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À propos de quelques concepts

2. L’espace, le territoire, le milieu

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Si cette partie prend comme point de départ la façon dont est verbalisée une certaine appropriation de certains territoires, son véritable but est d’aboutir à une proposition d’analyse du processus de construction sociale de l’être humain. Il s’agit de comprendre comment ce dernier s’inscrit dans de l’histoire en originant de l’espace-temps-milieu. Ceci nécessite au préalable une explication sur la manière dont il faudra entendre les concepts clefs convoqués dans cette thèse. À commencer par le concept de Personne lui-même. Tout ce travail s’appuyant sur la théorie de la Personne, il est nécessaire d’expliciter ce concept tel qu’il est entendu par la théorie de la médiation. D’autres choix auraient pu être faits mais mon appartenance au CIAHPS EA 2241 et, avant, au LAS EA 2241, dans lequel Jean Gagnepain exerçait, a largement induit ce choix, outre la pertinence conceptuelle qu’il peut présenter au regard de l’objet et du sujet d’étude de cette thèse. Par ailleurs, les divers concepts de territoire, d’espace, de temps, de milieu et d’histoire ont déjà été très souvent et très longuement étudiés dans différentes disciplines, et répondent parfois à des définitions différentes. Le parcours et l’époque dans lesquels sont inscrits les différents auteurs qui s’y sont intéressés les ont menés à en construire des définitions parfois très différentes les unes des autres. De la même façon que le territoire de l’un n’est pas le territoire de l’autre, les termes « temps » et « histoire » ne recouvrent pas les mêmes réalités d’un auteur à l’autre. En conséquence et avant toute chose, il paraît nécessaire de préciser sous quel angle chacun de ces concepts sera envisagé dans cette thèse.

Les quelques pages qui vont suivre ont donc pour but de préciser la façon dont il conviendra, tout au long de ce travail, d’entendre les termes évoqués précédemment. Il ne sera pas question ici d’établir une analyse exhaustive de tout ce qui a pu être écrit dans chacun de ces domaines, mais de s’appuyer sur les points de vue qui paraissent les plus pertinents pour éclairer les propos à venir.

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1. L’individu, le sujet, la Personne

Le concept de la Personne ne s’entend pas dans la théorie de la médiation comme il s’entend habituellement en sociologie ou en psychologie. De même, les concepts d’individu et

de sujet88 que l’on peut retrouver dans d’autres paradigmes correspondent eux aussi à des

définitions propres à cette théorie.

A la suite de Lacan, Jean Gagnepain parle de « délai entre la naissance naturelle et la

naissance sociale »89, envisageant cette dernière comme le moment où nous devenons

capables de prendre à notre compte notre propre inscription dans la société qui nous porte. C’est ce qu’il appelle l’émergence à la Personne, qui marque une rupture avec l’enfance et se situe approximativement, dans nos sociétés modernes occidentales, au moment de la puberté physiologique.

L’individu de la théorie de la médiation n’est pas celui des sociologues. Jean

Gagnepain reprend la définition du mot latin « individuus », « ce qui ne se divise pas »90 et

conçoit l’individu comme un être organique, indivis, une unité uniquement biologique.

Le sujet de Jean Gagnepain, quant à lui, n’est pas non plus celui des psychanalystes. Il est un être de nature, divisé en mâles et femelles, dont l’association sexuelle complémentaire permet la procréation, et dont la génitalité, c'est-à-dire la mise au monde et les soins assurés au petit jusqu’à sa maturation, permet la survie de l’espèce. De ce point de vue, Jean Gagnepain parle alors de sujet tant pour l’homme que pour l’animal. Cependant, si, comme l’animal, nous possédons un corps, celui-ci n’étant pas celui de l’animal, il peut « devenir véritablement le champ d’expérimentations de ce mode d’exister dépassant le mode d’exister

physiologique, sans pour autant quitter la biologie »91. Ainsi, grâce à l’acculturation de sa

relation naturelle au corps, l’homme devient capable d’intérioriser, de cumuler ce qui lui vient de son environnement. Cette acculturation de notre relation à notre corps, Jean Gagnepain l’appelle indifféremment somasie ou incorporation, tandis que Pierre Bourdieu l’appelle

88 Philippe Corcuff, Christian Le Bart, François De Singly (dir.), L’individu aujourd’hui. Débats sociologiques et

contrepoints philosophiques, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, collection Res Publica, 2010 ; Danilo

Martuccelli, « Qu’est-ce qu’une sociologie de l’individu moderne ? Pour quoi, pour qui, comment ? » [en ligne],

Sociologie et sociétés, volume 41, n° 1, 2009, p. 15-33. Consulté le 15 septembre 2015 :

http://www.erudit.org/revue/socsoc/2009/v41/n1/037905ar.pdf. ; François Dubet, Michel Wieviorka, Penser le

sujet. Autour d’Alain Touraine, Paris, Fayard, 1995.

89

Jean Gagnepain, Leçons d'introduction à la théorie de la médiation, op.cit., p. 123.

90 Op.cit., p. 23.

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« incorporation de l’histoire »92. C’est elle qui, par les frontières naturelles dont elle permet la

création, fait de l’individu biologique un sujet, le plaçant dans une sorte de permanence, quel que soit l’environnement dans lequel il se trouve en tant qu’individu. Autrement dit, le sujet ne fait qu’un avec son environnement immédiat. Cette approche n’est pas sans rappeler celle, aujourd’hui défendue par François Laplantine refusant de séparer le sujet de son corps, le

social du sensible93. Malgré l’apparente évidence du propos, il convient d’insister sur le fait

que la capacité d’incorporation nécessite d’avoir un corps qui nous permet d’opérer « une délimitation (…) à partir de laquelle la séparation de l'intérieur et de l'extérieur, du dedans et

du dehors devient possible »94. Jean-Claude Quentel rappelle que l’accès au corps est

précisément ce qui « fait défaut à l’enfant psychotique » qui, « ne pouvant incorporer, c'est-à-dire mettre véritablement des contours qui lui fourniraient un cadre d’appréhension de ce qu’il

rencontre autour de lui »95, se trouve dans l’incapacité de cumuler les informations.

L’incorporation, que Jean-Luc Brackelaire appelle encore le « permanêtre »96 fait donc

référence au « processus de mise en dedans de ce qui se donne à vivre au dehors, ou encore d’aménagement constant de ce que l’on est à partir de ce qui se passe et qui nous implique,

pour continuer, pour progresser »97. Ainsi, c’est par le corps que nous nous familiarisons avec

notre environnement, que nous reconnaissons l’étrangeté d’un environnement inconnu. C’est lui qui nous rend capables d’« organiser le monde en situation, l’établir et donc s’établir à

chaque fois, dans toutes ses coordonnées d’espace, de temps et de milieu »98. Le soma est

donc un processus de mise en situation qui assure le passage de l’individu organique au sujet autonome. En d’autres termes, l’accès au soma permet au sujet d’être présent à l’extérieur de lui-même.

Le concept de Personne99, tel que l’entend la théorie de la médiation, ne fait pas

référence à la personne de chair et d’os telle qu’on la conçoit habituellement, mais au principe

92 Pierre Bourdieu, Le sens pratique, Les Éditions de Minuit, collection Le sens commun, 1980.

93 François Laplantine, Le social et le sensible, introduction à une anthropologie modale, Paris, Téraèdre, collection L’anthropologie au coin de la rue, 2005.

94 Jean-Claude Quentel, L’enfant. Problèmes de genèse et d’histoire, op.cit., p.237.

95 Ibid.

96 Jean-Luc Brackelaire, « Le corps en personne … à la frontière naturelle de la sociologie », La personne et la

société. Principes et changements de l’identité et de la responsabilité, Bruxelles, De Boeck-Université,

collection Raisonnances, 1995, p. 152.

97 Ibid.

98 Op.cit., p. 116.

99 À l’exception des citations, le terme « Personne » sera écrit dans ce travail avec une majuscule lorsqu’il fera référence au principe d’analyse tel qu’entendu par la théorie de la médiation. La « personne », tout en minuscules fera référence à l’être humain fait de chair et d’os (encore que par moments la distinction ne sera pas toujours évidente).

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d’analyse par lequel l’homme médiatise le monde. Cette théorie entend par « analyse » l‘ensemble des « mécanismes abstraits par lesquels nous structurons le monde

implicitement »100. Ceci est possible parce que l’homme est capable de nier ses frontières

naturelles de sujet, de les dépasser, pour s’abstraire de la situation immédiate dans laquelle il est confiné. Mais l’homme n’échappe à lui-même que pour mieux y revenir en tant que « Personne » capable de médiatiser son monde. On reconnaît ici l’héritage allemand : Hegel en son temps postulait déjà que l’esprit avait la capacité de sortir de soi, de son immédiateté,

de la renier, pour revenir à soi dans un mouvement de médiation101. Émerger à la Personne,

c’est donc émerger à la capacité d’abstraction. Si Jean Gagnepain distingue nature et culture, il ne plaide cependant pas en faveur d’une distinction trop radicale qui séparerait totalement la Personne du sujet. « Il n’est pas de personne sans sujet », dit-il, car « nous ne pouvons faire

l’économie de ce qu’est l’insertion de la culture dans le corps »102. En d’autres termes, bien

qu’il y ait toujours en chacun de nous à la fois du sujet et de la Personne, cette dernière ne peut avoir les limites temporelles, spatiales ou de milieu du sujet ; émerger à la Personne c’est émerger au social, c'est-à-dire devenir capable d’analyser implicitement – Jean Gagnepain

parle alors de « récapitulation »103 – le temps, l’espace et le milieu qui sont donnés

naturellement au sujet pour en faire de l’histoire. Pour redire les « choses » en quelques mots, émerger à la Personne c’est re-traiter socialement la nature qui est en nous.

C’est au moment de l’émergence à la Personne que nous devenons capables d’origination, c'est-à-dire que nous devenons capables de commencer à construire notre histoire personnelle en lui donnant un point de départ. Le moment de l’origination correspond à ce moment où l’être humain, en émergeant à la capacité de Personne, quitte l’enfance et devient apte à entrer dans de la relation sociale avec l’Autre par la reconnaissance de cet

Autre104, créant ainsi de l’histoire sociale. Il s’agit du moment où il lui est possible de vivre et

d’« écrire » sa propre histoire, prenant alors sa vie en charge. Contrairement à l’enfant, il en

100

Jean-Luc Brackelaire, « La personne en échange », La personne et la société, op.cit, p.177. Le terme « implicite » étant synonyme, pour la théorie de la médiation, d’« inconscient ».

101 Georg Wilhelm Friedrich Hegel, La raison dans l’histoire, Paris, UGE, collection 10/18, 1988 [1965], p. 78. Voir aussi, du même auteur, Phénoménologie de l’esprit, Paris, Gallimard, collection Bibliothèque de la philosophie, 1993 [1807].

102 Jean Gagnepain, Séminaire Histoire, op.cit., p. 11.

103 Op.cit., p. 10.

104 L’Autre ne fait pas ici référence au grand Autre de Jacques Lacan. L’autre de la théorie de la médiation ne relève pas du domaine de la psychanalyse, mais du social, et désigne l’être humain dans ce que le principe abstrait de négativité le fait exister comme un être unique et différent parmi les autres. Au cours de ce travail de thèse, cet Autre sera toujours écrit avec une majuscule, afin de le distinguer de l’autre en tant qu’être humain uniquement.

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prend la responsabilité en assumant ses choix et ses actes. Émerger à la capacité de Personne revient donc à émerger à la capacité d’être auteur et acteur de sa vie. La définition de la Personne donnée par Jean Gagnepain présente des points communs avec celle du sujet donnée

par Michel Wieviorka105. Pour ce dernier, le sujet est également « une catégorie abstraite »106,

« la capacité de se construire soi-même, de procéder à des choix, de produire sa propre

existence »107, ce qui implique la « capacité de s’engager, et donc, tout aussi bien, de se

dégager »108. Pour autant, il n’est pas question d’envisager le sujet comme « un électron libre,

dont la trajectoire échapperait à toute contrainte, à toute norme »109, bien au contraire ! Selon

l’auteur, « il n’est de sujet que dans la reconnaissance du sujet chez l’Autre, dans

l’acceptation de l’altérité (…) que dans la capacité à vivre des relations »110. En revanche,

contrairement à Michel Wieviorka qui oppose le sujet au non-sujet et à l’anti-sujet111, chez

Jean Gagnepain il n’est nullement question de non-Personne, ni d’anti-Personne, mais de pathologies de la Personne que l’on pourrait résumer sous l’appellation « pannes de la Personne ».

Pour commencer à se construire socialement, l’être humain doit se constituer comme le point d’origine de son histoire, c'est-à-dire son point de départ absolu, en se donnant l’espace, le temps et le milieu. Ceci lui est rendu possible par la capacité à l’abstraction à laquelle il émerge en émergeant à la capacité de Personne. Cette capacité le rend à même de créer de l’Autre en lui-même, le rendant ainsi capable d’entrer en permanence dans de nouvelles relations. Elle permet donc à l’être humain d’être plusieurs en un, d’être un

« homme pluriel » 112 dirait Bernard Lahire, ayant fait maintes expériences et acquis diverses

dispositions dans des univers sociaux distincts. Si l’on fait exception des cas de pathologie, la personne sociale ne se réduit donc jamais à une seule relation, pas plus qu’elle ne se réduit à ce qu’elle est à un moment donné, ce qui ouvre la possibilité d’entrer en permanence dans de nouveaux échanges. Ce raisonnement fait dire à Jean Gagnepain que la Personne peut se

105

Michel Wieviorka, « Pour comprendre la violence : l’hypothèse du sujet », Sociedade e Estado [en ligne], volume 19, n°1, janvier-juin 2004, pp. 21-51. Consulté le 20 mai 2014 : http://www.scielo.br/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0102-69922004000100003 106 Op. cit., p. 24. 107 Op. cit., p. 23. 108 Ibid. 109 Ibid. 110 Ibid.

111 Michel Wieviorka, « Du concept de sujet à celui de subjectivation/dé-subjectivation » [en ligne], Fondation Maison des Sciences de l’Homme, n° 16, juillet 2012. Consulté le 20 octobre 2014 : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00717835/document

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constituer en « faisceau de relations »113. Parce que nous sommes capables de nous abstraire

d’une relation nous sommes capables, non plus de subir des relations, comme c’est le cas pour

l’enfant114, mais de les construire au fur et à mesure des rencontres que nous faisons. Par notre

capacité à nous abstraire de la situation du moment, nous pouvons toujours créer d’autres situations. Ainsi, on peut dire de l’être social qu’« en même temps qu’il est présent, il est donc absent, une partie de lui-même étant prête à s’investir dans d’autres relations dans lesquelles il

se situera différemment de ce qu’il donne à voir dans celle-là »115. Nous sommes donc

socialement constitués de multiples « facettes » qui entrent en jeu chacune à des moments différents de notre vie quotidienne, selon les situations et les personnes avec lesquelles nous entrons en relation.

Ceci explique que nous ne sommes jamais les mêmes toujours et partout, et que nous varions, nous nous modifions à chaque fois que la situation se modifie. Chaque situation que nous vivons au cours de notre journée nous amène à changer notre position, notre façon de parler, ainsi que nos propos. On peut dire que l’être humain peut être plusieurs fois différent au cours d’une même journée, tout en restant le même malgré tout. Ainsi, dans une seule journée, je peux être, par exemple, professeur d’anglais, mère, sœur, amie ou voisine. Par contre, lorsque je suis professeur d’anglais, je ne suis ni mère, ni sœur, ni amie, ni voisine. Par ailleurs, je suis professeur d’anglais, et non de français, de maths, ou autres. Enfin, lorsque je suis professeur en cours avec ma classe de CAP, je ne suis pas en cours avec une autre classe. Autant de paramètres qui conditionnent évidemment mon enseignement, mais aussi mes relations avec mes classes. De plus, à 10 heures, lorsque je vais rejoindre mes collègues dans la salle des professeurs, je suis encore une autre et, quand je rentre chez moi le soir, c’est encore une nouvelle « facette » de ma personne qui se donne à voir. Il en va de même pour mes élèves, qui sans être totalement différents, ne sont pas les mêmes lorsqu’ils discutent avec moi, avec d’autres enseignants, avec leurs camarades d’école, leurs frères et sœurs, ou leurs parents. Certes, les espaces sociaux sont moins imperméables qu’ils paraissent et l’une ou l’autre position sociale n’est pas sans influencer les autres. Chacun des « autres soi », c'est-à-dire chacune des « facettes » de la personne, se donne à voir par des usages, entre autres

113 Jean Gagnepain, Mes Parlements. Du récit au discours. Propos sur l'histoire et le droit, Bruxelles, De Boeck Université, collection Raisonnances, 1994, p.21.

114 Voir, dans le présent travail, le passage sur l’enfant, pp. 387-393.

115

Jean-Claude Quentel, L’adolescence aux marges du social, Bruxelles, éditions Fabert, Yapaka [édition électronique], collection « Temps d’Arrêt/Lectures », n° 49, 2011. Consulté le 27 avril 2011 : http://www.yapaka.be/files/publication/TA_49_Ladolescence_aux_marges_du_social_internet.pdf, p. 35.

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langagiers116, différents. Il est bien évident que l’enseignant ne parle pas à ses élèves de la même façon qu’il parle à ses amis ou à sa famille. Il n’a pas non plus la même façon de se tenir à l’école et chez lui, pas plus qu’il n’a la même façon de s’habiller selon ce qu’il fait de son temps libre ou lorsqu’il est au travail.

Par notre capacité à l’abstraction, nous créons de l’absence, ce qui nous permet d’être là sans y être vraiment. Ainsi, il n’est pas rare du tout de se trouver physiquement présent dans un groupe et de ne pas participer à la conversation parce que nous sommes ailleurs par la pensée. Des élèves peuvent être physiquement présents dans la classe, tout en s’en étant « évadés » pour finalement se retrouver à des kilomètres de la classe, voire même à des années du moment présent. Par ailleurs, même lorsque nous sommes « là », avec l’interlocuteur, nous n’y sommes jamais pleinement, puisque nous sommes capables, au cours d’un échange, de faire référence à des situations qui convoquent d’autres espaces, d’autres temps et d’autres milieux. Notre capacité à l’abstraction nous empêche donc d’être totalement dans la situation immédiate :

« En effet, faire de l’histoire suppose à la fois un déplacement dans le temps et son annulation. De même, la géographie implique un mouvement dans l’espace dans le moment même où rien ne bouge. L’être doit garder une certaine forme de stabilité tout en vivant le changement. Seule la conjonction de l’un et de l’autre autorise la création des espaces et des moments, sur lesquels le réel va se déployer. Et dans la mesure où il s’agit en définitive d’être à la fois ailleurs, en un autre lieu, ou en un autre temps, tout en demeurant là, c'est-à-dire en rapport à soi-même,

l’abstraction de la personne est requise. »117

Ainsi, ne pas être réductible à soi-même revient à ne pas être réductible à un « ici », à un « maintenant » et, par conséquent, à ne pas être non plus réductible à ce qu’est l’Autre. « Je ne suis que de n’être pas l’Autre et sa seule réalité à lui est de m’avoir permis

d’exister »118, dit Jean Gagnepain, qui en conclut que « nous ne sommes donc rien les uns

sans les autres »119. Ici encore, l’héritage hégélien se fait sentir : en se dessaisissant de lui-même, l’esprit crée une scission en lui-lui-même, se rendant alors capable de créer de la négation,

116 Ce qui fait dire à Jean Gagnepain, réfutant ainsi le postulat de Ferdinand de Saussure, que ce n’est pas le signe qui est arbitraire, mais la langue – entendue comme traitement social du langage –, donc la Personne.