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L’appartenance multiple comme condition de la construction des identités. L’exemple de la socialisation adolescente dans et par le rap français

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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HAL Id: tel-01691296

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01691296

Submitted on 23 Jan 2018

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L’appartenance multiple comme condition de la

construction des identités. L’exemple de la socialisation adolescente dans et par le rap français

Catherine Gendron

To cite this version:

Catherine Gendron. L’appartenance multiple comme condition de la construction des identités.

L’exemple de la socialisation adolescente dans et par le rap français. Education. Université Paris-Est, 2016. Français. �NNT : 2016PESC0021�. �tel-01691296�

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Université Paris

Docteur de l’Université Paris

L’appartenance multiple comme condition de la

des identités. L’exemple de la socialisation adolescente dans et

Thèse présentée et soutenue publiquement par

À l’Université Paris

Directeurs de Thèse

Jury

:

Madame Solveig Serre, Chargée de recherche Monsieur Luc Robène, Professeur

Rapporteur

Monsieur Éric Debarbieux, Professeur en Sciences de l’Éducation, Université paris Examinateur

Monsieur Alain Vulbeau, Professeur Nanterre La Défense / Examinateur

Madame Sophie Javerlhiac, Maître de con Directrice

Monsieur Dominique Bodin, Professeur en Sociologie, Université paris

1

Université Paris-Est Créteil

École Doctorale « Cultures et Sociétés »

THÈSE

Pour obtenir le grade de

Docteur de l’Université Paris-Est Créteil en Sociologie

TITRE

L’appartenance multiple comme condition de la

L’exemple de la socialisation adolescente dans et par le rap français

Thèse présentée et soutenue publiquement par Catherine Gendron Le 07 avril 2016

À l’Université Paris-Est Créteil

Directeurs de Thèse : Dominique Bodin Sophie Javerlhiac

, Chargée de recherche en Musicologie, CNRS / Rapporteur

, Professeur en Sciences de l’Éducation, Université de Bordeaux / , Professeur en Sciences de l’Éducation, Université paris

rofesseur en Sciences de l’Éducation, Université de Nanterre La Défense / Examinateur

, Maître de conférence en Sociologie, Université de Rennes 2 / , Professeur en Sociologie, Université paris-Est Créteil / Directeur

ociologie

L’appartenance multiple comme condition de la construction L’exemple de la socialisation adolescente dans et

Catherine Gendron

CNRS / Rapporteur

en Sciences de l’Éducation, Université de Bordeaux / , Professeur en Sciences de l’Éducation, Université paris-Est Créteil / Université de Paris Ouest férence en Sociologie, Université de Rennes 2 /

Est Créteil / Directeur

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Université Paris-Est Créteil

École Doctorale « Cultures et Sociétés » Laboratoire LIRTES

L’appartenance multiple comme condition de la construction des identités. L’exemple de la

socialisation adolescente dans et par le rap français

Catherine GENDRON

Thèse soutenue publiquement le 07 avril 2016 en vue d’obtenir le grade de

Docteur de l’Université Paris-Est Créteil en Sociologie

Jury :

Madame Solveig SERRE

Chargée de recherche en Musicologie, CNRS / Rapporteur Monsieur Luc ROBÈNE

Professeur en Sciences de l’Éducation, Université de Bordeaux / Rapporteur Monsieur Éric DEBARBIEUX

Professeur en Sciences de l’Éducation, Université paris-Est Créteil / Examinateur Monsieur Alain VULBEAU

Professeur en Sciences de l’Éducation, Université de Paris Ouest Nanterre La Défense / Examinateur

Madame Sophie JAVERLHIAC

Maître de conférence en Sociologie, Université de Rennes 2 / Directrice Monsieur Dominique BODIN

Professeur en Sociologie, Université paris-Est Créteil / Directeur

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Résumé

L'adolescent ne peut se construire socialement qu'en sortant de l'histoire dans laquelle l'adulte l'a inscrit, pour se créer sa propre histoire. Mais sortir de l'histoire de l'Autre ne veut pas dire s'en défaire totalement, car nous n'échappons pas au poids de l'héritage. Il s'agit de s'approprier certains aspects de cette histoire héritée et d’en rejeter d'autres pour laisser la place à de nouveaux emprunts et appropriations qui ne peuvent s'actualiser que dans la relation à l'Autre. La construction de soi passe donc inévitablement par des tracés de frontières sociales toujours renégociées et concrétisées par la création et l'appropriation d'usages sociaux.

Cette thèse a pour but d'analyser comment ces processus de construction identitaire se manifestent dans et par la construction de nouveaux usages ou par la réappropriation d’usages existants. Elle aura pour terrain d'observation les pratiques sociales en usage dans le rap français, musique d'adolescents par excellence, non seulement parce qu'écoutée, mais aussi et surtout parce que construite par des adolescents (généralement, on entre dans le rap en début d’adolescence).

Il s'agira d’abord de montrer comment l’identité du rap français s’est construite, à la croisée d’histoires présentes et passées, en mettant en évidence la manière dont le rapport dialectique au principe de la personne impose à ces jeunes la construction de frontières particulières qui font d'eux ces rappeurs particuliers, par opposition aux non-rappeurs, mais aussi aux rappeurs non français, américains par exemple. Ensuite, il s’agira de comprendre pourquoi un certain type d’adolescents a fait le choix d’adhérer au monde du rap, et comment les pratiques rapologiques conditionnent la manière dont leur identité sociale se construit.

Mots clés

Adolescence ; construction sociale ; identité ; rap ; histoire ; joute oratoire ; violence

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Abstract

In his identity building process, an adolescent has to establish a separation from family history in order to start building up his own. However, separating oneself from the Other’s history does not mean getting rid of it definitively, as nobody can escape the weight of social inheritance. It is mainly a question of appropriating some aspects of the inherited past while rejecting others to allow for new borrowings and appropriations, which is possible only through contact with others. Therefore, the construction of oneself clearly depends on the definition of social boundaries which are repeatedly negotiated and which find their expression in the creation and the appropriation of new social practices.

The aim of this thesis is to analyse the identity construction process and especially the construction of new social practices – or the re-appropriation of existing ones – which formalise it. This will be done by observing some of those social practices which are typical of French rap as a kind of music mainly prized by adolescents: it is not only listened to but also practised by adolescents (they usually get into rap music at the very beginning of their teenage years).

The first task will be to show that the identity of French rap is the result of multiple interferences between past and present cultures. The purpose is to highlight the force of the dialectical relationship which is central to the construction of the social being. Particular attention will be paid to this dialectical relationship as a key factor of the way these young people define themselves as a specific group of rappers, in contrast to those who do not belong to the rap world, but also in contrast to foreign rappers, such as American ones. Then, the objective will be to explain why certain teenagers have decided to be part of the rap world and how the rap practices determine their identity formation process.

Key words

Adolescence; social construction; identity; rap; history; verbal jousting ; violence

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Une « spéciale dédicace » :

À Marguerite et Étienne, mes grands-parents, Qui ont été mes Pères,

Mais aussi ma Maman et mon Papa.

Ils m’ont notamment appris, Leçon ô combien précieuse, Que même dans les moments difficiles,

Nous avions tous la capacité

À nous construire des parcelles de bonheur.

À Jeanne, mon autre grand-mère, Dont la vie n’a été qu’amour Pour ses enfants et petits-enfants.

Last, but not least,

Et dans l’ordre de leur apparition dans ma vie, À Célia et Yoran, mes enfants adorés.

Durant les neuf mois précédant votre naissance Vous remplissiez déjà ma vie de bonheur.

Depuis rien n’a changé !

Vous êtes les piliers de mon histoire Je vous dois ce que je suis.

À vous cinq, avec tout mon amour !

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Remerciements

À Madame Solveig Serre, Monsieur Luc Robène, Monsieur Éric Debarbieux, Monsieur Alain Vulbeau. Je leur adresse mes plus vifs remerciements pour avoir accepté, malgré un emploi du temps à n’en pas douter très chargé, de lire et d’évaluer mon travail.

À Sophie Javerlhiac et Dominique Bodin, mes directeurs de recherche. Pour diverses raisons, il n’est certainement pas aisé de reprendre des travaux commencés sous d’autres cieux. Je tiens donc tout d’abord à leur exprimer ma profonde gratitude pour avoir eu ce courage, et aussi pour la confiance qu’ils m’ont accordée en acceptant de m’aider à mener cette thèse à son terme. Je tiens également à les remercier pour leur disponibilité, leur bienveillance et leurs précieuses remarques. J’ai tant appris en si peu de temps ! Grâce à eux, ma recherche s’est terminée dans la sérénité.

Au personnel de l’école doctorale Sciences Humaines de l’université de Rennes 2. Je pense en particulier, et sans ordre de préférence, à Joelle Bisson, Suzanne Piel, Josiane Fernandez, Anne-Marie Le Goaziou et Valérie Priol à qui j’adresse ma plus vive reconnaissance pour leur soutien pendant mes heures « noires ». Elles ont toujours pris le temps de m’écouter avec attention et sans jamais manifester le moindre signe d’impatience.

Elles ont toujours su trouver des paroles réconfortantes. Sans elles, cette thèse n’aurait probablement jamais abouti.

Aux laboratoires qui m’ont accueillie, chacun en son temps. Tout d’abord, à Rennes, le LIRL/LAS, devenu depuis le CIAPHS, et ensuite le VIP&S. Enfin, le LIRTES que je viens de rejoindre.

À Agatha Duval-Gombert.

À Anne Rothwell, Karine Lecoq et Pierrick Guéguen que je remercie chaleureusement pour leur relecture attentive de ma thèse et de certains de mes articles.

À certains de mes proviseurs, proviseurs adjoints et inspectrices qui ont fait leur possible pour m’accorder du temps pour mes recherches : Madame Fouassier, Madame Bidadanure-Laville, Madame Genest, Monsieur Vincent, Monsieur Loyard, Monsieur Cam, et Monsieur Roudault.

À l’association La Contre Marche, grâce à laquelle j’ai pu rencontrer les rappeurs

« interviewés ».

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8

Aux rappeurs (et leur entourage musical) rencontrés lors des différentes éditions du festival Cité Rap : Keny Arkana, Psy4 de la Rime, Oxmo Puccino et The Jazzbastards, La Caution, Médine, Youssoupha, Kery James, Kamelancien, El Matador, et Les Neg’ Marrons.

La fatigue et le stress du concert, les séances de dédicaces et de photos avec les fans, le bruit environnant : les conditions pour un entretien étaient loin d’être idéales ; pourtant, ils ont accepté de m’accorder du temps, et m’ont reçue avec la plus grande gentillesse. Un grand merci à eux !

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Avertissement

Comme le montrera ce travail de recherche, il est d’usage dans le rap de signer ses propos afin d’en assumer la pleine et entière responsabilité. Après avoir passé tant de temps à étudier ce mouvement musical, ainsi que ses principaux acteurs, je ne pouvais faire moins.

En conséquence, j’ai fait le choix, assumé lui aussi, de ne pas suivre la règle de rédaction de la thèse qui préconise l’utilisation du « nous » de convenance. Bien que l’emploi de la première personne du singulier ait été réduit autant que faire se peut, il s’est parfois avéré nécessaire. Ce choix n’est en aucun cas la marque d’une quelconque arrogance ou vanité. Il témoigne d’une volonté d’endosser l’unique responsabilité de mes propos et des orientations données à ce travail.

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10 SOMMAIRE

INTRODUCTION GÉNÉRALE ... 13 PREMIÈRE PARTIE : L’INSCRIPTION DE LA PERSONNE DANS L’HISTOIRE .. 42

Introduction 43

CHAPITRE I : À PROPOS DE QUELQUES CONCEPTS ... 45

1. L’individu, le sujet, la Personne 47

2. L’espace, le territoire, le milieu 56

3. Le temps, l’histoire 64

CHAPITRE II : L’APPROPRIATION DU TERRITOIRE PAR LA PERSONNE ... 69

1. Une mise en mots particulière du territoire : premiers constats 70

2. Qu’est-ce que s’approprier un espace ? 84

3. Manifester son appropriation d’un espace 92

4. Appropriation de l’espace et distinction sociale 112

CHAPITRE III : LA NÉCESSAIRE INSCRIPTION DANS L’HISTOIRE DE

L’AUTRE ... 130

1. L’inscription dans un « ici et maintenant ». 131

2. L’inscription du passé dans le présent et réciproquement 151

3. Quand récapituler c’est reconstruire 188

Conclusion 229

DEUXIÈME PARTIE : LA CONSTRUCTION DE SOI PAR LA CONFRONTATION ... 231

Introduction ……….. 232

CHAPITRE I : LES RITES : QUELQUES GÉNÉRALITÉS ... 234

1. Fonctions du rite 235

2. Déconstruction du rite selon les quatre plans de la rationalité humaine 243

3. La musique en tant que pratique rituelle. 248

CHAPITRE II : LA JOUTE ORATOIRE ... 252

1. La joute rapologique 253

2. La confrontation par l'insulte rituelle 283

3. La joute rapologique créatrice de lien social 304

CHAPITRE III : L’INSULTE RITUELLE, UNE PRATIQUE D’ESPRIT DE

CLOCHER ... 338

1. L’insulte rituelle institue la parité 339

2. L’espace-temps de la célébration. 351

3. La fragile construction sociale de l’être-ensemble. 360

Conclusion 375

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TROISIÈME PARTIE : L’ADOLESCENCE ET LA CONSTRUCTION DE SOI .… 377

Introduction 378

CHAPITRE I : L’ADOLESCENCE, ÉTAT DES LIEUX ... 380

1. L’adolescence n’existe pas. 381 2. Qu’est-ce qu’un enfant ? 387 3. Qu’est-ce qu’un adulte ? 393 4. Retour sur l’adolescent 397 CHAPITRE II : TERRITOIRE ADOLESCENT, PRATIQUES ADOLESCENTES .. 415

1. Groupement de pairs et territoire 416 2. La Rue 436 3. Une initiation instituée par les adolescents ? 461 CHAPITRE III : L’HISTOIRE PARTAGÉE ... 499

1. Immigration et construction de soi 500 2. De l’ « entre » au « de-dans » 510 Conclusion 532 CONCLUSION GÉNÉRALE ... 534

RÉFÉRENCES ... 558

INDEX ………...………614

ANNEXES ... 623

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L'histoire se transmet par l'éducation, par l'héritage, par le nom et les prénoms, par l'ensemble de ses témoignages verbaux ou matériels qui signifient « ce qui a été » et qui désignent « ce qui pourra advenir».

Elle s'inscrit dans le corps et la psyché, mais aussi dans les objets (maisons, livres, monuments, meubles), dans les pratiques, les

«habitus», les coutumes, les façons de faire, d'être et de penser.

Michel Bonetti, Vincent de Gaulejac,

« L’individu, produit d’une histoire dont il cherche à devenir le sujet », in « Je, et moi, les émois du Je. Questions sur l’individualisme », Espaces Temps, n° 37, 1988, pp. 55-63 (p. 56).

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13

Introduction générale

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Contexte du choix du sujet de recherche

Cette thèse est l’aboutissement d’un projet qui a germé il y a maintenant une trentaine d’années. À cette époque, ne pouvant mener de front l’éducation de mes enfants, ma situation professionnelle et mes études, j’ai dû abandonner ces dernières, avec l’espoir de les reprendre par la suite. Le choix était risqué car, comme me l’a fait remarquer mon entourage à maintes reprises, il est souvent difficile de se replonger dans le questionnement intellectuel après un tel laps de temps. Sûrement… et pourtant, une fois mes enfants presque élevés, j’ai décidé de profiter de ce temps libéré pour, enfin, me réinscrireà l’université. Mon choix s’est porté sur les sciences du langage, dans l’UFR où j’avais préparé – et obtenu – une licence en 1985, en parallèle avec mes études d’anglais. Puisqu’enseignante d’anglais dans un lycée professionnel, j’aurais certes pu reprendre des études dans cette discipline. Cependant, bien qu’adorant mon métier, mon unique exigence à cette époque était de m’engager dans un cursus sans aucun lien avec ma profession. Au moment de me décider pour un sujet de mémoire, l’un de mes professeurs m’a donné ce conseil : « gratte-toi là où ça te démange ».

Or, à ce moment-là, ce qui me démangeait était précisément d’ordre professionnel : je n’arrivais pas à comprendre le comportement de l’un de mes élèves, que l’on aurait pourtant pu, au premier abord, qualifier d’« élève modèle ». C’est ainsi que, alors que ma décision de reprendre mes études était fortement corrélée au désir de les dissocier de mon travail, j’ai passé l’année universitaire à observer un adolescent dans le cadre de ses apprentissages scolaires. J’ai décidé de poursuivre cette recherche en DEA, toujours en observant cet élève, mais aussi un second, en confrontant leurs comportements respectifs, tous deux étranges mais néanmoins radicalement opposés. Pourquoi avoir choisi ces élèves plutôt que d’autres ? Uniquement parce que leurs comportements en classe ne relevaient pas des schémas habituels, et non parce qu’ils étaient tous les deux étrangers. Et pourtant, au fur et à mesure de mes recherches, il s’est avéré que la clé de leurs comportements « étranges » était à chercher dans leur origine étrangère. Ou, plus précisément, elle était à chercher dans la façon dont ces deux adolescents tentaient de faire cohabiter leur culture d’origine avec celle du pays dans lequel ils vivaient dorénavant. Non seulement la manière dont ils vivaient notre étrangéité par rapport à eux, mais aussi la manière dont ils vivaient leur propre étrangéité par rapport à nous

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conditionnaient largement leurs façons d’être respectives – notamment à l’école – mais aussi justifiaient les différences observées dans ces façons d’être. Les « différences culturelles »1, prises dans les deux sens d’« eux vers moi » et de « moi vers eux » était la clé du problème.

Cela pose bien évidemment la question de l’intégration sociale mais aussi, en creux, celle de l’incompréhension parfois.

Bien entendu, ces deux années de maîtrise et de DEA n’ont constitué qu’une approche, mais aussi une accroche et, mes multiples questions n’ayant pas toujours trouvé réponse, la suite logique devenait une inscription en doctorat.

Présentation du « terrain » d’observation et de la question de recherche

Pour cette étape, le terrain d’observation choisi est un peu différent. Si le public qui retient mon attention est toujours adolescent et issu de l’immigration, il ne sera plus question ici d’observer des élèves étrangers dans leur contexte scolaire. En effet, mes recherches précédentes ont mis en évidence un point essentiel qui constituera le sujet de ce travail de thèse : vient un moment où, afin de comprendre certains dysfonctionnements dans l’apprentissage scolaire, on ne peut faire l’économie d’une étude approfondie des processus de la construction adolescente en général. Les cas de dysfonctionnements étudiés précédemment concernant des élèves étrangers, il s’agira donc ici de comprendre comment les adolescents issus de l’immigration s’intègrent dans une histoire sociale qui, au départ, n’est pas – ou pas uniquement – la leur, et dans quelle mesure cela influe sur la façon dont ils se construisent socialement.

S’est alors posée à moi une autre question essentielle : puisque mon « terrain » d’observation ne serait plus situé dans un contexte scolaire, qui choisir et pourquoi ? Mon choix s’est porté sur le monde du rap français pour des raisons bien précises. Tout d’abord, il me fallait trouver un public issu de l’immigration. Ensuite, inscrite à l’époque en sciences du langage, il me fallait un public capable de me fournir du matériau langagier. Enfin, les enquêtes de terrain se révélant extrêmement chronophages et, de mon côté, très prise par ma

1 Michel Wieviorka, La différence. Identités culturelles : enjeux débats et politiques, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, collection L’Aube poche essai 2005 [2001] ; Michel Wieviorka, Jocelyne Ohana (dir.), La différence culturelle : une reformulation des débats (colloque de Cerisy, 1999), Paris, Balland, collection Voix et regards, 2001.

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profession d’enseignante et de formatrice SAFOR2, un travail de collecte et de traitement d’entretiens n’était pas envisageable. Le rap constituait un « terrain » d’observation idéal à plus d’un titre : d’une part, les rappeurs français sont généralement issus, au moins en partie, de l’immigration, d’autre part, les chansons de rap fournissent un matériau langagier aisé à trouver sur internet. Par ailleurs, à cette même période, mes enfants, alors adolescents, ne juraient pratiquement que par le rap. Au tout début, j’ai tenté de leur faire valoir que le rap était une « musique de sauvages », ce à quoi, me montrant qu’ils savaient tirer profit de mes enseignements, ils me répondaient par l’un de mes leitmotivs favoris : « on ne juge pas sans connaître ! ». Il m’a fallu écouter du rap encore et encore afin de trouver des arguments convaincants. Finalement, mes enfants avaient raison, le rap n’est pas une musique de sauvages, et les rappeurs véhiculent des messages qui, qu’on les approuve ou pas, ont du sens, à plus forte raison dans leur contexte d’énonciation.

Cette thèse s’attachera donc à étudier des pratiques, essentiellement langagières, en usage dans le rap français afin d’analyser les possibles influences des héritages passés sur la situation présente, et réciproquement. Partant de là, il s’agira de déterminer dans quelle mesure ces influences réciproques jouent un rôle primordial dans la construction des adolescents rappeurs et fans de rap.

Pourquoi travailler essentiellement sur des pratiques langagières ?

L’un des principaux postulats développés par Ferdinand de Saussure oppose le langage et la langue, faisant entrer cette dernière dans le domaine de la sociologie :

« Mais qu'est-ce que la langue ? Pour nous elle ne se confond pas avec le langage ; elle n’en est qu’une partie déterminée, essentielle, il est vrai.

C’est à la fois un produit social de la faculté du langage et un ensemble de conventions nécessaires, adoptées par le corps social pour permettre l’exercice de cette faculté chez les individus. » 3

2 Dans l’académie de Rennes, le SAFOR (Service Académique de FORmation) remplace l’ancienne DAFPEN (Délégation Académique à la Formation des Personnels de l'Éducation Nationale). Ce service gère toutes les formations du personnel de l’académie. Les formateurs des personnels enseignants sont également des enseignants de l’académie recrutés sur propositions de leurs inspecteurs.

3 Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, Paris, Grande Bibliothèque Payot, 2000 [1916], p. 25.

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En qualifiant la langue de « produit social », d’« ensemble de conventions adoptées par le corps social », il l’envisage en tant que production humaine4. À ce titre, elle est donc un usage parmi d’autres dont, pour ne citer que quelques exemples, les habitudes alimentaires, les façons de s’habiller, les coupes de cheveux, la gestuelle ou encore la proxémique. Si certaines affirmations émises par le linguiste peuvent faire l’objet de critiques et de polémiques, celle-ci ne paraît pas discutable.

En effet, toute langue est un « usage social du langage »5 fonctionnant selon des codes (lexicaux, syntaxiques, grammaticaux) communément acceptés par un groupe social de taille plus ou moins importante. Cependant, les mots ne sont que des outils. Selon l’agencement et le sens qu’un groupe social veut leur attribuer dans des contextes donnés, ils aident à construire une langue qui à la fois exprime et construit un « savoir communément partagé (doxa) »6 par les membres de ce groupe social. De plus, parce que l’être social est « pluriel »7, ou « faisceau de relations »8, et ne se construit que dans la négation de l’autre9, « une langue est toujours un ensemble hétérogène (…) elle ne se constitue que par rapport à une altérité extérieure »10. Il existe donc autant de langues, de vernaculaires, qu’il existe de groupes sociaux, et même de personnes.

Ceci est le résultat d’interférences entre ce que Ferdinand de Saussure appelle

« l’esprit de clocher » et « la force d’intercourse »11. Que l’on se tourne vers la question de l’histoire ou celle du territoire, le linguiste constate effectivement que les langues diffèrent d’une époque à une autre, mais aussi d’un secteur géographique à un autre12. Chaque groupe social a donc sa propre façon de parler qui se différencie de celle des autres groupes, ce qui s’explique par le fait que la langue est un produit de l’homme social. Mais on pourrait dire

4 On peut cependant reprocher à Ferdinand de Saussure des erreurs de formulation qui faussent quelque peu la définition de la langue. En effet, les conventions sociales ne préexistant pas à l’homme, il aurait certainement dû les envisager comme créées, puis adoptées par un corps social, entendu au sens de « communauté sociale ». De plus, une langue n’est jamais un ensemble de conventions mais le produit d’un ensemble de conventions.

5 Jean Gagnepain, Leçons d'introduction à la théorie de la médiation, Anthropo-logiques, n° 5, Louvain-la- Neuve, Peeters, 1994, p. 64.

6 Ibid.

7 Bernard Lahire, L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Nathan, collection Essais & recherches.

Sciences sociales, 2001 [1998].

8 Jean-Claude Quentel, L’enfant, problème de genèse et d’histoire, Paris-Bruxelles, De Boeck Université, collection Raisonnances, 1997, p. 215.

9 Patrick Charaudeau, « L’identité culturelle entre soi et l’autre » [en ligne], Actes du colloque de Louvain-la- Neuve en 2005 (Références à compléter par l’auteur), 2009, pp. 1-6. Consulté sur le site de l’auteur, le 01 juillet 2014 : http://www.patrick-charaudeau.com/-Articles-.html

10 Jean Gagnepain, Leçons d’introduction à la théorie de la médiation, op.cit., p. 146.

11 Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, op.cit., pp. 281-289.

12 Ibid.

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aussi que chaque groupe social construit sa propre façon de parler pour se différencier des autres et, en même temps, assurer la reconnaissance et renforcer le sentiment d’appartenance au groupe de chacun13. Ces différences ne sont jamais fixées une fois pour toutes et se modifient dans le temps ou au sein d’un même espace au gré des rencontres que chacun fait au cours de sa vie, sans toutefois changer brutalement du tout au tout. C’est ce que le linguiste explique par l’interférence entre deux forces qu’il appelle l’esprit de clocher et la force d’intercourse :

« La propagation des faits de langue est soumise aux mêmes lois que n’importe quelle habitude, la mode par exemple. Dans toute masse humaine deux forces agissent sans cesse simultanément et en sens contraires : d’une part l’esprit particulariste, l’ « esprit de clocher » ; de l’autre, la force d’ « intercourse », qui crée les communications entre les hommes.

C’est par l’esprit de clocher qu’une communauté linguistique restreinte reste fidèle aux traditions qui se sont développées dans son sein. Ces habitudes sont les premières que chaque individu contracte dans son enfance, de là leur force et leur persistance. Si elles agissaient seules, elles créeraient en matière de langage des particularités allant à l’infini.

Mais leurs effets sont corrigés par l’action de la force opposée. Si l’esprit de clocher rend les hommes sédentaires, l’intercourse les oblige à communiquer entre eux. » 14

En d’autres termes, la langue que nous parlons provient en très grande partie d’une sédimentation d’usages langagiers en vigueur dans la communauté sociale qui nous a vus naître et grandir, et dont nous avons hérités (la force de l’esprit de clocher). Cela étant, les diverses rencontres auxquelles nous nous exposons tout au long de notre vie modifient la vision du monde qui nous a été léguée et, par voie de conséquence, modifie également nos usages, dont nos usages langagiers (la force de l’intercourse). Ainsi, tous les jours, des interlocuteurs d’une même nationalité interprètent « mal » leurs propos respectifs, alors qu’ils utilisent les mêmes mots, les mêmes organisations grammaticales et syntaxiques. Du fait des différentes rencontres faites par chacun au quotidien (la force d’intercourse), tous les membres d’un même groupe social, si petit soit-il, ne parlent jamais exactement la même langue. Ce qui revient à dire que LE français n’existe pas, et ceci essentiellement pour deux

13 Pascal Duret, Anthropologie de la fraternité dans les cités, Paris, Presses Universitaires de France, collection Le sociologue, 1996 ; David Lepoutre, Cœur de banlieue. Codes, rites et langages, Paris, Odile Jacob, 1997.

14 Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, op.cit.., p. 281.

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raisons. D’une part, la langue pure n’existe pas : comme n’importe quelle autre langue, la langue française nationale est truffée de mots d’origine étrangère que nous nous sommes appropriés15. D’autre part, et pour les mêmes raisons, au sein d’une même famille peuvent aussi survenir des différences d’usages langagiers. Ainsi, à l’intérieur d’une même famille, tout le monde ne parle pas totalement de la même façon. Il y a, par exemple, des différences générationnelles.

En conséquence, « la » langue n’existe pas, pas plus que n’existe « le » français,

« l »’allemand, etc. En fait de langue, « il n’existe que des ensembles plus ou moins importants de divergences et de convergences »16 de pratiques langagières, qui manifestent l’identité de groupes sociaux plus ou moins divergents ou convergents. Une langue constitue donc un marqueur – parmi d’autres – d’une altérité constitutive des groupes sociaux. Pour dire les choses autrement, parce que notre langue ne se réduit pas aux mots pour les mots (le lexique, l’orthographe) ou à leur agencement en lui-même (la grammaire, la conjugaison, la syntaxe), elle nous raconte autant qu’elle nous façonne :

« Ce ne sont pas tant les mots dans leur morphologie ni les règles de syntaxe qui sont porteurs de culturel, mais les manières de parler de chaque communauté, les façons d’employer les mots, les manières de raisonner, de raconter, d’argumenter pour blaguer, pour expliquer, pour persuader, pour séduire qui le sont. »17

De la même façon, « les langues n’ont jamais la même histoire »18, parce que les hommes qui les font naître ont eux aussi des histoires différentes. Et, puisque notre identité résulte de nos inscriptions dans des histoires diverses, passées et présentes, nos usages langagiers sont les produits directs de ces inscriptions sociales variées. Quelle que soit la relation que l’on entretient avec elles (acceptation, rejet, dépendance, …), ils les racontent.

En tant que produit humain, donc en tant qu’usage social, la langue est l’un des lieux où se manifeste une certaine vision du monde. Qu’une langue soit le résultat de conventions

15 Henriette Walter, L’aventure des langues en Occident, leur origine, leur histoire, leur géographie, Paris, Librairie générale française, collection Livre de poche, n° 1400, 1996.

16 Jean Gagnepain, Leçons d’introduction à la théorie de la médiation, op.cit., p. 151.

17 Patrick Charaudeau, « L’identité culturelle entre soi et l’autre », op.cit., p.5.

18 Jean Gagnepain, Leçons d'introduction à la théorie de la médiation, op.cit, p. 94

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sociales indique qu’elle est commune à un ensemble de personnes qui partagent en très grande partie cette vision du monde. La langue est donc marqueur d’identité19.

Une analyse d’usages langagiers, en tant qu’usages sociaux, revient donc à analyser l’histoire de ceux qui les pratiquent. Par conséquent, proposer une approche de l’identité du rap français par l’étude de ses pratiques langagières se justifie pleinement.

Pertinence du choix du « terrain d’observation »

Dans quelle mesure l’étude d’un mouvement musical et des usages qui lui sont propres se révèle-t-elle pertinente pour le sujet de cette thèse ?

Tout d’abord, en tant que produit de l’homme, une pratique musicale est une pratique sociale. Ceci implique qu’aucun mouvement musical ne naît par hasard. Il naît dans un espace-temps-milieu qui le caractérise, créé par des groupes sociaux qui sont eux-mêmes des produits de la société qui les porte. Comme toute autre pratique sociale, sa création et la forme par laquelle il s’exprime sont donc le résultat d’un contexte social particulier. Des usages langagiers, musicaux, techniques le sous-tendent et marquent son identité en le distinguant des autres mouvements musicaux. Ces usages sont partagés par les membres qui composent ces groupes : chanteurs, musiciens, public, et diffèrent des usages propres à d’autres groupes, musicaux ou autres. On peut donc dire qu’un mouvement musical est porteur de l’identité de ses créateurs. Ainsi, la naissance d’un nouveau mouvement musical annonce la naissance d’un nouveau groupe social. Par les usages qui caractérisent le premier, le second affirme son identité20. Outre les raisons évoquées précédemment, le rap constitue de ce point de vue un terrain d’observation très riche permettant de proposer des éléments de réponse à la question initiale. La communauté sociale qu’il constitue réunit des personnes qui partagent des inscriptions passées et présentes identiques ou ressemblantes. Comme toute communauté sociale, elle se définit aussi par ses différences. Des différences par rapport à des communautés qui n’ont aucune accointance avec le rap, mais aussi, à l’intérieur même du rap

19 Jacqueline Billiez, « La langue comme marqueur d’identité », in « Générations nouvelles », Revue européenne de migrations internationales, volume 1, n° 2, Décembre 1985, pp. 95-105.

20 Michelle Auzanneau, « Identités africaines : le rap comme lieu d’expression », Cahiers d’études africaines [En ligne], 163-164, 2001, pp. 711-734. Consulté en ligne le 19 février 2010 : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=CEA&ID_NUMPUBLIE=CEA_163&ID_ARTICLE=CEA_163 _0711

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en général, des différences entre rap de nationalités différentes, entre « familles rapologiques », et à l’intérieur de ces familles, entre rappeurs.

Certes, l’idée d’étudier le rap n’est pas neuve et il existe actuellement une littérature impressionnante sur le sujet. Tant par la forme musicale, la forme textuelle, l’aspect technique ou le fond, le rap intéresse assurément de nombreux chercheurs de spécialités différentes.

Alors que certains analysent l’aspect esthétique, textuel et poétique du rap (Julien Barret, Christian Béthune, Jacqueline Billiez, Isabelle Marc Martinez, Mathias Vicherat)21, d’autres se penchent sur le vernaculaire utilisé dans les textes de rap, notamment en relation avec le parler des cités de banlieue (Jacqueline Billiez, Louis-Jean Calvet, Cyrille Trimaille)22. Tandis que les sociologues étudient le contexte social de la naissance, de l’existence et de la reconnaissance du rap (Georges Lapassade et Philippe Rousselot, Hugues Bazin, Manuel Boucher, Laurent Mucchielli, Karim Hammou)23, des auteurs comme Stéphanie Molinero préfèrent étudier les différentes catégories qui composent son public24. Si ce genre musical intéresse autant la recherche, cela n’est pas sans raisons.

Le rap est né dans des ghettos du Bronx probablement à la fin des années 1960s grâce aux Last Poets25, mais a véritablement été lancé quelques années plus tard grâce au très célèbre Rappers’ Delight, du groupe Sugarhill Gang et au non moins célèbre The Message de Grandmaster Flash26. Cette musique trouve ses racines à différents endroits de la planète. S’il

21 Jacqueline Billiez, « Poésie musicale urbaine : jeux et enjeux du rap », in « Écritures et textes d’aujourd’hui », Cahiers du français contemporain, Paris, CREDIF, ENS éditions, n°4, 1997, pp. 135-155 ; Julien Barret, Le rap ou l’artisanat de la rime, Stylistique de l’egotrip, Paris, L’Harmattan, 2008 ; Christian Béthune, Le rap, une esthétique hors la loi, Paris, éditions Autrement, collection Mutations, 2003 ; Isabelle Marc Martinez, Le rap français : esthétique et poétique des textes (1990-1995), Bern, Peter Lang, collection Varia Musicologica, 2008 ; Mathias Vicherat, Pour une analyse textuelle du rap, Paris, L’Harmattan, collection Univers musical, 2001.

22 Jacqueline Billiez, « L’alternance des langues en chantant », in « Alternances des langues : enjeux socio- culturels et identitaires », Lidil, n° 18, Grenoble, Lidilem, 1998, p. 125-139 ; Louis-Jean Calvet, Les Voix de la Ville. Introduction à la Sociolinguistique Urbaine, Paris, Payot, collection Essais, 1994 ; Cyril Trimaille, Approche sociolinguistique de la socialisation langagière d’adolescents, Thèse de doctorat en Sciences du Langage, Université Stendhal, Grenoble III, sous la direction de Madame la Professeure Jacqueline Billiez, 2003.

23 Hugues Bazin, La culture hip hop, Paris, Desclée de Brouwer, 1995 ; Manuel Boucher, Rap, expression des lascars. Significations et enjeux du Rap dans la société française, Paris, L’Harmattan, collection Union peuple et culture, 1998 ; David Dufresne, Yo ! Révolution rap !, Paris, Ramsay, 1991 ; Karim Hammou, Une histoire du rap en France, Paris, La Découverte, collection Cahiers libres, 2013 ; Georges Lapassade, Philippe Rousselot, Le rap, ou la fureur de dire, Paris, éditions Loris-Talmart, 1990 ; Laurent Mucchielli, « Le rap et l’image de la société chez les jeunes de la cité » [en ligne], Questions pénales, CESDIP, Ministère de la justice, bulletin d’information XI, n° 3, mars 1999, pp. 1-4. Consulté sur le site de l’auteur, le 11 janvier 2013 : http://laurent.mucchielli.free.fr/Rap.htm.

24 Stéphanie Molinero, Les publics du Rap : enquête sociologique, Paris, L’Harmattan, collection Musiques et Champ social, 2009.

25 Olivier Cachin, L’offensive rap, Paris, Gallimard, collection Découvertes, Gallimard / Musique, 1997 [1996], p. 16.

26 Ibid. ; Mathias Vicherat, Pour une analyse textuelle du rap, op.cit., p. 13.

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n’est plus à démontrer dorénavant que le rap est né de pratiques africaines qui remontent à la période de l’esclavage aux États-Unis, et même au-delà27, il trouve ses racines également en Jamaïque, dont sont d’ailleurs originaires les deux DJs28 pionniers du rap, Grandmaster Flash et DJ Kool Herc29. Par ailleurs, en digne rejeton d’une longue lignée de musiques afro- américaines, le rap puise également une partie de ses origines en Europe30. Ce mouvement musical appartient au mouvement plus large du hip hop qui regroupe d’autres pratiques artistiques telles que le graff, le tag, la break dance, le smurf31. Le rap est aujourd’hui pratiqué au niveau international32.

Arrivé en France au tout début des années 1980s, il a pris forme sous la plume de jeunes immigrés de la deuxième génération qui, pour la très grande majorité d’entre eux, vivent dans des cités de banlieue que l’on regroupe sous les termes « quartiers défavorisés »,

« quartiers sensibles », « quartiers relégués »33 ou, encore, « quartiers d’exil »34. Par le biais de textes dont ils sont en principe les auteurs35, ces jeunes racontent l’exclusion sociale dont ils sont ou se pensent être victimes, et crient leurs souffrances et les sentiments de révolte qui les animent. Ces textes constituent de véritables témoignages sur une certaine manière de

27 Gérald Arnaud, « La préhistoire du rap », in « Culture hip-hop », Africultures [en ligne], n° 21, 10 octobre

1999. Consulté en ligne le 20 novembre 2009 :

http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=1009.

28 Disc Jockeys.

29 Olivier Cachin, L’offensive rap, op.cit., p. 17.

30 Eileen Southern, Histoire de la musique noire américaine, Paris, Buchet / Chastel, collection Musique, 1992 ; Christian Béthune, Le rap une esthétique hors la loi, op.cit.

31 Pour plus d’informations sur le hip hop, voir par exemple Hugues Bazin, La culture hip hop, op.cit.

32 Rahiel Tesfamariam, « Why Is Global Hip-Hop Better Than “Made in America” Rap Music? », The Washington Post [en ligne], 06 novembre 2013. Consulté le 20 octobre 2014 : http://www.washingtonpost.com/blogs/therootdc/post/why-is-global-hip-hop-better-than-made-in-america-rap- music/2013/06/11/f8328054-d2f3-11e2-9f1a-1a7cdee20287_blog.html. Il semblerait même que la jeunesse Afghane se soit mise au rap, et comptant même depuis peu dans ses rangs une rappeuse (Rahim Faiez, The Associated Press), « Une première chanteuse de rap en Afghanistan », L’express [en ligne], 11 octobre 2012.

Consulté en ligne le 20 octobre 2014 : http://www.lexpress.to/archives/9742/

33 Laurent Mucchielli, Sociologie de la délinquance, Paris, Armand Colin, collection Cursus, 2014 ; Laurent Mucchielli, « Le rap de la jeunesse des quartiers relégués. Un univers de représentations structuré par des sentiments d’injustices et de victimisation collectives », in Manuel Boucher, Alain Vulbeau (dir.), Émergences culturelles et jeunesse populaire. Turbulences ou médiations ?, Paris, L’Harmattan, collection Débats jeunesses, 2003, pp. 325-355.

34 François Dubet, Didier Lapeyronnie. Les quartiers d’exil, Paris, Seuil, collection L’épreuve des faits, 1992.

35 « Une particularité du rap, par rapport aux autres musiques contemporaines “jeunes”, réside dans la revendication de la paternité des lyrics par les artistes », affirme Sami Zegnani. (« Le rap comme activité scripturale : l'émergence d'un groupe illégitime de lettrés », Langage et société [en ligne], 4/2004, n° 110, pp. 65- 84. Consulté le 10 09 2014 : www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2004-4-page-65.htm. Les Lyrcis sont les paroles des chansons). Cependant, il semblerait que certains rappeurs, fassent parfois appel à des paroliers pour leur composer des textes, ou pour les aider sur un passage plus ou moins long. À ce propos, on peut consulter l’article de François Oulac, « Des paroles en vente pour rappeurs pas inspirés, la fin du hip-hop ? », Le Nouvel Observateur/Rue 89 Culture, 17 mars 2013, consulté le 26 octobre 2014 : http://rue89.nouvelobs.com/rue89- culture/2013/03/17/des-paroles-en-vente-pour-rappeurs-pas-inspires-la-fin-du-hip-hop-240151

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vivre (dans) les banlieues françaises et alimenteront de nombreuses recherches36. Les thèmes abordés par le rap sont variés. Y figurent en bonne place la ville, Babylone des temps modernes où règnent la corruption et l’injustice, les institutions dont les habitants des quartiers sont victimes, l’argent, à la fois tant critiqué et adulé, le racisme dont ces jeunes se sentent la cible. Le rap se caractérise par des accompagnements musicaux très particuliers permettant, à la manière afro-américaine, des associations voix-musique basées sur l’antiphonie, et réactualisés grâce aux techniques modernes (le sampling)37. Le rap se caractérise également par une agressivité verbale où se mêlent l’obscénité, la misogynie, la rivalité, mais aussi une grande créativité poétique.

Dans l’intérêt de cette recherche, l’élément essentiel à retenir à propos du rap est que, bien que considéré comme une musique actuelle et urbaine, il est tout entier traversé par un subtil « mariage » d’ancien et de nouveau, tant au niveau de la technique que des thèmes et des pratiques langagières.

Les diverses lectures et écoutes de chansons rap sur lesquelles s’est basée cette thèse, ainsi que les lectures d’ouvrages sur le sujet, ont mis en évidence trois aspects particulièrement intéressants. D’abord, l’expression quasi-permanente d’une relation très forte au territoire, qui se manifeste non seulement dans les phrases, mais aussi dans les noms que se donnent les rappeurs et dans leur manière même de verbaliser leurs récits et discours. Ensuite, la manifestation incessante de compétitions entre rappeurs sur fond d’auto-encensements et d’insultes. Là encore, on y constate une réappropriation et réactualisation de pratiques anciennes et traditionnelles (la fameuse insulte à la mère38, par exemple). Enfin, le rap trouve également son originalité dans un mélange de genres, tant au niveau de la technique que du

36 José-Louis Bocquet, Pierre-Adolphe Philippe, Rap ta France, Paris, Flammarion, 1997 ; Sébastien Barrio, Sociologie du rap français. État des lieux (2000 / 2006), thèse de doctorat en sociologie, Université Paris VIII, Vincennes / Saint-Denis, sous la direction de Monsieur le professeur Rémy Ponton, 2007 ; Jean Calio, Le rap, une réponse des banlieues ?, Lyon, Aléas ENTPE, collection Pour mémoire, 1998 ; Isabelle Marc Martinez, Le rap français : esthétique et poétique des textes (1990-1995), op.cit. ; Anthony Pécqueux, La politique incarnée du rap. Socio-anthropologie de la communication et de l’appropriation chansonnières, thèse de doctorat en sociologie, Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales, sous la direction de Monsieur le Professeur Jean- Louis Fabiani, 2003.

37 Christian Béthune, « Sites technologiques, panoramas sonores : les univers esthétiques du rap et de la musique techno », Volume ! La revue des musiques populaires [en ligne], n°1/2, 2002, pp. 43-58. Consulté le 04 septembre 2010 : http://volume.revues.org/2418. Le sampling, ou échantillonnage, fait référence à l’action de prélever des morceaux très courts (samples, ou échantillons) de chansons ou musiques pour les insérer dans un autre morceau musical au moyen d’un appareil appelé sampler, ou échantillonneur.

38 Cyril Vettorato, Un monde où l’on clashe : la joute verbale d’insulte dans la culture de rue, Paris, Archives Contemporaines Éditions, collection CEP, 2008 ; Altan Gokalp, « Les ilenti ou maudire son prochain en turc », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [en ligne], n° 103-104, juin 2004, pp. 223-249. Consulté le 10 juillet 2010 : http://remmm.revues.org/index1207.html

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vernaculaire. Ainsi, si les thèmes principaux sont essentiellement tournés vers la ville et la modernité, le rap se caractérise par mélange de pratiques anciennes et nouvelles, tant au niveau de l’instrumentalisation en elle-même (par exemple, le sampling ou la human beat box39) que de la mise en mots (réappropriation de vernaculaires déjà existants, comme, par exemple, le verlan ou l’argot40).

Une telle occurrence de pratiques intrinsèquement mêlées et faisant systématiquement référence à l’« ici » et l’« ailleurs », au « maintenant », mais aussi à un passé parfois révolu de longue date ne peut être le fruit du hasard ; il est évident qu’elle a une signification forte. Ce constat a servi de point de départ à la présente recherche.

Cependant, il restait toujours à comprendre en quoi l’identité du rap pouvait être utile dans l’appréhension des processus de construction identitaire adolescente. Si les ouvrages lus sur le rap n’avaient pas vocation à apporter des réponses pleinement satisfaisantes, ils ont toutefois apporté des pistes de réflexion permettant d’affiner le questionnement de départ.

Délimitation du sujet de recherche/problématique

Maintenant que la justification du choix du rap a été établie, il reste encore à expliquer le choix d’un travail sur l’adolescence, plutôt que l’enfance, par exemple. Ce travail se base sur l’hypothèse selon laquelle l’enfant ne se construit pas socialement. Cette affirmation, qui peut sembler péremptoire, nécessite derechef une explication. Certes, les prémices de sa construction identitaire sont en marche dès son plus âge car il ne vit pas seul mais dans un environnement social. Cependant, l’enfant n’a aucune prise sur les balises sociales qui se posent progressivement car elles sont uniquement le fait de l’adulte (sa famille, mais également la société dans laquelle il vit, notamment par l’intermédiaire de l’école). Pendant la période de l’enfance, le jeune est en totale imprégnation du contexte social dans lequel il

39 Christian Béthune, « Sites technologiques, panoramas sonores : les univers esthétiques du rap et de la musique techno », op.cit., et Le rap une esthétique hors la loi, op.cit. Ce que l’on appelle human beat box est en fait le corps humain dont on se sert pour produire des sons proches des percussions ou de la batterie.

40Louis-Jean Calvet, « Demandez le veul, ça vient de sortir ! », Le Français dans le monde, Paris, Hachette, n°

281, mai-juin 1996 ; Jean-Pierre Goudaillier, « De l'argot traditionnel au français contemporain des cités », La linguistique, volume 38, n° 1, 2002, pp. 5-24 ; Maé Pozas, « De remps, de reufs, et de reus : approximation au lexique de la famille dans le “langage jeune” » [en ligne], in La philologie française à la croisée de l’an 2000 : panorama linguistique et littéraire, Universidad de Granada, volume 2, 2000, pp. 95-103. Consulté le 10 mars 2012 : http://dialnet.unirioja.es/servlet/oaiart?codigo=1390507).

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baigne41, il n’est en aucun cas acteur de la manière dont son enfance se déroule. Socialement, il se construit par « imprégnation » et non par choix. Ce n’est qu’au moment de l’adolescence, moment où il se défait de sa carapace d’enfant pour revêtir celle de l’adulte qu’il s’apprête à devenir42, que le jeune devient apte à prendre de la distance avec la grille de structuration du monde dont il s’est imprégné. À ce moment, même s’il a encore besoin du guidage de l’adulte, il devient apte à commencer la construction de sa propre grille de compréhension du monde, apte à devenir auteur et acteur de sa vie43. Il le fera à travers des expériences et des situations multiples qui, même si elles ne se réaliseront pas toujours loin de son quartier et de son milieu d’origine, favoriseront néanmoins l’acquisition de dispositions44 distinctes de celles de ses camarades et/ou de sa fratrie.

Maintenant, il convient de savoir précisément ce que l’on entend par « le monde du rap » et « le monde du rap français ». Tout d’abord, au risque d’enfoncer des portes ouvertes, il est nécessaire de garder en tête que travailler sur la construction identitaire dans le rap français implique que l’on peut faire le même type de recherches dans d’autres mondes que celui du rap. Par définition, faire le choix d’un « terrain » d’observation élimine les autres choix possibles. Ce qui suppose que tous les adolescents ne se construisent pas de la même façon ou, tout du moins, que leurs processus de construction identitaire ne s’actualisent pas de la même façon selon les milieux sociaux auxquels ils appartiennent. En d’autres termes, et même si, pour des raisons de commodité, ce terme sera employé tout au long de cette thèse,

« l »’adolescent n’existe pas. Il n’existe pas UN adolescent type, mais autant d’adolescents que de jeunes concernés par cette période. Cette thèse sera l’occasion de vérifier que si les adolescents partagent des caractéristiques qui autorisent leur regroupement sous l’appellation

« adolescents », ils différent cependant de l’un à l’autre, et aussi d’un groupe d’adolescents à l’autre. Ce travail de recherche s’appuiera sur l’observation d’un groupe d’adolescents précis : ceux qui vivent en France et qui adhèrent tout d’abord au rap en règle générale, ensuite au rap français en particulier. Ceci concerne au premier chef les rappeurs eux-mêmes puisque la plupart d’entre eux sont entrés dans le rap en tout début d’adolescence, en général vers les douze-quatorze ans.

41 Jean-Claude Quentel, L’enfant, problème de genèse et d’histoire, op.cit.

42 Françoise Dolto, Catherine Dolto-Tolitch, Colette Percheminier, Paroles pour adolescents ou Le complexe du homard, Paris, Hatier, collection Le sens de la vie, 1990.

43 Jean-Claude Quentel, L’enfant, problème de genèse et d’histoire, op.cit.

44 Bernard Lahire, L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, op.cit.

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