sont relatives aux pratiques de référence du sujet en matière d’apprentissage et aux caractéristiques de l’EIAH, telles qu’elles sont interprétées par le sujet comme des moyens efficaces pour réaliser ses enjeux existentiels et – in fine – participer à la réalisation de sa quête identitaire.

Conclusions

Notre démarche nous a conduit à explorer un processus de médiation instrumental particulier — la médiation identitaire — et à suggérer un cadre interprétatif pour son analyse. Si l’intérêt de cette exploration pour la recherche en technologie de l’éducation nous parait vérifié, elle mérite d’être poursuivie.

Il reste à questionner les implications pédagogiques et les pistes de recherche que cette exploration soulève. En amont d’une réflexion pédagogique, des questions axiologiques se posent. Doit-on souhaiter qu’une médiation identitaire se construise ? Certains dispositifs comme les dispositifs d’apprentissage collaboratifs ou les communautés virtuelles d’apprenants (Daele et Charlier, 2006) valorisent en particulier l’interaction sociale, l’analyse et l’échange de pratiques ainsi que l’engagement individuel. Nizet et Bourgeois (2005) montrent que ces tendances renvoient, au niveau économique, aux exigences qui pèsent sur les individus de s’engager personnellement dans leur travail. Est-il souhaitable que l’interaction avec ces dispositifs interagissent ainsi avec la dynamique identitaire des individus ? A contrario, les enjeux existentiels mobilisés par ces dispositifs et les pratiques d’apprentissage auxquelles ils font référence ne risquent-ils pas d’exclure une partie non négligeable des apprenants ?

Plus largement, on ne s’est guère interrogé sur les effets des éventuelles transformations identitaires liées aux usages des EIAH et plus largement de l’Internet sur la vie des personnes et sur leurs interactions avec leur entourage.

Ces dernières questions sont bien sûr à investiguer au plan de la recherche. De même, les hypothèses que nous formulons devraient être étudiées dans d’autres contextes. Il s’agirait, au départ, de réaliser d’autres analyses de cas en veillant à diversifier les contextes en fonction notamment des approches pédagogiques

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adoptées par les EIAH. De plus, au niveau méthodologique, il s’agirait d’affiner les méthodes de recueil de données pour rejoindre le niveau des actions et des schèmes d’utilisation. A cet égard, l’entretien d’explication (Vermersch, 1994), les observations et les analyses de traces seraient à exploiter.

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