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Déduction, démonstration et argumentation

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Déduction, démonstration et argumentation

Eric Morvan Lycée Bertran-de-Born Périgueux – France

Introduction

Un raisonnement mathématique est une suite de déductions qui, à partir d’axiomes ou de résultats connus, produisent de nouveaux résultats. Ces déductions doivent respecter les règles de la logique et sont présentées dans le cadre d’un discours écrit ou oral en langue naturelle, qui établit donc des relations inférentielles entre les énoncés qui le composent, et qu’on appelle une démonstration. Mais le discours mathématique établit aussi entre certains de ses énoncés des relations argumentatives, car le recours à des procédés argumentatifs est généralement indispensable pour que le discours soit à la fois efficace et convaincant. Je me propose d’étudier, dans le présent article, les occurrences de raisonnements argumentatifs dans des textes mathématiques à visée pédagogique, ainsi que les points communs et différences entre démonstration et argumentation dans le cadre du discours mathématique.

I – Déduction et démonstration 1 - Langue logique

Le respect des axiomes et des règles de déduction de la logique formelle, telles qu’énoncés dans les Principia Mathematica de Russell et Whitehead, permet de construire des raisonnements déductifs valides. Ces raisonnements opèrent sur des propositions1, au moyen d’un petit nombre de connecteurs logiques, et on peut appeler langue logique l’ensemble des moyens lexicaux et syntaxiques dont dispose l’utilisateur de la logique formelle. Notons toutefois que la « logique a créé son propre langage, mais [qu’]il faut être attentif à ce que ce langage ne se parle pas. Certes le logicien prononce les signes qu’il écrit, mais ceci est bien loin de suffire à faire une langue, au sens des langues naturelles » (Grize 1997 : 19). De ce

1 On peut « définir la proposition comme un énoncé déclaratif (grammaticalement correct) susceptible d’être Vrai ou Faux » (Vernant 2001 : 27). Toutefois, la signification d’une proposition et l’étude de sa véracité relèvent du contexte extra-linguistique : « Science de la démonstration, la logique mathématique consiste surtout en l’étude des rapports formels existant entre les propositions, indépendamment de toute interprétation que l’on pourrait en donner ou des valeurs de vérité que l’on peut leur attribuer. »

(http://www.lyceedadultes.fr/sitepedagogique/documents/math/autres_documents/Vocabulaire_de_la _logique_et_theorie_des_ensembles.pdf, page consultée le 10/11/2020).

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fait, comme nous le savons tous, un texte mathématique est bien autre chose qu’une simple transcription de propositions logiques en langue naturelle.

2 – Texte et discours

Un discours en langue naturelle, même écrit, n’est pas non plus la même chose qu’un texte ; il ne se résume pas à la succession des propositions ou des phrases qui constituent le texte. En effet, une phrase est « une entité linguistique abstraite, purement théorique, en l’occurrence un ensemble de mots combinés selon les règles de la syntaxe, ensemble pris hors de toute situation de discours ». En revanche, « ce que produit un locuteur, ce qu’entend un auditeur, ce n’est […] pas une phrase, mais un énoncé particulier d’une phrase » (Ducrot 1980 : 7).

Chaque phrase énoncée est en effet repérée par rapport à une situation, dite d’énonciation, dont les éléments constitutifs sont les conditions matérielles et les conditions de communication dans lesquelles la phrase a été, soit produite et lue dans le cas d’un texte écrit, soit prononcée et entendue dans le cas d’un échange oral. Considérez, par exemple, l’échange suivant : « – Quelle heure est-il ? – Il est 11 h 45 ». Son interprétation est bien différente, selon que les deux interlocuteurs sont deux travailleurs prenant une pause à midi (ils ont hâte que midi arrive), deux personnes devant attraper le train de 11 h 57 (ils craignent de le rater) ou un couple attendant des invités pour 13 h (ils ont le temps de dresser la table sans se presser). En résumé, un discours est « un acte assumé par un locuteur qui s’adresse à un interlocuteur spécifié dans une situation déterminée de communication » (Vernant 2001 : 23).

3 - Insuffisance de la langue logique pour rendre compte du discours

On ne peut donc pas espérer rendre compter des enchaînements d’un discours en n’utilisant que les outils de la langue logique :

« La création de la logique – comme étude du raisonnement – implique [...] une annulation du discours. Elle suppose que l’on puisse isoler des phrases ayant une valeur sémantique complète, indépendamment de tout contexte discursif, pour s’interroger ensuite sur leurs possibilités inférentielles [...]. C’est alors une hypothèse, certes intéressante, mais hardie, que de vouloir rendre compte des enchaînements discursifs effectifs à l’aide de concepts constitués précisément par négation du discursif. » (Anscombre & Ducrot 1983 : 112)

La langue logique est, par exemple, impuissante à rendre compte de la différence entre les phrases de type A et B et celles de type A, mais B, puisqu’elles s’y transcrivent toutes deux

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sous la forme A B2. Toutefois, « il arrive que les opérateurs logiques aient entre eux des rapports analogues à ceux que les entités linguistiques ont entre elles » (Ducrot 1973 : 69) ; le modèle logique peut alors représenter une référence (satisfaisante ou non), et il est intéressant de mettre en évidence les situations où les textes en langue naturelle se conforment aux règles logiques et les situations où ils s’en écartent, voire les contredisent apparemment. Le discours mathématique est un terrain fertile pour cela, puisque les auteurs ou locuteurs doivent présenter en langue naturelle des raisonnements qui respectent les règles de la logique formelle, et, en même temps, ont à leur disposition les ressources argumentatives dont nous allons parler au § II.

4 – Le mécanisme déductif

On peut caractériser un raisonnement déductif comme une succession de pas déductifs élémentaires, chaque pas déductif possédant les caractéristiques suivantes :

– il opère sur trois propositions qui sont les prémisses, l’énoncé tiers et la conclusion ; – l’énoncé tiers est une proposition qui est incontestable, « soit parce qu’[elle] a été antérieurement démontré[e], soit parce qu’[elle] appartient au corpus de propositions fixant le cadre théorique pour le raisonnement » (Duval 1992 : 46) ;

– après vérification que les prémisses correspondent bien à la partie Conditions de l’énoncé-tiers, la conclusion se contente d’affirmer « ce qui est déjà dit dans la partie Conséquences de l’énoncé tiers. C’est une simple opération de détachement » (Duval 1992 : 45).

5 – Déduction et démonstration

Un discours constitue une démonstration à la double condition :

– qu’il parte d’une prémisse initiale acceptée par le destinataire du discours,

– et que les pas déductifs qu’il contient s’appuient sur des énoncés tiers acceptés par le destinataire du discours.

« A demonstration is a discourse or extended argumentation that begins with premises known to be truths and that involves a chain of reasoning showing by evident steps that its conclusion is a consequence of the premises. » (Corcoran 2009 : 5)3

2 « Les opérations du genre or, car, comme, parce que, puisque […] émaillent les démonstrations mathématiques et [...] l’algèbre de Boole les ignore » (Grize 1997 : 76-77).

3 Bien entendu, cette définition est simplifiée ; par exemple, un raisonnement par l’absurde exige que le destinataire du discours accepte une prémisse dont il sait qu’elle se révèlera fausse.

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Le mot qui pose problème dans cette description de la démonstration est « evident », puisque seul le destinataire du discours peut décider si, pour lui, la prémisse initiale et les pas déductifs sont évidents, ou tout au moins valides ; toute démonstration est donc indissociable de ses conditions d’énonciation, et, plus précisément, des conditions de sa réception par le destinataire. Ce n’est pas le cas pour une déduction, puisque « [the] deduction [is] the process of extracting information contained in given premises – regardless of whether those premises are known to be true or even whether they are true » (Corcoran 2009 : 3). En résumé, la distinction entre déduction et démonstration est une conséquence de la distinction entre proposition et énoncé (cf. § I-2) : « Un énoncé exige un sujet énonciateur […], tandis qu’une proposition est une expression logique […]. Il s’ensuit qu’une déduction n’est pas un raisonnement. C’est un objet (une suite de signes) qui constitue un calcul » (Grize 1987 : 132).

II – Argumentation

1 – Caractéristiques fonctionnelles du discours mathématique

Un texte mathématique se présente globalement comme une succession de définitions et de résultats, chaque résultat étant justifié – avant ou après son énonciation – par une démonstration. À ces constituants obligatoires s’ajoutent, dans les textes à visée pédagogique, des éléments facultatifs : remarques, commentaires, exemples, exercices. Comme l’a montré Petit (1993 : 239), ces divers constituants peuvent remplir deux fonctions différentes du discours mathématique. En premier lieu, il y a la fonction « intra-démonstrative », qui apparaît dans les parties où un raisonnement ou un calcul est développé pour démontrer un résultat, détailler un exemple, aider à la résolution d’un exercice, etc. En second lieu, il y a la fonction « métadiscursive », qui apparaît dans les parties où l’auteur annonce, commente ou complète les raisonnements, les calculs, les définitions, les résultats, les exemples, etc.

2 – Apparition de l’argumentation dans le discours mathématique

Le lecteur ou auditeur valide un discours mathématique lorsque celui-ci présente une suite finie – mais d’une longueur raisonnable – de pas déductifs élémentaires (cf. § I-4). Toujours pour des raisons pratiques, l’auteur ou orateur ne va généralement pas détailler toutes ces

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étapes élémentaires ; une bonne partie va rester implicite4. Mais, de ce fait, il s’impose la tâche de convaincre le destinataire de son discours que les étapes non explicitées n’ont pas besoin de l’être, et que les calculs ou déductions qu’elles contiennent sont corrects. Pour accomplir cette tâche, l’auteur va compléter le raisonnement déductif par des opérations argumentatives, qui se retrouvent ainsi intégrées à une partie intra-démonstrative du discours.

Deuxièmement, à l’issue d’une démonstration de A B , le lecteur ou auditeur, s’il valide A, est soumis à la nécessité d’accepter B. Mais cette nécessité peut s’accompagner d’un sentiment d’insatisfaction ou d’incomplétude5. Alors, pour convaincre le destinataire de son discours, l’auteur va recourir à des arguments supplémentaires, sous forme de commentaires ou d’exemples, qui seront ainsi intégrés à une partie métadiscursive du discours.

3 – Points communs entre démonstration et argumentation

« Lorsque nous parlons d’argumentation, nous nous référons toujours à des discours comportant au moins deux énoncés [...] dont l’un est donné pour autoriser, justifier ou imposer l’autre ; le premier est l’argument, le second la conclusion. » (Anscombre &

Ducrot 1983 :163)

Argumenter pour la conclusion C au moyen de la proposition A, c’est « présenter A comme devant amener le destinataire à conclure C », autrement dit « donner A comme une raison de croire C » (Anscombre & Ducrot 1983 : 28). On peut retenir de ces très courtes descriptions de l’argumentation que celle-ci, comme la démonstration, constitue un raisonnement qui a pour objectif la modification de la valeur épistémique6 d’un énoncé cible.

Autre point commun entre l’argumentation et la démonstration : la forme écrite de ces raisonnements est très semblable, et une lecture attentive est parfois indispensable pour déterminer si une étape d’un raisonnement est démonstrative ou argumentative. Les deux procédés utilisent par exemple abondamment les connecteurs argumentatifs7 pour assurer la

4 La détermination de ce qu’est un pas déductif « élémentaire », ainsi que des étapes explicitées, dépend à la fois des connaissances supposées du destinataire du discours et, pour un discours écrit, des caractéristiques de l’ouvrage dans lequel ce discours est inclus (pédagogique, de recherche, de vulgarisation, …), donc de la situation d’énonciation (cf. § I-2).

5 Cf. l’article « Je le vois, mais ne le crois pas » dans le Bulletin vert n° 266.

6 La valeur épistémique d’un énoncé est la valeur que l’auteur ou le destinataire du discours lui attribue, sur une échelle allant de l’acceptation totale au refus complet en passant par l’approbation, la réserve, le doute, la contestation, etc. À l’issue d’une démonstration, l’énoncé cible acquiert une valeur épistémique de nécessité, voire de certitude ou d’évidence. À l’issue d’une argumentation, l’éventail des valeurs épistémiques possibles est évidemment beaucoup plus large.

7 « Dans l’enchaînement linéaire du texte, les connecteurs [...] contribuent à la structuration du texte et du discours en marquant des relations entre les propositions ou entre les séquences qui composent le texte et en

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cohérence, la lisibilité et la progression du raisonnement. La distance entre une argumentation et une démonstration peut être infime, comme le montrent les pseudo-démonstrations qui permettent de « prouver » que tous les triangles sont équilatéraux ou que tous les chevaux sont de la même couleur. À défaut d’être des démonstrations, ce sont des argumentations qu’on peut trouver très convaincantes.

4 – Différences entre démonstration et argumentation

Première différence : les procédés argumentatifs étant extrêmement nombreux et variés, il est impossible de décrire la structure d’un pas argumentatif aussi précisément qu’on a pu le faire pour un pas déductif au § I-4.

« La logique formelle […], c’est-à-dire la logique mathématique, permet de connaître très précisément quelles sont les opérations en jeu dans une démonstration et à quelles normes doit satisfaire une suite de propositions pour qu’elle constitue une démonstration. Il en va tout autrement en ce qui concerne une argumentation. Il ne s’agit ni de propositions, ni de normes. On a affaire à des énoncés toujours produits dans une situation d’interlocution et localisés relativement aux sujets énonciateurs. Rien ne permet alors de dire : “ Une suite d’énoncés constituera une argumentation si et seulement si telles conditions sont satisfaites “. » (Grize 1996 : 4)

Deuxième différence : un « argument n’est pas forcément concluant [et] on peut, sans cesser de se comporter raisonnablement, refuser d’admettre une conclusion C alors qu’il existe un argument pour C, qu’on ne le conteste pas, et qu’on n’a pas d’argument pour non-C » (Plantin 1990 : 160). En effet, « l’organisation d’une argumentation ne prend en compte que la valeur épistémique des propositions liée à la compréhension spontanée de leur contenu sémantique » (Duval 1992 : 52). Or cette valeur épistémique est grandement liée à la situation d’énonciation, et en particulier aux connaissances, valeurs, opinions, présupposés, etc. de l’auteur et du destinataire du discours. L’organisation d’une démonstration, elle, « “ fait abstraction “ de toute valeur épistémique liée à la compréhension spontanée des propositions pour se centrer exclusivement sur la valeur épistémique dérivée du statut théorique, préalablement fixé, de chaque proposition8 » (Duval 1992 : 52-53), et ce statut théorique est le même pour l’auteur et le destinataire.

indiquant les articulations du discours » (Riegel, Pellat & Rioul 2016 : 1044). Il y a de nombreuses catégories de connecteurs ; parmi les connecteurs argumentatifs, on peut distinguer les connecteurs inférentiels (par exemple donc), concessifs ou marquant une opposition (mais), explicatifs ou justificatifs (parce que), additifs (en outre), etc.

8 La proposition peut avoir un statut d’axiome, de définition, de théorème, etc.

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Troisième différence : dans un raisonnement argumentatif, rien n’interdit que les « arguments s’ajoutent les uns aux autres, soit pour se renforcer mutuellement, soit pour s’opposer9 » (Duval 1991 : 241). Une argumentation peut ainsi gagner en force par accumulation d’arguments, procédé inenvisageable dans une démonstration, où les pas « sont connectés selon un processus de recyclage : la conclusion du premier pas devient le début du pas suivant » (Pedemonte 2005 : 317).

5 – Les énoncés tiers dans l’argumentation

S’il est vrai que « les argumentations effectivement accomplies dans le discours reposent [souvent] sur des lieux communs ou des règles de vraisemblance10 » (Anscombre & Ducrot 1983 : 168), un pas argumentatif peut, d’après Duval (1992 :44-45), s’appuyer lui aussi sur un énoncé tiers. Exemple, vu sur une banderole lors d’une manifestation de commerçants protestant contre les fermetures des commerces non essentiels pendant le deuxième confinement : « Si travailler n’est plus un droit, payer ses impôts et ses taxes n’est plus un devoir ». L’énoncé tiers pourrait ici être la constatation que l’État garantit à tous les citoyens aussi bien le droit au travail que l’égalité devant l’impôt, et que ces deux principes sont indissociables.

Compte tenu en particulier de ce qui a été dit au § II-4, il y a toutefois trois caractéristiques qui différencient les énoncés tiers des procédés argumentatif et démonstratif :

– d’abord, dans un pas déductif, « les relations entre les prémisses et l’énoncé tiers portent sur des propositions », alors que, dans un pas argumentatif, elles portent « sur des termes constituant le contenu de la proposition » (Duval 1992 : 45). En outre, ces relations entre termes peuvent être de nature très variée : accord, opposition, analogie, etc. ;

– ensuite, le contenu de l’énoncé tiers d’un pas argumentatif a une valeur épistémique qui dépend de la situation d’énonciation, donc en particulier des opinions, valeurs, présupposés, etc. de chaque participant au discours. Au contraire, l’énoncé tiers d’un pas déductif, du fait qu’il s’appuie sur une proposition dont le statut théorique est incontestable, a une valeur épistémique indépendante de la situation d’énonciation ;

– enfin, « la conclusion d’un pas de déduction affirme ce qui est déjà dit dans la partie Conséquences de l’énoncé-tiers. C’est une simple opération de détachement. [Au contraire],

9 La différence entre les connecteurs et et mais, dont la langue logique ne peut pas rendre compte (cf. § I-3), prend ici toute son importance : le connecteur et relie des arguments qui se renforcent, alors que mais relie des arguments qui s’opposent.

10 Ainsi en va-t-il pour l’habitant de Königsberg qui remarque : « J’ai vu passer monsieur Kant, il est 5 heures ».

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8

la conclusion d’un pas d’argumentation peut affirmer autre chose que ce qui est dit dans l’énoncé tiers. Elle constitue un apport ou un déplacement de contenu informatif par rapport à l’énoncé tiers. […] Elle est donc toujours révisable ou contestable » (Duval 1992 : 45-46).

6 – Quelques exemples d’argumentation

De nombreuses argumentations font intervenir des marqueurs de modalisation11 (signalés ici en gras) :

(1) Le mot « produit » se justifie aisément si l’on remarque que : i) l’opération est commutative [...] ii) l’opération est distributive par rapport à l’addition. (F72)

(2) On dit qu’une forme linéaire L sur E est positive si, pour tout fE vérifiant l’inégalité f 0, on a L( f )0. Il revient évidemment au même de dire que fg entraîne L( f ) L( g ). (A137)

(3) Pour que le produit de convolution de deux distributions S T* ait un sens, il suffit que l’une des deux distributions soit à support borné. [...] On peut généraliser [...] : i) Pour que le produit de convolution de n distributions existe, il suffit que au moins

1

( n) soient à support borné. (F76-78)

Ces marqueurs – un adverbe dans (1) et (2), un verbe dans (3) – ont comme point commun d’inciter le lecteur à valider l’affirmation proposée12 sans qu’il lui soit proposé de preuve.

Dans (1), celle-ci est déclarée facile ; dans (2), elle est déclarée évidente, donc sans intérêt13 ; dans (3), elle est déclarée possible, mais trop longue ou trop fastidieuse pour être détaillée.

Dans les exemples (1), (2) et (3), il n’y a pas d’énoncé tiers identifiable, si ce n’est un appel à la supposée capacité du lecteur de « combler les trous » grâce à ses connaissances. Ceci dit, un pas argumentatif peut fort bien se passer aussi bien d’un marqueur de modalisation que d’un énoncé-tiers :

11 La modalité exprimant « l’attitude du sujet parlant par rapport à son énoncé » (Riegel, Pellat & Rioul 2016 : 511), on considère qu’il y a modalisation d’un énoncé si l’auteur y exprime un jugement (par exemple appréciatif) ou donne une évaluation (par exemple épistémique) concernant une proposition.

12 c’est-à-dire à lui attribuer une valeur épistémique de nécessité.

13 L’utilisation de l’adverbe « trivialement » marque encore plus nettement, si nécessaire, le peu d’intérêt de l’auteur pour une preuve.

(9)

9 (4) Si la série

0

n n

n

c ( z a )



converge dans D( a,r ), le critère de Cauchy montre que la

série 1

1

n n

n

nc ( z a )



converge aussi. Prenons a0 sans perdre de généralité.

(R193)

Ici la prémisse est « Prenons a0 » et la conclusion est « On reste dans le cas général ».

Faute de marqueur de modalisation et d’énoncé tiers, rien n’apparaît explicitement pour inciter le lecteur à valider le raisonnement.

D’autres énoncés – utilisant ou non des marqueurs de modalisation – comportent un énoncé tiers explicite (signalé aussi en gras) :

(5) Nous avons vu que le calcul de l’inverse de a dans n

ne pouvait se faire en pratique avec l’aide du théorème d’Euler [...], puisque le calcul de ( n )est difficile.

(C49)

(6) Dans le cas d’une distribution, on peut s’attendre à voir disparaître les singularités.

On démontre en effet le théorème suivant, que nous admettrons. (F82)

(7) On peut se limiter à n2log ( n )2 2 pour des raisons qu’il n’est pas question de développer ici. (C54)

(8) Nous savons déjà que Ind ( z ) , pour z *, n’est pas modifié si est fixé et z légèrement déplacé. Mais nous pouvons aussi fixer z et faire varier . Notre prochain théorème concerne cette situation. (R210)

(9) Dans tout ce qui suit, nous donnerons les définitions générales pour xnmais, pour simplifier, nous nous contenterons de donner des exemples et d’effectuer les démonstrations pour x. (F25)

Comme on l’a dit au § I-5, les relations entre les propositions d’un pas argumentatif peuvent être de différentes natures. Ainsi, dans les exemples (5) et (6), l’énoncé tiers vient à l’appui de la conclusion ; dans l’exemple (7), l’énoncé tiers signale qu’il y a des raisons de valider la conclusion, que l’auteur refuse d’exposer ; dans l’exemple (8), l’énoncé tiers présente une situation analogue à, mais différente de celle de la prémisse ; dans l’exemple (9), l’énoncé tiers s’oppose à ce que la prémisse pouvait impliquer, mais la conclusion est quand même validée.

(10)

10

Exemple de phrase contenant deux pas argumentatifs, le premier utilisant un énoncé tiers explicite, le second ne s’appuyant sur aucun énoncé tiers :

(10) Nous pouvons considérer  comme un chemin obtenu en joignant

 

a,b à

 

b,c à

 

c,a , comme indiqué dans la définition 10.8, auquel cas [la formule] est de démonstration aisée. (R197)

Les marqueurs de modalisation ou les énoncés tiers explicites peuvent aussi être utilisés par l’auteur pour commenter un raisonnement sans que rien ne soit dit explicitement des preuves.

Dans les exemples (11) et (12), il n’y a pas d’énoncé tiers ; dans l’exemple (13), il y a un énoncé tiers explicite :

(11) [Soit] une équation de convolution : A X*B [...]. Le problème est de trouver une solution X ( t ) et de savoir si cette solution est unique. Pour cela, on est naturellement amené à chercher une distribution, que l’on notera A*1, telle que :

A A** 1  (F85)

(12) Si [la formule de définition de la dérivée en z d’une fonction holomorphe f 0 ] est vérifiée, la [dérivée de f en tant que fonction définie sur 2] se révèle être la multiplication par f ( z ) [...]. Nous laissons cette vérification au lecteur. (R192) ' 0 (13) Une des qualités de la démonstration précédente est d’établir les principales

propriétés de l’indice [d’un chemin fermé dans le plan complexe] sans référence à la notion d’argument d’un nombre complexe, cette dernière étant une fonction multivoque. (R198)

Terminons en reconnaissant qu’il est évidemment parfois difficile de décider si un pas est déductif ou argumentatif, puisque, en particulier dans une partie intra-démonstrative, le choix du qualificatif dépend des connaissances du lecteur, selon qu’il se sent capable ou non de construire une preuve de la conclusion donnée :

(14) Posons a a' d* et b b' d* , avec dPGCD( a,b ). a' et b' sont clairement premiers entre eux. (C36)

(15) La suite des restes ( r ) est une suite strictement décroissante d’entiers positifs. On n obtient nécessairement un reste rn1 égal à zéro. (C47)

Ajoutons que, dans ces exemples (14) et (15), la présence du marqueur de modalisation n’est utile que dans l’éventualité où le pas est ressenti comme argumentatif par le lecteur. Ainsi, (14) peut être remplacé par (14’) si le lecteur a suffisamment de connaissances arithmétiques :

(11)

11

(14’) Posons a a' d* et b b' d* , avec dPGCD( a,b ). a' et b' sont premiers entre eux.

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12

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Chaque exemple du § II-6 est répertorié par la lettre désignant l’ouvrage d’où il est tiré, suivie du numéro de la page.

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