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Article pp.13-40 du Vol.8 n°1 (2010)

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Quelques considérations

Véronique Temperville

Laboratoire Gériico, Université de Lille 3

Membre de l’Erté « culture informationnelle et curriculum documentaire » Domaine universitaire du Pont de Bois

BP 60149, F-59653 Villeneuve d’Ascq veronique.temperville@univ-lille3.fr

RÉSUMÉ. Cet article envisage le blog comme source documentaire dans le travail universitaire. Il montre à partir de l’étude de quelques-unes de ses caractéristiques formelles et scripturales les effets de désorientation qu’il produit dans la lecture. Le blog de par sa nature hybride et hypertextuelle engendre quantité de difficultés, notamment cognitives. Par ailleurs il fonctionne sur un mode paradoxal. Valorisé comme outil de communication par l’institution, il est ignoré ou repoussé aux marges par bon nombre d’enseignants-chercheurs.

Ces ambiguïtés posent la question de sa légitimité et des conditions dans lesquelles elle pourrait être établie au sein de l’institution.

ABSTRACT. This article considers blogs as information resources during academic work.

Relying on the analysis of some of its formal and written traits it shows the confusion it may bring about on reading. Because of its hybrid and hypertext character, blog generates numerous difficulties, of a cognitive nature principally. It also relies on a paradox. Promoted as a communication tool, it is not acknowledged as such by many academics and researchers. These ambiguities question its legitimacy and the conditions of this very legitimacy within the academic world.

MOTS-CLÉS : weblog, lecture, légitimité, communication scientifique, culture informationnelle, validation, évaluation de l’information.

KEYWORDS: weblog, reading, legitimacy, scientific communication, information culture, validation, information evaluation.

DOI:10.3166/DS.8.13-40 © Cned/Lavoisier 2010

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Introduction

Ce travail s’inscrit dans une recherche doctorale plus générale sur les transformations opérées par le numérique dans les pratiques informationnelles des enseignants-chercheurs. Cherchant à comprendre la façon dont les outils numériques affectent la pédagogie et la recherche, nous avons « rencontré » les blogs, avec lesquels les enseignants-chercheurs entretiennent une relation pour le moins ambiguë, et dont le statut mérite donc d’être précisé.

Nous proposons d’envisager le blog comme une source documentaire et d’analyser son statut dans le travail universitaire. En quoi peut-il être un objet de transmission du savoir ? Quelles sont ses caractéristiques ? Comment s’articule-t-il avec les autres sources? A quelle place peut-il légitimement prétendre dans le maillage scientifique ? L’émergence de cette nouvelle forme pose avec acuité un certain nombre de questions propres aux sources documentaires sur internet.

L’enquête a été réalisée à partir d’analyse de sites et d’entretiens conduits avec vingt-six enseignants-chercheurs appartenant à des disciplines différentes : espagnol, psychologie, histoire, informatique et philosophie, ainsi que de l’interview de Marin Dacos, Directeur du Cléo (Centre pour l’édition électronique ouverte). Nous avons centré notre analyse sur les blogs scientifiques et notamment ceux en Sciences humaines et sociales (SHS) même si nous nous sommes permis quelques incursions dans le domaine des sciences « dures ». Nous avons délibérément écarté de notre analyse ce que l’on pourrait appeler les blogs pédagogiques qui présentent des problématiques particulières. Ce qui nous intéresse ici c’est de considérer le blog dans sa valeur documentaire. Nous avons particulièrement focalisé notre attention sur les blogs faits par les chercheurs eux-mêmes puisqu’a priori, ils étaient les plus propres à devenir des sources documentaires de premier ordre.

Nous proposons dans un premier temps d’examiner les paradoxes liés aux représentations et aux présences du blog dans le monde universitaire. Dans un deuxième temps nous analysons les formes d’écriture et de lecture. La troisième partie envisage la question de légitimité et de la place des blogs dans la sphère académique.

Paradoxes et ambivalences de la présence et des représentations des blogs De la pluralité des projets à la plasticité formelle

Le blog scientifique (nous désignons par là le blog créé et alimenté par un chercheur pour présenter et valoriser sa recherche, ou à des fins d’expérimentation ou d’information) montre une grande variété de contenus et de formes. Cet aspect mouvant constitue un handicap à l’appréhension et au dénombrement des blogs scientifiques : « Il est très difficile de connaître le nombre exact de blogs scientifiques aujourd’hui, car ils sont multiformes, allant du simple commentaire de

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l’actualité scientifique à la thèse mise en ligne en passant par un projet de publication1 (…). », ils se présentent d’emblée comme difficilement catégorisables.

Ce caractère polymorphique correspond à des finalités différentes que se proposent les blogueurs. La plus évidente est sans doute celle d’assurer une vitrine de la recherche. Les blogs participent de manière active au maillage scientifique.

L’aspect relationnel et/ou promotionnel des blogs a été remarqué depuis longtemps par les chercheurs et/ou blogueurs (Mortensen, 2002, Halavais, 2006, Davies, 2007, Luzon, 2009). La référence à Pierre Bourdieu et ses analyses sur le capital scientifique dans les articles (Halavais, 2006, p. 122 ; Mortensen, 2002, p. 262) confirment la prégnance de cette fonction du blog perçue dès ses origines comme capitale. Le blog est considéré comme un outil particulièrement efficace pour la constitution d’une identité numérique qu’il s’agisse d’une quête de soi à mi-chemin entre le personnel et le professionnel (Davies 2007, p. 178) :“I have developed a DrJoolz persona who is a little different from my identity as a researcher at work, as a colleague, as someone at home with family relationships” ou d’un affichage simple de son identité de chercheur lorsque le blogueur décide de mettre en avant ses publications, les programmes de recherche auxquels il collabore et les réseaux avec lesquels il travaille. Le blog est un moyen de valoriser le programme de recherche auquel appartient le chercheur ou l’institution. La remarque du philosophe Bernard Andrieu relève de cette logique, le chercheur cherche à capter l’attention des institutions et particulièrement s’il est dans un champ minoritaire : « en France dans ma génération, je suis tout seul (…). Mon objectif est politique, c’est-à-dire que si je veux créer une institution, (…), il faut occuper les médias pour arriver à un moment donné à ce que quelqu’un me dise : “bon, qu’est-ce que l’on fait ?” ».

La plateforme Hypothèses présente de nombreux exemples de cette fonction avec de multiples registres d’expression. Le blog participerait largement sous cet angle à ce que Keith Stuart (2006, p. 392) mentionne déjà dans les analyses de Pairclough dès 1993, à savoir la “marketisation of academic discourse”. A côté de ce maillage par et pour la communauté scientifique s’élabore un maillage vers la société civile.

Les blogs sont, dans cette optique, un outil privilégié pour mettre en contact des groupes sociaux qui jusque-là s’ignoraient où du moins rencontraient plus de difficulté à échanger. Les blogs de chercheurs permettent des « transferts » de connaissance d’une sphère professionnelle à une autre, ils deviennent des relais. Des traces de cette circulation entre les sphères sont visibles. Les billets de « Culture et politique arabes2 » sont par exemple repris dans d’autres sphères qu’il s’agisse de la sphère médiatique3 avec le journal Vendredi ou de la sphère professionnelle avec un site4 dédié aux enseignants. Le blog scientifique serait apte à donner au citoyen un

1. http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/science_ actualites/sites actu/question _actu.

php ?langue=fr&id_article=11423 2. http://cpa.hypotheses.org/1184 3. http://vendredi.info/page/38/

4. http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/languesvivantes/arabe /Pages/2006/

78_BlogCultureetpolitiquearabe.aspx

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accès à la science. Il assurerait dans cette perspective une partie des missions de la littérature de vulgarisation comme l’affirme Timothée5 : « On arrive finalement à dessiner un rôle pour le blog dans la communication vers la société civile. Apporter des informations peu médiatisées, les rendre vivantes, et les replacer dans un contexte plus global. ». Il s’imposerait comme un moyen privilégié d’accès à la science pour le citoyen à travers la mise en scène de l’activité scientifique comme c’est le cas par exemple de Jean Véronis6 qui popularise ses recherches en permettant aux internautes de s’amuser avec le « pourrisseur de texte » qui rend illisibles les écrits ou le « nébuloscope » qui permet de créer des nuages de tags.

Au-delà de ces fonctions de diffusion, de promotion et de communication le blog présente des aspects novateurs et créatifs que tentent d’explorer certains d’entre eux.

Les écrits publiés sont alors centrés sur le processus de production et d’élaboration de la pensée qu’elle soit individuelle ou collective. Il invite à l’échange critique comme ici dans la Grotte de Fraux7 qui souhaite utiliser le blog comme un carnet de fouilles interactif : « Notre objectif est de faire de ce blog un carnet de fouille interactif, à la fois témoin de la fouille qui s’engage, archive de la recherche. Il se veut également le fruit d’un échange auquel nous vous convions » ou sert de prépublication comme dans Homosexus8 : « (…) Je mets en ligne dès à présent le fruit de notre travail ; il est en cours, il se construit peu à peu. C’est, en quelque sorte, notre feuilleton de l’été. Notre intention est de publier régulièrement, sur Homosexus, des parties de chapitre à mesure qu’elles nous semblent en valoir la peine. ».

Le blog permet de mobiliser le monde et d’éprouver sa pensée. Qu’il s’agisse des chercheurs que nous avons interrogés ou de paroles saisies dans leurs billets, la plupart d’entre eux déclarent, comme ici Jill Walker (2006, p. 132) que leur blog est un laboratoire, qu’il sert à élaborer, à tester des techniques, des écritures, des idées :

“over the next years, my blogging was an important tool in my research. I deliberately used my blog to develop my writing voice, just as one might keep a journal as a tool to improve one’s writing and thinking”. Du blog qui archive des contenus de conférences comme Philolarge9 à des blogs qui analysent les médias et font des synthèses comme Culture et politique arabes10 , en passant par le blog d’informations type Expertises et sciences humaines11 ou le carnet de recherche type la Grotte de Fraux12, toute une palette de contenus s’offre aux lecteurs, faisant du blog scientifique un objet polymorphe et polyphonique.

5. http://www.le-doc.info/2007/09/10/211-quelle-place-pour-les-blogs-dans-la-vulgarisation- scientifique

6. http://aixtal.blogspot.com/2006/01/outil-le-nbuloscope.html 7. http://champslibres.hypotheses.org/a-propos

8. http://homosexus.hypotheses.org/

9. http://philolarge.hypotheses.org/

10. http://cpa.hypotheses.org/

11. http://expertise.hypotheses.org/

12. http://champslibres.hypotheses.org/

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On peut s’interroger sur les raisons qui font du blog un outil si prisé pour répondre à des objectifs si éclectiques. C’est sans doute dans sa plasticité formelle qu’il faut chercher une partie de la réponse. Le blog est associé à une forme bien identifiée et des critères stables, y compris lorsque le chercheur dit ne pas ou peu en consulter : il est associé à une personne, il permet des échanges grâce à ses commentaires, il utilise la structuration chronologique. La stabilité de ces critères apparaît pourtant paradoxale au regard de l’analyse de sites qui montre beaucoup de variations, voire de détournements, ou d’absences de ces critères. La forte personnalisation attachée au blog est très souvent mise à mal. Les blogs peuvent organiser sciemment la disparition de leur auteur au profit de ce qu’appelle alors souvent le chercheur un blog d’informations : « Le blog du corps en fait ce n’est pas un blog qui raconte mon corps, c’est un blog purement de diffusion de l’information. » affirme le philosophe Bernard Andrieu, d’ailleurs le blog porte le sous-titre : « Actualité de la recherche SHS sur le corps ». Le portail Hypothèses.org offre de nombreux exemples de cette disparition de l’auteur au profit d’une institution, d’une structure, d’un projet. Balnéorient13 présente des résultats de fouilles, renvoie à des parutions de colloque, fait de la publicité pour des séminaires, des manifestations, des expositions. Le blog Évaluation de la recherche en SHS14 fait de même et offre à ses lecteurs toute une série d’informations sur le domaine. Cet objectif peut d’ailleurs être mis en exergue dans l’A propos comme ici dans le blog d’Histoire des sciences de l’homme15: « La Société française pour l’histoire des sciences de l’homme présente sur ce carnet-blog ses activités et l’actualité du domaine : programmes et séances de séminaire de recherche, appels à contributions, nouvelles publications, colloques, expositions etc. ».

Considérer le blog comme une forme privilégiée d’échange entre chercheurs et citoyens ou entre chercheurs d’une même communauté peut aussi s’avérer un leurre.

Tous les blogs ne génèrent pas des commentaires et des discussions. Certains blogs suppriment les commentaires en raison même de leur caractère pléthorique et difficilement gérable. Comme le rappelle ici l’historienne Isabelle Paresys lorsqu’elle parle de la création de son blog : « Non, moi j’ai empêché que les gens discutent, parce que ce n’est pas le but. C’est vrai qu’il y a cette fonction-là au blog. Pour moi c’est un site internet à moindre coût, ce n’est pas pour m’en servir comme blog pour échanger.

Je n’ai pas le temps de m’amuser à gérer… J’ai suffisamment d’e-mails comme ça ! ».

D’autres peuvent gérer la clôture par les mots de passe comme Dirk Weissmann16 qui choisit d’ouvrir certaines parties de son blog et d’en fermer d’autres : « un espace dédié à mes enseignements (…) mes étudiants y trouveront des textes, documents et corrigés relatifs à mes cours (protégés par mot de passe) ; un espace dédié à mes recherches, anciennes et nouvelles, dont une version intégrale de ma thèse de doctorat sur la réception de Paul Celan en France sous forme de fichier PDF. ». La présentation chronologique peut, elle aussi, subir des aménagements suivant les caractéristiques de

13. http://balneorient.hypotheses.org/

14. http://evaluation.hypotheses.org/

15. http://sfhsh.hypotheses.org/

16. http://weissmann.wordpress.com/2009/11/29/bienvenue-willkommen-welcome/

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la plateforme, l’habileté et les compétences techniques du blogueur. C’est sans doute le critère le plus résistant aux aménagements, celui que le blogueur tente le plus de conjurer. La dimension temporelle joue contre l’ordre. La tentative de déjouer le diktat de l’ordre chronologique nous rappelle que le blog peut aussi être une forme choisie par défaut, comme le rappelle Isabelle Paresys : « (…) C’est un blog du point de vue technique. Mais pour moi c’est un site internet avec mes faibles moyens techniques et financiers. (…). Je suis obligée de jouer avec le blog pour faire semblant que c’est un site internet. Par exemple, là j’ai mis le dossier ‘choix d’articles’ avant ‘archive’, les

‘archives’ qui vont reprendre les dates des infos mises en ligne… (…) Moi j’ai d’abord fait passer un classement par thème, comme sur un site internet. (…) Donc le seul moyen de mettre de l’ordre, c’est de faire cela, des thèmes ».

Ces remarques prouvent que le blog ne présente pas forcément dans les faits la rigidité de présentation et de structuration que laisse à priori penser l’examen des représentations des chercheurs et que lorsque certains critères résistent, ils peuvent être indépendants de la volonté du chercheur qui se trouve contraint de « négocier » avec l’outil. Il peut être une forme choisie par défaut parce que l’on n’a ni le temps ni les moyens techniques de réaliser ce que l’on souhaite vraiment. Il est intéressant dans ce contexte de rappeler que le blog appartient à la famille des Content Management System (CMS) dont ils partagent les caractéristiques. Comme le fait remarquer Valérie Jeanne-Perrier (2006, p. 99) : « ces outils logiciels, les CMS, connaissent une faible publicité, en comparaison de ce qui a été la forte médiatisation de la multiplication des blogs au cours de 2004 et 2005. (…) Les blogs qui font partie des sites auxquels ils donnent naissance sont effectivement, mis en avant par la presse (…) pour différentes raisons : facilité de création, libre expression, participation de tous à diverses thématiques. ». Le blog peut donc être indépendant, constituer un tout en soi ou bien alors faire partie d’un site avec lequel il partagera des caractéristiques communes. Il y a une porosité très forte des formes liées à l’histoire et aux caractéristiques de ces nouveaux logiciels éditoriaux qui brouillent les repères. L’aspect colonnaire, le classement anté-chronologique des blogs, la possibilité de déposer des commentaires peuvent se retrouver sur d’autres formes de site à l’instar de ceux de Gabriel Galvez-Behar17 ou de celui de Michel Balat18 sous SPIP. On a une interpénétration des formes et force est de constater que très peu de blogs scientifiques présentent en définitive une forme pure. Le blog de Jean-Michel Maulpoix19 est inclus dans un site plus vaste dont il partage des caractéristiques. La plupart du temps ils arborent des structurations mixtes qui croisent classement thématique et accès chronologique, qui font appel ou non aux commentaires. L’aspect physique s’il est un indice n’est pas suffisant pour conclure sur la nature de la page consultée. La forme ne constitue plus un élément suffisant pour statuer sur un écrit et le constituer en genre. Le blog se confond avec le site web et vice versa.

17. http://ggb.ouvaton.org/

18. http://www.balat.fr/

19. http://www.maulpoix.net/

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Représentations : du café du 18e siècle à la folie internet

Deux grandes tendances se dégagent à l’analyse. L’inventaire que nous faisons ici n’est pas exhaustif, il vise simplement à montrer les principaux traits. On peut considérer que la ligne de partage passe globalement (et même s’il faudrait nuancer pour certaines caractéristiques) entre ceux qui éditent les blogs et ceux qui ne font que les consulter. L’analyse des témoignages que nous avons récoltés ainsi que l’analyse des sites et des articles écrits par les pionniers du blogging comme Jill Walker (2006), Julia Davies and Guy Merchant (2007), Rebecca Blood (2000) ou Torill Mortensen (2002) montre qu’une première constellation de représentations se dégage autour de valeurs positives. Le blog est associé à un renouveau de la recherche, à de nouvelles potentialités d’agir et de communiquer (Mortensen, 2002, p. 254) : “we do argue that blogging influences the way you think about thinking, and that it may change the process of research. To some extent it might even change the method”. Un fort pouvoir de dissémination, de diffusion lui est associé qu’il s’agisse de l’espace public ou de l’espace scientifique (Walker, 2006) : “one way of looking at weblogs and emerging forms of scholarly discussion and work is that they are the popularization of research, or a new form of dissemination.”

Ce pouvoir de dissémination s’associe à trois propriétés : la transparence et la visibilité, la dimension temporelle et la dialogie. Sous ces aspects le blog répond à cette société de disponibilité que décrit Sophie Pène (2005 ; 2007) dans ses travaux. Une rhétorique du caché et du visible se déploie dans l’espace médiatique, le blog devient l’outil privilégié de la révélation. C’est en tout cas ce qu’affirme le blogueur Timothée20 : « Les blogueurs permettent de faire remonter des informations qui ne sont pas visibles au travers des moyens habituels de vulgarisation, parce qu’issus de domaines trop “confidentiels”, tout au moins trop “annexes” pour avoir leur place de manière régulière dans les principaux médias. (… ) ».Un véritable plaidoyer peut se développer pour ce genre propre à instituer selon Olivier Ertzscheid21 « une vision communiste ouverte et transparente de l’université ». Cet imaginaire trouve son écho outre-atlantique avec Henry Jenkins du MIT pour qui les blogs représentent un espace de parole publique « académique ». Tous les partenaires y gagnent : les étudiants, les citoyens comme les chercheurs qui font alors vivre de vrais collèges qui ne sont plus invisibles : « construire et développer un collège qui n’est plus totalement invisible, mais bel et bien impliqué, mobilisé, actif, sur différents sujets de recherche, via des logiques de travail coopératif ». Des arguments similaires se retrouvent ailleurs comme ici dans l’article d’Alexander Halavais (2006, p. 118) : “blogs represent a relatively transparent and unedited view of thinking in progress” ou comme sur le blog Defining wisdom22 : “Blogging allows for rapid discussion between scholars worldwide on topics ranging from concepts, current events, literature, to data analysis or the sharing

20. http://www.le-doc.info/2007/09/10/211-quelle-place-pour-les-blogs-dans-la- vulgarisation-scientifique

21. http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2008/04/les-universitai.html 22. http://wisdomresearch.org/forums/p/170/239.aspx#

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of tools. Not only may scholars use blogs to receive feedback from colleagues, they can also use the medium to inform a larger public about their research (…) Blogging and collaboration also have the potential to create a new field of wisdom research spanning multiple disciplines by creating a community of scholars.”. Cette rhétorique trouve son corollaire dans une attention particulière au temps où l’accès en temps réel et l’accélération des processus de publication est privilégié. Cette dimension essentielle est au centre des argumentaires développés pour l’utilisation des blogs. Elle est à comprendre sur deux plans. Le premier tirerait sa force des vertus de l’instantanéisme, le deuxième de l’accélération de la recherche et donc du progrès. L’idée que la possibilité d’accéder en temps réel améliore la communication est une croyance couramment répandue, elle sert par exemple de justification à la création du blog de la grotte de Fraux23 : « C’est là tout l’enjeu de ce blog de chercheurs : communiquer très rapidement des données sur un portail scientifique tout en se donnant la liberté de se contredire et de se déjuger.(…) ». Cette vision de la temporalité se double souvent d’une croyance dans les bienfaits d’une accélération de la publication. Les formes de médiation et de contrôle sont ainsi souvent perçues comme des freins24 : « Les possibilités de communication et d’échanges offertes par le simple fait de publier sur son blog sont en train de changer les pratiques et les caractéristiques de la recherche,(…). Les résultats scientifiques peuvent ainsi être partagés par les équipes avant même d’avoir été publiés dans une traditionnelle revue à comité de lecture.25».

Le dialogue vient parachever cet édifice qui trouve enfin dans cette forme un véritable espace pour se déployer. Le blog fluidifie les échanges, restaure les espaces perdus de communication. Il atténue le fossé qui s’est creusé entre les hommes et la science, entre la science et la société, entre les scientifiques eux-mêmes : « L’introduction du blog dans le milieu de la recherche scientifique se traduit par l’invention d’un nouvel objet éditorial, le carnet de recherches. Chaînon manquant entre l’écrit et l’oral, entre la monographie et le débat circonscrit à une assemblée restreinte, cet objet en est à ses débuts26. ». Le blog reprend ainsi à son compte des formes déjà existantes, notamment en sciences dures, comme le cahier de laboratoire et le carnet de recherches.

Le blog fait resurgir dans ses problématiques la mise en avant de la forme dialogique qui serait par excellence la forme de l’échange scientifique. La valeur heuristique donnée au dialogue confère au blog scientifique toute sa force d’expansion et toute sa légitimité. André Günthert fait ainsi son éloge ou voire celle de la polémique qui renoue avec les formes anciennes de la disputatio. Il affirme sa reconnaissance envers tous ceux qui déposent des messages et croisent le fer avec lui, y compris lorsque les arguments pourraient paraître pauvres : « Enfin, sur un

23. http://champslibres.hypotheses.org/a-propos

24. www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/science_actualites/sitesactu/question_

actu.php?langue=fr&id_article... - 51k 25. http://www.cite-

sciences.fr/francais/ala_cite/science_actualites/sitesactu/question_actu.php?langue=fr&id_arti cle=11423

26. http://www.mutec-shs.fr/presentation-hypotheses-cleo

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blog savant, même l’expression d’un jugement à l’emporte-pièce peut devenir l’occasion d’une expérience ou d’une observation. ARHV offre de nombreux exemples de rebonds à partir de discussions d’actualité qui ont nourri ma réflexion et ouvert des pistes nouvelles. ». Associé à un fort potentiel de renouveau dans la recherche, le blog devient dans ce contexte un outil privilégié qui bouscule les frontières de la publication et de l’innovation, les modes du faire, du dire et du penser. Ces nouvelles potentialités appellent l’idée d’un déplacement des anciens repères (Mortensen, 2002, p. 256): “this anecdote demonstrates the way in which weblogs straddle the boundaries between publication and process, between writing towards others and writing for oneself. (…) blogs exist right on this border between what’s private and what’s public”.

Le blog tente de définir un nouvel espace symbolique et convoque les grands lieux symboliques de l’histoire de la pensée occidentale : les jardins renaissance, les cafés du 18e siècle (Halavais, 2006, p. 120) et les salons du 19e siècle (Mortensen, 2002, p. 258) créant ainsi une nouvelle mythologie de la Libre-pensée ou des Lumières s’appuyant toutes sur la dimension orale des échanges et la réconciliation des espaces publics et privés. Ces représentations ont pour fonction de mettre en avant l’aspect humain voire humaniste de la science. C’est ainsi que le blog Épigraphie en réseau27 offre à ses lecteurs non seulement les commentaires des participants au Workshop Epidoc 2009 mais donne également à voir la convivialité du séminaire en affichant les photos des repas. Le blog utilise son potentiel médiatique pour humaniser la science et se légitimer dans le même temps au regard des ses lecteurs par des paternités prestigieuses.

On pourrait ajouter à cette liste l’imaginaire communautaire et anti-hiérarchique des pionniers de l’internet qu’a analysé Patrice Flichy (2001). La référence à Vannevar Bush est d’ailleurs explicitement reprise dans l’article d’Alexander Halavais (2006, p. 119). Le blog scientifique génère autour de lui toute une série de représentations qui s’enracinent dans un imaginaire historique et contemporain qui agrègent les idées de renouveau, d’échange, de communication. Il s’accompagne souvent chez les acteurs d’un discours militant qui marque l’espoir mis dans ce nouveau canal de communication. Le manifeste des Hard Blogging Scientists qu’avait mis en exergue sur sa page d’accueil Olivier Ertzscheid est clair : “1. I believe that science is about freedom of speech. 2. I can identify myself with the science I do. 3. I am able to communicate my thoughts and ideas to the public. 4. I use a blog as a research tool (…).”. Il faut sortir de la tour d’ivoire.

Cette vision positive n’est pas unanimement partagée par le monde scientifique, elle est souvent le fait de ceux qui font les blogs ou y participent et non pas le fait de ceux qui dans leur grande majorité ne font que les consulter. Elle a donc un pendant négatif ou du moins sceptique. Le blog, avant de s’enraciner dans le monde scientifique, s’enracine dans le quotidien. C’est ce maillage trivial que nous allons ici observer. En effet les chercheurs interrogés sur la place des blogs dans leurs pratiques

27. http://eer.hypotheses.org/

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informationnelles de travail répondent très fréquemment par l’usage qu’ils en ont ou qu’ils en perçoivent de manière générale dans la vie courante. Le blog est ainsi très fortement rattaché à la sphère privée qu’il s’agisse d’un fils qui en possède un ou de celui d’un ami que l’on consulte de temps à autre, le blog est d’abord le média du trivial : « HIS1 : avant il y avait celui de mon fils (…) » ; « HIS3 : Il y en a un, un de mes copains, (…), il est auteur de polars… ». Lorsque ce sont des blogs extérieurs au cercle privé, ceux qui restent dans la mémoire ce sont ceux qui ont touchés la sensibilité : « VT : les fois où tu es tombée sur des blogs, c’était des blogs professionnels ? HIS1 : non c’était toujours des blogs de gens qui racontaient leurs vies. ». Cette trivialité peut prendre la forme de la sphère médiatique que les chercheurs convoquent sans peine et ce quelle que soit leur discipline d’origine : « C8ESP : oui je crois pour les élections. Non moi je suis très partagé sur ce que cela peut donner. Non ! Grosso modo ça ne m’intéresse pas. » ; « VT : les blogs ce n’est pas un outil d’info… PSY1 : Non mais les blogs… si au moment des élections présidentielles mais sinon… pour la recherche non ! Je connais pas… Honnêtement, je connais pas un blog scientifique ! ».

Le blog par ailleurs est fortement rattaché dans cette constellation à la jeunesse, à la modernité et cela indépendamment de l’âge des chercheurs interrogés :

« ESP3 : Moi personnellement je ne dépose rien nulle part, je n’ai pas de blog, je ne suis pas encore passée à cette phase-là (rires). Mes élèves avaient des blogs mais moi ça ne me dit rien. » ; « VT : est-ce que par exemple tu utilises des blogs ? ESP4 : Non, c’est trop moderne pour moi, pour l’instant non ». Le blog dessine les contours d’une altérité familière que l’on côtoie avec plus ou moins de fréquence et de bonheur. Cette familiarité a aussi ses revers et se profile alors une représentation du blog entachée de toute une série de connotations négatives. La personnalisation très forte de la parole, caractéristique de bons nombres de blogs, peut déclencher le rejet par hypertrophie du moi : « INF3 (…) ils se regardent le nombril la plupart du temps…pfff… non je ne sais pas…. En général ça m’ennuie les billets, les billets m’ennuient au bout de trois phrases donc vraiment… pfff, je vais être très méchant.

Je n’arrive pas à adhérer à cette façon des états d’âme des gens constamment étalés, ça me…. Pfff, (…) (rires). Non je ne le lis pas, je ne le lis pas en réalité » ; « VT : est ce que tu utilises des blogs ? HIS2 : non, j’ai une page internet mais je n’utilise pas en blog parce que je n’ai pas le temps. VT : ça veut dire quoi je ne l’utilise pas en blog ? HIS2 : ça veut dire je n’écris pas mes états d’âme toute la journée (…) ». A l’inverse il peut inquiéter par l’anonymat possible de son auteur : « ESP7 : Après je me méfie de la qualité de l’information, disons dans la spontanéité anonyme. Donner mon temps à quelqu’un qui écrit un blog, c’est la méfiance de l’anonymat et de la distance et en plus comme je travaille depuis toujours dans la littérature, je prends les livres comme un acquis ». A l’extrême, il fonctionne sur un leurre en produisant un simulacre de rencontre : « ESP7 : mmmm….. Quand j’ai besoin d’informations j’essaie d’abord de rencontrer les gens qui sont importants. Si quelqu’un m’intéresse, je l’appelle, j’ai envie de le voir (...) ». Il mobilise dans sa version négative les imaginaires de l’expansion, de l’infini, de la perte rattachés à internet : « ESP7 : La toile, (…), c’est comme une navette spatiale. Vous avez la possibilité de voyager, et

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c’est l’infini … alors, (…) il faut être très fier de son boulot pour faire la démarche : j’écris, je fais un blog, je lance à l’univers (…). C’est une démarche … avec les nouvelles technologies, ça devient d’un côté du narcissisme et d’un côté aussi une jolie folie. Je lance ça et est-ce que ça va toucher quelqu’un ?». Il devient un outil dont on perd la destinée. Comme source documentaire, il efface ses sources :

« ESP1 : Si vous voulez toutes ces informations, par exemple tout ce qui apparaît dans ces blogs, par exemple si je mets frontière mexicaine, il y a un tas d’informations qui va apparaître. Si ce sont des articles de presse, bon c’est tout…

Mais au niveau des commentaires que peuvent les Internautes… Le problème souvent c’est d’où viennent ses sources. ».

Le blog dans sa version triviale fait surgir toute une série de représentations qui mêlent fascination, sympathie, peur et rejet. Toutes ces représentations sous-jacentes font du blog un outil impropre à la communication scientifique ou du moins un outil peu approprié ou adéquat au travail universitaire qu’il s’agisse de soi ou des étudiants. Le blog n’est pas une source que l’on va recommander ou dont on va se servir aisément : « HIS3 : non, mais c’est parce que je n’en ai pas l’habitude. Quel blog pourrait éventuellement m’intéresser ? Je n’ai pas de porte d’entrée ! Est-ce que j’ai mes blogs ? Mais je crains d’en avoir des centaines de milliers à ma disposition sans savoir celui que je cherche donc je n’utilise pas les blogs comme source d’information mais même pour aller lire (…) ». Le blog ne donne pas les signes d’une légitimité suffisante pour pouvoir prétendre à s’inscrire dans le maillage de la parole scientifique. Si le chercheur y fait appel, cela reste aux marges et par défaut :

« Les seules théories dont je me suis inspirée et qui étaient diffusées par internet, c’était le blog d’Heriberto Yepez qui est philosophe. Ça lui est arrivé de mettre en ligne des articles (...). Mais je n’ai jamais utilisé… ».

Au mieux le blog soufre d’un déficit d’image, c’est une source à l’écart et dont on a peine à se souvenir : « VT : est-ce que tu utilises des blogs ? HIS4 : sans doute, oui, oui mais je n’en ai aucun souvenir… Je ne sais pas sur quel blog particulièrement ! (…) » ; « HIS2 : Non je n’ai vraiment pas souvenir d’avoir consulté un blog pour ma recherche ». On passe dessus, on tombe dessus et même lorsque cette source présente un intérêt pour le chercheur et qu’elle est mise dans ses bookmarks, elle finit par être oubliée. Le blog est un surplus d’informations, que l’on va consulter éventuellement de temps à autre pour le plaisir : « INF2 : Emerging technologies (…), c’est un gros blog d’un mec qui parle d’à peu près tous les trucs technologiques qu’il avait trouvé rigolos dans le monde. Je n’y vais pas assez souvent sans doute(…), je l’avais mis en bookmark (…) Ah si, à un moment, ça m’est arrivé de passer sur des blogs sur une ou deux personnes, des personnalités plus ou moins connues. Au hasard finalement, en surfant, tomber sur un blog, un billet et lire le truc, (…)». Au pire le blog n’est pas une source documentaire du tout et il est rejeté comme irrecevable : « VT : y compris des blogs de chercheurs que vous connaîtriez… PSY6 : beaucoup de bêtises et pas beaucoup d’informations (rires), non concrètement non ! ». Ainsi, le blog présente pour le moins une présence controversée au sein de la communauté universitaire, porté par une partie de la

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communauté comme un outil de promotion et relégué dans l’ombre et la marge pour l’autre partie avec au centre toute une palette de positions mitigées et hésitantes.

Au terme de ce premier examen nous voudrions approfondir ces tensions en regardant ce qui se passe du côté des écritures et des lectures des blogs scientifiques.

Des écritures aux lectures

Quatre caractéristiques de l’écriture bloguée

Le blog, et ce dès sa naissance, se veut composite, à la frontière des genres et des styles. Cette caractéristique est sans aucun doute l’une des plus remarquées et aussi l’une des plus revendiquées par les blogueurs. L’hybridation joue à de nombreux niveaux entre l’oral et l’écrit, entre le formel et l’informel, entre le personnel et la recherche, entre le privé et le public créant un nouvel objet textuel (Davies, 2007, p. 187) : “Allowing the boundaries between seriousness and play, between home and academic lives to blur is a new way of writing that blogging promotes.” La référence aux cafés et aux salons, récurrente dans les analyses évoquées plus haut, montre la volonté de mettre en exergue les liens qui unissent les formes de communication orales et écrites, la volonté de retourner aux origines mythiques d’une science où la parole aurait circulé librement, où elle avait le droit à l’outrance, aux débordements, où l’écrit n’était pas encore coupé irrémédiablement de l’oral. Cette référence aux formes de sociabilité anciennes peut trouver d’autres ramifications notamment dans l’échange épistolaire scientifique dont les analyses de Nellen (1993) et de Jacob (2008) montrent qu’elle a été pendant longtemps le véhicule privilégié de l’information scientifique. La correspondance obéit à des règles de rhétorique, elle a fait l’objet de formes de publicisation via des lectures dans des cercles plus ou moins restreints. Elle a organisé toute une sociabilité et des modes de diffusion de l’information scientifique. Elle entre dans la même dynamique. Comme le blog, elle a servi à créer et entretenir des réseaux.

Le blog renouerait là aussi, sous ces angles, avec les racines de la communication scientifique. L’indétermination entre le public et le privé, l’indétermination entre le personnel et le professionnel, entre la raison et l’émotion referait surface après avoir connu une éclipse.

L’amalgame des registres que permet l’expression dans les billets de blogs redonnerait à la science finalement un peu de son humanité. Gloria Origgi28 joue sur cette frontière en dédiant l’un de ses billets à l’usage exclusif de son fils. Les licences que s’autorise le billet à l’encontre de l’écrit scientifique : longueur variables des écrits qui peuvent aller de quelques lignes à des articles complets, tutoiement, ironie, registre étranger au domaine scientifique comme ici dans Affordance29 avec la bande dessinée « AAAARRRRRGhhh. SNNNIFFF.

28. http://gloriaoriggi.blogspot.com/2009/08/trema-dieresi.html

29. http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2006/06/droits_et_devoi.html

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BouuOUUOOUOUh. <== pleurs de blogueur » sont autant de fenêtres ouvertes sur le monde. Elles rappellent au lecteur que cette parole est incarnée dans un individu.

L’hybridation est encombrante parce qu’elle délite les règles de l’écriture scientifique en les détournant ou en les outre passant. Il devient alors urgent d’en cerner les contours pour la caractériser et lui donner une définition. Stuart Keith (2006) étudie ainsi ses caractéristiques linguistiques et mesure les écarts entre ce discours et celui du discours scientifique classique tel que Bhatia l’a décrit. Il remarque entre autres que le blog fait un usage beaucoup plus marqué de la première et de la deuxième personne. Ces jeux sur les différents registres d’écriture en font un média particulièrement complexe et déroutant. Il installe une rhétorique de l’entre- deux qui est difficilement saisissable. Il n’est donc pas étonnant que la plupart des blogueurs le séparent délibérément de l’écrit scientifique. Le projet éditorial d’Hypothèses.org est à cet égard exemplaire : « Il ne s’agit pas d’une publication au sens traditionnel du terme, qui suppose validation et corrections par des tiers ; le blog constitue cependant une mise en public forte et féconde, qui s’appuie sur de nouvelles économies de l’écriture et de la prise de parole. »

Le deuxième aspect largement commenté de l’écriture bloguée est son caractère hypertextuel. L’hypertextualité est au centre de l’économie scripturale du blog au point que certains analystes comme Keith Stuart (2006, p. 390) ont calculé le taux d’hypertextualité du blog. Beaucoup de blogueurs en font l’un des fondements de l’écriture jusqu’à parler d’éthique du blogging à son égard (Walker, 2006, p. 136) :

“(…) The link itself has become something of an ethics of blogging: link to your sources. If you’re not sure of a fact or of the source of your ideas, search the web until you find out more about that and link to it. These foundations are, perhaps, the seeds of a genre that may grow to be as strong as the traditional academic essay”.

Ces liens remplissent quantités de fonctions. L’étude de Maria José Luzon (2009) montre comment ils deviennent partie intégrante de l’écriture en jouant de multiples rôles. Les liens permettent de construire l’identité du chercheur en permettant d’identifier sa « tribu », le blogroll dessine ainsi en creux une géographie de la recherche et de ses disciplines. Ils remplissent des fonctions de filtre en donnant accès de manière privilégiée à des articles ou d’autres billets. Ils ont des fonctions discursives lorsqu’ils relient les billets entre eux à l’intérieur d’un même blog ou lorsqu’ils tentent de compenser les effets de fragments de l’écriture blogguée (Mortensen, 2002, p. 259) : “links are like roots, tendrils, reaching out between fragments, creating a context for bits and pieces that at first glance may seem to be unconnected fragments”. Ils jouent un rôle particulièrement important dans la citation. Cette nouvelle manière de citer s’inscrit alors à la fois dans une continuité avec les modes traditionnels de citation (les finalités peuvent rester identiques) mais aussi dans une perturbation puisqu’ils modifient l’accès et donc la lecture de ces textes. Le besoin d’explicitation de Torill Mortensen est révélateur de cette complexité du problème (Mortensen, 2002, p. 261) : “one defining characteristic of academic writing is the rigorous and formal citation practice. On the surface, weblogs seem like popular rather than academic non-fiction in that references are random and range from linking through written descriptions to casual mentions of

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sources. They however frequently refer as explicitly as do academic texts, though more simply by linking to a book’s page at Amazon or to the web page referred to”.

Ces liens jouent donc un rôle de légitimation en apportant le cas échéant au discours la caution d’un autre scientifique : “At the top of the sidebar bloggers tend to include links to some type of information about themselves (…) probably in an attempt to persuade the readers of the value and validity of the ideas in the blog.”. Le lien est à la fois une marque de bonne santé du blog, un indice de sa capacité à s’inscrire dans une communauté, un facteur d’accroissement de crédibilité. Se rendre visible, rendre visible les autres, citer, être cité, telle est la loi du blog.

Une troisième dimension de cette écriture est son aspect agrégatif. A l’inverse des deux précédentes, elle n’a pas fait l’objet, à notre connaissance, de commentaires abondants, elle est pourtant fondamentale dans l’économie scripturale du blog. Le blog est souvent fondé sur la reprise de sources, de textes trouvés ailleurs : le blog du corps de Bernard Andrieu en fournit un excellent exemple, de son propre aveu il est un immense copié-collé : « En fait l’info, elle existe sur d’autres blogs, il faut la trouver c’est tout. Les liens qui sont sur le site du corps me servent de banque de ressources pour aller chercher l’information et je la déplace simplement. ». Cette caractéristique n’est pas sans poser problème. Au-delà de l’aspect redondant qui peut agacer le lecteur potentiel, cette écriture peut produire des effets de décontextualisation qui rebutent : INF3 « Non ! en général c’est souvent de la recopie : un article écrit et repris par syndication dans le blog des autres…(…) ». L’assemblage souvent disparate d’écrits qu’il convoque peut produire des effets de décontextualisation qui permettent de statuer difficilement sur les documents ou sur des textes donnés à la lecture. Dans le cas du blog de Bernard Andrieu les sources proviennent de lieux multiples, y compris de domaines étrangers au monde scientifique. C’est la structure qui fonde l’unité et le style du blog : un mélange d’images et de textes, un mélange d’informations scientifiques et de collecte de ce qu’il appelle les acteurs du corps d’aujourd’hui. C’est le projet initial implicite, à savoir garder la mémoire des acteurs qui donne tout son sens et sa force au site : « (…) Je prépare un gros travail sur les acteurs corporels, j’accumule beaucoup de documentation sur les années 50, 60, 70… Mon idée en fait c’est de montrer comment dans les années 50, 60, 70 les gens se sont emparés du corps en tant qu’acteur. (…). Je pense que c’est un journal. C’est le problème aujourd’hui, comment on peut tenir la mémoire des acteurs ? ». La cohérence n’est pas donnée d’emblée au lecteur.

L’hétérogénéité des matériaux utilisés pour constituer cette mémoire est encore renforcée par le fait que bien souvent les billets ne mentionnent que de manière lapidaire leur provenance. Le billet du 8 janvier 201030 consacré à l’ouvrage « The Sacred Made Real » ne mentionne pas par exemple la source dont il provient au moins en partie, à savoir le site de la National Gallery31. La collection documentaire organisée par le blog laisse le soin au lecteur de retrouver par sa culture des écrits, le type d’informations auquel il a à faire. La mise en page qui permettrait par exemple de donner des indications sur la provenance et la nature de l’information est perdue au

30. http://leblogducorps.canalblog.com/archives/2010/01/08/index.html 31. http://shop.nga.gov/nga/category.cgi?item=410000323304

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profit du contenu. C’est le cas encore du billet32 du 27 juillet 2008 qui reprend par exemple un article de Wikipédia sur Tracey Emin. La mention de la source reste mineure. Seul un lecteur averti y prendra garde. Les blogs semblent développer des affinités particulières avec cette écriture qui procède par rapprochement et ellipse, s’approchant ainsi de l’aphorisme. Cette caractéristique agrégative est d’autant plus forte qu’elle ne concerne pas uniquement les textes mais bien l’ensemble des médias (Davies 2007, p. 177) : “References to developments in new digital technology feature alongside personal jokes, popular culture, critical, theory, photography and visual arts ; the self is performed through an amalgam of discourses so that the blog becomes a textual expression of how discourses are appropriated from so many spheres and used to perform the self.”. Le billet33 du blog de Gloria Origgi, présentant une vidéo des Monthy Python avec pour tout commentaire “A fundamental contribution to Philosophy of Wine.”, ne développe aucune analyse et laisse le soin au lecteur d’interpréter. Le caractère agrégatif du blog trouve aussi son écho dans le genre de la liste (Eco, 2009). Cet apparentement se trouve sur tous les plans. Sur le plan formel, elle en conserve l’aspect colonnaire : « HIS4 : c’est une page qui n’a pas de fin pour moi ! Une page sans fin avec des informations qui s’ajoutent, qui s’ajoutent, qui s’ajoutent ! »

Sur le plan des contenus le blog additionne les réflexions au gré des humeurs. Le blog de Gloria Origgi34 très symboliquement s’appelle Miscellanea et sous-titre

“Gloria Origgi’s reflections, ideas and work in progress. Texts in English, French and Italian”. La liste fait partie des premières mises en ordre qu’ait faites l’homme (Goody, 1979). Sa formalisation matérialise la volonté d’emprise de l’homme sur le monde en le dénombrant, mais les catégorisations qu’elle opère peuvent se faire à la fois dans la simplicité et la sophistication, dans la souplesse et la fixité car les critères des tris dans le cas du blog peuvent rester dans l’implicite ou varier dans le temps. En permettant de laisser dans l’ombre ce qui préside aux choix, elle permet au blogueur, s’il le désire, de jouer avec l’accumulation en restant à mi distance entre le rapport ludique et le rapport rationnel au monde. La liste est subversive parce qu’elle n’oblige pas au rapport logique. Elle peut opposer à l’efficacité du raisonnement la richesse de l’accumulation et juxtaposer dans la dispense les références. Cette mention pourrait être assimilée à ce qu’appelle Maria José Luzon (2009, p. 84) avec d’autres les “gratuitos links”, ces liens qui ne sont pas absolument indispensables mais que le chercheur prend la peine de citer : “There are also a few gratuitos links (…). The blogger knows that there is a Web site he/she can link to and he/she includes a link”.

La dernière dimension, l’importance de la temporalité, si elle est mentionnée, reste peu développée quant aux conséquences qu’elle induit sur l’appropriation. Elle est pourtant au cœur des obstacles cognitifs que produit l’écriture bloguée. Le blog

32. http://leblogducorps.canalblog.com/archives/2008/07/index.html

33. http://gloriaoriggi.blogspot.com/2010/01/monty-python-live-at-hollywood-bowl.html 34. http://gloriaoriggi.blogspot.com/

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est couramment perçu comme le média de l’immédiateté, du flux (Walker, p. 136) :

“weblogs in their current form can’t fully replace traditional publication. They’re superficial, quotidian; they’re not rigorous enough, one might argue; they are too completely in the moment and encourage fast writing and thought rather than deep consideration and reflection”. Vu par ses promoteurs, il se définit comme un outil permettant de mettre en ligne la partie autrefois laissée en point aveugle dans la recherche, la partie reléguée dans l’ombre. Lorsqu’il fait jouer à plein ses potentialités, il devient le média du repentir, comme ici dans le blog Homosexus35 :

« Ce que vous lirez au fil des jours n’est pas le livre à proprement parler ; il est un état du livre à un moment donné, en construction. Je crois répondre, ce faisant, au projet d’Homosexus et, plus largement, des carnets de recherche qui l’abritent : donner à voir la recherche et l’écriture telles qu’elles se construisent, au fil des avancements et des reculs, des hésitations et des idées subites, des renoncements et des intuitions, avec ou sans lendemain. ».

Le blog, à mi-chemin entre la quête personnelle et la quête scientifique, trouve sa justification dans le chemin qu’il trace (Halavais, 2006, p. 119) :“for some scholars, a blog replaces the notebook as a way of externalizing thought”, il nous renvoie à ce travail quotidien du chercheur qui affine ses idées. Son pouvoir de définition tient à sa capacité exploratoire (Mortensen, 2002, p. 261) : “When academic writing is structured by the rules of the casual argument, a weblog is structured by time and the impulses of the day, documenting rather than structuring the trail of thought” . La science, pour exister, s’inscrit dans le temps. Le chercheur jour après jour élabore sa pensée en choisissant des méthodes, des objets des concepts pour élaborer des théories. C’est dans l’exercice de l’écriture que cette élaboration est sans doute la plus visible ou que du moins elle laisse le plus de traces. D’où cette importance accordée au carnet de recherche dans l’histoire des sciences. Le centre du Cléo36 en s’y référant explicitement affirme sa volonté de faire entrer la science contemporaine dans une nouvelle ère communicationnelle mais en la reliant à son histoire : « Il s’appuie cependant sur une tradition ancienne, celle de l’écriture quotidienne, de la manipulation des concepts, de la confrontation des points de vue (…) ». Cette mise en perspective légitime l’usage du blog mais met paradoxalement en avant la nécessité de faire des archives. La consignation de la pensée dans son flux sous-tend l’intégralité de sa conservation pour être comprise et traitée. Marin Dacos insiste sur cette fonction essentielle de la plateforme qui est d’assurer la pérennité dans le temps des écrits :

« Vraiment la logique de la plateforme, c’est une logique de la stabilité, si le chercheur meurt, si le chercheur se déplace… A priori l’État n’a pas vocation à faire faillite contrairement à des sociétés qui ont vocation à être rachetées etc. Donc là vous avez une stabilité qui est nécessaire au bon fonctionnement de la science parce que cela devient une archive. (…) Donc là il y a une question de confiance que peut entretenir le lecteur et l’auteur avec le carnet lui-même et l’endroit où le carnet est hébergé. C’est absolument stratégique ! C’est pour cela que les plateformes s’imposent d’elles-mêmes.

35. http://homosexus.hypotheses.org/un-projet-de-livre 36. http://www.mutec-shs.fr/presentation-hypotheses-cleo

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(…) Les chercheurs ont besoin d’être dans un lieu où ils sont tranquilles (…) ». Le blog devient ainsi une sorte de mémoire vive où passé et présent se confondent pour produire une sorte de réservoir, d’atelier où l’on pourrait disposer en permanence de l’intégralité de la pensée et garder la trace du mouvement.

La lecture

Ces écritures polyphoniques et polymorphiques posent la question de leurs lectures.

Comment le lecteur peut-il s’approprier ces sources ? Le blog ne produit pas a priori de règles de lecture. La complexité de ses caractéristiques scripturales et sa labilité font de lui un média difficilement saisissable. Lorsqu’il les utilise à plein il produit des difficultés de lecture particulières qui sont autant de handicaps à l’appropriation : « On voit des choses qui sont en train de disparaître pour arriver à un autre support là où les informations perdent toute signature, toute responsabilité. C’est vrai par exemple qu’avant dans les références, les écrits on avait des signes : selon machin qui a écrit tout ça… ». La lecture « naïve » du blog est difficile. Ces difficultés de lecture peuvent aller si loin que l’auteur du blog produit des guides, des orientations pour faciliter l’entrée et la navigation dans le blog, comme ici dans Homosexus où la chercheuse explique et propose des alternatives : « Le livre, constitué d’extraits de lettres, est précédé d’un prologue. On ne s’étonnera pas de n’y trouver aucune référence à ces lettres. Ce prologue, destiné à dresser le décor, c’est à dire le contexte historique et idéel dans lequel vivent nos couples, est tissé d’extraits de romans de l’époque. Il peut tout à fait ne pas être lu. Les lecteurs qui voudraient commencer sans préambule, en faisant connaissance directement avec Antoine, Magdeleine, Pierre, Amélie et les autres, iront dans ce cas sur la page intitulée Introduction ». La chercheuse se montre soucieuse de son lecteur et lui ménage des ponts : « Et toujours, pour ceux qui découvriraient ce site par hasard… pour reprendre la lecture de ce récit au début, il vaut mieux se rendre sur la page Un projet de livre puis suivre les flèches. ». Cette mise en visibilité du temps dans le processus de recherche délègue en contre partie au lecteur la construction d’un sens devenu plus incertain. En démystifiant l’écriture scientifique, elle produit une forme de clôture en réservant la lecture des billets aux « happy few ».

Dans un tel contexte la lecture devient serpentine, voire peut s’apparenter au jeu de piste. L’acquisition du sens devient beaucoup plus complexe. La liberté que constate Julie Davies (2007, p. 186) lorsqu’elle fait cette remarque : “However hypertextual reading confers particular degrees of freedom to the reader who is able to determine not only the reading path taken, but also the level of attention and depth of reading alloted to text.” est aussi source d’embarras et de confusion ; elle note d’ailleurs elle-même un peu plus haut (Davies, 2007, p. 174) qu’il faut avoir connaissance des contextes de l’information pour la comprendre : “this would include a knowledge of who the participants were, their previous familiarity with the topic and with each other, the degree to which their settings were similar or shared and an understanding of their purposes for posting and commenting (…). Their backgrounds would be clear to some readers and not so apparent to others”.

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L’extrême ouverture produit, a contrario, de la clôture informationnelle (Pledel, 2007) ou des lectures complètement transgressives qui traversent l’objet en l’ignorant comme en témoigne ici par exemple la remarque de Bernard Andrieu sur les commentaires de son blog : « Je laisse pas mal de commentaires concernant par exemple (…) des femmes qui veulent se faire restaurer l’hymen. (…) Son père se sert de mon blog pour communiquer avec elle (…). Donc les gens s’emparent du truc pour communiquer entre eux. Moi je n’interviens pas du tout dans la discussion, dans leurs histoires. ». Alors que pour le chercheur son blog est : « (…) une sorte de journal intellectuel sur la période et en même temps cela permet de faire un inventaire. (...) », pour son lecteur il devient un réservoir d’images : « c’est-à-dire les gens tombent dessus parce qu’ils font des recherches images. Donc j’ai regardé c’est beaucoup de gens qui font des recherches images et comme moi, je mets pas mal d’images, les gens tombent sur le blog. Donc je pense qu’à ce moment-là, ils doivent regarder ce qui se passe autour parce que l’image est toujours associée à une autre information. Sinon les scientifiques s’en servent pas mal pour avoir des informations sur les colloques, sur l’actualité etc. Beaucoup de collègues me disent, heureusement que tu es là pour diffuser l’info ! (…) ».

Les lectures sont aussi infinies que les écritures ce qui conduit beaucoup de chercheurs à repousser le blog comme source documentaire en raison même de ces caractéristiques. Le blog est trop chronophage : ESP4 « Enfin certains disent que le fait d’aller sur internet, on a toujours envie de savoir des choses, il y a des personnes qui peuvent passer beaucoup de temps moi mon temps est compté quand même, je ne peux pas me disperser alors les blogs non ! ». Il produit une lecture itérative et la consignation de la pensée dans son flux n’est pas propice à la compréhension : INF1

« Je n’aime pas les blogs si c’est la question de fond ! Je ne m’en sers pas. (…) Moi je n’aime pas ! Pour le chou rave ça va bien les blogs ! Les blogs perso j’ai vraiment du mal, je ne vais pas les lire et puis c’est tout ! Après j’aime bien les trucs un peu plus pointu, professionnel où les gens savent de quoi ils parlent ou j’ai quelque chose à apprendre. Mais au bout d’un moment ça me déplaît, c’est toujours sous la forme de billets chronologiques et moi j’ai besoin d’avoir des synthèses. Il y a des gens qui font des trucs intéressants, qui disent voilà je me mets à tel sujet pendant un mois et tous les jours je vais vous raconter ce que j’apprends. Au début cela me semble bien mais au bout d’un moment, ce qu’il a compris un jour, il comprend le lendemain que c’était faux… Je m’en fous, je veux un truc concis ! Il y a l’aspect chronologique qui me déplaît assez fortement. J’ai besoin d’avoir des synthèses. ». La dimension temporelle de l’écriture bloguée la rend extrêmement difficile d’appréhension, elle constitue probablement l’une de ses pierres d’achoppement. Ce qui ferait son attrait ferait aussi sa limite. L’erreur, la répétition, le retour et les fonctions heuristiques qui leur sont données en science joueraient ici a contrario de l’effet attendu : INF2 « (…) pour moi c’est pas très intéressant un blog en réalité. C’est-à-dire qu’il y a un gros ratio volume, il y a beaucoup de volumes par rapport au signal intéressant présent dedans donc après si ça plaît à des gens… Moi je préfère des choses qui bougent moins à la limite ».

L’analyse montre un outil extrêmement complexe et dont la complexité est d’ailleurs accrue par le caractère mouvant. De ce point de vue chaque blog produit ses propres

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règles ou peut potentiellement le faire de par sa plasticité. Tout se passe comme si chaque critère choisi ou chaque affirmation sur les blogs pouvait trouver son contre- exemple dans un autre. Cette extrême labilité de la forme et des contenus produit des conflits dans sa reconnaissance au sein de l’université qui est fondée sur la régulation des discours si l’on accepte les analyses de Michel Foucault (2005). Le blog pour s’imposer comme source documentaire doit répondre à un certain nombre de critères qui sont les conditions de son utilisation et de son utilité. Finalement c’est la question de la légitimité qui est posée.

Le blog en quête de légitimité

Est-ce que le blog peut produire des règles capables de le rendre légitime ? Est- ce que le blog serait entré dans une phase de classicisme et d’institutionnalisation après plus de dix ans d’exploration ? Les éléments développés plus hauts tendent à prouver qu’il est toujours en train de chercher sa voie et qu’il n’a pas encore reçu ses titres de noblesse. Dans cette dernière partie nous voudrions envisager cette question et voir la place qu’il occupe ou qu’il pourrait occuper dans le monde universitaire (Walker, 2006, p. 135) : “I think that we have yet to find the real place of blogging.

Wether or not blogging still exists in its current form in ten years’ time, the public sharing of research practice is likely to become more and more visible. We’ll have to deal with it somehow”.

La mise en lecture

Peut-on dans les conditions évoquées ci-dessus, imaginer s’appuyer sur la politique éditoriale pour établir la légitimité des blogs dans l’espace de communication scientifique ? A côté de l’attention très forte portée aux logos pour labéliser les sites, visible ici dans les paroles de Marin Dacos : « Donc on va plus mettre en avant les institutions. Clio et Revues.org, là pour le moment le logo est mal placé, on va le déplacer » ; les institutions utilisent plusieurs méthodes pour tenter la mise en légitimité. Les classements, les portails et les sélections font partie des stratégies les plus généralement répandues. La multiplication des blogs a entraîné la nécessité d’organiser leur visibilité et leur accessibilité chez les différents acteurs.

Cette institutionnalisation participe à la généralisation et à la banalisation du blog.

Les universités et leurs groupes de recherche n’hésitent pas à proposer à leurs lecteurs des listes de références parmi lesquelles figurent des blogs comme ici sur le site de l’Université de Chicago37 : “Browse some of our favorite wisdom research websites, as well as blogs we think are important and interesting”.

Ce mouvement d’institutionnalisation a commencé depuis plusieurs années dans un certain nombre de pays et notamment aux Etats-Unis où des portails se sont

37. http://wisdomresearch.org/Arete/ResearchGrants.aspx

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constitués pour les regrouper et offrir une forme de mise en lecture. La création de la plateforme hypothèses en 2008 s’inscrit dans cette dynamique. Ces mises en portail correspondent à des nécessités. Marin Dacos explique la création de la plateforme par toute une série d’arguments parmi lesquels figure la nécessité de les regrouper pour les mettre en visibilité sur des plateformes dédiées à la recherche et éviter leurs dispersions sur des plateformes généralistes. Mais pour que ces plateformes jouent parfaitement leur rôle de mise en lecture et de mise en visibilité, il faut que l’institution déploie des stratégies de classements pour y donner accès. Or ces stratégies de classement se révèlent périlleuses. L’extrême hétérogénéité des blogs et leur labilité rend difficile leur catégorisation. Les analyses développées plus haut trouvent ici leur écho. L’institution se trouve dans l’obligation de les mettre en cohérence et inventent de multiples scénarios : de l’ordre alphabétique au classement thématique en passant par les types de supports comme le propose Marin Dacos pour la nouvelle version de la plateforme : « Ce que l’on va faire, ce sont des types de carnets : des phonoblogs, des photosblogs, des carnets de recherche de programme de recherche de type ANR et des carnets de livres qui auront des fonctionnalités et des maquettes particulières. (…) » et le classement par type de lecteur pour le CNRS38. Le CNRS d’ailleurs qui n’hésite pas à fournir une page d’explication sur les portails de blogs sur son site Tge-Adonis39. Les typologies sont risquées et demandent pour le moins des explications. Le blog peine à produire des instances éditoriales qui pourraient fonder la validité et le statut des écrits, et ordonner la lecture. Keith Stuart (2006, p. 394) confronté à la nécessité de composer son corpus et de le justifier pour son article qualifie le répertoire de Crooked Timber de

“mixmatch bag of weblogs although they have been classified by disciplines”. Les fonctions traditionnelles dévolues au comité scientifique se voient revisitées. Le projet éditorial40 de la plateforme Hypothèses.org laisse d’ailleurs la place à la diversité. Marin Dacos précise que l’objectif est bien de laisser la plus grande liberté possible aux auteurs et qu’il ne s’agit pas pour le conseil scientifique d’Hypothèses de mesurer l’excellence des blogs mais d’assurer la cohérence de la plateforme. Les stratégies mises en place par l’institution pour homogénéiser et proposer aux lecteurs et aux chercheurs des repères, voire des sortes de contrats de lecture ou d’écriture restent extrêmement délicates. Elles posent dans tous les cas la question de cette fameuse liberté associée à l’écriture du blog. En effet que faire des transgressions ou des attitudes hors normes, qu’il s’agisse de problèmes politiques41 ou de problèmes parfois même purement formels comme dans le blog du corps où l’auteur est interpellé parce qu’il n’a pas cité correctement ses sources42 ou de problèmes de normes sociales et/ou académiques lorsqu’il choisit de mentionner le site de Marie-

38. http://images.math.cnrs.fr/Sites-et-blogs-scientifiques.html

39. http://www.tge-adonis.fr/?Les-portails-de-blogs&decoupe_recherche=blog 40. http://hypotheses.org/sinscrire

41. http://www.wikio.fr/blogs/top/science. Voir sur ce problème l’article de Gallezot et al.

« Chercheurs 2.0 ? ».

42. http://leblogducorps.canalblog.com/archives/2009/03/08/index.html

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Hélène Bourcier43 sur son blog qui est hors institution et de l’omettre sur son site officiel : « VT : j’ai vu que les liens que vous mettiez dans le site du corps n’étaient pas forcément ceux du blog. Par exemple Marie-Hélène Bourcier qui est militante et chercheuse est sur le blog mais pas sur le site. BA : oui, je ne l’ai pas encore mise sur le site du corps, oui bonne remarque ! Mais parce que j’avais mis Béatriz Preciado, le site de Béatriz Préciado c’est une militante queer, c’est vrai que je pourrais la mettre aussi, euh…. mais c’est vrai que c’est des types de blogs, ce n’est pas des sites institutionnels…. (…) ce n’est pas une volonté consciente de ma part.

C’est plutôt parce que quand elle m’a envoyé le site « fuck my brain », je l’ai mis spontanément sur le blog du corps qui m’apparaît un espace plus libre que l’espace de la fac quoiqu’à la fac je n’ai jamais eu de remarques de quoi que ce soit ». Ces hésitations nous renvoient sur un autre plan à d’autres formes d’auto-censure qui passent alors par la nécessité du pseudonyme (Walker, 2006, p. 133) : “Others, just as important, are pseudonymous, where you get all the honest process work and the bits that are too bodily (sex! mess! clothes! hunger!) or emotional (performance anxiety, depression, love, doubt) to fit into a traditional academic image”. Le jeu entre institution et mise en lecture est fragile et subtil.

La légitimité une question d’identité

Nous avons vu que le blog est foncièrement polymorphique et polyphonique. Or cette plasticité n’est pas propre à faire de lui une source documentaire que l’on identifie facilement, ses finalités et ses usages ne s’imposent pas. Le blog s’inscrit dans un maillage communicationnel dense. Les chercheurs appelés à faire part des blogs qu’ils connaissent évoquent toute une série d’autres ressources en ligne avec lesquels ils le comparent. Assez souvent le blog est comparé à la page personnelle dont il partage les intérêts (promotion de sa recherche, de l’équipe, nécessité de se constituer une identité numérique etc.) : « VT : ce n’est pas un outil d’échanges entre scientifiques ? PSY7 : non, non. Ce que j’utilise beaucoup c’est les pages personnelles des chercheurs. Ça oui c’est vraiment bien. Je peux me demander ce qu’a fait untel qui est très actif… les blogs non… » ; « HIS1 : Après oui je vais sur les pages perso mais c’est pas vraiment des blogs de chercheurs dans les universités, dans les centres de recherche. Je fais cela pour le boulot mais c’est pas vraiment des blogs, c’est des pages ». La nécessité de constituer une identité numérique pour le chercheur aujourd’hui peut passer par de multiples canaux. Le blog n’est qu’une possibilité parmi d’autres.

De même le blog est couramment associé à la liste de diffusion dont il partage les fonctions ; cette confusion sur le rôle que peuvent jouer les deux médias peut aller si loin que l’un peut servir d’archivage à l’autre et comme dans le cas de la liste Socius44:

« La liste de diffusion Socius se donne pour vocation de réduire cet émiettement par la diffusion d’information et l’émulation intellectuelle amicale. Ce carnet recense les

43. http://fmybrain.org/

44. http://listesocius.hypotheses.org/a-propos

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