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Article pp.41-52 du Vol.8 n°1 (2010)

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Texte intégral

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à distance par les radios locales

Le cas du Mali

Christiane Sanou* — Alexis Dembele**

* Université de Montpellier 3 2, Impasse Saint Ursule F-34500, Béziers, France christi_sanou@yahoo.fr

** Université de Fribourg Boulevard de Pérolles 90 CH – Fribourg 1700, Suisse zufodembele@yahoo.fr

RÉSUMÉ. Comment transmettre aux acteurs de l’information radiophonique les techniques de traitement du savoir local afin qu’il parvienne à des populations pratiquantes de la communication orale ? Quel est l’impact des structures permettant la généralisation des TIC dans les sociétés d’oralité ? Nos interrogations visent à réfléchir sur les productions et les usages des savoirs par les radios locales dont une des préoccupations est de contribuer au développement par les médias. A partir de l’expérience des Centres locaux d’information et de communication (CLIC) et des Centres multimédias communautaires (CMC) au Mali, nous proposons d’identifier les interactions des nouvelles technologies sur les pratiques de sociétés qui paraissaient jusque-là peu réceptives à ces nouveaux moyens de partage du savoir.

ABSTRACT. How to enable the practitioners of radio information to use techniques for the treatment of local knowledge so that it reaches populations practicing oral communication?

What is the impact of the structures allowing generalization of ICT on societies relying solely on oral communication? Our interrogations aim at reflecting on the productions and the uses of knowledge by the local radios concerned by the development through the media. From the experiment of the local Centers of information and communication and Community Centers multimedia in Mali, we propose to identify the interactions of ICT on the practices of societies who, up to now, appeared not to be very receptive with these new means of dissemination of knowledge.

MOTS-CLÉS: Afrique, appropriations, usages, savoirs, oralité, productions, langues.

KEYWORDS: Africa, appropriations, uses, knowledge, orality, productions, languages.

DOI:10.3166/DS.8.41-52 © Cned/Lavoisier 2010

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Comment entreprendre la formation à distance lorsque les lignes de téléphone sont rares et que l’accès à internet est le privilège de quelques personnes résidant en ville ? Dans certains pays d’Afrique comme au Mali, des projets-pilotes tentent de résoudre une telle interrogation à travers des centres multimédias où la radio de proximité joue un rôle prépondérant. Dans ces sociétés d’oralité, l’un des fondements du vivre et du faire ensemble est la mise en commun par la communauté humaine des expériences des individus qui la composent. Il s’agit de transmettre le savoir faire d’une génération à une autre par les multiples chemins qui composent la tradition. Celle-ci se trouve confrontée à l’évolution des modes de transmission et cherche parfois à s’exprimer au travers des nouvelles technologies. Un exercice qui doit interroger les nouvelles pratiques de partage du savoir et identifier les limites possibles. L’expansion rapide de la radio et son usage particulier lorsqu’elle s’entoure de technologies (internet, machines de reprographies, téléphone, etc.) constituent des phénomènes innovants en Afrique dont l’analyse retient ici notre attention. Au Mali, ils se présentent sous deux formes : les centres locaux d’information et de communication (CLIC) et les centres multimédias de communication (CMC). Ces centres se définissent tous comme des initiatives voulant favoriser la production et la diffusion du savoir local. Dans cet article, nous tentons de voir comment l’organisation de ces centres permet, par la formation à distance, l’accès au savoir d’un plus grand nombre de citoyens. Autre interrogation : quel est le rôle des professionnels de l’information dans cet espace en mutation ? Si l’implication des communautés bénéficiaires locales dans le dispositif semble complexe parce que marquée par des jeux de pouvoir autour du contrôle de l’accès aux TIC, quelle médiation peut être mise en œuvre pour aplanir de telles difficultés ? Ce sont quelques pistes pour explorer le vaste champ de la réception des nouvelles technologies et la transmission des savoirs dans les sociétés orales. Pour définir la notion de société orale, on peut partir du topique dualiste qui la réfère négativement à l’écriture ; ce serait donc une société sans écriture. Dans le cas qui nous concerne, il s’agit d’une société qui, pour s’exprimer et se dire culturellement, privilégie la parole, la langue et le style oraux (Mamoussé Diagne, 2005, p. 11-18).

Notre démarche comporte trois points. D’abord, nous évoquons le contexte des TIC en Afrique et particulièrement au Mali où les radios communautaires ont connu depuis 1991 une explosion phénoménale. Ensuite, il s’agira d’identifier les espaces d’application et d’appropriation des TIC en vue d’un développement durable. Enfin, nous montrons en quoi les diverses productions du savoir local profitent aux réseaux devenus proches. Il s’agit, à chaque étape, d’interroger les préoccupations et les implications des acteurs-bénéficiaires. Mais aussi de « dévoiler » les stratégies d’organisations (publiques ou privées) pour permettre qu’une telle prise de parole contribue à accroître les capacités pour un développement durable.

Contextes

Pays enclavé de l’Afrique de l’Ouest, le Mali couvre une superficie de 1 240 000 km2 et compte 14 millions d’habitants. Jusqu’en 1991 la couverture

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médiatique se limitait à une radio nationale d’Etat, quelques périodiques imprimés, et une télévision dont le rayonnement se réduisait à quelques grandes villes. Depuis deux décennies, une série d’évènements politiques et des mutations sociales ont permis de mettre en place des structures de communication accessibles au plus grand nombre. On compte en 2009 plus de 300 radios locales autorisées, une centaine de publications quotidiennes ou périodiques. Les technologies de l’information et de la communication, depuis une décennie, appuient par leurs variétés ces changements.

Ainsi, la téléphonie et l’accès à internet, malgré un pouvoir d’achat encore faible, marquent d’année en année des progrès sensibles. C’est dans un tel contexte que s’installent petit à petit dans plusieurs localités – certes à titre expérimental encore – les CLIC (Centres locaux d’information et de communication et les CMC (Centres multimédias de communication). Il s’agit de deux concepts complémentaires de communication et de production du savoir. Ils fonctionnent comme des outils de développement capables de contribuer à l’acquisition de connaissances extérieures et au partage du savoir local. (Dembele, 2008 :83-106).

Dans « Communication pour le développement » (2008), Jean-Paul Lafrance, appelant à la nécessité de modèles africains des NTIC, nous apprend que la révolution en la matière n’est pas venue du côté où on l’attendait le plus, à savoir par l’internet et par l’ordinateur. En Afrique, elle passe par « la radio et le mobile » car souligne le chercheur canadien : « Les Africains ont d’abord et avant tout une culture de l’oralité » (Kiyindou, 2008 :156). Jean-Paul Lafrance ne pouvait pas mieux sentir les caractéristiques des sociétés d’oralité. En effet, le média radio y a fait une percée1. La radio était autrefois un moyen de communication unidirectionnel qui informait. Avec la multiplication des stations2 ainsi que l’installation des TIC dans le paysage médiatique, les services de communication qui sont aujourd’hui offerts donnent du champ à l’interactivité, aux échanges, au débat contradictoire, à la multi- expertise même. Il reste que pour beaucoup d’Africains, le maniement de la parole et l’art de communiquer en situation réelle constituent les piliers d’une bonne transmission. Au Mali, les CLIC et les CMC se présentent alors comme des espaces d’échanges et d’appropriation des savoirs. En deux mouvements, portons un regard croisé sur ce mariage entre TIC et oralité.

Comme première trajectoire, voyons ce qui caractérise les CLIC. Ils fonctionnent à titre expérimental dans treize localités dont 85 % se situent en milieu rural ou semi- rural. L’idée vient de la volonté des pouvoirs publics de desservir les communautés éloignées des centres urbains moyens modernes de communication. Le projet est né d’un partenariat entre l’USAID3 et le gouvernement du Mali. Sa mise en œuvre relève

1. On se référera aux écrits de André-Jean Tudesq. Mentionnons ici L’Afrique parle, l’Afrique écoute, Paris, Karthala, 2002.

2. Comme au Mali, les stations de radios se sont multipliées : 120 au Ghana, plus de 150 en Ouganda, 450 en Afrique du Sud. Source : http://www.mediafrica.net/Cadres.asp?numlg=1 3. United States Agency for International Development : c’est l’agence des Etats-Unis pour le développement international. Cette instance, indépendante du gouvernement des Etats-Unis, mène des activités de développement économique, de promotion de la démocratie et

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d’une société à envergure continentale dénommée Afrikalinks. Les structures locales retenues pour l’installation des centres sont des mairies, des stations de radios locales, des instituts de formation des maîtres (IFM) ou encore des offices de développement agricole. Un des objectifs poursuivis consiste en la démystification des TIC mais également l’accès à ces derniers par des populations des zones. Concrètement, les CLIC veulent d’une part, contribuer au développement local en offrant aux bénéficiaires la possibilité d’améliorer leur savoir et, d’autre part, mettre à disposition une gamme très variée d’informations provenant des sites web. Chaque centre est doté d’équipements informatiques, de logiciels et d’une connexion à internet. Il dispose de matériels didactiques sur support CD, DVD et cassettes-audio. En ce qui concerne la partie radiophonique, une équipe d’animateurs et de journalistes formés réalisent la production et la diffusion des émissions dont plus de 95 % sont dans les langues locales. Quelques membres de ce personnel ont suivi une formation et contribuent efficacement au développement de contenus qui tiennent compte des réalités maliennes.

Donc en tenant compte des besoins du milieu des auditeurs.

Faut-il déduire que ce savant dosage entre moyens technologiques et productions de savoirs permet d’accéder aux informations externes, de revisiter en le mettant en valeur le patrimoine local ? Dans le centre de Djenné (550 km au nord de Bamako, capitale du Mali) par exemple, comme en témoigne son directeur : « Dans la section radio, l’émission destinée au monde rural, fournit aux paysans les informations nécessaires suivant les saisons : préparation des champs, sélection des semences, étalage du fumier, dispositifs à prendre avant les semailles, etc. C’est un véritable calendrier agricole que nous proposons à travers des interviews, des témoignages, des conseils d’agents techniques »4. Le feed-back de tels programmes suscite souvent des discussions dans les communautés. Il s’agit d’accroître l’efficacité de la radio comme outil de communication interactif en matière de développement et surtout d’être plus proche des auditeurs. Dans la majeure partie des cas, les paysans se rendent compte des avantages à tirer de l’écoute des émissions. C’est ainsi que selon les responsables d’une autre station de radio à Bandiagara sur le plateau dogon au nord-est de la capitale, l’introduction de nouvelles variétés de semences de mil a fait l’objet de débats pendant trois ans sur les antennes. Quels avantages et quelles inconvénients à introduire une variété jusque là inconnue dans la zone en question ? Pourquoi l’introduire ? Comment la cultiver ? Ce sont autant de questions dont le débat n’a pu faire l’économie. Curieux d’apprendre de nouvelles méthodes plus productives médiatisées par la radio, les paysans viennent à échanger les informations entre eux. L’équipe de la radio, grâce aux renseignements puisés sur les sites internet et avec l’intervention d’agents locaux spécialisés en agriculture, apporte de multiples solutions ou donnent des conseils appropriés.

Certes, les nouvelles technologies contribuent à l’amélioration de l’interactivité de la radio. Elles facilitent la formation à distance comme le laisse comprendre le jingle d’assistance humanitaire. Son équivalent en France serait l’AFD (Agence française de développement).

4. Entretien avec Levy Dougnon, Directeur Radio Jamana, Djenné, 20 décembre 2008.

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d’une station locale au Mali : « Avec nous, chaque jour, l’oreille va en brousse et vous rapporte du nouveau5 ». Le slogan fait allusion à un apprentissage permanent, quel que soit le lieu où l’on se trouve. Cependant, trois soucis majeurs doivent être signalés dans la gestion des CLIC. Ce sont principalement l’entretien et la gestion des équipements, la formation des techniciens de maintenance et enfin le renouvellement des machines.

Car la durabilité de ce type de développement reste un enjeu majeur pour les sociétés orales dont nous parlons ici. Il semble qu’une planification minutieuse des activités de formation et l’achat d’équipements appropriés au contexte suppose une implication des communautés bénéficiaires. De cette manière, les stations et les publics peuvent ainsi tirer le meilleur parti du dispositif sur un long terme.

N° Sites Institutions hôtes Nom local 01 Bamako Ecole Communautaire de

Daoudabougou

Yeelen so (La Maison de la lumière) 02 Bandiagara Mairie de Bandiagara

Kibel guiné (La maison de la connaissance) 03 Bougoula Mairie de Safé Bougoula

Sanè kunafoniso (La maison de l’information agricole) 04 Bougouni Mairie de Bougouni Kunafoni jakatu

(Nouvelles du Jakatu) 05 Djenné Radio Jamana Pinal (L’Eveil) 06 Gao Institut de Formation des

Maitres

Bayray Fondaa (Le chemin du savoir)

07 Kadiolo Radio Folona Kacème

08 Kidal Mairie de Kidal Assehar-n-musnat-d- aselmad

09 Kangaba IFM Mandé

10 Macina Office du Niger Kodon bulon (Le vestibule des sagesses)

11 Mopti Action Mopti Fooyrê andal

12 Ouelessébougou OHVN Donniso (La maison

du savoir)

13 Ségou ASDAP

Donniya bulon (Le vestibule de la connaissance) Sources : Archives, UNESC0-Mali, Bamako, décembre 2005

Tableau 1. Les Centres locaux d’information et de communication au Mali

5. Radio Parana, San, Mali.

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Lorsque nous observons les dénominations que se donnent eux-mêmes les CLIC (voir tableau 1), elles sous-entendent une certaine volonté de mise en valeur d’un patrimoine capable de valoriser le savoir tant souhaité par les instances culturelles internationales6. Comme le suggère les noms de ces sites recensés au Mali, la relation entre information, connaissance et savoir transparaît de manière effective.

Ainsi, le centre de Bougoula s’appelle Sanè kunafoniso ou « La maison de l’information agricole » ; le nom de Bayray Fondaa qui signifie en langue sonrai

« Le Chemin du savoir » ; à Djenné, Pinal en fulfulde autrement dit « L’Eveil » ; ou encore à Bandiagara Kibel guiné dans la langue dogon se traduit par « Maison de la connaissance ».

Au-delà des aspects linguistiques significatifs dans la situation d’oralité et d’analphabétisme7, il s’agit de susciter l’intérêt des différentes couches socioprofessionnelles dans l’utilisation des informations disponibles pour le développement de leurs activités. Il faut également donner aux jeunes à découvrir les opportunités offertes par les nouveaux moyens de communication. C’est en même temps une façon simple pour exprimer deux nécessités : convaincre de l’utilité immédiate des TIC ; améliorer le mode de vie sur la durée. Pour ce faire, il n’y a rien de plus efficace que donner aux populations les opportunités de voir, toucher et manipuler les machines. Par ailleurs, dans les cadres auxquels nous nous référons ici, les technologies dans la société d’oralité sont souvent considérées comme des

« raccourcis » tout comme le laisse entendre cette appréciation d’un de nos enquêtés : « Les TIC permettent de mieux faire ce que nous savons déjà faire et d’apprendre à bien faire ce que nous ne savons pas encore faire ».

Une telle compréhension s’élucide encore davantage avec notre deuxième trajectoire, celle du concept des Centres multimédias communautaires (CMC) qui ont été développés par l’UNESCO dans plusieurs pays d’Afrique, notamment au Sénégal, au Mozambique et Mali8. L’idée originale fut lancée en janvier 2001 à l’occasion d’un séminaire UNESCO à Kothmalé au Sri Lanka (Asie méridionale au Sud-Est de l’Inde). Elle porte deux préoccupations essentielles en matière de partage du savoir à distance : la formation aux TIC et la production de contenus par les TIC.

Autres objectifs ? Il s’agit de contribuer au réseautage et au renforcement des

6. PNUD, Rapport mondial sur le développement humain 2004. La liberté culturelle dans un monde diversifié, p. 60-64. http://hdr.undp.org/en/media/hdr04_fr_complete.pdf

7. Selon l’UNESCO, la définition ancienne de l’analphabétisme, est l’incapacité de lire et d’écrire. Cette notion a beaucoup évolué. Nous comprenons ici par analphabétisme le fait de n’avoir jamais été scolarisé. Dans le cas du Mali, est donc analphabète toute personne qui n’a jamais été scolarisée même si elle sait lire et écrire. En nous référant à une enquête de l’UNESCO réalisée dans 105 pays entre 1993 et 2004 et dont l’objectif était de déterminer les différentes définitions nationales, environ 80 % des pays définissent l’analphabétisme comme la « capacité de lire et/ou d’écrire un énoncé simple dans une langue nationale ou langue autochtone ».

8. Au cours du Sommet mondial de la société de l’information (SMSI) en décembre 2003 à Genève, ces trois pays d’Afrique ont été officiellement désignés pour la phase expérimentale.

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activités centrées sur la mutualisation des ressources. En outre, l’on travaillera à développer des applications endogènes en usant des langues vernaculaires. Tout comme le CLIC, le CMC est associé à une radio communautaire9. Il comporte en plus un télécentre disposant d’ordinateurs avec accès internet, du téléphone et d’autres services additionnels tels que le fax, la photocopie, l’imagerie numérique, le scanning et un espace réservé à la formation. Les CMC sont installés de préférence dans des zones rurales. Ainsi, par l’utilisation combinée des médias ordinaires et de pointe les promoteurs du projet, en l’occurrence les représentations nationales de l’UNESCO, entendent aider les populations défavorisées à surmonter les obstacles ordinaires de l’accès aux technologies et combler le fossé numérique10. Celui-ci ne divise pas seulement les pays du Nord et du Sud ; il se dresse entre la ville et la campagne, entre les lettrés et les analphabètes, entre les hommes et les femmes dans l’accès au savoir. Une enquête sur la fréquentation (voir tableau 2) démontre une certaine adhésion au concept de télécentre comme lieu d’apprentissage et de formation à distance. Nous devons relever en même temps quelques paradoxes.

N° Sites Institutions hôtes Fréquentations

Hommes Femmes

01 Dioila Radio Jamako 276 54

02 Douantza Radio Daandè 102 63

03 Gao Radio Nataa 76 69

04 Koro Radio Orona 67 7

05 Koutiala Radio Jamana - -

06 Markala Radio Jamakan 43 21

07 Niéna Radio Teriya - -

08 Niono Radio Céssiri 63 9

09 Ségou Radio Fòkò 212 198

10 Yanfolila Radio Wassoulou 216 40

Sources : Archives USAID/HKI, Bamako, Avril 2006

Tableau 2. Fréquentation par sexe des CMC pour le mois d’avril 2006

9. Le CMC de Koutiala a été le premier créé au Mali et joue un rôle.

10. La fracture numérique constitue une pomme de discorde (Dembele, 2008, p. 120). A sa manière, le président malien Amadou Toumani Touré, déclarait : « Dans la société de l’information à bâtir, l’Afrique entend préserver son âme, son identité, ses valeurs. Nous avons conscience que la fracture numérique ne sépare pas seulement le Nord et le Sud. Elle divise aussi à l’intérieur de nos propres Etats. Elle différencie les villes des campagnes et exclut les moins nantis. Nous devons combler les lacunes internes » (Discours du 10 décembre 2003 au SMSI). Source : http : www.itu.int/wsis/geneva/coverage /statements /mali /ml-fr.doc

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En effet, au terme d’une année de fonctionnement, les dix centres enquêtés ont permis la création de 40 emplois permanents. On y a développé plus de 300 pages web et l’ensemble des sites revendique 62 000 visiteurs. Côté formation, 445 personnes ont reçu une initiation en gestion de télécentre au cours de 30 sessions ; 785 autres ont bénéficié d’une formation en bureautique. L’affluence des femmes est tout aussi remarquable11. Dans un des centres, leur taux de fréquentation atteint 15 %, signe d’une volonté manifeste de se former et d’en tirer profit.

Cette enquête souligne ce qui fait la particularité du CMC : l’offre des services de proximité (téléphonie, télécopie, reprographie, chargement de batteries, etc.).

C’est dire que rapprocher les moyens technologiques des usagers fonde la philosophie des centres. Une des conséquences sera de favoriser l’usage et l’appropriation : « Cette synergie devrait offrir des outils de base permettant d’initier, de gérer le développement et les changements auprès des populations bénéficiaires. Le CMC cherche à renforcer l’acquisition de capacités et de compétences des auditeurs déjà habitués au média radio » (Dembele, 2008 :93-94).

L’objectif poursuivi est non seulement de favoriser l’accès communautaire aux nouvelles technologies pour l’information et la communication mais aussi de permettre aux animateurs d’une radio d’enrichir le contenu des émissions par des informations tirées des sites internet.

Enjeux des appropriations

L’étude des contextes où évoluent les espaces d’échanges et d’appropriation des savoirs que sont les CLIC et les CMC révèlent plusieurs enjeux pour la mise en valeur du savoir local. On ne saurait passer sous silence les nombreux problèmes auxquels le dispositif radio+technologies+bénéficiaires se trouve ainsi confronté.

D’abord, la pauvreté et le manque de sources d’énergie en milieu rural empêchent l’accès aux ressources d’information et de communication. Mais à l’heure de la mondialisation et en considérant la vitesse appréciable avec laquelle les TIC remplissent les espaces reculés du continent africain – l’exemple de la téléphonie mobile12 le montre à souhait – s’agirait-il encore d’un « privilège » ? Il n’en demeure pas moins qu’en l’état actuel des choses, d’autres domaines comme l’internet, affichent des coûts de connexions permanentes trop élevés, même si la tendance va vers une diminution progressive.

11. Voir l’article de Sylvie Niombo Ngouémé, « La contribution des télécentres à l’autonomisation des femmes », Communication pour le développement, 2008, p. 195-205.

L’auteure, en partant du cas du Congo, note un phénomène qui n’est qu’à ses débuts et conclut que les TIC « représentent assurément le moyen le plus rapide par lequel les femmes congolaises peuvent avoir accès, utiliser et s’approprier les TIC même dans les zones les plus enclavées »

12. Cheneau-Loquay A., 2000.

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Ensuite, sur le plan de la domestication des technologies par les catégories socioprofessionnelles, les appropriations demeurent fort timides. L’agriculteur, l’éleveur ou le pécheur qui ne sont jamais allés à l’école doivent passer toujours par un interprète ou en tout cas par une tierce personne. Aussi, il ne suffit pas de mettre à disposition des services pour que l’usage produise et communique du savoir. En ce qui concerne l’organisation des centres, l’implication des bénéficiaires devrait se faire plus intense. Car elle paraît significative des jeux de pouvoir autour du contrôle de l’accès au TIC.

Enfin, nous l’avons déjà noté, les centres communautaires sont placés sous la responsabilité de représentants de leurs bénéficiaires. Comme vocation, CLIC et CMC entendent couvrir les besoins d’information, de formation et de valorisation. Ils sont gérés par un comité consultatif composé de représentants de diverses catégories (administratif, équipe d’animations, société civile). Bien que la plupart de ces centres soient guidés par la législation en vigueur en matière de droit de la presse et de la culture, il n’est pas rare que des intérêts divergents surgissent. Et cela, en dépit d’une organisation comptable prédéfinie et d’un cahier des charges aux contours irréprochables. Outre l’organisation pratique nécessaire au bon fonctionnement des structures en question, il faut considérer comme objectif le lien social qu’elles sont capables de créer ou de gérer.

Dans ces sociétés d’oralité où certains acteurs sociaux tels que les griots ou les forgerons13 sont traditionnellement connus pour leurs talents de médiateurs et d’entremetteurs, les nouveaux canaux de transmission doivent venir en appui. Et cela, grâce à leur caractéristique d’anonymes sociaux. Ces acteurs peuvent ainsi contribuer à mettre en relief un lien social dont depuis longtemps ils ont eu la charge dans les relations humaines. Ce sera sans doute, un lieu de construction de « la société de communication », définie selon Philippe Breton comme « une unité constituée par l’ensemble des informations – et des moyens de transmission et d’échanges de ces informations – qui circulent dans un espace donné » (1997 :35). Dans une telle structure, on devra prendre en compte « l’ensemble des techniques et leur implication économique, sociale et culturelle » (Wolton, 1997 :374-375).Cependant, comme le souligne Alex Mucchielli dans Les sciences de l’information et de la communication (2006) quelques précautions doivent être prises lorsque la technique et les outils prennent toute la place : « La société de communication, ce n’est pas seulement une large diffusion et utilisation des technologies de la communication, une omniprésence des médias, une saturation d’informations et d’images, une utilisation de tous les acteurs qui ne peuvent plus voir le monde sans ces technologies, ces médias (…) C’est aussi l’intégration psychologique et pratique, par les individus, de différents usages des moyens et des formes nouvelles d’information et de communication…, c’est aussi une intégration sociale, culturelle, économique et politique, par les organisations et la société tout entière, de ces mêmes moyens et formes de la communication » (2006 :12).

D’où la prise en compte de plusieurs dimensions qui interagissent. L’homme pensant et

13. Griots et forgerons, considérés comme gens de castes, jouent habituellement le rôle de médiateurs culturels dans la société malienne. Ils forment un groupe endogamique.

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capable de sociabilité reste au cœur du dispositif de production et de partage du savoir.

Les moyens ne sont en réalité qu’une aide pour mieux produire. Ils ne doivent être considérés en aucun cas comme une fin en soi. Les CLIC et les CMC, en offrant des opportunités de formation proche et lointaine à la fois concourent à la production des contenus à même d’affirmer efficacement les valeurs du processus.

Des savoirs conservés et diffusés

Les CMC se conforment aux idéaux de l’Unesco qui promeuvent les cultures locales. On pourrait signaler cependant deux problèmes liés au partage, à la formation à distance et à la diffusion du savoir local dans les centres communautaires. Le premier concerne les langues vernaculaires et minoritaires et le deuxième, les savoirs à partager en temps de crise.

Pour de nombreuses sociétés à travers le monde, l’homogénéité sociale a pour corollaire l’homogénéité linguistique. L’Afrique ne fait pas exception à la règle. La plupart des communautés y utilisent une diversité de dialectes auxquels les locuteurs aiment à se référer. Ces outils de communication sont également des piliers d’existence des différents groupes sociaux. Ainsi, parmi les centres dont nous avons exposé plus haut les activités, certains font la promotion de langue. D’autres comme celui de Koutiala (ville située à 300 km au sud-est de Bamako) choisissent une démarche dont la vocation serait d’être le creuset de plusieurs autres langues : le N’Ko14. Le CMC de Koutiala propose une publication en langue N’Ko. Depuis plusieurs années, les animateurs travaillent à la numérisation des documents disponibles en N’Ko. Un de nos enquêtés s’en réjouit : « Grâce à ce service, le N’Ko est beaucoup plus répandu ». Et un autre de noter ceci : « Le CMC a fait toute la différence… Nous avons eu la possibilité d’élargir nos activités et de promouvoir l’usage du N’Ko, qui représente un important véhicule pour les cultures locales ». Avant que les TIC ne rendent possible la publication électronique de textes en N’Ko, les partisans de cette langue devaient produire tous les documents à la main. L’association culturelle de Koutiala possède un dictionnaire français-N’Ko usagé, datant des premières années du N’Ko, dont des milliers d’entrées ont été inscrites à la main avec beaucoup de précautions.

Aujourd’hui, la publication assistée par ordinateur, le logiciel multilingue et de nombreuses autres applications multimédias disponibles dans le CMC garantissent la production de contenu local destiné soit à la radio communautaire, soit à tout autre

14. Dans la région soudano sahélienne, on parle du N’Ko comme de l’Espéranto dans d’autres parties du monde. L’alphabet N’Ko a été inventé en 1949 par Soulemayne Kante en Guinée et est utilisé par les personnes parlant le Malinké, le Bambara et leurs dialectes en Guinée, au Mali et en Côte d’Ivoire. Créé à l’origine pour démontrer que les langues africaines pouvaient être mises par écrit, comme moyen de savoir traditionnel et pour rendre le Coran accessible, le N’ko est devenu de plus en plus populaire. Un des plus grands avantages du N’Ko réside dans le fait qu’il rend la lecture et l’écriture accessibles aux personnes manquant d’une scolarité en bonne et due forme.

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média désireux de faire connaître un sujet à son public. Nous pouvons souligner deux démarches importantes liées à la formation à distance dans le cas du N’Ko.

Premièrement, ceux qui sont initiés à cette langue, usent des nouvelles technologies pour la fixer sur des supports écrits ou sonores. L’internet leur sert de moyen de formation et en même temps de conservation. Deuxièmement, nous observons qu’en tant que langue extrêmement minoritaire mais affichant une vocation qui se veut multiculturelle et multifonctionnelle, le N’Ko est emblématique de la formation à distance lorsqu’il est pratiqué dans média radio. Du coup, cette langue est écoutée d’un plus grand nombre d’auditeurs-trices. Elle suscite de la curiosité chez eux car elle sonne comme une nouveauté ; elle réveille des intérêts parce sa construction linguistique emprunte à des langues vernaculaires connues. Le N’Ko, par la radio, répond ainsi aux exigences d’un enseignement à la fois distant et local.

Comme deuxième problème, signalons la diffusion et les usages des productions du savoir en temps de crise. En 2004, une partie du Nord Mali a été confrontée à une crise acridienne de très grande ampleur. Grâce à la « valise radio », les populations de la ville de Tombouctou et des environs se sont impliqués dans la lutte contre le fléau. Comme témoigne cet habitant : « La valise radio nous a permis de sauver les récoltes des plaines. Cela nous a permis d’informer les habitants sur les méthodes traditionnelles qui permettent de lutter contre les criquets. Ces méthodes étaient tombées dans l’oubli parce qu’il n’y a pas eu d’attaque de criquets depuis très longtemps. Grâce à la valise radio, nous avons pu toucher tout le monde, y compris les nomades »15. Il s’agissait de diffuser des programmes quotidiens à partir d’une station et retransmis sur les quatre autres radios que compte la ville. Ces programmes font place au savoir local notamment grâce au témoignage et aux conseils des anciens. Car la faiblesse des moyens gouvernementaux ne permet pas une surveillance aérienne ni une pulvérisation correcte des champs en danger. C’est alors qu’à travers des annonces, des témoignages et des comptes-rendus les auditeurs sont informés sur les mouvements des criquets et reçoivent des consignes pour combattre l’invasion. Les méthodes traditionnelles préconisées par les anciens et diffusées à la radio consistent à enfumer les criquets, à frapper les essaims avec des bâtons ou des morceaux de chiffons. Ces pratiques sont expliquées dans les langues parlées de la région (le tamacheq, le songhay, le peul, l’arabe, le bambara). Seule la radio permet de toucher toutes les communautés, de faire en sorte que l’information soit comprise par tous, de partager le savoir traditionnel. La valise radio fonctionne dans le cadre du programme des centres communautaires multimédias (CMC) pour aider les stations à utiliser au maximum les ressources du télécentre.

Pour conclure

L’expérience des CLIC et des CMC nous apprend que tout savoir, pour être partagé, doit être maîtrisé localement et transmissible pour l’extérieur. Transmis par la

15. Le Nouveau Courrier, décembre 2004. Source : http://portal.unesco.org/fr/ev.php-

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radio de proximité, un tel savoir s’adapte fort bien au contexte des sociétés d’oralité.

L’appropriation des outils de communication reste un vrai apprivoisement nécessaire.

Toutefois, les défis à relever pour réussir la formation à distance dans les situations que nous venons d’évoquer restent nombreux. Une large participation des populations bénéficiaires du projet est requise. Par ailleurs, les radios ne réussissent pas toujours à produire des contenus répondant aux normes professionnelles même si les thèmes possibles sont en grand nombre (l’éducation, le développement économique, l’agro-business, la santé, la gouvernance démocratique, etc.). C’est ici que le professionnalisme des animateurs et des journalistes est mis à l’épreuve. La demande d’une formation à distance reste importante même si ses enjeux comme dans le cas des centres multimédias apparaissent comme locaux.

Bibliographie

Breton P., L’utopie de la communication, Paris, La Découverte, 1997.

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Références

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